Interview de M. Jean-Louis Debré, président du groupe parlementaire RPR à l'Assemblée nationale, à RTL le 10 novembre 1998, sur la mise en examen de Roland Dumas, le fonctionnement du Conseil constitutionnel, l'hommage de Lionel Jospin aux mutins de 1917 et le débat sur le PACS à l'Assemblée nationale.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Après la publication de "La putain de la République" par Mme Deviers-Joncour, R. Dumas doit-il quitter la présidence du Conseil constitutionnel ?

- "S'il la quitte, ce n'est pas à la suite de la publication de ce livre, ça serait à la suite d'une condamnation. Car vous avez, en France, un principe essentiel, qui est valable pour tout le monde, quelle que soit sa fonction : c'est le principe de la présomption d'innocence,"

Q - Donc pour vous, il peut rester, à l'heure actuelle ?

- "Tant qu'il n'a pas été condamné, c'est à lui, en son âme et conscience, de décider s'il peut ou s'il doit partir."

Q - M. Peyrefitte pense, lui, que maintenant, il y a une question de morale publique qui est en cause. Mme Deviers-Joncour reconnaît qu'elle était la maîtresse de R. Dumas et que grâce à ses liens amoureux avec lui, elle a obtenu des fonctions au sein d'une société importante.

- "Chacun a le droit d'avoir l'opinion qu'il veut. Moi je tiens beaucoup à un principe essentiel de notre droit, qui est valable pour tout le monde, quelle que soit sa fonction : c'est le principe de la présomption d'innocence. S'il y a quelque chose à reprocher à M. Dumas, c'est à la justice de le dire. Et si M. Dumas considère que les révélations faites ici ou là l'empêchent d'assumer ses fonctions, c'est à lui et à lui seul d'en tirer des conséquences. Il n'y a rien, dans la Constitution française, qui oblige un membre du Conseil constitutionnel et le président du Conseil constitutionnel être démissionnés."

Q - Mais quand M. Giscard d'Estaing, ancien Président de la République tout de même, estime, lui, que le Président de la République devrait intervenir parce qu'il est garant du bon fonctionnement des institutions, vous le croyez dans l'erreur ?

- "Chacun a le droit de dire et d'interpréter les textes comme il le souhaite. Rien dans la Constitution et dans l'esprit de la Constitution, et dans les travaux préparatoires de la Constitution, ne permet d'affirmer que le Président de la République a un droit de révocation des membres du Conseil constitutionnel."

Q - Les décisions prises par le Conseil constitutionnel ne sont-elles pas entachées, à vos yeux, par cette affaire ?

"Je crois qu'il faut respecter la présomption d'innocence. Si on ne la respectait pas, alors nous entrerions dans un système qui n'est plus un système de droit ; la dénonciation, la calomnie pourront remplacer la justice. Et cela, je ne le veux pas."

Q - Donc les citoyens peuvent se plier aux décisions du Conseil constitutionnel tout de même ?

- "Les citoyens, tant que la justice n'a pas prononcé une décision concernant M. Dumas, tant que celui-ci a estimé qu'il était capable de remplir ses fonctions, la justice s'applique. J'ajoute que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas le fait d'un homme, mais du Conseil dans son ensemble, avec les neuf membres qui y siègent. Et éventuellement, lorsqu'ils veulent bien y siéger"

Q - Vous, vous n'appelez pas donc les membres du Conseil constitutionnel à la rébellion et à la grève des délibérations ?

- "Non. Moi, j'appelle les membres du Conseil constitutionnel à appliquer le droit, parce qu'ils sont les garants de l'Etat de droit en France."

Q - Au sujet des mutins du Chemin des Dames : P. Seguin a dit, hier : "Ils peuvent bénéficier du respect et de la compassion." Ce n'est pas très éloigné de ce qu'a dit L. Jospin. Fallait-il toute cette polémique ?

"Etait-ce nécessaire, à la veille du 11 novembre, de réhabiliter les mutins ?"

