Déclaration de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, sur l'œuvre de Louis Pasteur et son apport à la science bio-médicale, Paris le 17 janvier 1995.

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  • Simone Veil - Ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville

Circonstance : Ouverture officielle de la Célébration du Centenaire de la mort de Louis Pasteur à l'Unesco à Paris le 17 janvier 1995

Texte intégral

Monsieur le Directeur Général de l'UNESCO,
Monsieur le Président du Conseil d'Administration de l'Institut Pasteur,
Monsieur le Directeur Général de l'Institut Pasteur,
Mesdames, Messieurs,

En 1895, il y a 100 ans cette année, s'éteignait Louis Pasteur après une vie dont l'histoire a très justement retenu qu'elle fut toute entière consacrée à la lutte contre la maladie. C'est ici la cérémonie d'ouverture de la célébration de ce Centenaire que j'ai l'honneur de présider aujourd'hui au nom du Premier ministre qui n'a pu être parmi nous.

Dans l'imaginaire français le nom de Louis Pasteur évoque aussitôt l'image du savant plus célèbre de tous le temps ; nombreux se souviennent parmi nous des illustrations, qui telles des images d'Épinal, figuraient sur nos livres d'Histoire et de Sciences Naturelles : Pasteur dans son laboratoire cultivant la bactérie du charbon, Pasteur vaccinant Joseph Meister jeune alsacien mordu par un chien enragé.

Mais au-delà de ces symboles populaires dont Pasteur lui-même ne dédaignait pas d'encourager la diffusion – il savait déjà mettre la vulgarisation et la renommée au service de la science – se dresse le portrait d'un homme de science, ce dont chacun reconnaît le génie visionnaire et l'audace calculée.

Ce qui frappe en relisant la biographie de Pasteur, c'est la justesse de la force de ses convictions. C'est ainsi qu'il n'hésitera pas dès lors qu'il s'agit d'imposer ces idées d'affronter avec l'énergie de la caste médicale de cette fin du l 9èrne siècle sûre d'elle et de son savoir.

Lui, chimiste et non médecin, il indique qu'il faut non seulement guérir mais prévenir la maladie. Dans le scepticisme général il affirme la nécessité de la prophylaxie et de l'hygiène, tant pour l'individu que pour la collectivité.

Avec Claude Bernard, qui siège près de lui à l'Académie des Sciences il soutient que la médecine ne peut plus se contenter de la méthode anatamo-clinique qui était celle des médecins de ce temps et qu'elle ne progressera qu'avec le concours de la chimie, de la physique et de la physiologie. Il fait l'apologie de la médecine expérimentale.

La leçon sera bien comprise à l'étranger, notamment aux États-Unis et en Grande­ Bretagne. Elle sera beaucoup plus longue à être admise dans notre pays.

Ces deux concepts élaborés par Pasteur, la prophylaxie et l'introduction dans la médecine des sciences fondamentales, auront des conséquences incalculables sur les progrès de la médecine et sur la santé publique.

Ses travaux sur la fermentation ont de mettre en évidence l'existence des micro-organismes, êtres vivants cultivables sur des milieux appropriés. Il bâtit la théorie des germes et met fin à la discussion sur la génération spontanée.

Avec Pasteur c'est l'ère de la microbiologie qui s'ouvre, avec ses applications médicales et industrielles – la conservation des aliments par pasteurisation ; – il montre qu'un certain nombre de maladies sont dues à des germes transmissibles de l'animal à l'homme et d'un individu à l'autre. Aussi Pasteur et grâce à lui l'espérance de vie ne cesse d'augmenter. La prévention de ces maladies par l'asepsie a réduit rapidement la mortalité chirurgicale et obstétricale, ainsi qu'à plus long terme la morbidité et la mortalité infantiles.

L'antisepsie relayée par l'antibiothérapie en 1940 contribue largement à la lutte contre les maladies infectieuses.

La nécessité de la prophylaxie se traduit par l'introduction des vaccinations dont le plus bel exemple est la vaccination antirabique que Pasteur a réalisée en ayant pressenti la présence du virus mais sans l'avoir isolé.

