Texte intégral
Discours de Bernard Kouchner - Mardi 24 novembre 1998
Mesdames, Messieurs,
Laissez moi tout d'abord remercier le Comité français d'éducation pour la santé pour le remarquable travail réalisé.
Pour la première fois en France, nous avons à notre disposition, nos pouvoirs publics et professionnels, mais aussi les citoyens, les parents, une image exhaustive de la santé des jeunes tels qu'eux-mêmes la perçoivent.
L'approche, et cela me semble essentiel, n'est pas centrée sur un comportement ou sur une conduite à risque mais sur le jeune lui-même, le jeune dans sa globalité.
Au-delà des chiffres, quelles conclusions retenir ?
D'abord, et c'est encore une fois l'intérêt de la méthode, un constat plutôt optimiste :les jeunes se perçoivent plutôt en bonne santé, se sentent bien en famille, aiment le sport et les repas structurés.
Leur immense majorité croit à l'efficacité d'une prévention active. Ils perçoivent parfaitement les bénéfices des vaccinations ; ils ont une conscience très claire des risques de dépendance au tabac, à l'alcool ou aux médicaments.
C'est une génération qui, globalement, se sent bien et qui a une bonne connaissance des comportements à risques pour la santé.
Mais, et le baromètre de la santé des jeunes le montre très clairement, de nombreux points négatifs persistent ou apparaissent.
* Le risque de suicide
Un jeune sur dix y a pensé. Confirmant d'autres enquêtes, la moitié de ceux qui y pensent ne se confient à personne. Un chiffre qui illustre bien le mur de silence qui se construit autour de cette souffrance physique. Les conséquences, vous le savez, sont graves. Le suicide est la seconde cause de décès en France chez les jeunes de 15 à 24 ans et la première cause chez les jeunes adultes de 15 à 34 ans.
C'est dans ce cadre que nous avons mis en place le mois dernier un programme national de prévention du suicide chez les adolescents et les jeunes adultes. L'objectif est d'évaluer les mesures de prévention, en particulier celles dont on ne mesure pas encore bien l'efficacité et, à partir des données épidémiologiques, de choisir les plus efficaces et les plus pertinents.
Ce programme nécessite une mobilisation de tous les acteurs. Les régions bien sûr, même si elles ont souvent déjà lancé des programmes pilotes sur le thème mais également les instances nationales.
Pour cela :
- j'ai demandé à l'ANAES d'élaborer un protocole d'accueil, de prise en charge et de projet de sortie des suicidants à l'hôpital.
- J'ai demandé aux agences régionales d'hospitalisation de soutenir en priorité les projets d'hospitalier concernant « la prévention du suicide ».
D'autres actions seront mises en place :
- au niveau local : renforcement des points « écoute jeunes », meilleure prise en charge des suicidants à l'hôpital, dédramatisation et prise de parole en milieu scolaire après une tentative de suicide d'un jeune ;
- au niveau international, car ce problème de santé publique ne concerne pas uniquement la France même si elle fait partie des pays les plus concernés.
Notre programme se doit d'être un lien avec ces pays afin, bien sûr de partager les expériences, mais également afin de réaliser des action concertées, particulièrement avec nos voisins européens.
Par exemple, ne serait-il pas nécessaire, comme cela était fait au Québec, de réfléchir à un niveau européen à la responsabilisation des propriétaires d'armes légères en ce qui concerne notamment leur rangement, leur utilisation et leur revente, quand on sait que 30 % des suicides des jeunes sont dus à une arme à feu et que sa possession au sein d'une famille multiplie par 5 le risque de suicide.
* L'obésité
Le second constat alarmant et assez nouveau me semble-t-il, est l'évolution du pourcentage d'enfants obèses.
13 % des jeunes français de 12 à 19 ans seraient obèses. Il s'agit d'un constat grave qui devient un véritable enjeu de santé publique.
Même si on est loin des chiffres des États-Unis, clairement, l'obésité chez les enfants progresse et tout indique qu'en France, comme dans tous les pays industrialisés, le phénomène s'amplifie. Le coût des maladies liées à l'obésité est devenu pour la collectivité un des premiers par l'importance. Comme le souligne le rapport du Haut comité de santé publique que nous avons récemment rendu public, près de 175 000 personnes meurent encore chaque année d'infarctus et des conséquences de l'hypertension artérielle. Or, pour ces deux affections, les facteurs nutritionnels jouent un rôle prépondérant.
Les raisons de cette évolution sont nombreuses : j'insisterai sur l'importance des nouveaux modes de vie, en particulier de nouvelles relations familiales qui aboutissent à des repas déstructurés, mais aussi à l'influence culturelle américaine du « fast-food » pris à toute heure et du pop-corn obligatoire au cinéma.
