Interviews de M. Jean Gandois, président du CNPF, à RTL et dans "Le Monde" du 4 octobre 1995, sur les réactions du patronat face aux mesures d'aide à la création d'emploi ou de baisse des charges sociales, le souhait du CNPF d'une politique de relance à la consommation, et sur la politique monétaire.

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Média : Emission L'Invité de RTL - Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde - RTL

Texte intégral

Date : mercredi 4 octobre 1995
Source : RTL / Édition du matin

M. Cotta : Depuis plusieurs semaines, vous ne cachez pas votre mauvaise humeur, « vous grognassez » comme dit A. JUPPÉ, sur les baisses des charges consenties par le gouvernement. J. BARROT a dit hier qu’il attendait de la part des entreprises « une réponse en termes de créations d’emplois aux baisses de charges consenties par le gouvernement ». Que lui répondez-vous ?

J. Gandois : Qu’il connaît très bien ce que font les entreprises aujourd’hui. Elles embauchent et elles ont embauché 210 000 emplois pendant les 12 derniers mois, elles ont créé 210 000 emplois et donc les baisses de charges font leurs effets. Pas le contrat initiative-emploi pour le moment.

M. Cotta : Vous n’y croyez pas...

J. Gandois : Ce n’est pas que je n’y crois pas, il se borne à remplacer essentiellement les contrats de retour à l’emploi et les CES, d’autres contrats qui existaient avant, et il y a quelques emplois clés quand même, il ne faut pas exagérer, mais ce sont les baisses de charges et c’est surtout la croissance qu’il nous faut pour créer des emplois.

M. Cotta : Pensez-vous qu’avec des baisses de charges plus significatives, l’emploi aurait été singulièrement amélioré ?

J. Gandois : Je pense que l’emploi aurait été amélioré avec des baisses de charges plus significatives. Pour le moment il n’y a eu aucun effort supplémentaire de fait pour le budget 96. Il n’y a rien de changé et nous allons quand même essayer d’embaucher en plus.

M. Cotta : Mais quand A. JUPPÉ annonce une baisse du coût du travail de 13 % pour les entreprises, vous dites que nous ne connaissez pas une seule entreprise dont le coût salarial diminuera de 13 % l’an prochain. Qui a tort, qui a raison ?

J. Gandois : Les choses sont simples : pour qu’une entreprise ait un coût salarial global qui baisse de 13 %, d’abord il faudrait que ça soit après le 1er juillet car le calcul est fait après le 1er juillet. Au 1er janvier on n’a pas appliqué les mesures. Il faudrait que cette entreprise ait un coût moyen de ces salaries, moyen, tous les salariés confondus, y compris les directeurs, qu’il soit de 110 % du SMIC. Heureusement il n’y a pas beaucoup d’entreprises en France dont le coût moyen, y compris le patron, est de 110 %.

M. Cotta : Êtes-vous sûr quand même que les entreprises font leur maximum pour créer des emplois ? On en doute quand on voit que le chômage repart avec en août 27 000 demandeurs d’emploi en plus.

J. Gandois : Je crois que le mois d’août est un point singulier. Il y a, en moyenne, 20 000 emplois créés par mois et depuis 18 mois. C’est dû d’abord et avant tout à la croissance. C’est dû ensuite à un certain nombre d’efforts et notamment sur les réductions de charges sociales. Je pense que ça va continuer. Un peu moins fort pour la croissance, un peu plus fort à cause des avantages nouveaux qui ont été donnés mais dans l’ensemble ça devrait continuer au même rythme.

M. Cotta : Quelle politique, selon vous, devrait suivre le gouvernement pour améliorer l’état de ses finances publiques et dans quels domaines doit-il être le plus vigilant ?

J. Gandois : Pour le moment, le problème le plus important c’est de créer de l’activité, c’est de faciliter la création d’activité, c’est ça qui fait de l’emploi. On ne crée pas de l’emploi si on n’a pas des carnets de commandes garnis, si on ne peut pas aller davantage à l’exportation, si on n’a pas la facilité d’innover et donc tout ça est lié à la politique générale sur l’Europe, sur le monde, à la monnaie, à tout un tas de choses dont on ne parle pas aujourd’hui.

M. Cotta : Que faudrait-il faire pour ramener la croissance d’une manière plus importante qu’en ce moment ?

J. Gandois : D’abord il faudrait avoir une politique globale de réduction des dépenses publiques, plus rapide que celle que nous avons aujourd’hui. Notre gouvernement essaye de faire des efforts, ce sont encore des efforts bien timides.

M. Cotta : R. MONORY a proposé hier, ici même, l’instauration d’un moratoire d’un an sur les dépenses nouvelles. C’est une bonne idée ?

