Interviews de M. Jean-Pierre Raffarin, ministre des PME du commerce et de l'artisanat, dans "Le MOCI" du 21 septembre 1995 et à Europe 1 les 31 octobre et 2 novembre 1995, sur le plan en faveur des PME, les manifestations des petits commerçants contre les grandes surfaces et la rénovation de l'UDF.

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Média : Emission Journal - Europe 1 - Le Moci

Texte intégral

Le MOCI : 21 septembre 1995

Le MOCI : On mise beaucoup sur les PME aujourd'hui pour l'emploi pour la conquête des marchés extérieurs. Quel vous paraît être leur état d'esprit ?

Jean-Pierre Raffarin : Je considère que les PME, grâce à la souplesse de leurs structures, leur capacité d'adaptation et d'innovation, sont aujourd'hui au cœur de la bataille pour l'emploi. C'est pour cette raison qu'Alain Juppé, le Premier ministre., a souhaité qu'un plan en faveur de leur développement soit élaboré. Il s'agit pour moi de créer progressivement le contexte économique, financier et réglementaire permettant l'égalité des chances des PME françaises avec leurs homologues des autres pays européens.

Il faut être clair : pour se développer, pour grandir, les PME doivent trouver des marchés. Et pour trouver de nouveaux marchés, il leur faut innover et s'internationaliser. C'est pour cette raison que je travaille avec mes collègues du gouvernement sur des mesures favorisant l'innovation et le transfert de technologie d'une part, l'exportation et l'implantation à l'étranger d'autre part. Quant à l'état d'esprit des PME aujourd'hui, je le trouve très bon. Les chefs d'entreprise ont conscience que leurs actions seront déterminantes pour l'avenir économique de notre pays et ils se savent soutenus au plus haut niveau de l'État. Ceci ne les empêche pas d'être vigilants et attentifs aux actions que nous mènerons dans les semaines à venir.

Le MOCI : Les PME interrogées par BVA pour Le Moci citent trois freins principaux à leur développement à l'international : la conjoncture économique, les turbulences monétaires et l'intensification de la concurrence. Cela correspond-il à votre diagnostic ? Et que préconisez-vous pour leur faciliter la tâche sur ce plan ? Les couvertures Coface sont-elles adaptées ?

Jean-Pierre Raffarin : Ces résultats ne m'étonnent pas car ils confirment les impressions que j'ai lorsque je discute avec les nombreux chefs d'entreprise qui exportent déjà et que j'ai l'occasion de rencontrer. Ces conclusions nous montrent les chantiers qu'il faudra ouvrir pour conforter le développement à l'exportation de ces entreprises.

Mais le ministre des PME que je suis est à l'écoute des entreprises qui n'exportent pas encore ou qui exportent de façon très occasionnelle. Et là, les préoccupations sont un peu différentes. Il s'agit en effet surtout de créer des structures aptes à engager les procédures export et de permettre l'accès à une information ciblée sur leurs besoins de connaissance des marchés et de la concurrence.

C'est donc sur l'ensemble de ces pistes que je travaille aujourd'hui, en étroite collaboration avec Christine Chauvet, secrétaire d'État au commerce extérieur, afin de construire le volet export du plan PME. Pour ce qui est de la Coface, je vais vous donner mon sentiment : je pense ce que nous avons là est un outil remarquable qui a joué un rôle essentiel pour les succès de notre pays à l'exportation. C'est un outil qui marche bien et qui est bien compris par les chefs d'entreprise. Cela ne m'empêche pas de souhaiter que la Coface s'occupe peut-être davantage de PME qu'elle ne le fait et participe ainsi au « bonus PME » de l'action gouvernementale.

Le MOCI : Le sondage BVA que nous publions cette semaine montre aussi que les PME semblent attendre les opportunités à l'exportation plus souvent qu'elles ne les créent. Comment l'État mais aussi les collectivités locales pourraient-ils les inciter à devenir plus actives ?

Jean-Pierre Raffarin : Il est vrai que ce qui fait la force des PME, c'est-à-dire leur souplesse et leur petite taille, fait aussi leur faiblesse. Elles n'ont pas toujours les moyens humains et financiers de cerner en amont les besoins, d'assurer des présences actives sur le terrain ou de mener de longues négociations.

Elles sont par conséquent à l'affût des opportunités qui peuvent se présenter et dans lesquelles elles peuvent s'engouffrer.

Trois voies sont aujourd'hui à l'étude pour inciter les PME à prendre plus d'initiatives dans ce domaine : la rationalisation des circuits d'information, le groupement d’entreprises à l'export et le portage de PME par des grands groupes, comme le proposent, les conclusions du rapport Dassault. Là encore, le Plan PME permettra de préciser les orientations que nous prendrons dans ce domaine.

