Déclaration de M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture de la pêche et de l'alimentation, sur le rôle des jeunes agriculteurs dans le monde rural et les mesures pour faciliter leur installation (l'objectif étant d'augmenter de 50 % les installations), Cibiens les 10 septembre 1995.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Philippe Vasseur - ministre de l'agriculture de la pêche et de l'alimentation

Circonstance : Finale nationale du championnat de France de Labour, les 9 et 10 septembre 1995 à Cibiens (Ain)

Texte intégral

Madame la présidente du CNJA,
Monsieur le président directeur général d'Elf Aquitaine,
Mesdames, Messieurs,

J'ai le plaisir ce soir à me retrouver parmi vous pour ce rendez-vous annuel des labours organisés depuis plus de dix ans par le CNJA, ELF Aquitaine et le CDJA du département hôte, aujourd'hui le CDJA de l'Ain.

Cet événement constitue chaque année, traditionnellement, le rendez-vous de rentrée pour vous comme pour le ministre de l'Agriculture, mais, pour qu'il y ait une rentrée, Madame la présidente, il aurait fallu qu'il y ait une sortie.

Or, vous le savez, tout au long de cet été je me suis efforcé de faire face à des situations difficiles dans les secteurs des productions animales et des productions végétales, notamment celui des fruits et légumes.

Depuis près de trois mois, j'ai quasiment reçu chaque jour des responsables professionnels me demandant d'agir rapidement, pour faire face à ces conjonctures défavorables, et de mobiliser des ressources nécessaires pour aider les producteurs touchés.

Au total, et malgré un contexte budgétaire que vous savez difficile, il aura fallu dégager près de 1,5 MdF que certes la situation pouvait justifier mais qui, au fond, aurait pu être mobilisé à d'autres fins.

Disant cela, Madame la présidente, je sais que vous partagez mon point de vue et que vous attachez vous aussi une grande importance, voire une place prépondérante aux mesures à caractère structurel car seules porteuses de perspectives durables.

Cette manifestation est donc pour moi l'occasion de réaffirmer :

– mon attachement au rôle fondamental des jeunes agriculteurs dans la dynamisation et le renouvellement du tissu rural, 
– ma volonté, au travers de la charte d'installation, de gagner le défi de la démographie et par là-même de consolider l'essor économique de notre agriculture,
– enfin de vous présenter mon calendrier de travail et les grandes échéances pour notre agriculture.

1. Le rôle des jeunes agriculteurs dans le monde rural est essentiel, Madame la présidente, nous sommes d'accord.

Il l'est à plusieurs titres complémentaires, que ce soit en terme d'aménagement du territoire, en terme de développement économique ou encore au plan social et plus précisément de la solidarité entre générations.

Nous n'insisterons jamais assez, en ces périodes où l'exclusion est devenue un sujet majeur pour nos sociétés contre lequel nous devons mobiliser toutes nos énergies, nous n'insisterons donc jamais assez pour rappeler l'atout fondamental que constitue l'activité agricole pour l'équilibre social, économique et territorial de notre pays.

C'est dans cette perspective et avec cette volonté incontournable de lutte contre l'exclusion et de lutte contre le chômage qu'il faut resituer cette priorité qu'est la politique de l'installation des jeunes pour le Gouvernement.

Toute politique, aussi légitime et fondée soit-elle, n'a de valeur et de signification que si elle est comprise par ceux à qui elle est destinée.

Je voudrais dire à cet égard combien le rôle de votre organisation, des CDJA au CNJA, et bien entendu celui des autres organisations professionnelles sont majeurs dans cette perspective : en effet, votre présence sur le terrain est telle que seuls vos responsables professionnels peuvent assurer une réelle et nécessaire fonction d'explication, de régulation et de formation sans laquelle tous les efforts que nous déployons atteindraient difficilement leurs objectifs.

Le CNJA est, dans ce pays, la seule organisation professionnelle de jeunes professionnels qui soit représentative.

C'est pour vous, et c'est aussi pour nous, pouvoirs publics, une chance et une responsabilité.