J. Gandois : Je pense que ce n’est pas une mauvaise idée mais il aurait fallu l’instaurer avant car déjà dans le budget 96 il y a des dépenses nouvelles qui sont faites avant que d’autres problèmes soient traités. Je pense en particulier à l’allocation autonomie qui est traité avant de parler du problème des retraites. Si on commence à donner aux gens un peu plus maintenant pour leur diminuer leur retraite au premier trimestre ça ne me paraît pas très logique comme chemin à suivre.

M. Cotta : Vous pensez que « la reprise est inachevée » ça veut dire quoi ? « Entraîner des frustrations » comme vous l’écrivez dans Le Monde hier ?

J. Gandois : Oui. Qu’est-ce que n’a pas touché la reprise ? Elle n’a pas touché la consommation et elle n’a pas encore touché le bâtiment. La consommation c’est quoi ? C’est ce que disent tous les commerçants du coin. Le bâtiment : il y a des entreprises de bâtiment dans tous les chefs-lieux de canton en France. Vous ne pouvez pas avoir un moral des gens qui soit élevé s’ils entendent dire par tous les commerçants qu’ils rencontrent, par toutes les petites entreprises du coin : « ça va pas, on n’a pas de carnets de commandes, notre chiffre d’affaires a été plus faible que celui du mois précédent ! » Il y a donc un problème de consommation et de bâtiment.

M. Cotta : Relancer la consommation, vous le demandez, mais comment quand on n’augmente pas les salaires ?

J. Gandois : Il ne faut pas augmenter aujourd’hui les salaires. Ce n’est pas en détruisant la compétitivité des entreprises françaises que l’on va faciliter l’emploi et qu’on va recréer le moral. Il y a des mesures spécifiques à prendre pour la consommation, elles ne sont pas simples. Le gouvernement en a pris une récemment avec la prime à la casse pour les automobiles.

M. Cotta : Vous êtes pour la prime à la casse pour les automobiles ?

J. Gandois : Je pense que ça peut faciliter les choses. Je sais bien qu’il y a toujours des effets indirects qui ne sont pas bons. On a vu que les gens de l’habillement disent : « Pendant que les gens achètent des voitures ils n’achètent pas des vêtements ». C’est vrai. On peut prendre aussi d’autres mesures : je pense à libérer à nouveau la participation qui, aujourd’hui, pourrait être consacrée en partie à la consommation.

M. Cotta : Le gouvernement Juppé est-il un bon gouvernement ?

J. Gandois : Je ne crois pas qu’on puisse prendre un jugement d’ensemble de cette manière. Je trouve que le rythme des décisions est rapide mais leur cohérence n’est pas lisible. On ne voit pas où on va. Ce qui est important quand on veut mobiliser un pays c’est de lui dire où on veut alter et pourquoi on lui demande des sacrifices.


Date : 4 octobre 1995
Source : Le Monde

Le Monde : Pourquoi avez-vous déclaré, le 20 septembre, que le gouvernement accusait un « très grave problème de courage » en matière budgétaire ?

Jean Gandois : J’ai réagi avec colère, mais ce n’est pas une polémique personnelle avec Alain Juppé, qui est un homme que j’estime et qui a à faire face à de graves difficultés. Ce que je n’ai pu accepter, c’est la présentation qui a été faite des conséquences du budget sur les entreprises : je ne connais aucune entreprise dont le coût salarial global ait diminué de 13 % ! Pour la plupart d’entre elles, le solde entre les nouvelles taxes et les allègements se traduit par un alourdissement de leurs coûts.

Le Monde : De combien ?

Jean Gandois : Compte tenu du fait que certaines entreprises sont amenées à absorber une partie de la majoration de TVA, l’alourdissement des coûts est de 1 % à 1,5 % en moyenne.

On ne peut pas traiter les chefs d’entreprise comme des enfants, en leur disant : « On vous a donné en juillet un cadeau ; maintenant allez jouer dans votre bac à sable et embauchez ! » Je sens grandir le malentendu sur le terrain. Je peux comprendre les petits patrons qui ont des angoisses. Ils sont prêts à se mobiliser pour l’emploi, mais ils veulent être traités en adultes et en partenaires.

Voilà la raison de ma colère, mais je suis aussi inquiet de la philosophie du budget. Premièrement, l’effort de réduction des dépenses de l’État est grand, mais insuffisant, car l’Allemagne fait mieux que nous. Deuxièmement, l’incitation, à la réduction des dépenses des collectivités territoriales est trop faible ; elles ont dérapé de 5 % A 7 % par an depuis un certain nombre d’années. Troisièmement, on affiche la volonté de réformer les régimes sociaux, mais on ne s’y attaquera vraiment qu’au premier trimestre 1996.

