Interview de M. Pierre Mauroy, membre du bureau national du PS, à France-Inter le 25 septembre 1995, sur le succès du PS aux élections sénatoriales, le soutien de M. Mauroy à Lionel Jospin, candidat à la direction du PS, et "l'illisibilité" du projet de budget pour 1996.

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Circonstance : Elections sénatoriales le 24 septembre 1995

Média : France Inter

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A. Ardisson : Vous êtes sénateur depuis 1992, le groupe socialiste du Sénat s’enrichit de 8 élus supplémentaires, dont quelques ténors. Est-ce l’effet purement mécanique des municipales ou, bien ces résultats traduisent-ils un certain début de frémissement ?

P. Mauroy : Bien entendu, tout le monde s’accorde pour dire : finalement, le succès de la gauche, c’est dû au succès des municipales et sa traduction sur le plan des sénatoriales. Moi, je pense qu’il y a un peu plus quand même. 8 nouveaux élus, c’est quand même beaucoup pour les socialistes d’une certaine façon, ensuite le PC qui se maintient et puis, j’ajoute ça que B. DEBRE, ancien ministre, a été battu à Amboise. Et je n’oublie pas que s’il y a de nombreux balladuriens qui reviennent, les premiers tours ont montré que les gens ne s’intéressaient pas beaucoup à ces législatives ou en tous les cas, marquaient une certaine morosité. Tout cela crée une situation qui est bonne pour nous, pour le Sénat finalement qui se rajeunit, se renouvelle, mais malheureusement, ce Sénat est toujours dominé par cette loi inique de la représentation, si bien que quoi qu’il arrive, il y a toujours une majorité de droite. C’est ainsi.

A. Ardisson : Vous parlez de la surreprésentation des élus ruraux ?

P. Mauroy : Sur représentation de la droite, il faudrait tout de même un autre mode de scrutin pour élire les sénateurs, pour qu’il y ait davantage d’équilibre entre finalement la gauche et la droite. Mais c’est une vieille question qui avantage beaucoup la droite mais ça nous permet au moins d’avoir une tribune. C’est très important, d’autant que, vous l’avez souligné vous-même, aussi bien M. ROCARD, BADINTER, A. RICHARD, H. WEBER et bien d’autres, arrivent au Sénat.

A. Ardisson : Qu’allez-vous faire de ces nouvelles recrues ? Pour parler plus fort ou est-ce que ça va changer la donne parlementaire ?

P. Mauroy : Le Sénat est une assemblée importante mais c’est l’Assemblée nationale qui a quand même le rôle finalement de pouvoir agir sur le gouvernement et qui a le mot final en ce qui concerne la loi. Et vous savez qu’en ce qui concerne l’Assemblée nationale, notre représentation, malheureusement est faible, trop faible, injustement faible. Mais il est important quand même de renforcer la gauche au Sénat car, c’est une tribune, c’est une assemblée où on travaille bien. Et c’est une assemblée qui, dans certaines circonstances joue un rôle qui peut être décisif. Alors, je pense qu’un groupe socialiste plus nombreux, travaillant bien, finira par imposer finalement ses points de vue. C’est ce que je souhaite.

A. Ardisson : Qui mènera la danse dans ce groupe ?

P. Mauroy : Tous. Vous savez, on est organisé. Je pense que le président C. ESTIER préside très bien, il va continuer vraisemblablement à présider ce groupe. Et je pense qu’on pourra se relayer les uns et les autres, chacun dans sa spécialité. Car au Sénat, on travaille vraiment d’une façon très coordonnée, d’une façon très spécialisée. J’ajoute que l’important, c’est naturellement cette avancée des socialistes mais en même temps, c’est finalement la réunion de samedi du comité national.

A. Ardisson : Justement, est-ce que le Sénat n’est pas un peu la retraite ou la préretraite des éléphants ?

P. Mauroy : Non, je ne pense pas que ce soit ainsi, on a envie de travailler mais d’une certaine manière, le PS a besoin de se renouveler, a besoin d’une nouvelle génération, qui est déjà là mais qui a besoin de s’affirmer davantage. Et puis, il a surtout besoin finalement que les courants qui n’ont pas su se dominer, puissent être maîtrisés.

