Interview de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF et candidat à l'élection présidentielle 1995, dans "L'Humanité" du 7 avril 1995, sur le Sida, l'emploi des jeunes, l'éducation, l'immigration, le racisme et le danger représenté par M. Le Pen.

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Média : L'Humanité

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Un jury de jeunes fait passer l'oral à Robert Hue

"Club de la presse", "l'Huma" TSF exceptionnel mercredi après-midi. Virginie, de Rennes, Mohammed, de Marseille, Didier, de Lille, se retrouvaient pour la première fois au siège de "l'Humanité". Ils y rencontraient d'autres jeunes de la région parisienne : Nadira, militante contre le chômage, Yoël, étudiant à Paris-Dauphine, Isabelle, hôtesse de l'air à Air Inter, Vincent, technicien chez Renault, Myriam, élève professeur des écoles, Juliette, étudiante à la Sorbonne, et Mohammed, lycéen de l'Essonne. Tous, d'opinions et d'origines très diverses, avaient pris rendez-vous avec Robert Hue, avec beaucoup d'interrogations sur leur avenir, la politique. Animé par Alain Bascoulergue et Jean-Paul Piérot, un débat d'une heure et demie, trop court pour aborder toutes les questions qui étaient dans les têtes. Au cœur de la discussion : le SIDA, le chômage et l'exclusion, l'école, le racisme, l'utilité du vote communiste.

Didier : Je sais qu'il y a beaucoup de questions politiques dans cette campagne, mais celle qui m'intéresse, c'est le SIDA. Vous aussi, vous vous la mettez dans la poche ?

Robert Hue : Certainement pas. Cette semaine, des manifestations ont attiré l'attention des candidats sur ce drame dont on imagine mal l'angoisse qu'il représente dans la jeunesse. Lors d'un rassemblement de jeunes à Ivry, j'ai proposé que l'on décrète l'état d'urgence pour la lutte contre le SIDA. C'est d'autant plus nécessaire que notre pays est le premier touché en Europe. En matière de prévention, des choses sont faites, mais il faut aller plus loin. J'ai rencontré l'association AIDES, pour réfléchir ensemble. Je compte aussi, après cette rencontre, enrichir mon programme.

Il faut développer l'aide concrète aux personnes atteintes et faire de gros efforts sur les questions liées à la drogue. Je suis élu d'une collectivité locale, et je pense que ce n'est pas seulement du haut qu'il y a matière à travailler. Je propose d'utiliser pour la recherche les 17 milliards de francs consacrés aux essais nucléaires en laboratoire. Un autre volet de l'action contre le SIDA est la coopération internationale, concernant particulièrement l'Afrique, continent le plus touché par ce drame.

Je propose que les préservatifs soient gratuits pour les jeunes, que l'on supprime la TVA sur leurs prix, que les malades bénéficient de meilleurs remboursements. Car, si ce qui touche directement à la maladie est remboursé à 100 %, des effets collatéraux, maladies pulmonaires et autres, sont moins remboursés. Des médicaments le sont à des taux de 70 % ou 40 %. Voire pas du tout.

Myriam : Vous pensez qu'il doit y avoir des actions précises à l'école?

Robert Hue : L'État, à travers l'Éducation nationale, a des responsabilités à assumer. Des principaux de collège, des enseignants, font un travail remarquable. Mais l'État doit aller plus loin. S'il y a des progrès médicaux, si certains médicaments parviennent à stabiliser la maladie, c'est surtout, actuellement, par la prévention que nous pouvons enrayer la maladie. Ma femme, qui, justement, travaille à un poste de consultation pour la prévention du SIDA, me dit combien la prévention à l'école est capitale.

Mohamed Yassine : J'ai vingt-deux ans, je prépare un bac professionnel de maintenance en électroménager. Mais je ne suis pas sûr d'avoir un travail. Vous proposez quelque chose pour les jeunes dans ma situation ?

