Interview de M. Édouard Balladur, Premier ministre et candidat à l'élection présidentielle de 1995, dans "Le Parisien" du 10 avril 1995, sur son bilan à Matignon et des propositions en matière d'emploi et de protection sociale.

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Intervenant(s) : 
  • Édouard Balladur - Premier ministre et candidat à l'élection présidentielle de 1995

Média : Le Parisien

Texte intégral

Ray Herriett : Pourquoi deux candidats issus de la même famille politique ?

Édouard Balladur : Sous la Ve République, ce n'est pas l'affaire des partis politiques de régenter la vie publique. J'étais partisan de l'union de candidatures de la majorité. Cela faisait même l'objet d'engagements signés. Ils n'ont pas été respectés. J'ai donc considéré que ce que j'avais à proposer pour l'avenir de la France allait dans la bonne direction et que la méthode qui était la mienne pour y parvenir était la plus adaptée à une société moderne. Je ne me suis pas posé d'autres questions.

Jean-Claude Coulleau : Dans le cas d'un duel Chirac-Jospin au second tour, soutiendrez-vous M. Chirac ?

Édouard Balladur : Il faut aussi poser la question à M. Chirac dans l'hypothèse d'un duel Balladur-Jospin. Il faut sortir de quatorze ans de socialisme. Un certain nombre de choses me séparent de Jacques Chirac, bien davantage m'éloignent de M. Jospin.

Caroline Tanguy : Que comptez-vous faire du gouffre financier Air France ?

Édouard Balladur : Ce que j'ai commencé à en faire. Air France est l'illustration de ma méthode, celle qui m'est reprochée. Il y a un plan de redressement. Il ne passe pas. Grève violente et brutale. Je décide de reprendre l'affaire, de nommer un nouveau président qui entame le dialogue. On arrive à un accord. J'ai pris des engagements, une dotation, pour l'État, que j'ai réussi à faire accepter par Bruxelles.

Je dis maintenant très clairement qu'il faut que les personnels d'Air France et Air Inter se rendent compte que la vie de l'entreprise est en cause. Ces 20 milliards de dotation – c'est considérable – étaient nécessaires pour que la France ait une grande entreprise de transport aérien. Mais encore faut-il que chacun y mette du sien.

Caroline Tanguy : Privatiser Air France ?

Édouard Balladur : Commençons par redresser Air France. Nous nous sommes donné comme objectif de le faire en trois ans. Nous bâtissons l'Europe, le grand marché européen ; les entreprises doivent faire face à la concurrence. D'où l'inquiétude, légitime je le comprends, dans un certain nombre d'entreprises publiques, sur l'avenir des personnels et des statuts. Mais on ne reviendra pas en arrière, et j'ai confiance dans la capacité de nos entreprises et de leurs salariés.

Michel Lalanne : Les mouvements de mécontentement se multiplient dans les secteurs public et privé. Allez-vous continuer votre politique de privatisation et de déréglementation des services publics, comme c'est le cas aux ateliers de Vitry de la SNCF que le gouvernement veut former.

Édouard Balladur : Les mouvements sociaux actuels surprennent. Ils s'expliquent par la sortir de la crise et le retour de la croissance. On parle de partage. Encore faut-il avoir quelque chose à partager. La première des inquiétudes concerne les salaires, notamment dans le secteur privé. Dans le secteur public, le pouvoir d'achat a été assuré depuis deux ans.

La grève, dans le secteur public, est motivée par la crainte sur l'avenir des statuts, et la place de ces entreprises. Je ne suis pas favorable à la déréglementation des grands services publics. Si on veut créer un grand marché européen, il faut que nous puissions y participer pleinement.

Le déficit de la SNCF inquiète le personnel. Je ne suis pas partisan d'une évolution brutale. Il faut respecter les transitions. Nous ne cessons, à Bruxelles, de plaider la cause de la spécificité française en matière de service public. Je crois à l'avenir du transport par fer. Le soumettre à la loi de l'offre, de la demande, de la rentabilité, avec la concurrence de la route, de l'air et bientôt du fluvial pose un problème. Notre service public doit être le plus rentable possible. Mais ce n'est pas la seule règle du jeu.

