Extrait d'une déclaration de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à la Convention de Démocratie libérale le 17 octobre 1998, publié dans "Valeurs actuelles" le 24 et interview dans "Les Dernières Nouvelles d'Alsace" le 30, sur sa conception du libéralisme économique et politique et sur la nécessité de réformer l'Etat en poursuivant la décentralisation au profit des régions.

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Média : Les Dernières Nouvelles d'Alsace - Valeurs actuelles

Texte intégral

Valeurs actuelles – 24 octobre 1998

Nous croyons à l'efficacité d'une économie de liberté. Elle constitue le meilleur moyen d'assurer la prospérité, la mobilité sociale et le progrès social. Mais nous ne réduisons pas l'homme à l'économie. Au contraire, nous mettons l'économie au service de l'homme.

Je tiens à réaffirmer cela précisément au moment où les tourmentes financières de la planète nous rappellent, notamment en Extrême-Orient, que la liberté économique ne peut se passer durablement, pour être efficace. Des fondations juridiques et politiques d'une société libérale. Et je le fais d'autant plus que nos adversaires, qui ont été forcés d'accepter les contraintes de l'économie de marché, de reconnaître sa supériorité sur l'économie dirigée, voudraient aujourd'hui contenir la force de nos idées au seul domaine économique. (...)

La liberté, celle d'agir ou de choisir, n'est rien si elle n'est éclairée par la responsabilité.

Il est vrai qu'après des décennies de tutelles, la liberté de choix - choisir sa retraite, sa protection sociale, l'école de ses enfants - effraye et que par facilité ou par habitude on préfère souvent s'en remettre à d'autres. à l'État, à l'autorité, à la loi. au règlement, pour faire le bon choix à votre place. (...)

Le libéralisme politique, c'est aussi des règles du jeu. des institutions modernes pour accompagner cette confiance dans l'homme. dans sa liberté et sa responsabilité. (...)

Prenez nos grands systèmes bloqués, comme l'Éducation ou notre protection sociale. Ne perdons pas notre temps à accuser les médecins, les professeurs, les élèves ou les malades. Dans un cas comme dans l'autre, ce qui est en cause, c'est un système. (...)

Il est faux de croire encore que l'on peut diriger de tels mammouths en mettant un contrôleur derrière chaque médecin ou chaque ordonnance, un syndicat ou un bureaucrate parisien derrière chaque établissement ou chaque nomination de professeur.

Dans notre projet nous faisons les choix de la décentralisation et de l'autonomie pour retrouver des mécanismes de responsabilité : indépendance pour les universités, responsabilité des entreprises dans la formation professionnelle, autonomie des caisses d'assurance maladie et la liberté de choix pour les assurés. (...)

Nous voulons favoriser le gouvernement local, réformer l'État, réduire la part de nos dépenses publiques dans la richesse nationale, déplacer la frontière entre la dépense privée et la dépense publique, c'est-à-dire faire le choix d'un peu plus de feuille de paie et donc d'un peu moins de feuille d'impôt ou d'allocations.

Nous proposons de reconstruire un État de droit et non de passe-droit. où la loi est la même pour tous avec une justice sereine qui fait que les bons citoyens sont tranquilles et que les mauvais ne le sont pas Un État respecté car respectable. Le libéralisme politique, c'est aussi l'exigence sociale de la protection des plus faibles. (...)

C'est pourquoi nous avons proposé de remettre radicalement en cause les structures, les mécanismes même de l'État-providence pour rompre avec la logique de l'inactivité. Nous proposons une activité minimum rémunérée pour, chaque fois qu'on le peut, transformer les revenus d'assistance en revenus d'activité ; un revenu minimum garanti par un complément sur la feuille de paie ; le sauvetage de nos retraites par la création de fonds de pensions ; le sauvetage de notre assurance maladie par l'autonomie des caisses, la concurrence et la liberté de choix des assurés.

Nous voulons reconstruire une école (...) par la décentralisation. l'autonomie des établissements, par l'indépendance des universités, une vraie liberté d'initiative aux chefs d'établissement et aux enseignants, une vraie liberté de choix aux parents et aux étudiants.

« On peut additionner les valeurs de tous, mais sans les opposer. »

Le libéralisme politique est un libéralisme de rassemblement et de concorde et non de division. (...)

Aujourd'hui les intellectuels de gauche découvrent les valeurs dites "de droite" (...) : la défense de la loi et de l'autorité, de l'ordre et de la morale, l'ordre. la discipline à l'école et le civisme.