Robert Hue : Lorsque j'avais dix-sept ans, mon père me disait : "Travaille bien à l'école, et tu es sûr d'avoir un métier". J'ai une fille de cet âge. Malheureusement, je ne peux pas lui tenir le même langage…

Juliette : Vous proposez de créer 500 000 emplois pour les jeunes. Par quels moyens?

Vincent Neveu : Comment allez-vous contraindre les entreprises à créer ces emplois et à augmenter les salaires?

Nadira Cherif : C'est par la lutte pour l'emploi que l'on s'attaquera véritablement aux causes de la misère et de l ‘exclusion. Avec AC !, nous revendiquons la réduction à 35 heures de travail, puis à 30 heures, sans perte de salaire. Qu'en pensez-vous ?

Robert Hue : La génération actuelle vit plus mal que la précédente. Actuellement, 1 500 000 jeunes ne connaissent que des emplois précaires. Je propose de transformer immédiatement 500 000 emplois précaires en emplois stables dans les entreprises publiques et les collectivités locales. Les exemples ne manquent pas, celui des hôpitaux notamment, où des centaines de postes sont des contrats emploi-solidarité. En tant que maire, j'ai refusé la création de CES, j'ai proposé aux jeunes des postes de travail stables. Avec 2 CES, on peut créer 1 emploi stable. Nous devons intervenir au niveau législatif pour mettre un terme à la généralisation de la précarité.

Je suis totalement d'accord pour la réduction du temps de travail, je propose 35 heures sans perte de salaire. C'est une source importante de création d'emplois. Depuis soixante ans, le temps de travail n'a été réduit que d'une heure. Dans le même temps, la productivité a explosé. Il faut diminuer le temps de travail pour se consacrer beaucoup plus au temps de vivre, aux loisirs, pour une participation plus grande des citoyens à la vie démocratique.

Vincent : On peut légiférer. Mais les entreprises délocaliseront leurs activités à l'étranger. Cela me fait peur. Comme les en empêcher ?

Robert Hue : Les jeunes – Vincent, vous en êtes l'exemple même chez Renault – prennent une place très importante dans la lutte. Ils ont déjà l'expérience, ont déjà fait reculer le pouvoir, pour beaucoup dans l'action contre le CIP, la loi Devaquet pour d'autres. Aujourd'hui, vous avez raison de refuser toutes ces injustices dans les entreprises. Les menaces de Suard sur le départ de France d'Alcatel sont insupportables ! Pour lutter contre les délocalisations, je propose de taxer les capitaux qui sortent de France. Je propose également que soit imposée une taxation à l'importation des produits fabriqués à l'étranger, taxe qui serait reversée notamment aux pays du tiers-monde.

Isabelle : Nous luttons à Air Inter contre la politique de déréglementation. L'ultralibéralisme, dont le cadre est fixé à Bruxelles, entraîne des réductions de milliers d'emplois. Comme appréciez-vous cette situation ?

Robert Hue : En plus de menaces sur l'emploi, pèse une autre conséquence de la déréglementation : l'insécurité grandissante dans les transports aériens. Les critères de convergence de Maastricht sont des critères d'austérité qui ont pour conséquence la réduction des budgets publics, ceux de la Santé ou de l'Éducation nationale, la mise en cause du service public.

Isabelle : Air Inter est une entreprise bénéficiaire. Donc pourquoi y a-t-il un plan social ? Son président, Christian Blanc, le dit, il veut la privatisation. Qu'en pensez-vous ?

Robert Hue : Cette pratique traduit une recherche de la rentabilité maximale. Non seulement les salariés ne perçoivent pas les fruits de ces bénéfices, mais on réduit leur nombre. Pour les plans sociaux, il faut obtenir ce que j'appellerais des "structures de crise". À chaque fois que des questions se posent, des structures doivent réunir les représentants de l'administration, le patron, des élus, afin d'examiner comment résoudre les problèmes. Si une telle structure, à laquelle on peut ajouter les usagers, avait existé au Crédit Lyonnais, croyez-vous qu'ils auraient laissé faire les investissements dans des studios à Hollywood ?

