Texte intégral
Le Monde : Que pensez-vous des multiples initiatives parlementaires cherchant à imposer de nouvelles obligations aux grandes surfaces?
Jean-Pierre Raffarin : La responsabilité en revient à la distribution elle-même. Les acteurs économiques, dans leur ensemble, jugent que l'essor des grandes surfaces a été un facteur déstructurant pour notre société. Il ne faut donc pas s'étonner que son image soit très négative dans les milieux parlementaires et que l'expression politique lui soit globalement hostile. La grande distribution doit mesurer l'inquiétude qu'elle suscite.
Le Monde : C'est aussi votre avis ?
Jean-Pierre Raffarin : En termes de création nette d'emplois, d'aménagement du territoire ou encore d'environnement, son bilan global est plus que discutable. Je peux vous dire, par exemple, que dans le conflit l'opposant actuellement aux boulangers, le gouvernement se range dans le camp des seconds : la boulangerie est un métier artisanal dont la vocation doit être reconnue.
Cela dit, toute forme d'intégrisme est dangereuse et sur un sujet aussi sensible je voudrais être dans le camp de l'esprit de finesse. Je suis favorable à une politique cohérente à l'égard de ce secteur économique important. C'est pourquoi j'ai demandé à la grande distribution de faire des propositions.
Le Monde : De quelle nature ?
Jean-Pierre Raffarin : En matière de concurrence, de relations qui ne soient plus de domination avec les petites et moyennes entreprises, d'environnement ou, encore, de commerce extérieur. Et, bien sûr, en matière d'embauche de chômeurs de longue durée ou de jeunes. Savez-vous qu'en limitant nos importations textiles de 3 %, on sauverait l'emploi d'un bassin économique comme celui de Roanne ?
Le Monde : L'emploi prime tout ?
Jean-Pierre Raffarin : Le Président de la République a été élu sur cette priorité. Les entreprises doivent être en première ligne de la mobilisation pour l'emploi. Dans les stations-service, on a besoin de pompistes. Dans le grand commerce, pour le portage des courses, on a besoin de livreurs. La grande distribution ne peut se contenter de dire : j'ouvre un hyper, donc je crée des emplois. Car combien en détruit-elle à côté ?
Nous sommes dans une période économique nouvelle. Le secteur doit en tenir compte. Les grandes surfaces ont, dans le passé, gagné leur légitimité sur les prix, dorénavant elles gagneront leur citoyenneté sur l'emploi.
Le Monde : En annonçant un programme de maîtrise des surfaces commerciales, n'avez-vous pas ouvert une brèche dans le « gel » décrété par Édouard Balladur ?
Jean-Pierre Raffarin : Le gel n'avait pas de fondement légal. Et il était pour une part théorique puisqu'un million de mètres carrés commerciaux ont été autorisés l'an dernier. Mais fin du gel ne signifie pas forcément dégel. Notre politique ne sera pas laxiste. Nous avons défini ce qui nous paraissait être l'intérêt général, l'intérêt national, les conditions d'accès à la « citoyenneté » pour les entreprises.
Le débat est lancé. Rendez-vous est pris pour début septembre. Je souhaite que la grande distribution soit une force de proposition. Le changement voulu par le président de la République la concerne aussi. J'attends un discours de réforme.