C'est dire l'importance et même l'urgence de la mise en place de programmes qui impliquerait l'ensemble de la société.
Ainsi, la Finlande, seul pays d'Europe ayant des résultats satisfaisants dans la lutte contre l'obésité, a mis en place de véritables projets d'éducation alimentaire dans toutes les écoles.
Pendant la présidence française du conseil de l'Europe, nous aimerions que les problèmes de nutrition soient le thème prioritaire de travail des ministres de la Santé des pays d'Europe.
J'aimerais encore insister sur un certain nombre de comportements à risques que le baromètre révèle ou confirme et que nous devons parvenir à éviter. Il s'agit des accidents et de l'abus des produits licites ou illicites.
21 % des jeunes ont été victimes au cours de l'année précédant le sondage d'un accident nécessitant des soins médicaux.
Outre le coût financier pour notre société, les conséquences sont trop souvent dramatiques : décès, handicaps graves mais aussi retards scolaires ou troubles psychologiques.
Nous devons, dans le cadre d'une vaste mobilisation de l'ensemble des acteurs pouvoir dans le cadre d'ambitieux programmes d'éducation pour la santé faire diminuer ce taux d'accidents.
Il importe pour cela que les situations à risques soient clairement identifiées et que les messages d'information adaptés puisse être disponibles par les jeunes sur leur lieu de vie à l'école, au travail, pendant leurs loisirs. Dans ce cadre, une circulaire sera prochainement signée par Ségolène Royal pour mettre en place, dans les établissements, de véritables projets d'éducation pour la santé.
En ce qui concerne le comportement vis-à-vis des drogues licites et illicites des jeunes, le baromètre nous livre des éléments très intéressants.
Le niveau de connaissance sur la nocivité et le risque de dépendance vis-à-vis de l'alcool, du tabac, du cannabis est admis par une large majorité.
Néanmoins, les attitudes et les comportements sont beaucoup plus inquiétants :
- 50 % se déclarent fumeurs à 19 ans ;
- 3 % ont un risque élevé de dépendance à l'alcool ;
- 28 % ont déjà consommé du cannabis ;
- la consommation des médicaments, surtout chez les filles, est en augmentation.
Le contexte familial, le niveau socioprofessionnelle et l'exemple amical, le baromètre le confirme, jouent un rôle majeur dans le passage à l'acte.
On sait que chez les jeunes, il existe un lien évident entre les pratiques de consommation des différentes substances, l'usage des drogues illicites étant plus répandu chez ceux qui consomment également le plus d'alcool et de tabac.
Ces éléments chiffrés amènent à rechercher une approche qui tienne compte de l'ensemble des conduites addictives, quelque soit le statut juridique du produit concerné.
Le rapport du Pr ROQUES (problèmes posés par la dangerosité des drogues) que j'ai rendu public en mai dernier et qui fait pour la première fois une étude de la toxicité des produits psychoaffectifs, renforce la légitimité d'une prévention qui ne distingue pas les caractères licites ou illicites du produit.
Cette approche correspond à celle de la plupart des pays européens, elle est souhaitée par tous les professionnels.
Il nous appartient d'arriver à décloisonner des dispositifs de prévention pour les mettre réellement au service du jeune dans sa globalité.
Il nous faut augmenter le niveau de connaissance et d'information non seulement des jeunes mais aussi de leurs parents, de l'ensemble de la population pour que tous, nous soyons plus aptes à fournir des réponses adaptées aux différents comportements.
Améliorer la santé des jeunes impose de conforter les acquis et de prendre rapidement en compte les nouveaux problèmes en particulier dans leurs dimensions psychosociales.
Je voudrais enfin insister sur un point qui n'apparaît pas forcément dans ce baromètre : les conséquences sur la santé des jeunes de la précarité des familles. En 1997, rappelons nous que 785 000 enfants ont été recensés par le Secours Catholique dans les 685 000 situations de pauvreté qu'il a eu à connaître.
La priorité du Gouvernement est de faire en sorte que les parents puissent offrir aux jeunes les conditions matérielles nécessaires à leur épanouissement. En effet, comment espérer pouvoir agir sur les comportements à risques lorsque le modèle familial ne peut s'exercer, lorsque les parents sont eux-mêmes malmenés entre emplois précaires et chômage avec les dettes qui s'accumulent et la crainte de perdre son logement ?
La maltraitance est une autre de nos priorités, j'ai demandé que soient identifiés dans chaque région des pôles de compétence pour l'accueil et la prise en charge des victimes de violences sexuelles. Ces pôles de compétences sont chargés d'animer en réseau local avec en ce qui concerne plus spécifiquement les victimes mineurs, un réseau comprenant des psychologues, des pédopsychiatres, des assistants du service social. Ces pôles de compétences feront l'objet d'un suivi et d'une évaluation par mes services.