Le MOCI : Il ressort aussi de notre sondage que 50 % des entreprises rêvent de l'Asie. Ont-elles les reins assez solides ? Que pensez-vous du French Business Center de Singapour et des German Centers ?

Jean-Pierre Raffarin : L'Asie est en effet porteuse de toutes les espérances pour nos PME et à juste titre, car la croissance dans les pays du Sud-Est asiatique est exceptionnelle et il y a de nombreux marchés à conquérir. Mais l'Asie coûte cher et il est clair que toutes nos entreprises n'ont pas les reins assez solides pour s'y présenter seules. Vous citez l'exemple allemand et vous avez raison : c'est un chemin que nous devons suivre, en particulier en matière de groupement et de complémentarité des grands groupes et des PME. Mais j'irai plus loin, et là c'est l'Européen convaincu que je suis qui parle : c'est en unifiant nos forces au sein de l'Union européenne que nous pourrons conquérir les marchés asiatiques. Le Plan PME posera les bases de l'égalité des chances des PME françaises face à leurs partenaires européens. Il nous restera alors à organiser de façon efficace les European Centers au sein des pays stratégiques pour nos exportations.


Europe 1 : mardi 31 octobre 1995

Q. : Comment avez-vous réagi devant ce déferlement de violence hier à Bordeaux, c'était tout à fait incroyable ?

R. : C'est absolument inacceptable et je peux vous dire ce matin que de toute la France, arrivent à Matignon des messages demandant au Premier ministre la plus grande fermeté vis-à-vis de ceux qui veulent donner de l'artisanat une image de violence. Les unions artisanales professionnelles, les chambres de métier qui dialoguent avec les pouvoirs publics dans l'intérêt de l'artisan, n'acceptent pas ces méthodes. C'est vraiment inacceptable, c'est une rupture de tout dialogue.

Q. : Qu'est-ce que vous pouvez dire pour apaiser le climat ?

R. : Je dis simplement qu'il faut qu'on soit clair dans le débat public aujourd'hui. Il y a ceux qui acceptent l'État de droit et avec ceux-là, le dialogue est complètement ouvert et d'ailleurs, aujourd'hui, nous avons en place un nouveau plan pour l'artisanat, des mesures qui sont engagées et qui ont été très bien accueillies par l'union professionnelle artisanale, par les chambres de métier, nous avons mis trois milliards de francs de CODEVI à la disposition des artisans, nous avons lancé des mesures sociales importantes, des prêts bonifiés au meilleur taux de l'agriculture, on a aujourd'hui une politique de réforme de l'artisanat qui est engagée et je dis qu'il ne peut y avoir de dialogue avec ceux qui pratiquent la violence. La violence, c'est une rupture du dialogue. Je veux qu'il soit clair et que les Français sachent qu'aujourd'hui, il s'agit d'une minorité extrémiste qui se comporte de la sorte, car on ne va pas manifester avec des cocktails Molotov quand on a des intentions de dialogue. Globalement, surtout, qu'on ne fasse pas l'amalgame entre cette grande majorité des artisans et des travailleurs indépendants qui paient régulièrement leurs cotisations sociales, malgré les difficultés réelles qu'ils rencontrent à l'heure actuelle...

Q. : Ceux qui ne peuvent pas payer disent qu'ils sont pris à la gorge par les huissiers notamment qui n'hésitent pas à recourir à des méthodes violentes ?

R. : Depuis déjà de nombreuses années, il y a des actes de violence qui ont été menées par le CDCA. Nous regrettons beaucoup ce type d'attitude. Il y a des procédures d'appel, il y a des discussions avec les caisses. Je suis prêt à étudier, avec l'ensemble des organismes qui respectent l'État de droit, toute nouvelle solution, avec les ministères concernés, avec les affaires sociales, avec l'ensemble de ceux qui ont leur mot à dire sur ce sujet, mais ce n'est pas en détruisant des dossiers, en séquestrant des fonctionnaires, en menaçant les uns ou les autres, notamment quand on s'attaque aux caisses et à tous ceux qui, loyalement, honnêtement, paient leurs cotisations, ce n'est pas avec de telles actions qu'on peut faire avancer les dossiers.

Q. : Vingt personnes sont toujours gardées à vue. Vous comptez sur la sévérité de la justice ?

R. : Le message que nous adressons est un message d'extrême fermeté.


Europe 1 : jeudi 2 novembre 1995

Q. : Comment le ministre du commerce et de l'artisanat explique-t-il la bouffée de violence de Bordeaux, la manifestation violente du CDCA ?

