Déclaration de Bernard Bosson, ministre de l'équipement des transports et du tourisme, secrétaire général du CDS, et candidat à la présidence du parti, sur les ambitions du CDS de devenir un parti "moderne" et "fort", ses exigences en matière de construction européenne et les conditions de son soutien à un des candidats de la majorité à l'élection présidentielle, Paris le 10 décembre 1994.

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Intervenant(s) : 
  • Bernard Bosson - ministre de l'équipement des transports et du tourisme, secrétaire général du CDS, et candidat à la présidence du parti

Circonstance : Congrès national du CDS à Paris les 10 et 11 décembre 1994 : élection de François Bayrou comme président, en remplacement de Pierre Méhaignerie.

Texte intégral

Chers amis,

Dans quelques instants vous allez faire un choix.

Ce choix, ce n'est pas un combat de personnes, c'est un choix décisif.

Décisif, parce que ce qui est en jeu, c'est l'avenir du parti et son identité.

Décisif, parce que se joue dans les prochains mois, l'avenir du pays et l'avenir de l'Europe.

Sous nos yeux, se construit un monde nouveau.

Nous n'avons pas seulement changé de cycle économique, nous n'avons pas seulement traversé une crise, nous avons en réalité changé de monde.

Ce changement de monde, remet en cause les fondements même de notre organisation sociale. Il bouleverse notre société, menace l'Europe, décrédibilise une vie politique figée et interpelle notre famille de pensée sur ses devoirs et sur son avenir.

Souvenez-vous des propos de Jean Lecanuet, au Congrès de Lyon. « C'est dans les périodes de transition et de mouvance, disait-il lorsque les sécurités de dissolvent et les habitudes se perdent, qu'il importe de dire qui l'on est, d'où l'on vient, où l'on faire, et ce que l'on veut devenir, non pour soi-même, mais pour notre peuple qui cherche vers qui se tourner et qui cherche ce qu'il peut croire ».

C'est de ces enjeux historiques, de mon ambition pour le CDS dont je veux vous parler ce matin.

Mon ambition est tout d'abord de réconcilier les Français avec la politique et de faire du CDS un parti moderne, c'est-à-dire un parti vrai, démocratique, fort, incontournable.

Notre première mission, essentielle, c'est de réconcilier nos concitoyens avec la politique.

Je ne me résigne pas à ce que jour après jour l'engagement public soit bafoué, critiqué, méprisé.

Je ne me résigne pas à ce que, par la légèreté des uns ou les malversations des autres, le désenchantement, la suspicion et même le mépris creusent un fossé entre nos concitoyens et la vie publique, détournent du militantisme et affaiblissent la démocratie.

Nous avons choisi, vous avez choisi, l'engagement militant dans un parti politique parce que, de tous les engagements, il est parmi les plus nobles, celui qui s'éloigne le plus de la défense d'intérêts personnels ou corporatistes, celui qui conduit à avoir une vision globale de la société, à servir les autres, j'allais dire à aimer les autres.

Nous devons au CDS être des militants politiques fiers de notre engagement.

Oui, nous avons choisi la vie publique.

Oui, nous avons choisi de lui sacrifier beaucoup, parce que même si le combat est souvent rude, il s'agit d'un combat noble, il s'agit du combat pour que vive la démocratie.

Nous le faisons parce que pour nous, il n'y a pas de démocratie sans parti politique et il n'y a pas de parti politique sans militant. Soyons donc fiers d'être des militants !

Pour autant, nous n'avons pas à tomber dans le discours moralisateur. Comme l'écrivait Pascal « la morale n'a pas besoin de morale ». Nous devons simplement mais fortement rappeler que le respect d'une éthique s'impose dans l'exercice des mandats publics.

Nous pouvons être fiers d'avoir été le premier parti politique à avoir assumé, avant que la justice ne l'exige, la transparence de ses comptes et de son financement.

Nous pouvons être fiers d'avoir avec Pierre, le Garde des Sceaux qui a libéré la justice et qui l'a rendue égale pour tous, ministres et citoyens.

Dans ce domaine, je vous propose d'aller plus loin.

Je vous propose que demain une charte de l'éthique dans les mandats publics engage tout candidat qui portera nos couleurs.

Nous y développerons une idée simple. Pour nous CDS :

– quand on sollicite la confiance de ses concitoyens,
– quand on l'obtient,
– quand on acquiert ainsi sur eux le droit de lever l'impôt,
– l'argent public qui en est issu est sacré.

