Interviews de Mme Christine Chauvet, secrétaire d'État au commerce extérieur, dans "Le Journal du dimanche" le 6 août 1995 et "L'Expansion" du 4 septembre, sur la reprise des essais nucléaires et la réaction de la France aux appels au boycott de l'Australie, qualifiés de "terrorisme commercial".

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Média : Le Journal du Dimanche - L'Expansion

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"Du bluff !", a estimé le ministre australien du Commerce, Bob Mc Cullan, en apprenant vendredi l'annonce par la France de possibles rétorsions économiques contre l'Australie, Christine Chauvet, secrétaire d'État au Commerce extérieur, réagit à ce dernier rebondissement de la crise entre Canberra et Paris.

Bluff est un terme anglais, comme boycott… Je souhaite que lui ne bluffe pas et que les Australiens se remettent dans le droit chemin de la légalité et des relations normales d'État à État. Nous avons été surpris du revirement du gouvernement australien qui, dans un premier temps, s'était engagé à ne pas céder aux pressions de certains groupes qui lançaient des appels au boycott. La France s'est donc manifestée. Après avoir privilégié les voies diplomatiques, nous sommes entrés malheureusement dans une phase de dissuasion, si j'ose dire, et nous espérons que les Australiens sauront ne pas aller plus loin.

Gilles Delafon : La France a-t-elle d'ores et déjà décidé d'appliquer ces mesures de rétorsion ou est-ce une menace ?

Christine Chauvet : Elles sont aujourd'hui envisagées. Maintenant, c'est à l'Australie de réfléchir et de voir de quelle façon être plus raisonnable. L'Australie et la Nouvelle-Zélande sont des pays de droit qui doivent être soucieux de se conformer aux règles du commerce international. Ils sont membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), tout comme la France, et là aussi il y a des règles du jeu auxquelles ils doivent se conformer. Ce que nous souhaitons, et là ce serait un signe, c'est que les appels d'offre en Australie se déroulent dans un cadre légal, sans les discriminations dont nous semblons menacés.

Gilles Delafon : La France menace également de saisir l'OMC. Qu'est-ce qui pourrait la décider à le faire ?

Christine Chauvet : Nous n'en sommes pas là, heureusement. Mais nous seront très attentifs à ce que les Australiens ne sortent pas du cadre juridique auxquels ils ont adhéré. Je crains fort que derrière les organisations qui ont lancé des appels au boycott, il y ait des intérêts commerciaux assez primaires qui souhaitent reconquérir les marchés que la France, par son travail et ses produits, a conquis en Australie au cours de ces dernières années. Nous acceptons le jeu de la libre concurrence mais uniquement dans le cadre légal. Et il me semble que le boycott relève plus du terrorisme commercial que d'une concurrence saine.

Gilles Delafon : Avez-vous pu mesurer les premières conséquences économiques des différents boycotts ?

Christine Chauvet : Nous avons nos baromètres que sont nos représentations commerciales. Nous sommes vigilants, tout le monde est sur le pont. Fort heureusement, l'impact est imperceptible, aussi bien en Europe du Nord qu'au Japon, et même en Nouvelle-Zélande.

 

Date : 4 au 17 septembre 1995
Source : L'Expansion

Christine Chauvet, secrétaire d'État

"Une entrave aux règles du commerce"

L'Expansion : Quelle sera votre riposte si les appels au boycott redoublent ?

Christine Chauvet : Nous vivons dans un monde de droit. Les entreprises n'ont pas l'habitude de rester les bras croisés. Il existe des juridictions commerciales pour réagir en cas de discrimination exceptionnelle. Si des gouvernements mêlaient leur voix aux appels au boycott et violaient les accords qui réagissent le commerce international, nous saisirions l'Organisation mondiale du commerce, qui ne doit pas être utilisée pour le seul domaine commercial, mais aussi pour des affaires semblables.

L'expansion : Comment jugez-vous les interventions de mouvements de citoyens ou de consommateurs dans les affaires du commerce international ?

Christine Chauvet : Je ne pense pas que ces organisations soient toujours très responsables. Ce sont des groupes de pression sans grande transparence, dont on ne sait ni ce qu'ils représentent vraiment, ni qui les finance. J'ai des doutes sur les intérêts qu'ils défendent, d'autant qu'ils peuvent être aussi manipulés. Nous vivons une guerre économique où des groupes d'intérêts peuvent utiliser ces organisations pour gêner une entreprise ou un pays concurrent. Cette menace grandit. Nous savons déjà que des concurrents étrangers ont exploité le tapage fait autour de la reprise des essais nucléaires français.

L'expansion : En Allemagne, des organisations de citoyenne négocient de nouvelles règles avec des entreprises. Pourquoi pas en France ?

Christine Chauvet : Dans le monde entier, les organisations de consommateurs sont entrées dans l'âge adulte : on peut discuter et négocier avec elles. En revanche, les organisations de défense de l'environnement et les écologistes n'ont pas passé ce cap. Les entreprises manquent d'interlocuteurs crédibles dans ce domaine. Certaines associations écologistes préfèrent les opérations médiatiques et les slogans simplistes, comme dans l'affaire Shell. L'excès tue ce qui pourrait être intelligent et raisonnable.