Vous voyez, c'est dire à quel point sont précieux pour nous, pouvoirs publics et citoyens les résultats qu'on vous a présentés ce jour et je tiens encore à dire mon admiration pour le travail accompli.
RTL - mardi 24 novembre 1998
Q - Comme chaque hiver, on redécouvre le drame des SDF, que reste-t-il à faire que nous n'ayons pas encore fait ?
- « Avoir plus de coeur, témoigner de plus de solidarité. Je crois que, techniquement, il y a toujours quelques petits cafouillages parce que, curieusement, on attend jamais l'hiver. On a l'impression que nous nous battons contre l'hiver, et non contre la misère, non contre l'exclusion. »
Q - Vous voulez dire qu'en d'autres saisons, on l'oublie ?
- « Oui. On l'oublie. Évidemment, ça fait de la peine, évidemment c'est un drame, les morts dans les rues ! Mais on a tellement confiance dans le système qu'on accuse le système - pas assez de lits au Samu social, etc. - et pas soi-même. Je voulais dire que c'est l'affaire de tous, et pas seulement des services, qui font bien leur travail. »
Q - Est-ce qu'on peut améliorer l'accueil dans les centres d'hébergement ?
- « Bien sûr, on peut améliorer l'accueil ! Il y a d'ailleurs des centres d'hébergement qui ne sont pas très fréquentés parce que les exclus n'ont pas envie d'y aller. Mais il faut savoir que tous ces jours, il y avait des places libres encore. Et la station de métro ouverte est une bonne chose parce que comme ça, à pied, les exclus peuvent s'y rendre. Mais le service lui-même, c'est à dire trouver une place par téléphone, retenir pour trois jours, c'est finalement à la fois formidable et insuffisant. Mais formidable quand même par rapport aux autres pays, parce que je vous rappelle qu'il y en a des morts en ce moment ! Des gens ne veulent pas - certains ne veulent pas ! - se rendre aux places indiquées. »
Q - Il y a eu la levée de l'embargo sur le boeuf britannique adoptée à une très courte majorité. La France s'est abstenue. Ça veut dire que vous avez demandé d'autres vérifications ?
- « Oui, ça veut dire aussi qu'il y a une attitude vis-à-vis du Portugal, qu'il y a, c'est vrai, encore 1 300 cas de « vache folle » en Angleterre chaque année. Heureusement, la maladie de Creutzfeld-Jacob n'a pas connu la flambée qu'on attendait, pour le moment. Il y a eu 30 cas, mais je crois qu'il faut rester vigilant. »
Q - Ça veut dire que ce n'est pas pour tout de suite ?
- « C'est pour dans quelques mois. Le processus se remet en cours, mais je pense qu'il faut sur cette affaire, rester vigilant en terme de santé publique, d'épidémiologie, de surveillance. »
Q - Vous avez reçu une étude sur les jeunes Français de 12 à 19 ans. Ils ne vont pas si mal que ça. Ils sont plutôt contents de leurs parents, ils sont assez contents d'aller à l'école, mais il y a encore quelques améliorations à attendre comme toujours. En revanche, le tabagisme est en régression chez les jeunes, c'est une surprise.
- « Oui, il est régression. Mais on s'aperçoit quand même qu'à 19 ans, il y a plutôt la moitié des jeunes gens qui fument. Il est en petite régression, pas suffisamment, et moins que dans les autres pays. Je rappelle qu'il s'agit du baromètre du Comité français d'éducation pour la santé. On l'a reçu parce que nous l'avons souhaité et que ça n'a jamais été fait. C'est un échantillon formidable, une analyse exhaustive, bref, vous allez voir, c'est un document épais sur lequel il faut vraiment pratiquer des études assez fines. Oui ils vont bien ! Mais ils pratiquent en toute connaissance de cause, parce qu'ils savent de quoi il s'agit : des conduites à risque. C'est ce qui ressort, en gros, de cet analyse : les jeunes Français vont bien… »
Q - Pour vibrer un peu ?
- « On peut s'interroger. Les sociologues le feront, bien entendu. Il y a par rapport aux drogues, licites et illicites, une vraie connaissance, et pourtant ils s'y adonnent. Il y a, par rapport aux accidents, une vraie connaissance et pourtant, très nombreux sont ceux qui ont été victimes d'accidents. La violence : très nombreux - moins nombreux bien entendu que ceux des accidents - ont été ceux qui ont été victimes de la violence. C'est frappant de voir qu'ils savent - l'information est passée - mais ça n'empêche pas. L'obésité par exemple, ils savent qu'il faut manger de façon très régulière, qu'il ne faut pas se surcharger, qu'il ne faut pas manger en gros à l'américaine, et pourtant, il y a 13 % d'obésité chez les jeunes. C'est nouveau et c'est un problème de santé publique. »
Q - C'est peut-être l'américanisation, effectivement. Pour en revenir au tabagisme, il semble qu'il y ait une corrélation entre le prix du paquet de cigarettes et la consommation. Alors le prix va monter ?