Nous proposerons notamment :

– une limitation plus forte des dépenses électorales,
– une réglementation plus stricte des financements,
– la création d'une autorité d'éthique pour contrôler tous les revenus des élus,
– et nous proposerons aussi l'interdiction à vie de mandats publics pour ceux qui se seraient écartés du droit chemin.

Chers amis, il y a urgence. Nos concitoyens ne peuvent pas se contenter de discours sur la transparence, ils attendent des actes. Ils attendent non seulement des lois mais que les partis politiques, les hommes politiques, prennent des engagements et adoptent de nouveaux comportements.

C'est à nous, militants du CDS, (à nous qui avons choisi comme bannière le mot de démocrate) d'en traduire le sens, c'est-à-dire d'intégrer cette dimension éthique dans notre manière de vivre nos responsabilités publiques.

Construire un parti moderne, c'est d'abord, pour moi, bâtir un parti vrai. Si nos concitoyens se détournent largement des partis politiques, c'est parce qu'ils ont bien compris qu'ils sont souvent devenus des syndicats d'intérêt, de simples étiquettes, voire une sorte de publicité mensongère.

Demain nos concitoyens exigeront de plus en plus : authenticité vérité, courage.

Un parti vrai, c'est un parti qui rassemble des hommes et des femmes sur des convictions partagées.

Fonder les bases d'un grand parti, c'est partir de cette idée fondamentale. Il n'est pas possible de faire un parti politique à partir d'un rassemblement qui aurait l'apparence de la force, mais serait en réalité affaibli par des contradictions internes, pour n'être plus qu'« un colosse aux pieds d'argile ».

Il n'est pas davantage possible d'articuler un parti autour d'un projet présidentiel. Notre parti vient de loin et son horizon dépasse toute échéance électorale.

Chers amis, un parti politique vrai ne peut pas s'étendre de Dominique Baudis à Philippe de Villiers, de Jacques Barro à Alain Griotteray, de Bernard Stasi à Alain Madelin, ou alors il en est réduit à un discours soit faux, soit le plus petit commun dénominateur qui ne peut convaincre personne et entraîner personne. De tels ensembles sont des ensembles du passé.

La force et le ciment d'un parti politique surtout le nôtre, c'est une foi en des valeurs profondément et fraternellement partagées.

Un parti politique doit être ensuite fortement identifié. Le CDS dans le cadre des institutions de la Vème République doit être clairement positionné. Nous devons affirmer avec constance notre appartenance à la majorité. Nous sommes l'aile humaniste, sociale et européenne de cette majorité. Je ne veux plus que nous mettions dans une position telle que l'on nous prenne pour des hésitants ou des ambigus. Je ne veux plus, vous ne voulez plus être confondus avec ce que l'on appelle le marais, avec ceux que l'on soupçonne d'être assis entre deux chaises.

C'est en cela que je, que nous ne sommes pas des centristes, mais des CDS, et pour moi c'est fondamentalement différent. Pour moi, le CDS c'est la clarté et l'exigence !

C'est pourquoi, j'ai toujours été et je suis pour une UDF, confédération, alliance électorale indispensable face au RPR car soyons francs le principal, peut-être même le seul, ciment de l'UDF, c'est l'existence du RPR. Mais l'UDF ne peut pas être un parti politique, et l'erreur qui a été commise au cours des dernières années, c'est d'avoir cherché, en vain d'ailleurs, à ce qu'il le devienne.

En la matière, je me souviens de la parabole du grand navire UDF sur lequel on nous invitait à embarquer, dont nous seuls, nous avait-on dit, pouvions tenir la barre ; ce grand navire qui allait permettre au CDS de conquérir de nouveaux rivages, … voici qu'il fait place à un frêle esquif avec pour candidat Charles Millon et moins de 4 % dans les sondages !

Cette parabole me fait penser à ce qui se passe aujourd'hui sur certains navires européens. L'équipage est tellement divers qu'on ne parle pas la même langue, même pendant les manœuvres les plus délicates et c'est bien cela qu'est devenu l'UDF. Quand nous parlons économie sociale de marché, on nous répond ultra-libéralisme. Quand nous parlons Europe, certains avec Philippe de Villiers nous répondent nationalisme. Quand nous avons voulu la rénovation, on nous a imposé la restauration.