Michel Lalanne : C'est votre mission.

Édouard Balladur : Les solutions se trouvent dans un juste milieu. Il faut que la SNCF soit plus productive et moins en déficit. Elle remplit une mission que personne d'autre ne peut remplir à sa place. Au pouvoir depuis deux ans, je suis celui à qui on pose les questions sur tout ce qui ne va pas dans la société française. Mais je ne suis pas au pouvoir depuis quatorze ans.

Michel Lalanne : Les usagers désapprouvent votre politique. Vous voulez continuer à l'appliquer.

Édouard Balladur : Quelle politique trouvez-vous mauvaise ?

Michel Lalanne : Fermer des établissements comme l'atelier de Vitry, le seul à travailler pour la banlieue parisienne, et que l'on veut transférer à Tours. La ligne C du RER se dégrade. Les usagers sont mécontents. Les cheminots, qui ont le taux de productivité le plus haut du monde, ne comprennent pas.

Édouard Balladur : La direction de la SNCF, en délocalisant à Tours, a pris les précautions nécessaires pour que les pièces nécessaires arrivent de Tours. Le problème est qu'il y a, d'une part des activités prospectives, TGV et autres, d'autre part des activités de desserte dans une logique d'aménagement du territoire que la SNCF doit conserver. Je propose que l'on implique davantage les régions dans la gestion des transports pour maintenir les lignes locales.

Michel Lalanne : Les Landes, dont je suis originaire, ne sont pas riches. Les usagers, devenus clients, devront payer.

Édouard Balladur : Transférer aux régions ne veut pas dire que l'on va leur transférer toute la charge financière. L'État devra continuer à participer, la SNCF aussi. Ce transfert permettra d'exprimer les besoins ; et de maintenir des lignes qui, au nom de calculs abstraits faits de loin, risqueraient d'être fermées.

Jean-Claude Coulleau : Les frontières sont ouvertes à l'intérieur de l'Europe. De quels moyens l'Europe dispose-t-elle pour faire respecter ses frontières.

Édouard Balladur : Les accords de Schengen ont été conclus en 1985, ratifiés en 1991. Maintenant, il faut les appliquer. Nous avons prévu une période probatoire de quelques mois, que je souhaite positive.

La libre circulation des personnes est un élément nécessaire pour construire l'Europe, comme le sont des règles sociales communes. Si j'avais été l'un des négociateurs de Maastricht, je n'aurais pas accepté que certains pays se mettent en dehors de la règle commune en matière sociale.

Nous devons vouloir une Europe économique et monétaire, garantie du progrès économique et de la croissance, une Europe sociale, sans quoi il y aura des déséquilibres. Et on délocalisera non plus à Tours mais dans d'autres pays européens. Nous devons vouloir l'Europe de la sécurité : il n'est pas acceptable que ces quatre cent millions d'Européens ne soient pas capables de se défendre tout seuls, sur leur territoire.

Jean-Claude Coulleau : Des sanctions sont-elles prévues pour les pays frontaliers de l'Europe qui ne respecteraient pas la règle du jeu ?

Édouard Balladur : Absolument. De toute manière, on refera le point dans les trois mois. Nous avons défini une politique nationale de contrôle de l'immigration parce que, tout en respectant les droits de l'homme, nous ne pourrions pas accepter que cette politique soit détournée par des flux migratoires qui arrivent ailleurs.

Caroline Tanguy : Vous avez créé des aides comme l'Apej, Aide pour l'emploi des jeunes (2 000 F pendant neuf mois en cas d'embauche d'un jeune chômeur). Les jeunes entreprises font une avance de TVA à l'Urssaf qui leur demande sans arrêt des papiers, alors que les aides n'arrivent que six mois plus tard…

Édouard Balladur : Quand on veut employer quelqu'un, treize formulaires sont nécessaires. À Rennes les gens de l'URSSAF ont bâti un formulaire unique. J'ai demandé dans quelle mesure ce serait transposable à l'ensemble des URSSAF. Il y a matière à simplification.