Prenons un exemple : le Parlement aura à déterminer comment il conçoit la solidarité entre les générations. Était-il raisonnable de commencer par mettre en place une allocation autonomie, que je ne critique pas en tant que telle, mais dont l’utilité ne peut s’apprécier que dans le cadre d’une politique globale de la vieillesse ? Dans ce domaine comme dans d’autres, le choix ne consiste pas à décider aujourd’hui des dépenses et à renvoyer les économies à demain.

Le Monde : La grève des fonctionnaires annoncée vous semble-t-elle une preuve du blocage des esprits en France ?

Jean Gandois : Elle est dans la tradition française. Il me paraît justifié que le gouvernement ait décidé une pause en 1996 pour les rémunérations des fonctionnaires, qui ont eu un taux d’augmentation de leur pouvoir d’achat sensiblement plus important que celui du secteur privé au cours des dernières années. Il me semble que, au moment où l’on demande à tout le monde des sacrifices, celui demandé aux fonctionnaires reste dans des limites raisonnables. Je précise que je respecte tout à fait les fonctionnaires, étant fils de petit fonctionnaire.
 
Le Monde : Sous l’effet des turbulences budgétaires et financières, la France semble se fermer à l’Europe. Qu’en pensez-vous ?

Jean Gandois : La France est redevenue nombriliste et, pourtant, nous vivons dans un monde de plus en plus ouvert. Quand je vais voir un petit patron, il me dit : « j’exporte, mais avec les niveaux de la lire, de la peseta, du dollar et la concurrence du Sud-Est asiatique, j’ai de plus en plus de mal », et il met en cause la politique du franc fort. Je lui explique que la politique monétaire de la France ne peut se décréter seule, que dévaluer le franc ne résoudrait rien. La solution de ce problème passe par notre projet politique concernant l’Europe.

Il est bon que le président Chirac et le chancelier Kohl réaffirment leur attachement à la monnaie unique, mais tout le monde à l’impression que celle-ci peut succomber sous les réticences des uns et des autres. Depuis plus d’un an, je vois monter les réserves allemandes, car, après avoir cru que la monnaie unique serait un moyen d’affirmer leurs principes économiques, nos voisins ont peur qu’elle ne contamine leur mark par la faute de partenaires peu sérieux.

Nous risquons – et c’est grave – un effritement de l’Europe. La tension qui sous-tend celle-ci, c’est la marche vers la monnaie unique. Si cette marche devient de moins en moins crédible, il n’y aura plus de tension ; donc, plus du tout de projet. Si, par malheur, l’Europe venait à se fracasser, nous assisterions à sa dilution dans la mondialisation ou à son sous-développement dans la provincialisation. Il est indispensable qu’il y ait une relance politique pour combler ce déficit de crédibilité. Seule l’Europe permettra de construire un monde libéral dans lequel l’homme ne soit pas une simple variable d’ajustement. Je ne vois pas qui d’autre que la France petit prendre l’initiative de cette relance.

Lorsque le gouvernement dit que, pour créer des emplois, il va falloir faire des sacrifices autrement partagés, c’est très important, mais ce n’est pas un projet.

Créer de nouveaux impôts n’est pas un projet. Quelle conquête voulons-nous faire ensemble ? Quelle Europe désirons-nous ? Quelle réforme du système éducatif, de la protection sociale, de l’État, des collectivités territoriales, des conservatismes patronaux ou syndicaux ? Ça, ce sont des projets et on peut mobiliser les gens pour les défendre, mais on ne fera jamais rêver les jeunes sur un critère de convergence, si ambitieux soit-il !

Le Monde : Les entreprises font-elles le maximum pour créer des emplois ?

Jean Gandois : Les entreprises embauchent. Entre le 1er juillet 1994 et le 30 juin 1995, elles ont créé 210 000 emplois. En 1986, année où le taux de croissance a été le même qu’en 1994, ce chiffre s’élevait à 62 000, soit trois ou quatre fois moins. On me rebat les oreilles au sujet des entreprises qui embaucheraient peu c’est faux.

Une enquête récente a été menée auprès des PME pour connaître les motifs d’embauche. 76 % ont répondu que cela dépendait de la croissance, 48 % des baisses de charges et 3 % du contrat initiative-emploi. Cela marque que, sans croissance, il ne peut pas y avoir de création d’emplois. Il est inquiétant de constater que la croissance est en train de ralentir au Japon, aux États-Unis, en Europe. Cela ne veut pas dire que nous allions vers une récession, mais vers un ralentissement. Or la reprise a concerné l’amont du processus économique l’export, la reconstitution des stocks. Elle n’a pas vraiment atteint la consommation. Le bâtiment, notamment, est en panne. De cette reprise inachevée naît un sentiment profond de frustration. Il faudra faire quelque chose pour relancer la consommation, mais pas n’importe quoi...