La voie est ouverte vers la microbiologie de pointe et l'immunologie, que d'autres après lui développeront avec les conséquences que l'on sait.

En 1995 ces disciplines sont devenues les plus prometteuses pour le diagnostic et le traitement de la plupart des maladies même si la révolution génétique, la biologie moléculaire et la meilleure connaissance des facteurs liés à l'environnement – la nutrition, la pollution – ont un peu entamé l'aphorisme pastorien : un agent, une maladie.

L'introduction des sciences fondamentales dans la connaissance de la pathologie est l'autre apport essentiel de Pasteur. Il est à l'origine de la recherche biomédicale contemporaine.

Aujourd'hui encore la nécessité de l'intégration de la recherche et des soins au soin de centres de haut niveau est généralement admise mais loin d'être appliquée partout.

Tous ces concepts, il faut s'en souvenir, ont vu le jour dans les années 1870-1890. Incompris donc souvent mal accueillis par la communauté médicale, ils ont pourtant révolutionné la médecine.

L'une des plus grandes joies de Louis Pasteur fut en 1885 la création, grâce à une souscription publique de l'Institut, auquel il ne voulait pas, par modestie, que l'on donnât son nom.

C'est là que seront formées de nombreuses générations de "pasteuriens" qui continuent son œuvre. Dès 1891 est créé le premier Institut Pasteur hors de France à Saïgon, qui sera suivi de plusieurs autres en différents points du globe.

Ce n'est pas un hasard si les rares rues qui n'ont pas été débaptisées au Vietnam portent les noms de Pasteur et de Yersin qui fut l'un de ses disciples et découvrit le bacille de la peste. J'ai eu la joie, au cours d'un récent séjour au Vietnam, de voir renaitre ces instituts avec l'aide de la France.

Au-delà de l'expansion scientifique, c'est aussi le rayonnement de l'humaniste ouvert au monde qui est souligné par la citation symbolique de cette "Année Pasteur" : "Le savoir est le patrimoine de l'humanité".

Permettez-moi de rappeler les liens qui unissent depuis 1974 l'Institut Pasteur et le ministère de la Santé. Je n'oublie pas qu'à la demande de Jacques Monod je me personnellement attachée à cette époque à résoudre les très graves difficultés financières que rencontrait lors l'Institut, difficultés étaient telles que l'on pouvait craindre qu'elles ne mettent en cause sa survie, alors qu'il s'agissait du centre de recherche français le plus célèbre sur le plan international. Depuis, et dans le domaine de la santé publique une étroite collaboration a été établie avec le ministère par la création de centres nationaux de référence pour la lutte contre les maladies transmissibles. 18 unités parisiennes et 2 en Guyane assurent ces missions. Caractérisation des souches microbiennes en provenance de toute la France, contribution à l'établissement de normes thérapeutiques et de prévention des maladies transmissibles, à leur surveillance épidémiologique, conservation des souches et d'anti-sérums de références.

Ces centres ont un rôle essentiel d'expertise et d'alerte. C'est ainsi qu'à l'été 1992 l'émergence d'une épidémie de listériose a été signalée par l'unité des Listéria qui, tout au long de l'épidémie a identifié les souches et contribué à la détermination de l'aliment à l'origine de l'épidémie.

Plus récemment, lors de l'épidémie de peste pulmonaire en Inde, l'unité des Yersinia nous a apporté son expertise, sur laquelle se sont fondées les mesures prises en France à l'égard des voyageurs.

Chaque année, les autres centres de référence tels que l'unité des méningocoques, des salmonelles, des virus grippaux, des staphylocoques et bien d'autres apportent leur contribution à la Santé publique.

Cette collaboration entre l'Institut Pasteur de nos services du ministère de la Santé doit se pérenniser et s'adapter à l'évolution des maladies transmissibles.