Le chômage des jeunes, même si j'ai pu un peu le faire baisser, reste l'une de mes préoccupations majeures. C'est pour cela que j'ai institué cette prime. Si je disais que, par souci de simplification, on va la supprimer, ce serait un tollé.

Vous demandez que ces primes soient versées plus vite, vous avez raison. Il faut aussi tenir compte qu'en tentant de répondre à des problèmes spécifiques on prend des décisions spécifiques, et on complique la réglementation. Je me suis tout de même fixé comme objectif de diminuer des deux tiers, d'ici à cinq ans, les formalités administratives.

Claire Gallon : Pour remplir un dossier de RMI, c'est trois pages, plus une fiche individuelle d'état civil. C'est beaucoup pour l'érémiste, comme pour celui qui se trouve en face de lui.

Édouard Balladur : Les caisses d'allocations familiales s'en occupent parfois. Je l'ai vu faire dans la banlieue lilloise. Les choses s'y passaient très simplement.

Claire Gallon : Ce n'est pas toujours le cas. La caisse paye, mais les papiers peuvent être remplis dans les associations reconnues… ou par les travailleurs sociaux.

Édouard Balladur : La difficulté engendre des difficultés nouvelles. On commence par perdre son emploi. On néglige les formalités. On n'arrive plus à payer son électricité, son loyer. On est expulsé. Les personnes en difficulté ne savent pas ce que la société peut faire pour elles. C'est la raison pour laquelle j'accorde beaucoup d'importance au travail des associations.

Claire Gallon : Justement. Il ne faut pas que les formulaires soient de plus en plus pesants.

Édouard Balladur : Non, bien sûr. Avez-vous des propositions précises à faire ?

Claire Gallon : Je peux vous apporter un dossier RMI à remplir, c'est la galère. À Nanterre, où je travaille, on ne demande pas beaucoup de papiers aux SDF. Mais au bureau d'aide sociale de Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), on leur demande une domiciliation, un livret de Caisse d'épargne, une pièce d'identité. Vous imaginez ce que c'est pour un SDF ?

Édouard Balladur : C'est à peu près impossible.

Claire Gallon : Dans votre programme, je n'ai rien vu concernant les SDF, ceux qui ne sont ni insérables, ni réinsérables. Que comptez-vous faire pour eux ?

Édouard Balladur : J'ai essayé d'améliorer la situation de notre pays. J'y suis parvenu dans un certain nombre de domaines, mais il reste énormément à faire. On construisait sept mille logements très sociaux quand je suis arrivé ; j'en propose cent mille dans les cinq années à venir. J'ai fait dégager vingt et un hectares aux portes de Paris pour en construire.

Le problème de la carte d'identité pour les SDF est très réel. C'est pour cela que je suis favorable à la domiciliation dans les associations.

Claire Gallon : Cela existe déjà.

Édouard Balladur : Plus ou moins. En revanche, je suis tout à fait opposé à ce que la domiciliation pour le droit de vote soit exercée par des associations. Mais ceux que l'on ne peut pas réinsérer, combien sont-ils ? Quelques centaines de milliers ? Il y a des situations dont nous ne pouvons plus nous accommoder.

Claire Gallon : Il y a une solution.

Édouard Balladur : Laquelle ?

Claire Gallon : Des lieux de vie.

Édouard Balladur : Il faut trouver des endroits où l'on puisse les installer, s'occuper d'eux à l'année, et leur donner quelque chose à faire. Cela suppose des travailleurs sociaux, des personnels d'encadrement. Encore faut-il que ces exclus puissent apprendre quelque chose. Si c'est impossible, il faut trouver des solutions permanentes. Est-ce à l'État, aux collectivités locales, aux caisses de sécurité sociale de s'en occuper ? Faut-il trouver une nouvelle structure les regroupant tous ?

Claire Gallon : Vous seriez d'accord pour la création de lieux de vie ?

Édouard Balladur : Tout à fait. Parce qu'il y a des situations pour lesquelles il n'y a pas d'autres solutions.

Nordine Rassoul : Le 1er janvier 1995, on a supprimé l'exonération de l'impôt sur les sociétés pour les entreprises nouvelles.

