Texte intégral
Pour la troisième fois en quelques semaines, la SNCF vient, à l’appel de plusieurs syndicats, de connaître une nouvelle journée de grève, le jour même où la direction de l’entreprise annonçait, pour 1995, un déficit prévisionnel de l’ordre de 12 milliards de francs. Les inquiétudes exprimées par ces mouvements à répétition justifient-elles la gêne, parfois considérable, occasionnée aux usagers, et le coût supporté par l’économie ? A cette question, chaque citoyen peut apporter sa propre réponse.
Il revient en revanche au ministre de l’aménagement du territoire, de l’équipement et des transports d’expliquer ce qu’est aujourd’hui la situation de cette grande entreprise nationale à laquelle l’Etat consacre chaque année, tous concours confondus, près de 40 milliards de francs, et de tracer les perspectives, au moment où se prépare la signature avec l’Etat du contrat de plan qui va orienter son avenir pour les cinq années qui viennent.
Beaucoup a déjà été dit sur la spirale déficitaire dans laquelle s’enfonce à nouveau la SNCF, en raison notamment d’un endettement record (175 milliards de francs cette année) et du poids corrélatif des charges financières. Il est vrai que cette entreprise a déployé ces dernières années, en particulier pour la construction de lignes nouvelles, un effort d’investissement sans précédent depuis le plan Freycinet. On sait moins, en revanche, qu’aujourd’hui ses recettes commerciales directes couvrent à peine les charges salariales et, surtout, que le trafic a diminué en volume entre 1984 et 1994 de 7 % pour les voyageurs et de 18 % pour les marchandises. La SNCF a ainsi cédé aux modes concurrents des parts de marchés significatives.
Aujourd’hui, les recettes du chemin de fer ne permettent ni de financer les investissements d’avenir, ni même d’entretenir le patrimoine considérable déjà accumulé d’infrastructures, de gares, de matériel. Toutes choses égales par ailleurs, la croissance de la dette, si rien n’est fait, sera véritablement explosive : 300 milliards en 2000, plus de 400 milliards en 2005. Il ne saurait être question d’accepter cette situation et d’abandonner ainsi, à terme, le chemin de fer, alors que celui-ci constitue, à l’évidence, un atout pour notre pays.
La France a su construire au fil des ans le premier réseau à grande vitesse d’Europe, dont le développement ouvre des perspectives encore inexploitées dès lors que les compagnies ferroviaires ne sont plus enfermées dans des frontières nationales, mais peuvent désormais se développer à l’échelle du territoire européen. Elle a su se doter parallèlement d’une industrie ferroviaire performante. Bientôt va apparaître une gamme de trains à grande vitesse à deux niveaux, dont le développement s’annonce prometteur.
Elle a réussi enfin à valoriser son savoir-faire en Europe (Espagne, Belgique et Grande-Bretagne) et dans le monde. La technologie de la grande vitesse, exploitée avec succès par la SNCF depuis plus de dix ans, sert de vitrine à l’ensemble de l’industrie ferroviaire et contribue ainsi au maintien des 250 000 emplois de ce secteur d’activité.
Les difficultés que connaissent les chemins de fer ont amené la plupart des grands pays européens à engager des réorganisations de grande ampleur de leurs systèmes ferroviaires. La France ne doit pas rester en marge de ce mouvement, mais elle doit le faire dans le cadre du « service public à la française » dont parlait Alain Juppé, Premier ministre, dans sa déclaration de politique générale.
Le gouvernement souhaite ainsi maintenir la SNCF en tant qu’entreprise ferroviaire intégrée. Cela suppose que l’entreprise fasse la preuve de sa volonté et de sa capacité d’adaptation pour assurer son retour à l’équilibre. Ce redressement ne sera possible que grâce à une forte mobilisation de l’encadrement et de l’ensemble des agents.
Le nouveau contrat de plan qui doit être signé avant la fin de l’année entre l’Etat et la SNCF pour la période 1996-2000 devra reposer sur des objectifs commerciaux ambitieux, sur un équilibre économique et social acceptable par tous les partenaires concernés et sur une vision claire de l’aménagement du territoire.
L’entreprise doit en priorité retrouver la confiance de sa clientèle, en poursuivant et en amplifiant sa stratégie de reconquête commerciale. Elle doit assouplir et simplifier sa politique tarifaire et améliorer la qualité du service. Elle doit veiller à dégager des marges d’exploitation suffisantes pour chacune de ses différentes activités. En particulier, la stratégie de l’activité fret doit faire une place très importante au transport combiné.
En matière d’organisation des transports collectifs régionaux, je suis, pour ma part, très favorable au renforcement du rôle des régions et au lancement à cet effet des expérimentations prévues par la loi d’orientation pour l’amélioration et le développement du territoire : qui, mieux que les élus, peut veiller à la bonne adéquation locale des services offerts aux besoins des populations ?
La SNCF doit aussi se recentrer sur son activité principale de transporteur ferroviaire et clarifier ses structures pour mieux s’insérer dans son environnement concurrentiel. Elle doit se dégager d’activités trop périphériques et rechercher des produits de cession d’actifs lui apportant des plus-values significatives. Afin de limiter les besoins d’endettement, une maîtrise accrue et une plus grande sélectivité des investissements doivent être recherchées.
Cette entreprise doit enfin améliorer très significativement son organisation et sa gestion, en déconcentrant les responsabilités et en renforçant le dialogue social au plan local.
Mais la SNCF est aussi un acteur majeur de l’aménagement du territoire. En ce qui concerne le réseau à grande vitesse, l’élaboration des schémas directeurs prévus par la loi du 4 février 1995 sera l’occasion de débattre des perspectives de construction de lignes nouvelles. Toutefois, la poursuite du programme des lignes nouvelles selon les modalités et le rythme observés jusqu’ici n’est, à l’évidence, pas compatible avec l’objectif d’assainissement financier de la SNCF : sur ce sujet, j’ai décidé de confier, dans les semaines qui viennent, une mission de réflexion et de proposition à une personnalité indépendante, M. Philippe Rouvillois, qui me remettra son rapport dès les premiers mois de 1996.
En ce qui concerne l’évolution du réseau classique, le gouvernement, qui n’est engagé par aucune des cartes ni par aucun des chiffres publiés récemment sur d’éventuelles fermetures de lignes, est très attaché non seulement au maintien mais aussi à l’amélioration des transports collectifs. Le critère d’appréciation sera celui du meilleur service à l’usager, dans les conditions économiques et sociales les plus avantageuses et sociales les plus avantageuses pour la collectivité. Rien ne se fera sans une concertation étroite avec les collectivités concernées, au premier rang desquelles les régions. L’adaptation du service devra se faire dans le respect des exigences de la politique d’aménagement du territoire.
Dès lors que l’ensemble des dispositions nécessaires à ces objectifs auront été arrêtées, l’Etat accompagnera les efforts de l’entreprise en contribuant, à un niveau qui reste à déterminer, à l’allègement de sa dette. Mais cet allègement sera nécessairement lié au respect par l’entreprise des objectifs globaux de redressement qui auront été définis conjointement.
La SNCF est à un tournant de son histoire. La signature par l’Etat d’un nouveau contrat de plan constitue, à mes yeux, un signe de confiance de la nation envers le chemin de fer. Encore faut-il que chacun accepte de s’adapter aux exigences du monde concurrentiel dans lequel nous vivons désormais.