L'UDF alliance électorale est nécessaire alors que l'UDF, parti politique conduit au déclin de l'identité du CDS.

C'est la raison pour laquelle je m'opposerai à l'application de la réforme de l'UDF, cette machine qui laminerait notre représentation et donnerait au PR au moment même où il traverse les difficultés que l'on sait, la majorité absolue dans toutes les instances qui ne laissent déjà au CDS que 400 places sur 1 600 au Conseil national.

C'est pourquoi, je proposerai aux autres composantes de l'UDF de construire demain sur des bases confédérales, une nouvelle UDF plus respectueuse de ses composantes.

Un parti moderne, c'est aussi un parti réellement démocratique. Le CDS doit être un parti de militants et d'élus et jamais l'un sans l'autre.

Nous avons besoin, sans devenir pour autant un régiment, ce qui ne correspond pas à notre tempérament, de mieux nous organiser, de mieux faire fonctionner nos instances de décisions avec des ordres du jour et des débats approfondis sanctionnés par des votes. Ma première priorité sera de travailler beaucoup plus en équipe, de bâtir une équipe homogène. Cette équipe repose tout d'abord sur la confiance entre le Président et le Secrétaire général.

À ce sujet, je me dois de vous dire avec qui je souhaite travailler demain en tandem, qui je vous proposerai comme Secrétaire général. Je vous ai écoutés à Rouen je vous ai entendus pendant nos rencontres. Je le sais, vous partagez très largement mon choix.

C'est pourquoi. Je suis heureux de vous proposer que Philippe Douste-Blazy devienne notre Secrétaire général.

Ensemble, nous avons un immense travail à accomplir.

Je veux renouveler notre centre national, récompenser ceux qui s'y dévouent ; faire en sorte que nos permanents nationaux puissent être à la fois des militants, ainsi que des missionnaires à mi-temps à Paris et à mi-temps sur le terrain au contact des élus, des fédérations, des militants.

Je proposerai à chaque fédération de passer un contrat d'objectif dans une double exigence du centre national vers les fédérations et des fédérations vers le centre national. Chaque cas est différent et nous devons ensemble chercher des militants, des élus, des candidats, des contributions. Je mettrai tout en œuvre pour ouvrir au-delà de nos racines rurales le parti sur le monde urbain où vivent les trois quarts de nos concitoyens.

Le CDS doit sans complexe ouvrir portes et fenêtres, rayonner sur l'extérieur et s'agrandir. Nous devons rechercher des contributions dans le patronat chrétien, dans les forces syndicales du pays, dans le monde culturel, dans le monde, intellectuel. Nous devons être un laboratoire d'idées et de propositions. Souvenez-vous du congrès de Saint-Malo, de la richesse des travaux, de la qualité des débats, de la discussion démocratique. Ce n'est pas en nous diluant dans un grand ensemble sans âme, mais à partir du socle de nos convictions que nous bâtirons un parti attractif, allant s'élargissant, devenant incontournable dans la vie politique française.

Je refuse un CDS étriqué, recroquevillé sur lui-même, vivant dans le confort douillet que lui procurent ses vieilles habitudes. Nous devons ouvrir portes et fenêtres. Cela d'autant plus que nous avons devant nous un extraordinaire espace. Le RPR va connaître quoiqu'il arrive une division qui laissera des séquelles profondes. L'UDF va devoir se rénover, le PR traverse des turbulences durables. Le PS ne s'est pas encore reconstitué et la façade de Liévin ne masquera pas longtemps les guérillas entre ses différents courants,    entre ses nombreuses écuries présidentielles. 

Nous avons au CDS trois atouts : la force de nos convictions, la richesse de nos militants et notre profonde unité. Mon ambition c'est à partir de nos convictions, autour des fondations que constitue le CDS, d'ouvrir le parti, de le transformer, de le révolutionner, de convaincre, d'attirer de nouveaux élus, de nouveaux militants, de nouveaux parlementaires. Mon ambition c'est de construire un nouveau CDS.

Lequel d'entre nous ici ne souhaite pas un CDS fort ?

Lequel d'entre nous ici ne souhaite pas un CDS s'exprimant plus vigoureusement ?

Lequel d'entre nous ici ne regrette pas dès lors la disparition de notre groupe parlementaire à l'Assemblée nationale ?

