Interviews de M. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR, dans "Le Journal des Finances" du 7 novembre 1998 et dans "Le Figaro" du 13, sur la proposition de loi déposée par M. Sarkozy sur la non-rétroactivité des lois fiscales (à propos notamment du régime fiscal de l'assurance-vie).

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro - Le Journal des Finances

Texte intégral

Le Journal des Finances le 7 novembre 1998

Le Journal des Finances. – Le RPR a-t-il toujours l'intention de déposer une proposition de loi visant à interdire la rétroactivité de la loi fiscale ? Cette démarche est-elle toujours justifiée, alors que le Gouvernement a finalement renoncé à la rétroactivité des mesures concernant l'assurance vie ?

Nicolas Sarkozy. – Plus que jamais. Le Gouvernement a fait marche arrière et a décidé, en définitive, d'abandonner l'idée qu'il avait initialement eue de taxer, de façon rétroactive, les sommes épargnées dans le cadres des contrats d'assurance vie. La détermination du RPR y est pour beaucoup.

Autant je conçois, et je trouve même normal, qu'un avantage fiscal puisse être remis en cause pour l'avenir, autant je trouve scandaleux que l'État s'arroge le droit de le faire, également pour le passé, de façon rétroactive, une fois que le contribuable est pieds et poings liés et qu'il ne peut plus rien faire.

Vous connaissez l'adage : donner, c'est donner, reprendre, c'est voler. Je crois que l'Etat doit montrer l'exemple. Lorsque l'on incite le citoyen ou l'entreprise à avoir tel ou tel comportement d'épargne, d'investissement ou de consommation, s'autoriser ensuite à revenir dessus, de façon rétroactive, est choquant parce que, en définitive, on a trompé les gens.

Avec de telles méthodes, on décrédibilise complètement l'action de l'Etat et, disons-le, le monde politique. Sur le plan juridique, c'est vrai, rien ne s'y oppose aujourd'hui. C'est jugement pour éviter qu'un gouvernement, quel qu'il soit, l'envisage de nouveau dans l'avenir qu'il faut rendre anticonstitutionnelle la rétroactivité fiscale. Ce n'est pas une question de gauche ou de droite. C'est une question d'éthique, du rôle de l'Etat et du respect du citoyen contribuable.

Le Journal des Finances. – Une telle loi impliquerait une modification de la Constitution. Quelle serait alors la procédure à suivre ?

Il n'est pas nécessaire de modifier la Constitution elle-même. En effet, l'article 34 de la Constitution prévoit déjà que « les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».

En l'occurrence, il s'agit de l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.

Lorsque le juge constitutionnelle examine la constitutionnalité d'une mesure fiscale, il le fait donc au regard de la Constitution elle-même, qui renvoie d'ailleurs également au préambule de la Constitution de 1946 et à la Déclaration des Droits de l'homme en 1789, mais également, en matière budgétaire et fiscale, au regard des dispositions de l'ordonnance du 2 janvier 1959.

Ma proposition est simple : modifier l'ordonnance de 1959 pour préciser très clairement que, lorsque le législateur aura décidé un avantage fiscal pour période déterminée, il lui sera impossible, sous d'encourir la censure du Conseil constitutionnel, de revenir sur cet avantage pendant toute la période. Pour modifier l'ordonnance de 1959, il suffit d'une proposition de loi organique.

Tel est l'objet de celle que j'ai déposée et qui sera discutée à l'Assemblée nationale le 20 novembre prochain.

Si la non-rétroactivité de la loi fiscale était inscrite dans la Constitution, cette disposition aurait-elle été suivie d'effets dans le cadre des mesures envisagées pour l'assurance vie ? En effet, selon le gouvernement, le projet de loi ne présentait pas, du point de vue juridique, de caractère rétroactif, le fait générateur de l'impôt (en l'occurrence le décès du souscripteur) intervenant forcément postérieurement à la date d'entrée en vigueur de la loi.

L'efficacité est totale. Le législateur déterminera une durée pendant laquelle les sommes épargnées bénéficieront d'un régime fiscale particulier.

Avec ma proposition, non seulement, pendant toute la période, l'avantage fiscal sera définitivement acquis, mais il restera également acquis jusqu'au décès de l'assuré. Bien évidemment, uniquement pour la partie de l'épargne constituée pendant la période. Autrement dit, l'avantage fiscal pourra être acquis au moment de la constitution de l'épargne (sous réserve de limiter précisément dans la loi la durée de cet avantage fiscal), puis être « transporté » dans le temps jusqu'au décès de l'assuré, ce qui lui confère un caractère définitif et empêche toute rétroactivité fiscale.


Le Figaro le 13 novembre 1998

Le Figaro. – Pourquoi avez-vous disposé cette proposition de loi ?

Nicolas Sarkozy. – Pour mettre un terme à l'instabilité fiscale, qui est un scandale qu'on ne trouve plus guère qu'en France. L'État, quand il prend un engagement, doit le tenir. Il en va de la crédibilité de sa parole. Comment expliquer aux citoyens qu'ils sont obligés de respecter scrupuleusement leurs engagements contractuels si l'Etat ne les respecte pas lui-même ? Certes, il est des cas où la rétroactivité fiscale se justifie – je songe en particulier à l'impôt sur le revenu. Nous n'en souhaitons pas moins, avec mes collègues de l'opposition, interdire que le Parlement puisse voter le principe d'un avantage fiscal pour y revenir par la suite. En d'autres termes, nous proposons d'encadrer le principe de rétroactivité fiscale.

Le Figaro. – Que proposez-vous exactement ?

– Avec mon système, deux types de situations se présenteraient. Dans le premier cas de figure, l'Etat prévoit d'accorder un avantage fiscal. Si cet avantage est limité dans le temps – concrètement à une durée qui ne pourra excéder cinq ans –, il ne sera pas remis en question. C'est l'exemple de l'assurance vie, sur laquelle le Gouvernement entendait faire jouer le principe de rétroactivité, avant que Dominique Strauss-Kahn ne fasse finalement machine arrière.

Second cas de figure : si aucun engagement dans le temps n'est prévu, l'Etat peut appliquer le principe de rétroactivité. Cela afin de permettre à une nouvelle majorité de modifier la politique fiscale en cas d'alternance.

Le Figaro. – Etes-vous surpris par la réaction des socialistes ?

– Je regrette que le Parti socialiste, par la voie de son président de groupe à l'Assemblée, s'en tienne à l'injure. Ce n'est jamais bon signe quand une majorité croit utile d'injurier l'opposition. En laissant la commission des lois adopter ma proposition, M. Jean-Marc Ayrault et le groupe PS viennent de montrer une nouvelle fois leur habileté en matière parlementaire. Après le débat en séance publique sur le Pacs, au cours duquel les socialistes n'ont pu empêcher l'adoption d'une exception d'irrecevabilité parce qu'ils étaient en infériorité numérique, la même situation se reproduit en commission des lois. A une différence près : plutôt que de subir un cinglant échec, les socialistes ont préféré cette fois ne pas participer au vote.

Le Figaro. – Pensez-vous que votre proposition sera adoptée en séance publique ?

– Je ne puis répondre. Mais, aujourd'hui, les choses sont claires. D'un côté, il y a ceux qui veulent supprimer la rétroactivité fiscale et rendre sa crédibilité à la parole de l'Etat. De l'autre, il y a ceux qui veulent maintenir cette rétroactivité. Les socialistes devront assumer les conséquences de ce choix devant les électeurs contribuables. J'observe au passage que Dominique Strauss-Kahn a fait son choix n'est pas le même que celui de Jean-Marc Ayrault.