A. Ardisson : Vous êtes au Sénat, M. ROCARD aussi, ça laisse la voie libre à L. JOSPIN ?

P. Mauroy : En ce qui me concerne, je suis au Sénat mais je suis aussi à la présidence de la communauté urbaine de Lille, je suis aussi à la ville de Lille et je suis dans ma fédération du Nord. Par conséquent, je ne cesse pas d’intervenir. Et vous savez de quelle manière je suis intervenu pour que L. JOSPIN devienne candidat, pour soutenir sa candidature, bref, pour être, avec beaucoup d’autres d’ailleurs, dans la campagne présidentielle. Mais moi, je suis intervenu pour dire que je soutenais totalement, entièrement L. JOSPIN. Par conséquent, je suis là et je serai un roc. Et je pense, avec beaucoup de mes amis du Nord et d’ailleurs pour faire en sorte qu’il réussisse.

A. Ardisson : À partir de là, que faut-il pour que l’image du PS se renouvelle ?

P. Mauroy : Elle est en train déjà de se renouveler. Je crois que L. JOSPIN y aide beaucoup mais que derrière lui, je crois qu’elle se renouvellera très rapidement car le PS a cette capacité absolument extraordinaire d’avoir des idées, d’être bouillonnant, d’être effervescent et même de rare trop et donc de ne pas savoir dominer cette espèce de spontanéité politique qui est en lui. Or je crois que l’élection du premier secrétaire au suffrage universel va nous permettre de maîtriser tous ces grands talents qui sont au PS, tous ceux qui ont des idées et de faire en sorte que ce soit une grande force qui ne soit pas seulement au service des socialistes d’ailleurs mais qui va s’ouvrir vers toute la gauche et permettre sans doute, de créer cette grande force de gauche que l’on attend et que l’on doit construire avec tous ceux qui sont à gauche pour entrer dans le siècle prochain.

A. Ardisson : Vous n’avez pas l’impression que les succès enregistrés ce week-end sont plus dus aux déceptions, voire aux erreurs de l’actuelle majorité qu’à une poussée positive en faveur de l’opposition que vous représentez ?

P. Mauroy : Vous avez raison sans doute. Il y a des stades, donc ce n’est pas nous qui allons dire : nous allons prendre le pouvoir demain ou nous allons reprendre les fonctions gouvernementales demain. Je crois qu’il faut se préparer pour 98, qu’il y a un temps pour tout. Aujourd’hui, pour les socialistes et même pour la gauche, le temps est à la réflexion, le temps est aux idées, le temps est à l’organisation, le temps est au rassemblement derrière un leader qui a déjà été accepté par l’opposition lors des présidentielles. Et je crois qu’il faut prendre notre temps de façon à ce que le moment venu, nous puissions nous imposer. Je pense que déjà, les élections au Sénat sont importantes mais il en faudra d’autres et par conséquent davantage d’adhésion.

A. Ardisson : Mais le temps n’est pas à la protestation plus nette parce que jusqu’à présent les critiques sont quand même relativement modérées ? On a l’impression que vous êtes encore un peu complexés ?

P. Mauroy : Pas du tout. D’ailleurs, on aurait tort de l’être quand on voit ce gouvernement. Le vrai problème, c’est qu’on est surpris nous-mêmes par l’affaissement de la cote de popularité à la fois du Président de la République du Premier ministre par cette façon de gouverner, qui n’appartient qu’à lui, de ce gouvernement qui est partout et nulle part et par cette façon vraiment très originale qu’il a, en présentant son budget, à mécontenter tout le monde. Cette façon de mécontenter tout le monde en ayant un budget qui n’est pas orienté vers l’objectif affiche qui est de combattre le chômage et de créer des emplois, et puis de créer une illisibilité de son propre budget. Alors, dans ces conditions, on accompagne ces graves difficultés qui assaillent le gouvernement et le Président de la République et nous ne manquons pas de le souligner. Nous le ferons de plus en plus mais pas seulement avec des critiques vis-à-vis de ce que fait ou pas le gouvernement, mais je crois que de plus en plus, on le fera avec des idées, d’autres idées, des propositions, des contre-propositions.