Mais il existe aussi des valeurs que l'on dit abusivement, selon moi, "de gauche", la générosité. la fraternité, la solidarité. Elles sont tout aussi indispensables à l'équilibre d'une société et à une vie en commun.

Le projet des libéraux. c'est celui qui additionne ces valeurs et non celui qui oppose artificiellement les unes aux autres.

Le vrai clivage (...) c'est celui qui oppose ceux qui font d'abord confiance à l'État à ceux qui font d'abord confiance à l'homme. C'est celui des anciens et des modernes.


Dernières nouvelles d'Alsace - Vendredi 30 octobre 1998

Q - Les libéraux semblent toujours diaboliser l'impôt qui reste le principal outil de redistribution des richesses... Quelle place peut-il trouver dans un projet libéral qui aspire pourtant à une « société plus juste » ?

« Je ne diabolise pas l'impôt ! Mais je combats le trop d'impôt car il étouffe la société, provoque le chômage qui est la plus grande des injustices sociales... J'ajoute que moins d'impôts, c'est aussi plus de feuilles de paie. Ce n'est pas seulement un choix d'efficacité économique, c'est le choix éthique d'une société qui fait davantage confiance aux personnes, à leur liberté et à leur responsabilité. »

Q - Est-ce à dire que vous désespérez d'un État efficace ?

« La crise que nous vivons est essentiellement une crise politique ? une crise du fonctionnement de l'État et de nos institutions. Nous avons des entreprises dynamiques et une société vivante. Mais un État trop centralisé et trop coûteux : nos grands systèmes publics affichent un mauvais rapport qualité-prix. Ce n'est pas seulement un problème français, mais la France est un pays plus étatisé que les autres et c'est lui qui tarde à mettre sa réforme de l'État à l'ordre du jour ! Car aujourd'hui, une personne sur quatre travaille pour l'État ou pour nos systèmes publics, contre un sur six en Allemagne. Les Allemands supportent 400 milliards de prélèvements de moins que nous. et ils ne sont pas pour autant moins bien protégés ou moins bien transportés que nous ! »

Q - La décélération que vous préconisez semble pourtant aller à l'encontre des besoins nouveaux exprimés par les Français qui souhaitent davantage de services de proximité fiables, comme l'assistance aux personnes âgées par exemple... Ceux la aussi, devraient échapper à l'État ?

« Vous prenez un bon exemple avec les services nouveaux à apporter aux personnes âgées dépendantes compte tenu de l'allongement de la durée de vie. Bien sûr que l'État à un rôle à jouer. mais il lui faut trouver de meilleures solutions. Encore une fois, regardons du côté de l'Allemagne. Elle a institué une assurance-dépendance obligatoire et elle l'a financée en supprimant un jour férié. C'est une solution plus efficace. peut être plus difficile et sûrement plus courageuse que celle qui consisterait à reporter la responsabilité et le financement sur l'État sans demander de contrepartie. »

Q - Vous faites confiance au dynamisme de l'entreprise - pourvu qu'on la laisse libre - pour créer des emplois. Mais c'est un processus chaotique, et les marges de manoeuvre sont gommées par les gains de productivité...

« Est-ce que le progrès économique n'est pas, au bout du compte destructeur d'emplois ? C'est une question que l'on se pose depuis la révolution industrielle... La réponse est, heureusement, non. Bien sûr le progrès donne le sentiment, ici et là, de détruire des emplois. Mais au bout du compte la machine crée plus d'emplois qu'elle n'en fait disparaître. Globalement, le progrès constitue un enrichissement collectif. Les pays les moins touchés par le chômage sont précisément des pays à forte productivité et à fort dynamisme économique. Encore faut-il que les gains de productivité ne soient pas confisqués par l'État pour alimenter une dépense publique improductive mais investit dans de nouveaux métiers, de nouveaux services créateurs d'emplois. »

Q - Vous dites, en évoquant l'alternance politique : pas de restauration ! Alors quoi d'autre ?

« S'il s'agit pour l'opposition de ne tirer aucune leçon du passé, de refaire peu ou prou la même politique. ce sera sans les libéraux ! Il faut que la prochaine alternance coïncide avec une profonde réforme de l'État et de nos institutions politiques. Il y a trop de pouvoir en haut et pas assez en bas. On écoute trop les bureaux au sommet et pas assez les Français à la base. Il va falloir renverser la pyramide ! »

Q - D'accord, mais avec quels leviers ?

