Interview de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, dans "La Croix" le 28 octobre 1998, sur la généralisation du dépistage des cancers féminins dès 1999, programme suivi l'année suivante avec le dépistage des cancers du colon et des maladies graves.

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Média : La Croix

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Q - Vous présentez cette semaine à l'Assemblée nationale votre plan de dépistage généralisé des maladies graves, dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale. En quoi va-t-il consister ?

Bernard Kouchner : « Nous allons enfin inscrire la prévention à grande échelle dans une politique de santé publique, faire financer des actes de dépistage comme des actes de soins. C'est une vraie révolution ! Actuellement, le budget de la Cnam est presque entièrement consacré aux soins. Or, si on soigne, c'est que la maladie est déjà là. Dans bien des cas, c'est le signe d'un échec, d'une prévention insuffisante.

Dans la pratique, nous commencerons, dès l'année prochaine, par généraliser, à l'échelle nationale, le dépistage du cancer du sein et celui de l'utérus. Parce que ces deux cancers féminins sont responsables respectivement de 10 600 et de 1 632 décès par an. C'est beaucoup trop ! Surtout lorsque l'on sait qu'une partie au moins de ces cancers pourraient être traités s'ils étaient détectés plus tôt chez ces femmes.

Le dépistage existe déjà dans une trentaine de départements, financé par certains conseils généraux. En 1999, nous ferons en sorte qu'il soit proposé gratuitement à toutes les femmes de plus de 29 ans pour le cancer du col de l'utérus, et de plus de 49 ans pour celui du sein. Mais ce n'est qu'un début : il est prévu d'étendre rapidement le système au cancer du côlon et à d'autres maladies graves. »

Q - Les expériences régionales ont été très contestées : qualité des tests, difficulté à convaincre certaines catégories de population à se faire dépister, répétition des dépistages inutiles pour d'autres... Comment comptez-vous surmonter ces problèmes ?

- « Nous ne financerons que le dépistage des maladies graves pour lesquelles un outil diagnostic fiable existe. C'est le cas de ces deux cancers avec le frottis vaginal et la mammographie. Et bien entendu, il faut réserver cette prévention à des pathologies où un traitement efficace peut être apporté à un nombre important de patients. Là encore, les cancers féminins entrent dans cette catégorie.

Pour s'assurer de la qualité de lecture de ces tests, seuls les laboratoires ou les radiologues qui s'engagent à suivre des normes de qualité bien définies pourront interpréter les frottis ou les mammographies réalisés dans le cadre de ce dépistage. Il y aura d'ailleurs une double lecture.

Ensuite, les experts disent qu'une prévention est efficace si on réussit à toucher 50 % de la population, mais moi je veux convaincre toutes les femmes de se faire dépister ! Nous allons donc inverser le système actuel et partir des médecins.

Aujourd'hui en effet, la Cnam envoie aux personnes un petit dépliant donnant droit à un dépistage : elles en profitent dans seulement 20 % des cas ! Et parallèlement, nous observons une sorte de « dépistage sauvages » : les femmes qui se font suivre régulièrement se voient proposer des examens par leur médecin. Ces examens ne sont pris en charge qu'à 75 %, et ni leur rythme ni leur qualité ne sont contrôlés. »

Q - Comment allez-vous motiver les médecins ?

- « Nous allons encourager les réseaux de médecins. En l'occurrence des généralistes, des gynécologues, des spécialistes hospitaliers et des radiologues. Tous ceux qui le voudront seront agréés pour promouvoir ce dépistage. À charge pour eux de le proposer selon la périodicité recommandée par les experts, à celles de leurs patientes lui entrent dans la catégorie ciblée, lors d'une visite de routine ou ayant un tout autre motif. Ce qui n'empêche pas les femmes de le réclamer. Bien entendu, si le médecin estime qu'il faut un autre frottis dans l'intervalle, il est libre de le prescrire, mais il agit alors en dehors de ce cadre où le dépistage est remboursé à 100%.

Nous réfléchissons à une rémunération en partie au forfait et non à l'acte. Il est évident que, lorsqu'un médecin prend le temps de discuter avec son patient pour lui expliquer l'intérêt d'un dépistage, pour dédramatiser l'examen, cela prend plus des quinze minutes habituelles d'une consultation ! Mais je crois que l'avenir du métier de médecin-généraliste passe justement par le développement de la prévention. Le fichier informatisé de la Cnam permettra d'écrire aux femmes qui sont passées au travers des mailles du filet et de faire remonter les données épidémiologiques afin d'évaluer les résultats d'une telle campagne. »

Q - Quel bénéfice attendez-vous de cette généralisation du dépistage de ces deux cancers et combien cela va-t-il coûter ?

- « Nous espérons réduire la mortalité de 1 000 femmes par an pour le cancer de l'utérus et de 600 femmes par an pour le cancer du sein, pour un coût supplémentaire de 250 millions de francs. La prévention de ces deux cancers coûte déjà 720 millions de francs à la Cnam. Mais au total, les opérations de prévention dans notre pays ne bénéficient que d'un budget de 3 milliards. Ce qui n'est rien comparé aux centaines de milliards de l'assurance maladie. Nous sommes encore loin du niveau de l'Angleterre ou de la Suède ! Il est vrai que la culture de la prévention gagne du terrain chaque année. De plus en plus de médecins, surtout les jeunes, en sont convaincus.