Édouard Balladur : Cette aide n'a pas été supprimée mais réservée aux créations d'entreprises dans les zones d'aménagement du territoire et dans les banlieues. En pratique, l'essentiel du territoire français reste éligible à cette aide. Mais en contrepartie le gouvernement a institué d'autres aides qui sont apparues mieux adaptées. Le décalage d'un mois pour la déduction de la TVA a été supprimé. C'est très important pour la trésorerie des nouvelles entreprises.

Il en est de même pour la prime de 32 000 F pour les chômeurs créateurs d'entreprise et de l'abattement sur les charges sociales pour les nouvelles entreprises. Ces mesures donnent une aide qui bénéficiera à toutes les entreprises alors que l'exonération d'impôt pour les sociétés n'a qu'un effet incertain car les entreprises nouvelles sont souvent déficitaires les premières années.

Ray Herriett : Les retraités craignent, surtout depuis l'instauration du carnet de santé, de ne plus pouvoir choisir leur médecin. Les personnes dépendantes ont besoin d'aides à domicile.

Édouard Balladur : Il n'a jamais été question d'entraver le libre choix du médecin. Le carnet de maladie est destiné à aider le malade, son suivi.

Si je suis élu, le prochain gouvernement déposera, pour les personnes âgées dépendantes, un projet de loi offrant le choix le plus large possible entre le maintien à domicile et l'hébergement en établissement. La plupart des personnes âgées préfèrent rester chez elles. L'État y est favorable, car cela coûte moins cher. Mais en cas de trop grande dépendance, il faut une aide à domicile jour et nuit et il vaut mieux, alors, opter pour des maisons de retraite spécialisées, où on prend mieux soin des gens de très grand âge… qui sont de plus en plus nombreux.

C'est merveilleux, mais les traitements coûtent de plus en plus cher. Comment les actifs vont-ils pouvoir supporter tout cela ? Il faut développer la maîtrise médicalisée des dépenses de santé. Cela ne veut pas dire maîtrise comptable. Le corps médical s'est associé à l'effort fait depuis un an, notamment pour la médecine de ville et en veillant à la longueur des ordonnances. Reste l'hôpital.

Il faut gérer le mieux possible, sans pour cela intégrer des critères de productivité. Le problème est que nous ne pouvons pas beaucoup augmenter la part de la richesse nationale consacrée à la santé.

Jean-Claude Coulleau : Un nombre croissant de personnes sont atteintes par la maladie d'Alzheimer. Allez-vous développer des structures d'accueil pour ces malades ?

Édouard Balladur : Les recherches d'un vaccin pour la maladie d'Alzheimer progressent. Il y a d'autres maladies. Le sida, un drame extraordinairement lourd, moral. Il pèse sur les jeunes. C'est la responsabilité du gouvernement de développer la prévention et l'information. J'ai commencé avec le préservatif à 1 franc et le stéribox. Il faut soutenir la recherche. Il faut aider les malades dans leur vie quotidienne.

Carole Tanguy : Comptez-vous remédier à l'absentéisme à l'Assemblée. Est-il dû au cumul des mandats ?

Édouard Balladur : Si un député n'était que député, il serait peut-être encore plus présent en province pour être sûr de se faire réélire. Il ne faut pas s'imaginer que parce qu'ils ne sont pas en séance les députés ne travaillent pas. Ils sont dans les commissions.

Prenez la loi sur la bioéthique, qui a donné lieu à des débats passionnés. Au début il y a eu beaucoup de monde. C'est devenu tellement technique qu'il y en a eu de moins en moins.

Je me demande si on ne pourrait pas voter davantage en commissions et réserver les séances publiques à des sujets plus généraux, la participation à la guerre du Golfe, le Rwanda… ou la création d'un quota de femmes sur les listes présentées aux élections.

Caroline Tanguy : Faut-il en créer un ?

Édouard Balladur : Je le propose. Nous sommes le pays le plus retardataire d'Europe. Le principe « à travail égal salaire égal » ne se traduit pas encore dans la réalité. Il y aura dix femmes ministres dans le prochain gouvernement.

Caroline Tanguy : Ça c'est bien.