Je suis totalement opposé aux privatisations. Elles sont source de milliers de suppressions d'emplois. Je suis pour des renationalisations. Je me suis battu cet été contre la privatisation de Renault. Les salariés ont fortement contribué à contraindre le gouvernement à reculer, en se limitant à une privatisation [FIN DE LA PHRASE MANQUANT SUR LA VUE] faut aussi démocratiser, permettre l'intervention des salariés dans la gestion.

Yoël : Il existe de très fortes possibilités d'emplois dans les PME. Je tiens à établir la nuance entre un patron comme Pierre Suard et son million mensuel et des patrons de petites et moyennes entreprises qui ne licencient pas de gaieté de cœur. Pensez-vous qu'ils se sentent proches de vos propositions ?

Robert Hue : Je me sens en tout cas proche de leurs préoccupations. Quand j'ai proposé l'augmentation de 1 000 francs des salaires, on m'a objecté que les PME ne pourraient pas suivre. Pour certaines, elles le peuvent. Mais, dans leur masse, elles ont un peu le même régime que leurs salariés en termes de crédit, c'est-à-dire des taux d'intérêt de 2 à 3 points supérieurs à ceux des grands groupes capitalistes. Quand il y a création d'emplois, augmentation des salaires, contribution au progrès social, elles doivent bénéficier de baisses significatives du crédit. Moi qui suis maire, si on m'en donnait les moyens, je modulerais la fiscalité des PME-PMI pour favoriser celles qui créent des emplois, augmentent les salaires.

Virginie : J'ai participé au mouvement de grève à Rennes. Nous avons été confrontés au problème de la laïcité, car il existe une fac privée – Kerr Lan – financée par le conseil général et par la ville. J'aimerais savoir quels moyens vous voulez donner à l'enseignement pour que la laïcité ne soit plus bafouée.

Robert Hue : Je suis contre le dispositif de ségrégation qui existe d'une fac à l'autre. Kerr Lan, c'est le même système que la fac Pasqua : avec des moyens publics, on construit des équipements qui s'inscriront dans une démarche de sélection massive. La réquisition de la fac Pasqua est une idée importante que je soutiens. L'école est devenue une machine à sélection. Il faut engager une concertation entre les parents d'élèves, les enseignants, les élus et les étudiants pour qu'il y ait un grand service public. Je propose que 70 milliards de francs soient prélevés sur la loi de programmation militaire. Au minimum, 5 % du produit intérieur brut (au lieu de 3,5 % actuellement) doivent être consacrés à l'école. Les luttes des étudiants sont des luttes d'avenir.

Mohammed Metfait : Il y a, dans les quartiers nord de Marseille, une forte montée du racisme qui a coûté la vie au jeune Ibrahim Ali. Je voudrais connaître la position et les propositions du Parti communiste sur ces questions.

Robert Hue : La situation est sérieuse. Le Front National continue d'avoir des scores importants dans les sondages, en s'appuyant sur la misère. La crise contribue au développement de l'égoïsme et du racisme, au développement des inégalités et du chacun pour soi…

Mohammed Yassine : Ne faut-il pas interdire Le Pen ? C'est un homme dangereux…

Robert Hue : Oui, c'est un homme dangereux. Je suis le seul candidat à oser dire que Le Pen, c'est la haine, le racisme. Je le combats sans ambiguïté. Et lui, développe une campagne violemment anticommuniste. Il faut que la loi interdise ses affiches, qui sont de véritables appels à la haine. Le Parlement a adopté une loi contre le racisme et l'antisémitisme. Elle doit être appliquée. Je souhaite aussi que l'on connaisse la liste des 500 maires qui ont parrainé la candidature de Le Pen. Lorsque j'ai demandé cela publiquement, 100 maires, qui avaient promis leur parrainage, se sont rétractés et Le Pen a craint de ne pas trouver suffisamment de signatures. Mais la meilleure façon de combattre les idées du FN, c'est de s'attaquer aux difficultés des jeunes et au chômage, développer les idées de solidarité, de générosité, car il n'y a pas, heureusement, que les idées de Le Pen dans la société. Je vois beaucoup de gens, y compris en difficulté, développer la solidarité humaine.