Pour construire le parti fort qu'ensemble nous voulons, nous devrons demain nous interroger sur notre meilleure stratégie à l'Assemblée nationale. J'ai, vous le savez, combattu sans relâche pour le maintien de notre groupe. Souvenez-vous, du courage qu'il avait fallu en 1988 à Pierre Méhaignerie et à Jacques Barrot pour le créer. Nous avons tous été tristes de le voir disparaître sans raison valable.

Chers amis, imaginez quelle serait aujourd'hui notre force d'attractivité, de persuasion, d'expression si nous possédions notre groupe ? Combien serions-nous 80, 100, 120.

J'en ai la conviction, il n'y a pas de parti fort s'exprimant puissamment dans la vie politique française et clairement identifié sans une expression libre au Parlement. Nos amis sénateurs l'ont compris depuis longtemps.

Surtout, surtout, ne nous trompons pas d'échéance. Notre premier devoir, c'est de construire ce parti fort sur des convictions partagées ; et c'est à partir de là, que nous pourrons nous donner d'autres objectifs plus lointains, que nous pourrons un jour comme nous en portons tous le désir, voir l'un des nôtres se porter à la candidature aux plus hautes fonctions de l'État.

Cet avenir que nous désirons tous, il commence par la refondation du CDS. Il commence avec un parti suffisamment attractif pour que nous multipliions les chances d'avoir parmi nous les hommes capables demain de postuler aux plus hautes fonctions de l'État. Refonder le CDS, construire un nouveau CDS, en faire un parti politique moderne, voilà l'enjeu aujourd'hui.

Mon ambition, je vous l'ai dit, c'est que ce parti vrai, fort, ce nouveau CDS s'affirme comme le parti   de l'exigence. Exigence sociale d'abord. Notre première tâche, c'est de proposer à nos concitoyens un nouveau modèle français.

Dans les vingt dernières années, nous avons donné la priorité à la croissance économique, au PIB, à l'augmentation des salaires. Ces choix étaient justifiés dans une époque qui est aujourd'hui, ayons le courage de le dire, largement révolue.

Le principal défi auquel le nouveau modèle français devra répondre, c'est celui du refus de l'exclusion et de la cohésion sociale. Toutes les données économiques ont été modifiées, nous avons changé de monde. Les données sociales, le modèle de société sont à réinventer.

Le principal changement vient de la mondialisation de l'économie. Celle-ci entraîne, au moins pour la production industrielle et celle de nombreux produits, le déplacement dans d'autres pays que les nôtres des tâches répétitives et des bas salaires. Ces tâches et ces bas salaires sont d'ailleurs le seul espoir de développement d'autres peuples de la planète ; nous ne devons pas non plus l'oublier.

Un pays comme le nôtre doit par l'invention de produits nouveaux toujours plus sophistiqués, continuer à faire progresser la richesse nationale. Il doit s'engager résolument dans des outils de production toujours plus automatisés, toujours plus informatisés.

Il est donc clair qu'on le veuille ou non, qu'il y a les plus grandes chances pour que dans les années qui viennent l'appareil productif, comme l'appareil des services qui lui est attaché, nous permettent d'augmenter chaque année notre richesse nationale, tout en diminuant le nombre des emplois qui en dépendent.

En 1995, grâce aux efforts de ce Gouvernement auquel nous avons l'honneur de participer, la barre ayant été redressée, et c'était la première urgence, la France va être la plus riche de son histoire moderne et pourtant elle aura en 1995 plus de 4 millions d'exclus plus qu'elle n'en a jamais eu.

La solution est donc chez nous, en nous. « Plus que jamais » comme l'a écrit Bergson « l'humanité gémit à demi-écrasée sous le poids des progrès qu'elle a fait. Elle ne sait pas assez que son avenir dépend d'elle ».

Cet avenir dépend en effet de nous. La solution et, c'est à nous héritiers de la démocratie chrétienne de le dire, la solution exige d'abord la réhabilitation de l'homme comme première richesse de la société. C'est vrai dans l'appareil productif, dans les services, dans l'administration. Ce n'est plus demain l'argent ou la machine qui fera la différence, c'est l'homme par sa formation, sa richesse, sa capacité d'innovation, par la manière dont il sera capable de travailler en équipe, par la qualité du dialogue social, par la manière dont les responsables écouteront ceux qui ne sont plus leurs subordonnés mais leurs collaborateurs, par la manière dont chacun à sa place se sentira considéré, respecté et sera motivé.

C'est le retour en force du personnalisme communautaire.