En effet, si les vaccinations et l'antibiothérapie ont fait disparaître de nombreuses maladies infectieuses, de multiples défis restent à relever. Des germes nouveaux ont fait leur apparition : c'est évidemment le cas du virus du SIDA, isolé et caractérisé à l'Institut Pasteur par l'équipe du Professeur Montagnie, virus mutant dont la vaccination reste aléatoire. Les virus des hépatites dont la liste n'est pas terminée seront une des grandes préoccupations de la fin du siècle tant qu'un traitement efficace ne sera pas mis au point. Les encéphalites spongiformes ont une durée d'incubation très longue et se dévoileront certainement de plus en plus car le diagnostic en sera amélioré. Plus largement, les risques des maladies transmissibles liés aux produits biologiques vont s'amplifier car cette utilisation est de plus en plus fréquente il suffit de songer aux transplantations d'organes, aux greffes de tissus, de cellules, à l'utilisation de valves cardiaques animales, ou de portions de vaisseaux. Les infections nosocomiales ont également une place importante : augmentation des hospitalisés, complexité des traitements, fragilité des malades et règles d'hygiène insuffisamment respectées.

Par ailleurs, les maladies que l'on croyait vaincues réapparaissent dans le Tiers Monde et aussi chez nous, principalement surtout dans les milieux défavorisés. Des souches résistantes aux antibiotiques sont observées. Par exemple, la prévention contre les souches de Bacilles de Koch résistantes aux antibiotiques spécifiques est devenue un problème sérieux. En effet, la tuberculose que l'on croyait disparue renaît tant en raison de d'immunodépression induite par le SIDA, mais qu'à la suite de la dégradation des conditions de vie liées à la marginalité.

On sait aussi que 20 % de souches de pneumocoques sources de pneumonies et de méningites graves sont résistantes aux antibiotiques usuels ; même la coqueluche pour laquelle on avait interrompu en 1986 la déclaration obligatoire réapparaît et pourrait rendre nécessaire la mise au point d'un nouveau vaccin. Il en va de même pour la diphtérie.

Enfin même si, dans nos pays on les oublie trop souvent, comment pourrais-je ne pas rappeler fortement les véritables fléaux que sont les maladies infectieuses ou parasitaires des pays en développement, en particulier la bilharziose et le paludisme pour lequel existe peut-être un espoir de vaccin.

On le voit, la lutte contre les maladies infectieuses qui a réellement débuté avec Louis Pasteur est un éternel recommencement.

Au 17ème siècle on mourait de peste ou de choléra ; ces épidémies ne se voient plus qu'en Afrique ou en Asie. Au 18e siècle la variole faisait des ravages.

Aujourd'hui elle a disparu de la planète et l'on ne procède plus à la vaccination. La syphilis et la tuberculose ont frappé lourdement au siècle dernier et au début du 20e siècle, elles ont ensuite fortement régressé même s'il y a une certaine recrudescence, du moins en France. Les combats menés contre les maladies infectieuses s'achèveront-ils un jour ?

Cette morbidité n'est-elle pas directement liée à la misère qui engendre les mauvaises conditions d'hygiène, comme l'avait si bien montré Pasteur ? Ce combat que mènent les savants et les médecins rejoint celui du combat contre la pauvreté en France et dans le monde. Il en est inséparable.

C'est Louis Pasteur qui a ouvert cette voie : celle des politiques de santé publique, des politiques de prévention couvrant l'ensemble de la population. Nous savons que, à budget identique, elles sont souvent plus efficaces en terme de vies sauvées que les soins sophistiqués qui, dans de nombreux pays pauvres, ne peuvent hélas qu'être dispensés qu'à une minorité. C'est cette approche de santé publique, de prévention, de soins primaires qui a permis à l'humanité d'obtenir en un siècle un progrès spectaculaire de l'espérance de vie. En ce sens aussi, Louis Pasteur aura été un bienfaiteur de l'humanité.

Le chemin à parcourir est encore bien long. Tel Sisyphe condamné pour l'Éternité à hisser son rocher qui retombait toujours, médecins et chercheurs devront sans relâche trouver de nouveaux vaccins, de nouveaux antibiotiques. L'Institut Pasteur, comme toujours, j'en suis convaincue, sera au premier rang de ceux qui entreprennent et qui réussissent. Au nom du Gouvernement de la France, au nom de tous les Français, j'en remercie tous ceux qui continuent et prolongent l'œuvre de Louis Pasteur au service de l'humanité des malades et de la santé publique.