Déclaration de Mme Elisabeth Hubert, ministre de la santé publique et de l'assurance maladie, sur les outils permettant une maîtrise et un contrôle des dépenses de santé notamment les références opposables, le dossier médical et le codage des médicaments, Villepinte le 29 septembre 1995.

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Circonstance : Journées de l'assurance maladie à Villepinte le 29 septembre 1995

Texte intégral

Monsieur le président,
Monsieur le directeur,
Monsieur le médecin Conseil national,
Mesdames et Messieurs les présidents directeurs des caisses régionales et primaires, Mesdames et Messieurs les praticiens conseils,
Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d’abord de vous remercier de votre accueil et de vous faire part de l’intérêt tout particulier que j’éprouve à me trouver, aujourd’hui, parmi vous au sein d’une assemblée aussi nombreuse.

L’engagement des hauts responsables de l’assurance maladie que vous êtes est, je le sais, puissant. Il est à la hauteur des enjeux de la branche que vous gérez.

Or, ces enjeux sont plus que jamais considérables. Le déficit de la branche maladie est très élevé et ne tend pas à se résorber, bien au contraire. Dans le même temps, la qualité des soins ne progresse pas comme elle le devrait.

Dans ce contexte, j’ai dit aux médecins que se jouait la dernière chance de la médecine libérale à la française et que c’était notre capacité collective à parvenir à une maîtrise médicalisée des dépenses qui était en jeu. Aujourd’hui, je veux vous dire que nous jouons également la dernière chance du système conventionnel et donc de la branche maladie telle que vous la connaissez aujourd’hui.

Ne nous y trompons pas. Dans le processus conventionnel, la branche maladie a des pouvoirs majeurs, notamment celui de contracter, au besoin en créant des outils nouveaux. Mais elle a aussi des responsabilités.

À l’heure où nous nous apprêtons à célébrer votre 50e anniversaire, je crois utile de rappeler ici, quelles sont ces responsabilités.

Mon premier mot sera pour les citoyens de ce pays. Ils sont majoritairement vos assurés usagers.

Or, l’amélioration de la qualité du service rendu aux citoyens est l’objectif premier retenu par le Premier ministre pour la réforme de l’État et des services publics.

La sécurité sociale est précisément le plus grand de nos services publics, par son ampleur et pas sa vocation. C’est à elle que nos concitoyens s’adressent pour surmonter leurs difficultés, qu’elles soient de nature sociale ou sanitaire.

Or, de récents sondages montrent, qu’en dépit des progrès réalisés, l’image de la sécurité sociale dans le public reste médiocre, comparée à celle d’autres services publics.

Cela doit nous interpeller tous : moi, sur celui de l’explication des enjeux et des problèmes de l’assurance maladie, vous qui, au quotidien et dans vos caisses, êtes en charge de l’accueil et du règlement des difficultés des assurés, dans le respect des lois.

Vos responsabilités se sont considérablement accrues et compliquées par l’exigence, de plus en plus forte, de ne rembourser des soins qu’à bon escient. Vous êtes responsables du bon usage de fonds publics dont le montant est considérable. À titre d’exemple, le seul régime général débourse près de 200 fois plus que le budget de santé publique que j’ai à gérer au plan ministériel. L’ampleur de ces masses légitime totalement une politique de contrôles rigoureux et efficaces, tant à l’égard des assurés sociaux, que des professionnels de santé.

Vous devez aujourd’hui vous assurer que les actes et les prescriptions que vous remboursez sont médicalement justifiés et réellement utiles aux malades, dans le cadre prévu par la loi et les dispositions conventionnelles.

C’est cela, la maîtrise médicalisée de l’augmentation, devenue aujourd’hui insupportable au regard de nos ressources, de nos dépenses d’assurance maladie.

Vous avez, pour cette mission, l’avantage de bénéficier d’un service médical unique dans son ampleur parmi les pays comparables au nôtre.

Je sais les efforts que les praticiens conseils ont accomplis depuis quelques années en terme de modernisation de leurs activités, de présence sur le terrain avec leurs confrères professionnels de santé, les praticiens conseils sont et seront encore plus dans l’avenir, en première ligne dans le combat pour la maîtrise médicalisée de l’évolution des dépenses. Je souhaite qu’ils se mobilisent. Je souhaite aussi que tous les responsables de l’assurance maladie soient conscients de cette évolution et leur facilitent la tâche,

Plus largement, je souhaite que les caisses se mobilisent avec la plus grande énergie, d’une part, sur la montée en charge des instruments de maîtrise, d’autre part, sur le contrôle du respect, par les professionnels de santé, des dispositions conventionnelles.

Cette montée en charge est, je le sais, affaire de volonté. Cette montée en charge doit être aussi rapide que possible sinon, poussée par la nécessité, des décisions fortes risqueraient d’être prises, qui ne donneraient satisfaction ni à vous, ni à moi.

Vous savez l’importance que j’attache au codage des actes, aux références médicales opposables, au dossier médical, qui sont les pierres angulaires de cette approche concrète, médicalisée, et globale de la santé que j’appelle de mes vœux.