« En accordant une plus grande plage de confiance à la régionalisation et aux pouvoirs locaux. Bien des problèmes pourraient être réglés à ces niveaux. Nos grands systèmes bloqués comme l'éducation nationale ou la protection sociale devraient être gérés par le bas à partir du principe de l'autonomie. En matière d'assurance maladie. le régime local d'Alsace Moselle me paraît être par exemple un bon modèle. A l'instar de la réforme menée en Allemagne, je plaide pour des caisses régionales autonomes, concurrentes entre elles et concurrentes avec les mutuelles et les assurances dans le respect des règles de solidarité nationale, d'égalité devant les soins, de non-discrimination et de non-sélection des risques. »

Q - Pour l'éducation, votre vision semble plus proche de celle de Claude Allègre que de celle de François Bayrou !

« Claude Allègre a eu le courage de bien poser le problème. Je pense effectivement, comme lui, que s'il y a des classes sans profs et des profs sans classes ce n'est pas un problème d'argent, c'est un problème d'organisation. M. Allègre est en rupture avec la culture socialiste mais il y a tout de même un décalage entre le discours et les actes : il a supprimé l'un des rares éléments de souplesse du « Mammouth», les heures supplémentaires, pour financer des emplois jeunes. Et voilà comment on fabrique de
 la rigidité ! Nous, nous faisons des propositions neuves : 500 lycées expérimentaux, en priorité dans les zones difficiles où on doit faire un effort particulier pour rétablir l'égalité des chances. Des lycées autonomes avec un vrai statut de chef d'établissement, une plus large liberté dans le recrutement des enseignants, une ouverture sur l'extérieur avec le recours à des professeurs associés, mais aussi une obligation de résultats avec un- budget proportionnel au nombre d'élèves accueillis. »

Q - Sur le Pacs aussi, vous êtes apparu - en souhaitant vous abstenir sur le texte en décalage avec le reste de l'opposition...

« L'affaire du Pacs montre la grande difficulté de la France à régler ces problèmes de façon raisonnable et adulte. Il eût été du rôle du gouvernement de canaliser la passion suscitée par ce débat en mettant en place une commission dans laquelle s'expriment plusieurs sensibilités afin de dégager un consensus. Au gouvernement, ensuite, d'assumer son projet ! Au lieu de cela, nous avons une proposition de loi défendue par des rapporteurs aux propos parfois extrémistes qui ont fait monter les passions.

C'est dommage car je crois qu'il était possible de trouver une solution consensuelle car on voit bien aujourd'hui que même les plus farouches adversaires du projet veulent trouver les moyens de régler les problèmes de vie commune posés aux couples homosexuels, mais aussi aux couples hétérosexuels et aux fratries.

Mais permettez-moi de vous faire observer que ces questions ne se poseraient pas dans une société libérale où le droit civil serait un peu plus privé que public, où l'on aurait une plus grande liberté d'organiser sa succession... »

Q - A Démocratie libérale, il n'y a pas que des modernes. Un certain nombre de vos amis politiques incarnent un conservatisme pur et dur. A tel point qu'on se dit parfois : mais où se situe vraiment ce type ?

« Ne me demandez pas de ressembler aux autres dirigeants de partis ! Je cherche à faire un mouvement qui rassemble. C'est vrai que nous avons en notre sein de vrais conservateurs tout comme nous avons de vrais libertaires. Et alors ? Nous sommes à l'image de la vie... Et si cela dérange les vieilles habitudes des vieux observateurs, tant pis ! J'en ai assez que l'on fasse de la politique en noir et blanc, passons enfin à la couleur ! »

Q - Tout de même... Vis-à-vis du Front national, vous êtes à la fois très clair et pas clair du tout. N'y a t-il pas une certaine hypocrisie à distinguer le FN et ses dirigeants, qui ne seraient pas respectables, de leurs électeurs qui, eux, le seraient ?

« Sur le fond, il n'y a pas d'états d'âme chez nous dans la mesure où les libéraux sont très hostiles aux valeurs qu'exprime le FN par son refus des droits de l'homme et son programme anti-libéral pour l'essentiel. D'ailleurs le FN désigne les libéraux comme ses principaux adversaires ! Mais je veux que le combat contre le FN soit un combat d'idées et je ne veux pas accompagner les campagnes d'ostracisme menées par la gauche et l'extrême gauche. Le bûcher c'est médiéval ! Et c'est inefficace. Je crois que beaucoup de Français qui votent FN ne pensent pas que ce mouvement représente la solution pour l'avenir de leur pays. A ceux là, on doit maintenir la possibilité d'une discussion sans rejet. Mais rassurez-vous, nous n'avons pas l'obsession du Front national. Je suis moi-même allergique à tout système de pensée qui prospère sur la peur et j'ai confiance en l'avenir ! Je suis un optimiste incorrigible. »