2. C'est pour toutes ces raisons que j'attache la plus haute importance à la préparation de la charte nationale d'installation que nous avons engagée et qui doit être signée début novembre avant d'être présentée au Parlement.

Nous accomplissons là, Madame la présidente, un exercice déterminant pour l'avenir de l'agriculture française car des décisions que nous allons prendre dépend l'évolution du nombre des exploitations à moyen terme, c'est-à-dire à l'horizon 2010.

L'enjeu est fondamental car il s'agit de la place future que nous voulons donner à l'agriculture à ce terme.

En ce domaine, vous le savez, ma volonté est entière car la place stratégique de notre agriculture, au plan économique, au plan des échanges extérieurs ou encore des grands équilibres de la Nation est aussi largement conditionnée par le nombre de ses actifs et des exploitations que nous voulons.

Pour moi, parler de l'avenir de l'agriculture, c'est avant tout parler de l'avenir de ceux qui la font, c'est-à-dire les agriculteurs et les jeunes agriculteurs.

Vous êtes à l'origine de cette formidable valeur ajoutée donnée à nos terroirs, à nos sols et à nos régions.

Et l'avenir ce n'est pas regarder, constater et gérer de façon passive la courbe démographique.

Je voudrais, sur ce point, sans pour autant sombrer dans une querelle de chiffres, préciser ma pensée en m'appuyant sur des données officielles.

Il y a aujourd'hui 740 000 exploitations agricoles officiellement recensées en France et non plus 800 000 comme certains le disent.

Si nous poursuivons, sur les tendances actuelles du nombre des installations et des départs la baisse du nombre des exploitations sera continue, puisqu'à l'horizon 2010/2015 il n'y en aura plus que 400 000 et que leur nombre continuera de baisser par la suite.

Par contre, si comme je le veux, nous mettons fin à cette dérive notamment grâce à une politique offensive d'installation dont la finalité est d'augmenter de 50 % le nombre des installations aidées, nous réussirons alors, dans un premier temps, à stabiliser le nombre des exploitations aux environs de 550 000 à l'horizon 2005-2010 avec une égalité entre les installations et les départs.

Et pourquoi pas à ce terme retrouver la voie d'un solde positif des installations sur les départs.

C'est dans ce contexte que, refusant tout fatalisme, j'ai affiché le chiffre de 450 000 exploitations qui, bien entendu, n'est pas mon objectif mais plutôt un seuil incompressible d'exploitations voire une limite à ne jamais franchir.

Telle est la responsabilité qu'il m'apparaît nécessaire qu'un homme politique prenne car fixer le cap c'est aussi définir la cohérence des moyens mis en œuvre.

C'est pourquoi la charte constitue à mes yeux un des axes forts de la politique agricole que j'entends conduire pour notre agriculture et ses agriculteurs.

À défaut de cette prise de responsabilité, de ces choix clairement exprimés, nous pouvons aboutir à des extrêmes, telles les déclarations de certains de nos voisins européens, que je ne veux en aucun cas pour notre pays et pour son agriculture.

La charte nationale d'installation doit répondre à deux objectifs fondamentaux :

– l'amélioration des conditions d'installation des jeunes, 
– l'accroissement du nombre effectif des installations que je situerais à un niveau de + 50 % par rapport au niveau actuel.

L'architecture originale de cette charte doit nous permettre de relever ce défi avec succès et cela pour deux raisons :

– tout d'abord par la plus grande cohérence de l'ensemble des mesures et du dispositif mis en place par les pouvoirs publics, 
– ensuite parce qu'elle doit permettre de stimuler, d'enrichir et d'amplifier l'initiative nationale par des initiatives locales et professionnelles.

J'ai déjà eu l'occasion lors de votre dernier congrès à Montélimar de vous apporter les premières réponses à vos demandes concernant la charte.

Je peux vous annoncer aujourd'hui que le décret sur les bourses à l'installation est maintenant signé et qu'il sera publié dans les tous prochains jours au « Journal officiel ».

Il y a d'autres sujets dans cette charte tel que l'accès au marché sur lequel vous avez attiré mon attention.

