Texte intégral
Paris Match : Le plan Juppé, qui a pour objectif de créer 700 000 emplois, suscite de plus en plus de scepticisme. Patrons et syndicats doutent de son efficacité. Que leur dites-vous pour les convaincre du contraire ?
Anne-Marie Couderc : C'est vrai que 700 000 embauches, c'est un objectif ambitieux. Mais nous devrions pouvoir y arriver si, justement, nous réussissons à vaincre le scepticisme ambiant. C'est un état d'esprit qu'on n'a plus, en France, les moyens de s'offrir. Nous avons besoin de l'appui des chefs d'entreprise, sur lesquels nous comptons pour nous aider. Je leur dis que nous avons tous un vrai devoir vis-à-vis des jeunes, vis-à-vis des chômeurs de longue durée. Nous n'avons pas le droit de les décevoir.
Paris Match : Que répondez-vous au patron des patrons, Jean Gandois, lorsqu'il affirme sèchement : « Ce ne sont pas les préfets [que Jacques Chirac et vous-même avez mobilisés] qui vont créer les emplois. Nous ne sommes pas en régime soviétique ! »
Anne-Marie Couderc : Jean Gandois a raison. Ce ne sont pas les préfets qui peuvent créer les emplois. Les embauches, ça ne se décrète pas d'en haut. Ce sont les entreprises, les associations ou les entrepreneurs individuels qui les créent. Mais les préfets peuvent faciliter les choses. Ce qu'il faut, c'est établir un contexte qui favorise l'emploi, au lieu de le décourager à travers les méandres trop complexes de l'administration. C'est au gouvernement de créer le climat de confiance. Aujourd'hui, il faut agir, être dynamique, combatif et, surtout, ne pas décevoir ceux qui y croient.
Paris Match : Vous croyez donc sincèrement que les patrons vont jouer le jeu, se servir, par exemple, des nouvelles mesures – comme celle du contrat initiative-emploi – de nature à leur permettre d'embaucher plus facilement des chômeurs de longue durée ?
Anne-Marie Couderc : La majorité des patrons vont jouer le jeu. Ils savent que si nous continuons sur cette mauvaise pente, la France va tout droit dans le mur. Ils savent qu'il faut aujourd'hui se remettre en cause, avoir une réflexion de fond, se poser la question de savoir comment doit évoluer la société française, changer les mentalités. Il faut éviter de se lancer dans des querelles politiciennes. La France dispose de toute une série d'atouts : elle a suffisamment d'activités économiques capables de générer des emplois.
Paris Match : Pourtant, de nouvelles grandes vagues de licenciements s'annoncent. Thomson-CSF, Gec-Alsthom, le Crédit lyonnais (où on parle de 2 400 licenciements) ont des plans de réduction d'effectifs. Cela fait vraiment désordre, c'est très grave !
Anne-Marie Couderc : Nous sommes dans un contexte de diminution du nombre des plans de licenciements collectifs. Mais pour les chefs d'entreprise qui sont obligés de réduire leurs effectifs pour s'adapter à la conjoncture internationale, nous sommes très vigilants. Nous demandons aux entreprises de ne faire aucun licenciement sec, de toujours mettre au point des plans sociaux. Elles doivent se comporter en entreprises citoyennes. Veiller au reclassement interne ou externe des salariés, trouver des solutions nouvelles, y compris une meilleure organisation du temps de travail. Nous étudierons d'ailleurs à la rentrée une réforme de l'aménagement du temps de travail. Plusieurs groupes d'étude planchent déjà sur ce sujet.
Paris Match : Certains socialistes prétendent que vous serez obligés de rétablir un jour l'autorisation préalable de licenciement, peut-être sous une autre forme.
Anne-Marie Couderc : Il ne faut pas revenir à des règlements contraignants. Nous faisons confiance aux patrons. Cela n'est vraiment pas à l'ordre du jour.
Paris Match : Quel premier bilan faites-vous après avoir décrété, voici un mois, la mobilisation de tous les préfets dans tous les départements ?
Anne-Marie Couderc : Dans l'ensemble, l'appareil de l'État s'est très bien mobilisé. Tous les préfets ont répondu présent. Ils ont nommé des commissaires pour l'emploi, ils se sont organisés pour réfléchir sur les moyens à mettre en œuvre pour être plus à l'écoute des Français, aller sur le terrain et étudier les modes de simplification d'embauche. Tous sont en train d'établir des rapports très sérieux, dont certains me sont déjà parvenus. Les préfets ont vraiment fait du très bon travail. Je suis très contente d'eux.
Paris Match : Leur rapport complet doit vous être remis le 10 juillet. Qu'en sortira-t-il ?