Le Monde : Êtes-vous toujours hostile à la diminution généralisée du temps de travail ?

Jean Gandois : L’aménagement du temps de travail joue un rôle important, mais la durée du travail est multiforme. On peut agir sur la durée journalière ou hebdomadaire, mais aussi annuelle et sur toute la vie professionnelle par les préretraites, par exemple, ou par le temps partiel. II reste des gisements d’emplois dans cet aménagement, mais cela passe par une réforme de l’organisation du travail, ce qui ne se décrète pas au niveau national. Il a été signé un accord remarquable qui limite la durée mensuelle du travail du chauffeur routier à 240 heures ; il est évident que cela ne peut concerner la secrétaire de direction qui veut consacrer son mercredi à ses enfants.

Nous avons ouvert une négociation à l’échelle nationale avec les syndicats. Elle doit nous permettre d’élaborer des orientations et des méthodes applicables au niveau des branches professionnelles et des entreprises. Pas question de donner des recettes à la fois à la sidérurgie, à la restauration et au commerce. Qu’on ne se fasse pas d’illusion là –dessus !
 
 Le Monde : Le CNPF gère le 1 % du logement ; la CFTC, les allocations familiales ; FO, ]’assurance-maladie. Certains patrons estiment que ce paritarisme est malsain. Pourquoi avez-vous décidé de le poursuivre ?

Jean Gandois : Le paritarisme n’est pas une panacée, et son exercice n’est pas exempt de critiques. S’il consiste à gérer des « fromages », il doit être épuré. La rigueur est plus nécessaire encore dans le domaine de la protection sociale que dans les autres domaines.

Je ne crois pas qu’on puisse condamner la gestion paritaire en elle-même. À l’Unedic, elle a porté ses fruits et conduit à des excédents qui permettront un jour de réduire les cotisations chômage. Le paritarisme à toutes ses chances lorsque les partenaires sont légitimes pour définir une politique sans interférence de l’État. En revanche, je ne suis pas certain qu’il soit possible dans l’assurance-maladie, mais nous devons tout faire pour essayer, C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que le CNPF revienne à la Caisse nationale d’assurance maladie, mais avec un programme et un délai d’épreuve de trois ans.

Le Monde : Le conflit qui a opposé le CNPF et certaines de ses fédérations, comme l’UIMM au sujet de la collecte des fonds de la formation en alternance, s’est conclu par votre défaite. Comment concevez-vous la réorganisation de l’action du patronat ?

Jean Gandois : Ma responsabilité en matière de formation en alternance et d’apprentissage est de trouver le système le plus performant pour les jeunes et pour les entreprises. Les chambres de commerce, la CGPME, les fédérations patronales ont développé des actions de formation qu’elles considèrent chacune comme les meilleures du monde. Le problème est qu’elles sont conflictuelles. J’ai essayé de trouver un compromis qui a échoué. Je vais essayer de faire marcher ce système boiteux pendant quelques mois, mais on ne clarifiera la situation qu’en le remettant à plat.

À ce problème de formation s’ajoute la question de la décentralisation de l’organisation patronale. Les responsables patronaux, qui sont les interlocuteurs des pouvoirs publics locaux, doivent avoir les moyens de ce dialogue. Les structures professionnelles et les structures territoriales du patronat doivent être rééquilibrées.

Le Monde : Quel est le rôle que doit jouer le CNPF dans la société française ? Et quel rôle entendez-vous y jouer comme président ?

Jean Gandois : Si le CNPF devait être une sorte de super-lobby, il ne servirait à rien car il existe déjà d’excellentes organisations pour ça et on ferait des économies de frais généraux en le supprimant. Le CNPF n’a de sens que s’il crée une valeur ajoutée par rapport aux autres composantes du monde patronal et s’il exprime ce qu’elles ont de commun et de fort : l’importance de l’entreprise.

Je suis ici parce qu’en France la place de l’entreprise n’est pas reconnue et, aussi, parce que les jeunes n’arrivent pas à entrer facilement dans la vie professionnelle. L’image de l’entreprise doit être corrigée, et, compte tenu de l’opinion publique, l’entreprise ne sera respectée que si elle joue son rôle social.

Vous voyez donc comment je conçois mon rôle. Ce qui m’intéresse, c’est que l’entreprise soit partie prenante au projet de société dont je parlais et où l’homme soit pris en considération. Je ne suis pas un homme de consensus.

Dans un patronat très divers, cela conduirait à ne dire que des banalités. J’espère être suivi par le plus grand nombre pour réaliser ce que je dois réaliser. Sur plusieurs points importants je suis prêt à entendre les « courants ». Sur les options essentielles, qui sont aussi celles de ma vie, il n’est pas de transaction possible.