Il n'a pas prononcé le mot de "réhabilitation", le Premier ministre...

Q - "Etait-ce nécessaire d'évoquer cette affaire à la veille du 11 novembre ?

Je ne le pense pas. Je ne le pense pas parce que nous allons, demain, honorer les sacrifices des combattants qui sont morts pour la France. Alors je ne pense pas que c'est nécessaire, sauf à vouloir, pour des fins politiques, agir ainsi, et donner quelques signes aux pacifistes ou aux Verts. D'ailleurs, j'ai entendu, ce matin, les réactions d'un certain nombre de Verts qui se félicitent et qui veulent maintenant que le Premier ministre aille plus loin dans la réhabilitation générale. Je dis simplement : arrêtons de vouloir sans arrêt réécrire notre histoire ! Et je me méfie de ceux qui, n'assumant pas cette histoire, veulent toujours la réécrire en fonction de leur idéologie. Je crois qu'aujourd'hui il y a d'autres problèmes qui se posent à la France que vouloir sans arrêt repartir dans notre passe pour le réécrire. Mobilisons-nous sur autre chose. Rassemblons les Français sur attire chose, sur l'avenir, sur la modernité, et non pas sans arrêt sur le passe et l'histoire !"

Q- Donc pour vous, ce qu'a fait M. Jospin, ce n'est pas un acte de compassion, mais un acte politique ?

- "Je crois que c'est un acte politique et je crois qu'il n'était pas nécessaire, aujourd'hui, à la veille du 11 novembre."

q - "Etait-il anormal d'aller au Chemin des Dames, à la veille du 11 novembre ?

- "Je crois qu'il était normal que le Premier ministre exalte le sacrifice de tous les Français qui ont fait que la France est restée un pays indépendant et libre, et non pas ceux qui avaient pris une voie différente. Voila ce que je peux vous dire."

Q - Le Pacs : l'opposition crie victoire parce que le texte ne sera pas adopté aujourd'hui comme le Gouvernement l'avait espéré. M. Vaillant a annoncé une reprise des délibérations et des débats au 1er et 2 décembre.

- "Je ne crie ni victoire, ni défaite pour les uns et pour les autres. Simplement, nous avons à l'évidence un texte qui n'est pas préparé, qui est confus. Chacun a le droit de vivre comme il l'entend, mais l'Assemblée nationale a aussi le droit et le devoir de voter des lois qui soient des lois bien faites. Or, celle-la a été faite à la hâte. Dans le passé, chaque fois qu'on a étudié ou voté des lois concernant la société et l'avenir de cette société, ces lois étaient précédées d'une longue consultation, de travaux très importants, de réflexion. Le Gouvernement à ce qu'il mérite. Il a voulu faire passer à la hussarde une proposition de loi pour des fins qui lui appartiennent. Il n'a pas réussi dans son entreprise. Ce que je souhaite, c'est que sur un texte aussi important que celui-là, aussi essentiel, l'Assemblée nationale prenne son temps, travaille. Vous ne pouvez pas reprocher..."

Q - Croyez-vous normal que la force des arguments soit mesurée au nombre de minutes passées à la tribune de l'Assemblée nationale ?

- "Est-ce que vous croyez normal qu'un texte comme ça soit voté en quelques heures ? L'honneur d'une démocratie parlementaire se mesure à sa façon de traiter l'opposition au Parlement. Or, le Gouvernement et les socialistes ont voulu empêcher l'opposition de s'exprimer. Pourquoi ? Parce que ce texte est un texte mal fait, mal fabriqué, confus, et que plus les Français s'en rendent compte, plus ils considèrent que les socialistes, dans cette affaire, font une mauvaise action. Et tout le problème des socialistes, c'est de passer à la hussarde, rapidement, sans qu'on s'en rende compte. Notre travail, et ce pour quoi nous avons été élus, c'est de faire en sorte que les lois soient des lois applicables, et non pas simplement des lois d'affichage."