Édouard Balladur : Dix femmes sur une trentaine de ministres, c'est suffisant. Mais quand j'ai dit cela, un journaliste s'est inquiété de savoir où j'allais trouver ces femmes.

Claire Gallon : Un journaliste masculin sans doute.

Édouard Balladur : J'ai répondu : « Vous êtes en train de dire qu'on ne peut pas trouver dix femmes pour remplir cette fonction. C'est invraisemblable. » Elles ne seront pas nécessairement des femmes politiques. Quand on est allé chercher Madame Veil, elle était au conseil de la magistrature.

Claire Gallon : Il y en a déjà trois autour de cette table.

Yazid Kemel : Vous avancez l'idée que « rien ne sera durable sans que notre société retrouve un sens profond de fraternité et de solidarité ». Les gens aisés ont-ils besoin de solidarité ?

Édouard Balladur : Ont-ils des besoins matériels ? Moins que les autres, c'est évident. Le besoin moral, ils devraient tous l'avoir. Une société dans laquelle il n'y a pas un minimum de cohésion et d'adhésion à un ensemble de principes de vie, de principes d'ordre moral, est une société fragile, même sur le plan économique.

Ceux qui sont dans des situations difficiles, au chômage, exclus… ont plus besoin de solidarité que les autres. Dans tout homme et toute femme il y a une part d'altruisme, de désintéressement et de générosité. Il faut y faire appel. C'est pourquoi je souhaite que le rôle des associations se développe, les aider fiscalement. À force de construire des sociétés basées uniquement sur l'éloge de la réussite individuelle, on risque de fragiliser, de désespérer une partie de la population.

Nordine Rassoul : Quel est le bilan de vos deux ans de gouvernement ?

Édouard Balladur : J'ai fait redémarrer la croissance. Sans elle, rien n'est possible. Quand je suis arrivé au gouvernement, on ne parlait pas d'augmentation des salaires, tellement on avait peur du chômage. On en parle désormais. Les choses vont mieux.

Le déficit de la sécurité sociale prévu pour 1994 était de 130 milliards. Il n'est plus que de 50 milliards. C'est encore beaucoup, mais il a baissé. Il y a eu 330 000 chômeurs de plus en 1993, quelques dizaines de milliers de plus en 1994, puis une stabilisation. Ces cinq derniers mois, il y en a eu 50 000 de moins. Ce n'est pas énorme, mais 150 000 personnes à l'abri du besoin. On a remis sur pied l'assurance chômage, qui était en faillite. L'État a donné dix milliards, les partenaires sociaux dix chacun. Aujourd'hui l'assurance chômage est excédentaire.

Il y a vingt ans il y avait 500 000 chômeurs, ce n'est pas pareil que d'en avoir 3 200 000. Le problème de l'emploi des jeunes n'existait pas, mais beaucoup moins faisaient des études longues. Il faut maintenant faire le nécessaire pour pouvoir les accueillir et leur offrir des emplois.

Pour la famille, nous avons fait voter une loi qui garantit les recettes du régime familial. Nous avons institué l'allocation parentale d'éducation, l'APE, pour le deuxième enfant, et je propose qu'on l'étende au premier.

Ce sont des chiffres que personne ne peut contester. Il y a toujours des cas particuliers. Le problème des SDF, par exemple, n'a pas été résolu. Il ne l'avait pas été auparavant. C'est un problème dont il faudra continuer de s'occuper.

Jean Bordat : Vous prévoyez 200 000 chômeurs de moins par an. Il en reste 3 300 000. « Le Parisien » - « Aujourd'hui » du 7 avril les estime à 4 954 877, en tenant compte des gens non-inscrits à l'ANPE, de ceux en contrats précaires, de retour à l'emploi, des érémistes, etc. Avez-vous rayé le retour à l'emploi de quatre millions de Français ? Moi, chômeur, qu'est-ce que je deviens ?

Édouard Balladur : Je ne vous dirai pas : « Votez pour moi, il n'y aura plus un seul chômeur », ce serait un mensonge. Je ne raye pas quatre millions et demi de chômeurs, chiffre qui me paraît discutable. Les gens qui ont un contrat emploi-solidarité ou un contrat consolidé ont un revenu et un travail.