Il y a dans notre doctrine, notamment chez Marc Sangnier, une formidable actualité, une formidable intuition. La décentralisation, la participation, la souplesse, la communauté, toutes ces notions qui placent l'Homme au centre de la société, ce sont à la fois nos racines, et notre avenir.

La solution exige aussi par un changement des références, une révolution des mentalités qu'il nous faut accomplir avec courage. Aujourd'hui, l'honorabilité dans la société, la compétence ne sont reconnues qu'à celui qui possède un emploi et de préférence un emploi productif à temps plein. Le changement de référence passe par une réhabilitation des activités familiales, sociales, associatives.

L'heure du partage a sonné, non pas le partage socialiste, non pas le partage d'indemnités, j'allais dire d'aumônes, mais le partage des responsabilités permettant de créer pour chacun un rôle dans la société, une reconnaissance, de lui donner une dignité et à travers elle un revenu pour lui et sa famille.

Nous vivons tout de même dans une étrange société. Aujourd'hui, il est possible pour une femme ou un homme au foyer d'élever des enfants en ayant un salaire. Il n'y a qu'une condition, que ces enfants ne soient pas les siens. Si dans un immeuble, chaque famille échangeait ses enfants, tout le monde aurait droit à un salaire. Cela doit nous poser la question fondamentale de nos références et de ce qu'on appelle les valeurs de notre société. C'est à nous CDS d'initier et de nourrir cette réflexion en profondeur.

Le changement de références, exige plus de souplesse dans l'ensemble    de la société. On doit pouvoir demain souhaiter travailler quelques mois à temps partiel ou préférer regrouper ses périodes de vacances sur une période plus longue, ou se mettre à mi-temps pour élever ses enfants. Le nouveau modèle français sera souple, innovant, flexible, divers et décentralisé. Nous devons débarrasser notre société des contraintes napoléoniennes qui veulent que des modèles uniques définis depuis Paris, imposés à tous et partout tout en conservant bien sûr les protections sociales qui sont l'honneur de notre pays.

Car la France comme l'Europe doit être la terre de l'économie sociale de marché.

Celle où l'économie est mise au service des hommes.

Celle où la vie est la moins dure sur la planète pour les plus déshérités.

J'ai la conviction que notre pays par son histoire, par sa culture, que les Français par leur génie propre sont les mieux à même de donner naissance à ce modèle.

Nous allons vivre le moment rare, difficile mais intense, passionnant, d'un changement de civilisation. La situation l'exige et sans le savoir la majorité de l'opinion, j'en ai l'intime conviction, y est prête. Elle attend simplement des hommes politiques courageux. Chers amis, je vous propose cette voie, celle du courage, de l'espérance et de l'avenir.

Nous avons là non seulement une chance à saisir, mais une responsabilité historique, à assumer nous qui portons les valeurs du personnalisme communautaire, de l'économie sociale de marché. Nous avons la responsabilité, de montrer au pays qu'il existe un chemin au moment où il commence à désespérer.

À nous de porter ce nouveau modèle Français.

À nous, comme le disait Jean Lecanuet « d'être à l'avant-garde de l'espérance ».

À nous d'être les acteurs, les explorateurs, les initiateurs de ce bouleversement.

Pour cela, il faut, comme je vous le disais tout à l'heure, replacer le CDS au cœur des débats de société, en faire un lieu d'échanges, de dialogue, de confrontations d'expériences.

Le premier parti politique qui osera lancer ce débat, qui le fera avec audace et vérité, qui proposera ce nouveau modèle, remplira son devoir à l'égard de notre nation et verra au surplus un grand avenir s'ouvrir devant lui.

Telle est mon ambition pour le CDS.

Au-delà de cette première exigence, il en existe une seconde, c'est l'exigence européenne. C'est nous de faire triompher l'idéal communautaire.

Nous allons vivre en 1995 un rendez-vous historique.

L'Europe va connaître des élargissements qui sont aussi inéluctables, qu'indispensables et chacun sait que si ces élargissements se produisent sans recherche d'approfondissement, nous allons tout droit vers une grande Europe, sans âme, sans colonne vertébrale sans raison d'être. Une Europe qui sera un simple grand marché, une zone de libre-échanges à peine améliorée.

Bref l'Europe britannique de toujours, l'Europe de Mme Thatcher, le contraire de notre idéal communautaire, le contraire de ce qui pour la plupart d'entre nous, nous a conduit à nous engager en politique. N'est-ce-pas cher Président et ami Pierre Pflimlin ?