- « Je le souhaite bien. Oui, tout à fait, il y a une corrélation. Nous la connaissant très bien. Il y a des disparités et des prix européens. Vous savez qu'en Angleterre, le prix du paquet de cigarettes est près de deux fois et demi le nôtre. Et nous savons tous, tous ceux qui étudient cela, que plus on augmente le prix et moins on fume. J'aimerais que la France l'entende. »
Q - J'aimerais ?
- « Oui, j'aimerais beaucoup, mais je ne suis pas seul. Soyons clair, disons les choses. Le tabac rapporte beaucoup d'argent au budget. Alors il faut savoir choisir entre les incidents, les graves perspectives de santé publique et un équilibre, en tout cas une part de l'équilibre du budget. Peut-on - je le dis avec respect pour les travailleurs de la Seita qui sont en difficulté maintenant, et qu'il faut sans doute convertir vers des activités plus douces - considérer l'industrie du tabac comme une industrie comme les autres ? Je ne le pense pas. Ou alors, il n'y aurait plus de ministre de la Santé. »
Q - On voit que le tabac et l'alcool sont des portes d'entrée pour le cannabis. Est-ce que ça va susciter chez vous une approche nouvelle politique de santé à l'égard de ces drogues dites illicites ?
- « Écoutez, chez moi, ça l'a suscitée depuis longtemps. Mais je voudrais bien que les Français partagent mon opinion. Ce baromètre est formidable parce qu'on se rend compte que, bien entendu, on arrive au cannabis parce qu'on est parti du tabac, qu'on va vers l'alcool puis vers le cannabis - lequel, cannabis, que je ne prône en aucune façon, est quand même la moins dangereuse de toutes les drogues -, non seulement parce qu'il y a le rapport de notre excellent pharmacologue B. Roc, mais parce que le Lancet, le meilleur journal médical du monde, vient de confirmer ces données. Donc, il faut prendre globalement les individus, les hommes, les garçons et les filles, parce qu'ils sont jeunes dans notre baromètre, un par un, et il ne faut pas prendre des produits. C'est une démarche, il faut leur proposer un projet pour s'en sortir. Mais soyons bien clairs, en France surtout, c'est tabac, alcool et drogues illicites. Et d'ailleurs, le Premier ministre dans sa sagesse a demandé à la mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie de mettre ensemble les drogues licites et illicites et d'essayer de lutter contre l'ensemble. »
Q - La sexualité : en moyenne les premiers rapports ont lieu à 17 ans, mais très curieusement, les filles n'utilisent pas la pilule à cette occasion ou très rarement. Par méconnaissance ?
- « Oui, et par rapport aux préservatifs, vous avez vu qu'on utilise le préservatif et qu'on est en effet conscient de cela. Oui, c'est un échec, et avec Martine Aubry, nous allons proposer tout un plan d'abord de communication, mais de décisions sur la contraception. En effet, la contraception, parce qu'il y a eu peut-être trop d'obscurité sur le débat éternel « avortement-pas avortement » employé comme moyen contraceptif. L'avortement ne doit pas être un moyen contraceptif. Nous constatons que l'usage de la contraception est encore très réduit en France. »
Q - La pilule du lendemain sans prescription médicale, c'est pour bientôt ?
- « C'était dans le rapport de Madame Uzan, à propos des grossesses chez les mineurs. Et nous travaillons là-dessus. Maintenant, il faut savoir comment on pourrait distribuer la pilule du lendemain. »
Q - À l'école ?
- « Écoutez, ce n'est pas simple ! D'abord, ça se passe surtout le week-end et l'école est fermée. Alors, laissez-nous réfléchir à la manière dont on pourrait accéder à la pilule du lendemain au plus près de l'événement heureux ou malheureux. »
Q - Et information à l'école, cours à l'école ?
- « Oui, déjà 20 heures de santé publique à l'école. Avec Ségolène Royal nous essayons d'aller plus loin. Mais il y a déjà 20 heures, et c'est une grande nouveauté, qui vont être dans toutes les écoles autorisées… Vous savez que c'est une décision du Haut comité de santé publique, en 1997 et déjà nous passons à l'action. C'est essentiel, mais ce n'est pas assez. Il faudra se servir de ce baromètre du Comité français d'éducation pour la santé parce que, dans le détail encore une fois, on apprend sur notre jeunesse, nos enfants, beaucoup de choses. »