Parmi ceux-ci la question des transferts de références laitières a totalement retenu mon attention.

Le 9 mai dernier, peu de temps avant mon entrée en fonction, a été publié un nouveau décret organisant ces transferts.

L'application de ce texte, déjà sujet à débats contradictoires, nécessitait une circulaire.

Je me suis rapidement rendu à l'évidence qu'aucune synthèse ne serait possible sur ce texte parce que en amont le décret lui-même était loin, voire très loin, de faire l'unanimité.

Mieux vaut dans ces conditions ne pas persévérer, je considère donc ce décret comme nul et non avenu et j'ai demandé à ce qu'un groupe de travail soit réuni dans les meilleurs délais pour me proposer un nouveau texte.

J'espère qu'ainsi nous trouverons une solution qui corresponde mieux aux aspirations de la filière et à la priorité qui doit être donnée à l'installation des jeunes.

Toujours sur ce volet économique, je voulais vous rappeler mes positions sur deux sujets : la baisse du taux de jachère, le développement des bio-carburants.

Dans les deux cas ma position sera très offensive.

Sur la baisse du taux de jachère je me battrai lors du prochain conseil des ministres des 25 et 26 septembre à Bruxelles pour une réduction substantielle des taux de gel ainsi que le rapprochement des taux de gel rotationnels et libres : à mon sens le taux de gel libre doit devenir le taux directeur.

En ce qui concerne le développement des bio-carburants, qui doit intéresser tout particulièrement Elf Aquitaine, le Gouvernement dans son ensemble est totalement mobilisé pour expliquer et défendre le bien-fondé de notre politique nationale aujourd'hui contestée par la Commission.

Notre objectif étant de maintenir notre dispositif national dans l'attente de la directive communautaire.

Nous avons enfin, Madame la présidente, des échéances et un rendez-vous important en fin d'année : il s'agit de la conférence annuelle que le président de la République a décidé de tenir répondant ainsi à la demande des organisations agricoles.

Nous aurons là un temps fort que nous nous devons de saisir pour tracer les grandes perspectives d'avenir de notre agriculture.

Les sujets sont par nature multiples, qu'il s'agisse de la réforme de notre réglementation, notamment dans le domaine fiscal, qu'il s'agisse encore de l'évolution de nos grandes filières de production.

En tout état de cause nous aurons un travail préparatoire important à effectuer ensemble dans les semaines à venir.

Enfin vous soulignez, Madame la présidente, l'importance de l'investissement et du financement pour la compétitivité des entreprises notamment dans cette phase délicate que sont les premières années d'une exploitation.

Je constate sur ce plan une nette reprise de la réalisation des prêts bonifiés puisque l'augmentation se situe à près de 15 % pour l'ensemble de ceux-ci, équivalent à 1,8 MdF supplémentaire.

C'est un signe encourageant de redémarrage dont je me réjouis et qui d'ailleurs est encore plus net pour ce qui concerne la réalisation des prêts d'installation, en augmentation de 35 %.

Est-ce le signe que les jeunes retrouvent de nouveaux motifs à croire en l'avenir, je le souhaite et je le pense ?

Bien entendu, la contrepartie a été un allongement des files d'attente malgré une augmentation de 30 % des enveloppes par rapport à 1994.

Vous avez en différentes occasions attiré mon attention sur cette situation, c'est pourquoi, voulant encourager ce mouvement de reprise, j'ai demandé et j'ai obtenu le déblocage de la réserve et un redéploiement partiel pour abonder cette enveloppe.

Voilà, Madame la présidente, ce que je souhaitais vous dire en conclusion de cette manifestation qui est comme chaque année un grand succès.

Toutes mes félicitations vont donc aux organisateurs et à ceux qui se trouvent aujourd'hui au cœur de la fête et que l'on honore trop peu souvent : les laboureurs.

Bravo à tous les concurrents qui ont donné le meilleur d'eux-mêmes et dont la rectitude et la profondeur du sillon ont déterminé le classement.

Bravo au CDJA de l'Ain, au CNJA et à Elf Aquitaine pour cette organisation sans faille et cette grande journée.