L'heure est grave, c'est à nous de rappeler ce qu'est cet idéal communautaire né dans nos rangs, ne l'oublions jamais !

La communauté européenne demeure plus que jamais une idée révolutionnaire.

C'est pour la première fois dans l'histoire des hommes, l'idée que l'on peut vivre totalement, intensément son identité nationale, que l'on peut servir son patriotisme, (ce que j'appellerais l'amour des siens), dans une construction qui interdise à jamais que ce patriotisme s'exacerbe et retombe dans le nationalisme (que l'on pourrait définir comme étant la haine des autres).

La communauté c'est, en supprimant les frontières internes entre les États, régler les problèmes des minorités d'où sont nées toutes les guerres sur notre continent.

C'est enfin, mettre des moyens en commun dans un certain nombre de domaines limités, en respectant les identités nationales, pour exister, compter dans le monde et donner à chacun le sentiment profond, réel d'appartenir à une communauté de destin.

Chers amis, il n'y a pas d'autre modèle permettant d'espérer la paix sur notre continent au 21ème siècle.

Il n'y a pas d'autre espoir de paix en ex-Yougoslavie que ce modèle.

Sans ce modèle qu'Albert Camus avait appelé « le plus clairvoyant de nos rêves », notre continent européen connaîtra au 21ème siècle des guerres ; et si nous laissons trahir ce qui est la plus belle idée et le plus grand projet de la démocratie chrétienne, nous ne sommes pas dignes de porter ses couleurs, je dirais même que nous ne sommes pas dignes de faire de la politique !

Le rendez-vous a lieu l'année prochaine, c'est un rendez-vous historique.

Il se trouve qu'en Allemagne, l'un des nôtres est devenu par sa clairvoyance, par sa vision de l'unification de son pays l'un des plus grands chanceliers du peuple allemand.

Il vient de commencer son dernier mandat. Face à l'histoire et face à sa conscience, lui qui est entré en politique pour construire l'Europe communautaire veut réussir à la fois l'élargissement et l'approfondissement.

Il va faire à la France une proposition.

Tout le problème est de savoir si le prochain Président de la République Française construira avec lui l'Europe politique car rien ne peut être fait sans un fondement franco-allemand, rien ne peut être fait sans ce couple qui doit être plus que jamais selon la formule de Léo Tindemans, « le laboratoire et le moteur de la communauté ».

C'est cela l'enjeu, et la seule possibilité, c'est une Europe à cercles et surtout pas une Europe à la carte qui serait la destruction de notre idéal communautaire.

Une Europe à cercles avec un premier cercle de tous ceux qui le veulent et le peuvent permettant de continuer à avancer sans être obligé d'aller à la vitesse du dernier entré, c'est-à-dire du plus lent.

Une Europe à cercles : le cercle central étant le noyau solide, le pivot le moteur de l'ensemble que tous les pays membres auront vocation à rejoindre. Chacun suivant sa cadence, selon ses possibilités, si bien qu'un jour, il n'y aura plus qu'un seul cercle. Et l'on pourra alors saluer l'avènement de cette grande Europe dont nous portons le rêve.

Chers amis, nous sommes à la veille de ce grand rendez-vous.

Croyez-moi. Il n'y aura pas de deuxième chance. Pour cela, il faut que la politique du prochain Président de la République Française soit clairement, non seulement européenne mais communautaire.

Je veux que nous soyons le noyau solide, le moteur, le pivot d'une majorité qui est majoritairement européenne.

Que les choses soient claires. Qu'on ne nous fasse pas de faux procès. La chance de l'Europe, c'est qu'il y ait dans chaque pays, des Européens dans tous les camps.

Le risque pour l'Europe, ce serait la présence au Gouvernement de tous les européens. Alors, au moment de l'inévitable alternance, une telle situation porterait au pouvoir les anti-européens.

En Allemagne, Helmut Kohl et Helmut Schmidt, ont défendu, à peu près les mêmes visions de l'Europe. Cela ne les a pas empêchés d'être sans cesse des adversaires politiques.

En France, en 1981, qui était le plus européen, Giscard ou Mitterrand ? Jacques Delors pourtant n'a pas appelé à voter pour Giscard.