Sans une connaissance plus fine de ce que vous remboursez, la maîtrise ne peut être ni ciblée, ni, a fortiori, juste.

Il faut bien comprendre que, seule, l’application de sanctions individuelles, garantes du respect par tous des engagements conventionnels, permettra d’éviter la mise en place de systèmes de sanctions collectives.

Première étape, le codage des médicaments et des actes de biologie sera rendu rapidement opérationnel entre les professionnels et les caisses. Je signerai les textes nécessaires dans les jours qui viennent.

II vous appartiendra de les mettre en œuvre sans délai. Je dis bien sans délai.

Il ne serait pas convenable, après plusieurs années de travaux et de négociation que la mise en œuvre réelle du codage s’étende sur une longue durée. Surtout, il est du devoir de vos caisses de déterminer rapidement comment vous allez, dès qu’elles seront disponibles utiliser pour votre gestion du risque, la multitude de données qui seront ainsi mises à votre disposition.

La mise en œuvre généralisée du codage des médicaments et des actes ainsi que le développement des références médicales opposables, supposent des changements importants dans les méthodes de travail tant pour les professionnels de santé, que pour les caisses. La substitution des flux électroniques au papier est incontournable à l’aube de l’an 2000.

L’informatisation des cabinets médicaux est également une nécessité, pour permettre aux médecins d’avoir accès à des bases de données informatiques et à des logiciels d’aide à la prescription. Ceci nécessitera des investissements importants qui devront, bien sûr, correspondre à une amélioration du service rendu aux assurés sociaux, en termes de qualité des soins et d’organisation de vos services.

À cet égard, SESAM-VITALE est un outil qui doit être activement mis en œuvre. Je me réjouis de constater que les expérimentations ont vraiment commencé.

Dès lors, le calendrier, les moyens, et les conséquences de la généralisation de SESAM-VITALE doivent être rapidement définis. Je veillerai à ce que le calendrier soit scrupuleusement respecté. La phase d’expérimentation est une nécessité, mais les circonstances, d’aujourd’hui, rendent tout autant nécessaire le passage sur le terrain.

Sans attendre la généralisation du codage, vous disposez d’ores et déjà d’instruments de régulation puissants, mais leur mise en œuvre est encore timide.
Les références médicales opposables (RMO) constituent l’un de ces instruments dont les objectifs sont la bonne pratique et l’amélioration de la qualité de l’exercice médical.

Je souhaite que ces références soient mieux définies et généralisées à toutes les professions, y compris les professions prescrites et que des sanctions individuelles soient appliquées, selon les procédures acceptées par les partenaires conventionnels.

Il n’est pas admissible que certains signataires contestent la mise en œuvre de ce qu’ils ont signé. La loi donnera la base juridique nécessaire, là où elle fait encore défaut. Je m’y suis engagée.

Le dossier médical est un autre instrument à votre disposition. La responsabilisation, tant des médecins que des patients, passe par le suivi effectif du dossier médical et le respect de sa présentation ou, éventuellement en attendant, du carnet médical. Je souhaite donc, que le dossier médical soit généralisé selon un calendrier et des modalités à définir rapidement. Cette procédure aura sur la relation médecin-patient, et sur l’utilisation du système de soin, je n’en doute pas, un effet structurant, générateur d’économies médicalement justifiées.

S’agissant du médicament, je veillerai à l’application stricte, des sanctions prévues par les accords passés entre les industriels et le comité économique du médicament : là aussi, il s’agit de respecter des engagements librement négociés.

Là encore, plutôt que des sanctions collectives, l’application de sanctions individuelles est le moyen privilégié du respect par tous des engagements conventionnels qui ont été librement consentis.

À cet égard, je sais les efforts que vous avez développé en particulier le service médical pour le développement du contentieux du contrôle technique. Il convient de poursuivre votre action dans ce domaine. J’ai d’ailleurs adressé une lettre à tous les présidents des ordres professionnels et aux présidents des trois caisses nationales pour leur faire part de mes intentions.

L’hôpital constitue l’une de vos préoccupations majeures, et je sais que vous partagez le souci du Gouvernement de voir profondément rénover son mode de financement.

Je connais vos intéressantes contributions à la réflexion.

Les travaux du Haut Conseil pour la réforme hospitalière se poursuivent. Vous y avez participé et je vous en remercie.

L’idée d’une contractualisation chemine, à laquelle vous serez bien entendu associés, mais il est encore trop tôt pour préjuger des conclusions de ce Haut Conseil.

Sur la question du rapport entre les allocations budgétaires et le service hospitalier rendu, je sais que vous avez innové en imaginant un dispositif d’évaluation comparative des services d’autant plus intéressant que ce projet a été développé avec la participation d’un nombre très important de responsables hospitaliers, gestionnaires ou médecins, et ce, dans plusieurs régions.

J’ai demandé à mes services d’étudier avec vous comment, dès l’exercice budgétaire 1996, vos travaux pourraient être utilisés afin de rendre plus justes les allocations budgétaires des établissements.

Enfin, parmi les réflexions structurantes de moyen terme, j’ajouterai celles portant sur la démographie médicale.