Jean Bordat : 2 500 F par mois.

Édouard Balladur : Je ne vous dis pas que c'est suffisant.

Jean Bordat : J'ai un loyer de 4 000 F, comment je fais ?

Édouard Balladur : Je propose qu'on fixe un minimum d'objectifs. Grâce à la reprise économique, à toutes les mesures d'exonération des charges, de développement de l'apprentissage, de la formation et autres, on a pu faire mieux que les fois précédentes, et je compte bien continuer.

Au lieu de me dire : « Un million de chômeurs en moins, ce n'est pas assez, c'est une ambition trop limitée », on pourrait essayer de parvenir à ce chiffre. Nous avons institué une aide aux entreprises qui embauchent des érémistes au chômage depuis deux ans. Elles ne paient pas les charges, reçoivent l'équivalent du RMI et versent le SMIC.

J'ai prévenu d'étendre ce dispositif aux érémistes au chômage depuis un an, à ceux qui bénéficient de l'ASS, l'allocation chômeurs en fin de droits. Quand on reste très longtemps au chômage, on finit par se poser des questions sur sa place dans la société…

Jean Bordat : On n'a plus de place dans la société.

Édouard Balladur : Il ne faut pas perdre espoir. C'est très difficile. Si je vous disais : « Venez me trouver, je vais régler votre problème », vous me trouveriez, et vous auriez raison, un peu racoleur et démagogue.

Jean Bordat : je trouve absurde de payer quelqu'un à rester chez lui sans rien faire. Il pourrait y avoir une utilisation active des fonds de chômage.

Édouard Balladur : On pourrait, dans le cadre des collectivités locales, faire beaucoup plus pour utiliser des hommes, des femmes dans votre situation. J'ai signé avec le maire de Valenciennes un accord par lequel la mairie va offrir une activité à mille érémistes pour les réinsérer. On peut le faire pour d'autres villes.

Yazid Kemel : J'habite Bonneuil-sur-Marne. Sa dotation globale a été réduite par l'État. Beaucoup de projets ont dû être supprimés. Allez-vous continuer cette politique ?

Édouard Balladur : Nous sommes obligés de veiller à l'équilibre des finances publiques. J'ai fait prendre des dispositions afin que les cotisations des départements et des collectivités pour leurs propres agents, pour les retraites, soient plus importantes. Leur taux de cotisation est de 23 %, celui de l'État de 38 %. En revanche, j'ai fait accroître la dotation globale de fonctionnement. Il faut réduire les déficits, énormes en France, réduire les charges et les impôts, plus lourds qu'ailleurs.

Pascal Gorrara : C'est particulièrement vrai pour les petites PME et les artisans. Cela rend nos prix « hors de prix ».

Édouard Balladur : Il faut faire des économies sur la gestion collective pour arriver à abaisser les charges, les mettre au niveau de nos voisins. Alors que globalement le service de la collectivité n'est pas mieux assuré en France. Nous devons nous efforcer de faire baisser les charges collectives de l'État comme des collectivités locales, qui, elles, ont doublé leurs impôts en vingt ans. En France les prélèvements représentent 44,5 % de la richesse, en Allemagne 40 %, la différence c'est 300 milliards.

Pour l'artisanat, je suis partisan de la baisse de la taxe professionnelle, du transfert des entreprises avec une fiscalité moindre, de la baisse ou même de la suppression sur les petites successions, au-dessous de 500 000 F.

Jean-Claude Coulleau : C'était dans le programme de Mitterrand.

Édouard Balladur : Il ne l'a pas fait. Je le ferai au mois de juin.

Je n'oublie pas les salariés qui représentent 80 % de la population active. Il leur faut des emplois, une bonne formation, et une participation aux résultats de leur entreprise quand elle marche bien.

Le changement est possible, mais il ne peut être mis en œuvre que par un accord. Les Français ont été abreuvés de promesses depuis des années, et je ne crois pas qu'ils soient décidés à croire à un avenir merveilleux pour tout le monde dans les deux ans à venir. Au contraire cela suscite leur méfiance et ils ont rudement raison.