Anne-Marie Couderc : Ce jour-là, nous tiendrons un comité interministériel pour le développement de l'emploi. Nous y analyserons les résultats et prendrons déjà des premières décisions.
Paris Match : Où en est la création dans chaque grande ville des « guichets uniques » pour l'emploi ?
Anne-Marie Couderc : Dès la fin de l'été, en septembre, des guichets uniques seront mis en place. L'entreprise qui veut embaucher y trouvera tous les renseignements sur les nouveaux allégements des charges sociales, sur l'aide aux créations d'entreprise, sur les contrats initiative-emploi, etc. Ces guichets uniques seront des lieux d'accueil, et d'information et de traitement des demandes de création d'emploi. Ils seront dotés d'un numéro vert, où l'on pourra prendre toutes les informations utiles concernant les démarches pour l'emploi, et où s'adresser ensuite. Chaque guichet unique permettra la mise en réseau de l'ensemble des créateurs ANPE, Assedic, Urssaf, DDE, chambres consulaires, etc. Chaque acteur s'engagera sur la qualité et les délais de traitement des dossiers.
Paris Match : Quelle est la date butoir pour leur installation ?
Anne-Marie Couderc : Au 31 décembre 1995, le maillage des guichets uniques sera bouclé sur tout le territoire français.
Paris Match : Et les emplois de proximité (garde d'enfants, aide aux personnes âgées, préservation de l'environnement…) ?
Anne-Marie Couderc : Ils doivent se multiplier. Nous venons d'en terminer l'inventaire. Dès cette semaine, nous tiendrons une réunion interministérielle sur le sujet. Nous étudierons ce qui s'en dégagera, et sous quelle forme cela devra être traité. Jusqu'à présent les emplois de proximité étaient considérés comme des moyens d'insertion dans la vie active. Nous, nous voulons les professionnaliser définitivement.
Paris Match : Vendredi, vous avez signé avec le préfet de Caen, le président du conseil général, le maire, etc., une « charte pour l'emploi ». Étendrez-vous cela à tous les départements ?
Anne-Marie Couderc : Nous voulons multiplier les chartes. Avant le 15 juillet, nous signerons une charte régionale initiative-emploi en Aquitaine, et aussitôt après une autre en Rhône-Alpes. C'est une façon d'encourager toutes les bonnes volontés à s'organiser pour aider l'emploi. Les départements s'engagent alors à offrir une meilleure qualité de services, une simplification administrative, la création d'emplois nouveaux, à favoriser l'arrivée des jeunes sur le marché de l'emploi, à faire un effort en matière de logement pour les plus démunis, etc.
Paris Match : Vous dites que les chartes concernent toutes les bonnes volontés. Y compris celles de la gauche socialiste et communiste ?
Anne-Marie Couderc : Absolument. Je ne veux surtout pas mettre de politique là-dedans. Je défends la politique gouvernementale, mais je n'exclurai personne, de quelque bord qu'il soit. À gauche, il y a d'ailleurs souvent d'excellentes initiatives en faveur de l'emploi.
Paris Match : Où en est la simplification de vos formulaires d'embauches ? Parfois, certains contrats d'embauche comportent jusqu'à onze formulaires !
Anne-Marie Couderc : Ça, ce sont les travaux d'été. Au 1er janvier 1996, tous les formulaires de déclaration d'embauche devront être simplifiés. Ainsi éviterons-nous une perte de temps, et surtout de nombreux doublons.
Paris Match : Qu'est-ce qui vous frappe le plus depuis que vous êtes au gouvernement ?
Anne-Marie Couderc : Le scepticisme ambiant, et certaines déclarations très critiques sur ce que nous entreprenons. Il y a un contraste saisissant, un vrai décalage, entre l'atmosphère optimiste qui règne dans les départements, et ce que l'on entend à Paris. Je constate que les élites sont sceptiques. Espérons que ce ne soit qu'un genre qu'elles se donnent, et que ce n'est pas un état définitif. Aujourd'hui, ces élites sont bloquées. Il est important qu'elles se remettent en cause et s'attaquent aux tabous. Moi, je suis convaincue que plus on pousse les gens, plus ils en font. Notre rôle, c'est de faire évoluer en souplesse la société française.
Paris Match : Et si ça ne marche pas, et si la France continue à piétiner ?
Anne-Marie Couderc : Si nous nous sommes trompés sur telle ou telle mesure, eh bien, nous en changerons !
Paris Match : Cet été, vous allez travailler sans arrêt jusqu'au 15 août, y compris les week-ends. Vous êtes en quelque sorte la fourmi du gouvernement…
Anne-Marie Couderc : Fourmi, dites-vous ? Moi, je me sens plutôt mille-pattes ! Je tiens en effet à profiter de l'été pour mettre en place toutes les mesures en faveur de l'embauche. Il y a tant à faire pour aider les Français !