R. : Le CDCA a révélé sa véritable nature et son extrémisme. Au fond, la violence est devenue lundi soir à Bordeaux extrême. Leurs agissements relèvent maintenant de la guérilla urbaine. Donc, nous les condamnons fortement. Le gouvernement oppose et opposera la plus grande fermeté face à cet extrémisme. La violence évidemment, c'est la négation du dialogue. Je tiens ici, très sérieusement et solennellement, à saluer l'ensemble des organisations représentatives des métiers, de l'Union professionnelle artisanale, l'ensemble des chambres consulaires, qui ont tenu à exprimer leur soutien à la politique de fermeté du gouvernement. Dans le paysage professionnel de l'artisanat et du commerce aujourd'hui, la CDCA est isolée dans son extrémisme et par sa violence.

Q. : P. Poujade leur dit : « faites pas les cons ». Mais est-ce qu'ils ne sont quand même pas représentatifs de ses commerçants qui ont vu leur chiffre d'affaires diminuer, leur revenu amputé ? Plus de la moitié des métiers du commerce ont vu leurs revenus baisser.

R. : Il y a trois catégories de commerçants aujourd'hui, on le sait bien. Il y a ceux pour lesquels les affaires sont florissantes, ceux qui présentent certaines fragilités et que nous allons aider fortement et puis, il y a un certain nombre de cas difficiles que nous traitons avec les organismes sociaux et nous sommes très vigilants à ces situations difficiles. Mais le CDCA est aujourd'hui minoritaire et il est complètement isolé de l'ensemble des organisations professionnelles avec lesquelles le gouvernement travaille, puisque vous savez, nous avons lancé un grand plan PME et de l'artisanat et que ce n'est pas à ce moment-là où le gouvernement lance une nouvelle dynamique pour les petites entreprises, pour les travailleurs indépendants que l'on va accepter que certains ternissent l'image des métiers du commerce.

Q. : Vous allez présenter votre plan à Bordeaux. Ça fait un peu « provoc » quand même. – « Nous allons le présenter à Bordeaux parce que c'est là qu'a lieu le congrès de la CGPME et c'est là que nous allons annoncer un certain nombre de mesures importantes qui concernent l'amélioration de la situation des PME sur le plan financier par exemple, l'allégement des charges. En matière de simplification administrative, nous allons mettre, avec la déclaration sociale unique, 28 millions de formulaires au panier. Il y aura des mesures très importantes sur la transmission d'entreprises, sur l'exportation, sur l'innovation. Nous allons monter un programme de relance des métiers d'art. Un certain nombre de mesures importantes qui vont venir compléter ce qu'A. Juppé a déjà annoncé pour le petit commerce. Je vous rappelle que 3 milliards de crédits de CODEVI et plus de 500 millions de prêts bonifiés sont maintenant disponibles pour les travailleurs indépendants. Nous avons fait beaucoup d'efforts sur la qualité artisanale, je pense à ce que nous faisons par exemple pour défendre les boulangers, l'identité artisanale avec la qualification préalable. Enfin, beaucoup de mesures sont d'ores et déjà engagées.

Q. : Mais pour les boulangers, le vrai ennemi, c'est la baguette à 60 centimes ou à 1 franc dans les grandes surfaces.

R. : C'est vrai que là, nous avons à mener une bataille qui est une bataille économique. Ce n'est pas du tout notre volonté d'opposer des formes de distribution. Nous voulons, au contraire, pacifier les relations commerciales dans notre pays.

Q. : Comment est-ce que vous pouvez défendre le petit commerce sans attaquer en même temps les grandes surfaces sur leurs pratiques commerciales ?

R. : Nous avons deux manières : d'abord, nous allons rénover les ordonnances de 1986 parce que nous voulons combattre un certain nombre de pratiques. Il y a trop de tensions entre les différentes formes de commerces dans ce pays. Il y a trop de tensions entre les fournisseurs et les distributeurs. Par exemple, vous me parlez de la baguette : nous allons engager des mesures pour lutter contre les prix anormalement bas, prix artificiellement bas qui portent atteinte à l'identité même de l'artisanat, à la qualité artisanale. Le pain artisanal, ce n'est pas un pain industriel, c'est un pain qui est fait selon des règles de fabrication précise, avec cinq étapes, et qui n'utilise pas de pain surgelé. Avec les boulangers, nous allons protéger le pain artisanal.

Q. : Il y a un rapport qui préconise des amendes aggravées, des limitations des taux de remise et même la création d'un prix minimal de vente.

