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L’air du temps la remet en doute. Elle est pourtant plus vivante que jamais. La famille, en dépit de bien des turbulences, des séparations, des désunions, reste le ciment de notre société. Famille incertaine ? Peut-être. Famille en mouvement, sûrement. Mais qu’elle soit monoparentale ou pluri conjugale, elle est le lien le plus sûr de la cohérence sociale.
Un lien matériel d’abord. C’est ce que constate votre sondage sur la solidarité financière entre les générations. Ne parlons plus de génération sacrifiée, de génération sinistrée, de guerre des âges.
Au quotidien, la chaîne de solidarité fonctionne.
La solidarité entre les générations passe par la pierre.
Quel réconfort de constater que l’état de grand-père prévaut sur celui de retraité. Cette forte solidarité entre les parents et les enfants bénéficie d’abord aux jeunes qui ont grandi certes dans la paix, mais aussi dans la peur. Peur du chômage, du virus, des déficits en tout genre. Entre jeunes et vieux, les rôles se sont inversés. Les situations aussi. Au sortir de la guerre, il revenait aux enfants d’aider les parents qui, du fait d’une retraite très modique, se trouvaient en grande difficulté financière. Les temps ont changé. Les retraites ont été revalorisées.
Aujourd’hui, ceux qui ont la chance d’être dans la vie professionnelle au-delà de la cinquantième année, ceux qui ont la chance d’atteindre ou d’avoir atteint sans encombre l’âge de la retraite se sentent moins exposés que la jeune génération qui a parfois de grandes difficultés à trouver une insertion professionnelle. D’un côté, la sécurité ; de l’autre, l’incertain et le provisoire. Heureusement, la famille s’adapte, suscitant tout naturellement chez les aînés les gestes de soutien nécessaires aux plus jeunes. Merci à la famille de donner l’exemple de cette nécessaire solidarité entre les générations.
Mais la famille ne doit pas être la seule à entretenir cette solidarité. C’est bien pourquoi le plan actuel de rénovation de la Sécurité sociale sollicite une participation accrue des retraités à l’assurance-maladie. Cette participation permettre la prise en charge de l’allocation autonomie sans imposer un effort trop important aux actifs. Une hausse de cotisations sur les actifs jouerait contre l’emploi, notamment celui des jeunes.
Ce transfert entre générations ne pouvait être envisagé autrefois, car la retraite a été longtemps synonyme de pauvreté. Aujourd’hui, les niveaux de revenus se sont rapprochés. La solidarité collective doit donc s’inspirer des solidarités familiales.
Il faut réduire nos déficits, aussi au nom de la morale
S’il y a urgence à réduire nos déficits, ce n’est pas seulement au nom du budget et de la monnaie, mais au nom de la morale : quand une collectivité vit à crédit en accumulant les dettes, elle accable les jeunes générations.
En créant ces mécanismes inter générations, nous œuvrons au maintien d’une France rassemblée. Mais le mécanisme est une chose. Ce qui compte plus encore, c’est l’esprit. Vive la famille qui maintient un esprit de fraternité entre les âges.
Le point d’ancrage d’une famille est le logement. Il est donc normal que la solidarité inter âges passe par la pierre : achat d’un appartement, prêt, caution… Les parents et grands-parents aident les plus jeunes à se loger. L’immobilier reste le trait d’union entre les générations.
Il est vrai que toute bonne politique familiale exige une politique active du logement. J’ai créé jadis l’aide personnalisée au logement, en veillant à lui donner un profil très familial. Ce fut un amortisseur de crise dont personne ne conteste aujourd’hui le rôle pour les familles nombreuses.
À son tour, la politique familiale rend à la politique du logement ce que celle-ci lui a apporté. La famille s’organise pour transmettre le logement et faciliter l’hébergement des jeunes générations. L’épargne des aînés vient à point nommé pour aider les jeunes à s’installer. La France doit à tout prix poursuivre une politique très active du logement. Car le logement, c’est beaucoup plus qu’un toit, un domicile ou un patrimoine : c’est un lieu de fondation et de consolidation de la famille, un symbole de continuité.
L’épargne des aînés aide les jeunes à s’installer
Ce sondage est réconfortant. Il montre que la solidarité entre parents et enfants, entre grands-parents et petits-enfants reste plus solide que certains ne le disent ou ne le pensent. C’est le signe d’un rejet d’une assistance anonyme organisée par l’État.
Cette philosophie doit inspirer la future prestation autonomie. Dans votre sondage, les jeunes se disent prêts à prendre en charge leurs aînés, soit en les aidant financièrement, soit en les logeant chez eux. Seulement 6 % des personnes interrogées ayant encore leurs parents font confiance à l’État pour leur venir en aide, et 5 % financeraient un hébergement en maison de retraite.
Les jeunes ne mesurent sans doute pas la gravité des situations qu’engendrent la dépendance et la grande dépendance des personnes âgées. Sans doute, s’ils en appréciaient le risque, seraient-ils plus nombreux à accepter la perspective d’un placement en maison de retraite médicalisée ou en long séjour.
Sans doute aussi seraient-ils moins sceptiques sur la nécessité de la solidarité nationale comme relais indispensable des solidarités naturelles, je veux dire familiales. Comment faire face uniquement par la solidarité de la maladie d’Alzheimer qui parfois frappent pendant de nombreuses années une personne âgée ?
Là aussi, la famille maintient l’esprit de solidarité, c’est heureux. Il n’en reste pas moins que les pouvoirs publics ont l’obligation d’organiser une solidarité plus large pour la prise en charge des plus dépendants.
L’obligation alimentaire doit parfois être maintenue
Au moment où nous allons profiler la future prestation autonomie, il n’est pas anormal d’encadrer ce dispositif, en prévoyant l’usage du recours sur succession pour responsabiliser les familles. Il est même permis de se demander si l’obligation alimentaire, c’est-à-dire une règle de participation des familles aux frais, ne doit pas être dans certains cas maintenue. La question reste ouverte.
La famille est la cellule de base de notre société. Au moment où la crise économique et sociale touche un grand nombre de nos concitoyens, où dominent la tentation de l’individualisme et le sentiment du provisoire, la famille reste la valeur d’entraînement. Car nous devons veiller sans cesse à deux autres déficit démographique, puisque la France est tombée à une moyenne de 1,6 naissance par femme en 1994 ; et le déficit de générosité. La famille est essentielle pour maintenir l’esprit qui doit prévaloir dans la société française, un esprit fait de partage et de convivialité spontanée. Elle est le lieu qui permet de respecter les personnalités de chacun en évitant les égoïsmes, d’aider sans assister.
Heureuse synthèse entre les générations que seule une société qui reste fidèle à des valeurs familiales est en mesure de proposer : tant il est vrai que cette fraternité inscrite au fronton de la République s’apprend d’abord au cœur de la famille.