L'Europe peut transcender les clivages politiques lorsque c'est son avenir qui est en jeu. Elle ne peut pas les effacer. Cela a été le cas, pour l'Acte Unique, ou pour le dernier référendum. Nous nous sommes mobilisés de toutes nos forces pour faire voter oui, cela ne nous a pas empêché 6 mois plus tard aux législatives de combattre le PS …  L'Europe n'appartient à personne. Il y a simplement et depuis toujours sur notre droite et sur notre gauche, des femmes et des hommes qui partagent notre vision ; celle des pères fondateurs, de la Communauté, tous issus de nos rangs.

Je veux que le CDS entraîne la majorité. Je veux rassembler autour du CDS, pendant la campagne qui va s'ouvrir, tous ceux qui, dans cette majorité partagent notre idéal communautaire.

Ensemble, nous ne laisserons pas les « deux Philippe » de Villiers et Séguin, dicter la politique européenne de la majorité.

Ensemble, nous ne laisserons pas à Jacques Delors le monopole de l'Europe communautaire.

J'entends porter haut et fort, en votre nom, sans concession, le message européen de notre famille politique.

C'est en étant fidèle à son idéal que le CDS sera fidèle à la majorité et la fera gagner. C'est si par malheur, il faiblissait que le CDS trahirait la majorité, et faisant de Jacques Delors le seul européen, conduirait notre camp à la défaite.

Tout dépend de notre force de conviction et de notre unité.

Le rendez-vous est décisif. Nous devons être à la hauteur de ce rendez-vous historique, ensemble nous le serons.

Cette exigence européenne sera donc au cœur de notre choix pour les présidentielles.

Nous devons très vite adopter une plate-forme qui servira de base à la discussion avec le candidat de la majorité que nous choisirons.

Nous aurons à exiger du candidat que nous soutiendrons à l'élection présidentielle des engagements précis sur la vision de l'avenir de l'Europe, sur le couple franco-allemand, sur l'Europe à plusieurs cercles.

J'exigerai clairement du candidat que nous soutiendrons l'engagement de choisir parmi ceux qui s'engageront à construire l'Europe communautaire : le ministre des Affaires étrangères, celui des Affaires européennes, et surtout c'est capital, le Premier ministre.

Mais, nous savons bien que l'engagement d'un candidat n'est pas une garantie définitive. Nous devons peser non seulement avant et pendant la campagne, mais surtout après les élections présidentielles, par notre force de conviction, notre détermination, notre courage et notre unité.

Nous pèserons nous compterons, si nous sommes des CDS et pas des Centristes.

En ce qui concerne ces élections présidentielles, les évènements récents me confortent dans mes choix.

Chers amis, cela fait 14 ans que nous n'avons pas gagné d'élection présidentielle. Si comme en 81, comme en 88 nous sommes majoritaires dans le pays et que nous laissons par nos erreurs échapper la victoire, l'électorat majoritaire ne nous le pardonnera pas.

Je n'ai pas en la matière de dogme absolu. À certains moments, sans doute, présenter plusieurs candidats soutenus par diverses familles de la majorité peut permettre de ratisser plus large et d'additionner plus de voix au second tour.

À certains moments, il faut témoigner avec honneur pour ses convictions même sans espoir de succès.

Mais, pour cette élection présidentielle, plutôt que de nous contenter de témoigner, je souhaiterais que nous mettions tout en œuvre avec l'ambition de gagner et de faire gagner nos idées.

J'aurais souhaité que l'UDF puisse, comme elle l'a toujours fait quand Jean Lecanuet en assurait la présidence, présenter un candidat susceptible de l'emporter. Malheureusement, ce n'est pas le cas.

Je ne suis pas favorable à une candidature de Charles Millon, quelle que soit l'amitié qui me lie à lui. Faire quelques pour cent, c'est en effet au soir du premier tour, à 20 h 01 sur les plateaux de télévision, être obligé de rejoindre en quelques secondes, sans aucune négociation, l'autre candidat de la majorité, choisi par les autres électeurs de la majorité pour nous et sans nous. Ce serait, de fait, le pire des ralliements.

Les choses sont claires. Il existe dans notre camp deux candidats susceptibles de l'emporter. Tout est donc assez simple et je souffre, que le CDS une fois de plus ne prenne pas de décision, ne fasse pas de choix et n'ait pas prévu de faire de choix démocratique. Le choix essentiel, le choix du candidat aux présidentielles, c'est à vous qu'il appartient de le faire.