Yoël : Vous vous dites le candidat Anti-le Pen. Mais vous n'êtes pas le seul? D'autre part, si on interdit les affiches Le Pen, est-ce que demain on ne va pas interdire, par exemple, celles d'Arlette Laguiller qui appellent à la grève, sous prétexte que ça met le désordre ?

Robert Hue : Plus il y aura de monde contre Le Pen, mieux ce sera. Je ne revendique aucun monopole. On ne peut pas comparer l'expression du droit de grève et l'appel à la haine que répand Le Pen. Il commet un délit et cela n'a rien à voir avec le fait d'interdire à quiconque d'exprimer son opinion ou d'afficher. Le Pen, ce n'est pas le débat démocratique.

Virginie : Vous appelez à combattre le racisme, et vous dites aussi que tous ceux qui vivent en France doivent respecter la vie commune. Êtes-vous pour le droit de vote des immigrés ?

Robert Hue : Il y a un certain nombre de droits et de devoirs à faire respecter. J'ai donné mon sentiment à propos des lois Pasqua qui sont régressives et dont je demande l'abrogation. Le problème du droit de vote des immigrés est posé depuis des années. François Mitterrand l'avait inscrit dans ses propositions en 1981, je regrette qu'il y ait renoncé. Aujourd'hui, la situation s'est dégradée. Maastricht a décidé un élargissement aux citoyens de l'Union européenne, mais certaines populations en restent exclues. Je suis pour que les étrangers puissent voter aux élections européennes, aux élections locales, sous réserve de cinq années de présence dans le pays, ainsi qu'aux élections prud'homales. Pour les élections nationales, j'estime que chacun doit pouvoir continuer à participer aux scrutins de son pays d'origine.

Yoël : Comment vous situez-vous par rapport aux candidats qui se placent à votre gauche et à votre droite, Arlette Laguiller et Lionel Jospin?

Mohammed Metfait : J'espère que vous n'allez pas refaire l'erreur des ministres communistes comme en 81…

Isabelle : Si je vote Hue, est-ce que cela ne handicapera pas le candidat de gauche ayant une chance d'être présent au second tour ?

Juliette : Je vais voter pour la première fois. Donnez-moi une bonne raison de voter pour vous.

Robert Hue : Plusieurs candidats de gauche au premier tour, c'est la diversité. À ce stade, chacun choisit son candidat en fonction de ses convictions. S'agissant du vote Laguiller, je dirai seulement qu'une fois passé les élections, les voix qui se sont portées sur elle ne sont pas très efficaces. Or, aujourd'hui, après tout ce qui s'est passé à gauche, il faut être efficace. L'abandon par une partie de la gauche des choix de 1981 a conduit à la perte du pouvoir par les gouvernements socialistes et au retour de la droite. Il ne faut pas refaire cela. Pour que la gauche gagne, en tout cas à terme, il faut créer d'autres conditions. La plupart des sondages indiquent qu'il y a 20 % à 22 % de gens pouvant se prononcer pour Lionel Jospin, et qu'il sera présent au second tour. Le problème est donc de permettre aux citoyens qui espèrent une politique de gauche, qui ne veulent pas cautionner une politique qui a échoué, de s'exprimer.

Plus il y aura de voix au premier tour sur la candidature communiste, meilleure sera la situation des salariés, des jeunes demains. Des millions de gens qui ne veulent plus voter socialiste et qui veulent prendre leur place dans une autre démarche regardent aujourd'hui le Parti communiste avec intérêt. La meilleure aide que l'on puisse apporter à la gauche, c'est de donner du poids au Parti communiste.