R. : Sans aller au prix minimal qui serait un retour à des pratiques du passé, nous voulons combattre les prix artificiellement bas. Et là où il y a en cause la qualité artisanale, nous voulons lutter contre des pratiques qui portent atteinte à la concurrence et qui sont en fait des pratiques de concurrence déloyale.

Q. : Est-ce que vous n'allez pas réinventer le contrôle des prix par le bas ?

R. : Non, nous allons faire en sorte que nous protégions un certain nombre de métiers, que nous rétablissions le rapport de force entre les fournisseurs et les distributeurs au profit des PME.

Q. : Comment est-ce que vous pouvez parler de promotion commerciale qui serait des promotions du chômage alors que les grandes surf aces sont le seul vecteur de commerce qui ait créé des emplois ?

R. : Eh bien, nous disons que derrière le consommateur, il y a aussi le citoyen. Et nous avons tous dans nos familles des jeunes qui sont à la recherche d'emploi, des jeunes qui veulent intégrer notre société. Donc, j'appelle derrière le consommateur le réveil du citoyen en disant : « n'oubliez pas qu'il y a certaines promotions commerciales, certains rabais, qui sont en fait des rabais chômage, des promotions commerciales qui détruisent un certain nombre d’emplois ». Donc, c'est vrai que la distribution a créé un certain nombre d'emplois, c'est vrai qu'elle en détruit aussi. C'est pour ça que nous avons créé, avec le Premier ministre, l'Observatoire national de l'équipement commercial, l'ONEC, pour mesurer l'impact de la distribution en matière d'emploi.

Q. : Et vous êtes prêt à aller au conflit avec les grandes surfaces, même si vous vous en défendez ?

R. : Non, ça n'est pas une question de conflit. On n'est pas intégriste, on ne veut pas désigner des adversaires ni des boucs émissaires, mais le gouvernement veut pacifier les relations commerciales. On a un certain nombre d'objectifs. C'est vrai qu'on a atteint un degré de saturation en matière d'hypermarché. C'est vrai que nous voulons maintenir le commerce vivant en milieu rural. C'est vrai que dans les quartiers nous voulons définir la place du commerce. Et un objectif très important : nous voulons repartir à la conquête des centres-villes. Il faut une véritable relance des centres-villes. C'est pour ça, par exemple, qu'on a besoin des grands magasins, des magasins populaires en centre-ville. Il y a des actions à engager aujourd'hui pour rénover le commerce.

Q. : Un mot de la politique. Vous êtes UDF-PR-giscardien grand teint. Alors à quoi va ressembler l'UDF en janvier prochain, et avec quel président ?

R. : L'UDF a engagé sa rénovation. Mais c'est une force d'espoir pour notre pays encore plus aujourd'hui. Dans les difficultés que traverse la France, l'UDF doit faire entendre sa voix. Quant à moi, je propose...

Q : La voix de qui ?

R. : La voix de ses militants, de ses adhérents, de tous ses électeurs. Je propose à nos chefs une règle de trois pour que la rénovation de l'UDF ne soit pas la destruction de nos espoirs. Premièrement, il n'y a pas d'avenir à l'UDF contre Giscard. Deuxièmement, le fondateur est toujours un bon fédérateur. Et troisièmement, l'agresseur n'est pas le successeur. Ce message, c'est celui d'un militant moins expérimenté que ses chefs mais tout aussi attentif à la vie politique mais fidèle à ses engagements.

Q. : Les agresseurs, vous en connaissez ? Des gens qui voudraient voir partir GISCARD et qui sont prêts à le pousser vers la sortie ?

R. : On me dit qu'il y en aurait. Moi, je dis qu'aujourd'hui, l'UDF doit se rassembler et ne pas chercher à se diviser. Car derrière la division, il y a l'éclatement. Et le pays a besoin de l'UDF.

Q. : Vous ne pensez pas qu'il peut y avoir au PR et au CDS des gens qui soient prêts à se liguer pour faire partir Giscard, malgré Raffarin ?

R. : Avec tous les militants, je crois que ceux qui, aujourd'hui, s'engageraient dans des processus de division, des processus d'agression, porteraient atteinte à l'identité de l'UDF. L'UDF a été créée par Giscard. C'est une famille politique qui est très importante au centre droit de ce pays, pour laquelle il y a beaucoup d'impact territorial. Nous sommes la première force territoriale dans ce pays avec les présidents de département, les présidents de régions, avec les parlementaires. Nous avons la présidence du Sénat avec R. Monory.

Il y a une force UDF très importante. Il ne faut pas la diviser. Il faut, au contraire, la rassembler, et pour ce faire, je crois que Giscard reste un excellent fédérateur.