Notre exigence européenne doit s'affirmer dans le cadre d'un choix, clair, et pas d'un choix béat, mais d'un choix exigeant. Nous n'avons pas à attendre que les sondages aient tranché entre les deux candidats de la majorité.

Le CDS, ce n'est pas la SOFRES, ce doit être le parti du courage !

J'en ai assez, vous en avez assez d'être traités d'hésitants, Choisissons rapidement. Nous pèserons sur la politique du futur président si nous avons su peser sur son choix. Pourquoi ce matin ne vous dirais-je pas ce que je ressens au fond de moi-même et le choix que je vous proposerai ? J'en ai le devoir vis-à-vis de vous.

Pour moi le CDS est clairement dans la majorité. Il doit y incarner de toute sa force de conviction et d'exigence, le pôle social et européen. C'est pour cela que même si nous respectons Jacques Delors puisque nous sommes européens comme lui, nous ne voulons pas à la tête de l'État du Jacques Delors socialiste, amenant derrière lui Emmanuelli et consorts. Et puis, l'ouverture socialiste, on connait, on a déjà donné. L'ouverture socialiste, c'est débauchage, ralliement et strapontins.

Pour moi le CDS doit prendre position pour une candidature d'union de la majorité en 1995.

Pour moi, le CDS doit choisir rapidement entre les deux seuls candidats crédibles de notre camp. Pour ma part je le dis clairement, je vous dois cette clarté, je n'ai pas envie de voir la rue de Lille et l'appareil du RPR à l'Élysée.

Je n'ai guère envie de voir à la tête du pays un homme qui change de vision européenne au gré des interviews.

Je n'ai surtout pas envie de voir le CDS éclater lors d'un éventuel deuxième tour Chirac-Delors entre les dirigeants d'un côté et nombre de militants et d'électeurs de l'autre.

C'est pour cela que depuis 4 ans j'ai fait un autre choix. Vous savez où va ma préférence et je ne crois pas m'être trompé.

Mais que tout le monde l'entende clairement, cette préférence n'a jamais été et ne sera jamais allégeance. Cette préférence sera toujours synonyme d'exigence notamment sur l'Europe, car soyons francs si nous avons avec Édouard Balladur beaucoup de visions partagées, si nous sommes très proches sur l'humanisme, le respect des êtres, l'exercice modeste du pouvoir, si nous avons la même volonté de mettre en œuvre une économie sociale de marché. En revanche, sur l'Europe son projet, s'il est compatible avec le nôtre, n'incarne à l'évidence pas la même foi que nous, et ne va pas assez loin.

C'est donc à nous de l'entraîner, à nous de faire en sorte que par notre force de conviction nous permettions demain l'accord historique entre le Chancelier d'Allemagne et le nouveau Président de la République Française, pour permette à la fois l'élargissement et l'approfondissement de la Communauté, pour bâtir une Europe réellement politique et démocratique.

Telles sont mes ambitions pour notre parti :

– construire un nouveau CDS, un grand parti, allant s'élargissant,
– un parti vrai, un parti fort,
– faire de notre mouvement le parti de l'exigence,
– gagner et faire gagner nos idées aux élections présidentielles.

Permettez-moi de vous dire en concluant, ce que doit être pour moi un homme politique.

Ce n'est pas le plus grand séducteur dans les médias.

Ce n'est pas le plus savant technocrate.

À mes yeux, l'homme politique comme Étienne Borne le disait de Marc Sangnier doit « avoir la passion de convaincre et non de vaincre ». J'ajouterai « vouloir convaincre plutôt que de se contenter de séduire ».

Comme nous le rappelle le Chancelier Kohl, un homme politique c'est d'abord :

– la foi dans un idéal,
– une volonté,
– du courage,
– un amour sincère de ses concitoyens et un parler vrai.

Un homme politique, contrairement au politicien qui suit les sondages, c'est un homme qui est possédé par une telle force de conviction qu'à un moment donné les sondages le suivent.

C'est avec cette vision, c'est avec cette volonté que je me suis engagé au service du CDS pour en faire le grand mouvement dont nous rêvons depuis longtemps.

Cette ambition, je vous invite à la porter ensemble.

Le nouveau CDS, oui nous allons le construire ensemble.

Je dis bien ensemble, parce que voyez-vous, je ne vous dirai jamais le CDS c'est moi. Pour une raison simple, fondamentale que je porte au plus profond du cœur.

Pour moi, Chers amis, pour moi, le CDS c'est vous.