Sans entrer dans les discussions, consistant à savoir s’il y aura trop ou pas assez de médecins en 2010, je constate dès à présent, que le corps médical est mal reparti sur l’ensemble du territoire.

Il n’est pas raisonnable que 4 000 postes de praticiens hospitaliers ne soient pas pourvus tandis que le nombre de spécialistes est sans doute excessif en ville. Il me paraît, par ailleurs, tout à fait nécessaire de favoriser l’évolution des pratiques d’un certain nombre de médecins, en particulier généralistes, vers des activités de prévention, de promotion de la santé, de recherches, d’évaluation, ou de contrôle.

Il m’apparaît également, que la formation médicale continue doit devenir une obligation pour chaque médecin, et pour commencer, j’ai eu l’occasion de le dire aux représentants de la profession : les médecins qui ne respectent pas les références médicales opposables – qui représentent les bonnes pratiques auxquelles un médecin digne de ce nom ne peut pas déroger – devraient, avant de reprendre leur activité, bénéficier d’une formation adaptée et validée.

Mesdames, Messieurs, vous avez placé ces 7e journées de l’assurance maladie sous le signe du 50e anniversaire de la sécurité sociale.

Le chemin parcouru, en un demi-siècle est, en effet, considérable, et les imperfections de notre système ne doivent pas occulter les progrès accomplis : grâce à l’assurance maladie, tous les français ont théoriquement accès aux soins.

Mais en pratique, le maquis des procédures, d’une part, la difficulté d’offrir des structures d’accueil à certaines catégories de personnes démunies, d’autre part, ne permettent pas de dire, malgré tout, que tous les français sont égaux devant l’accès aux soins.

Or, compte tenu, de la masse financière que la France consacre à la santé de ses concitoyens, il n’est pas admissible que les disparités s’accroissent depuis une dizaine d’années.

Pour garantir l’égalité d’accès aux soins, il faut simplifier.

Cette simplification est un de mes grands objectifs pour l’année qui vient.

Je souhaite vivement que vos travaux continuent à enrichir la réflexion collective que le Premier ministre a décidé de lancer à travers la France sur l’avenir de notre protection sociale.

Le 4 octobre 1995 sera officiellement lancé un grand débat, large et ouvert, sur tous les aspects de notre protection sociale. Il associera au niveau régional, sous la présidence des ministres sociaux, toutes les composantes économiques sociales et sanitaires.

Vous serez appelés à y participer tout au long du mois d’octobre.

Vous le savez, ces forums régionaux déboucheront à la mi-novembre sur un débat au Parlement, avant que des décisions soient arrêtées à la fin de l’année. Dans ce grand débat, il n’y aura pas de questions taboues, y compris sur l’organisation de la branche maladie ou la contribution des caisses au redressement financier de la branche.

Parallèlement les caisses nationales d’assurance maladie vont entamer des négociations avec les médecins et les autres professionnels de santé, pour élaborer les annexes 96 aux conventions.

J’appelle votre attention, sur l’extrême importance de ces négociations, dans le contexte actuel.

Dans les prochains jours, je serai en mesure de communiquer aux partenaires conventionnels, les limites dans lesquelles les taux d’évolution des dépenses pourront être agréés par les pouvoirs publics.

Le Gouvernement fixera dans les jours qui viennent un taux directeur hospitalier très volontariste.

Dans ces conditions, il ne serait pas acceptable qu’après les très mauvais résultats qui risquent d’être ceux de 1995, les objectifs fixés au secteur ambulatoire ne témoignent pas d’une rigueur aussi grande que ceux fixés au dispositif hospitalier. En outre, ils devront pleinement tenir compte des éventuels dépassements d’objectifs de 1995.

J’ai conscience que vos moyens d’appliquer les conventions avec les professions de santé n’existent pas toujours. Mais j’ai la volonté que cela change.

En contrepartie, vous, responsables de l’assurance maladie, aurez à les faire respecter, avec vos partenaires bien sûr. Je l’ai assez répété, y compris au conseil d’administration de la Caisse nationale, le Gouvernement croit au dispositif conventionnel et souhaite l’étendre et le renforcer. Mais je le redis, un nouvel échec du système conventionnel aurait des conséquences extrêmement lourdes.

Or c’est vous, responsables de l’assurance maladie, qui avez délégation de gestion des pouvoirs publics, dans ce domaine.

C’est bien pour cela, que dans les mois qui viennent, une clarification sera apportée, quant aux responsabilités respectives de l’État et de l’assurance maladie, en termes de financement, grâce au fond de solidarité d’assurance maladie, mais aussi, en termes de modalités d’action.

II faut que cessent ces accusations permanentes, d’interventionnisme excessif de l’État d’une part, et de manque de volontarisme dans la gestion du système de l’autre.

Les deux partenaires que sont l’assurance maladie et l’État, doivent composer un front uni face aux problèmes qui s’annoncent.

Il nous faudra, aux uns et aux autres, du courage, et le sens du service.

Je sais que vous n’en manquez pas.

Vous constaterez que le Gouvernement non plus.

Je vous remercie.