Texte intégral
Le Parisien, 18 décembre 1998
Q - Après le maïs transgénique, l'enfouissement des déchets nucléaires : deux dossiers approuvés par le gouvernement mais rejetés par les Verts. Vous êtes toujours à l'aise dans un gouvernement qui bafoue les convictions vos amis ?
Dominique Voynet. - Je me sens à l'aise. Je sais (et les Verts aussi) que le PS n'est pas antinucléaire. Mais, même si j'appartenais à un gouvernement entièrement composé de Verts, il faudrait bien aujourd'hui régler le problème des déchets. En tant que ministre, ma responsabilité, c'est de faire avancer les dossiers. J'ai obtenu que l'enfouissement des déchets soit réversible, et j'espère qu'un jour on pourra les récupérer lorsque la science permettra de les traiter différemment.
Q - Les Verts vous demandent justement d'user de votre liberté de parole comme vous l'avez fait pour les sans-papiers…
Dominique Voynet. - Avec les Verts, nous avons longtemps vécu dans une position marginale, sans être entendus. Mais, aujourd'hui, le poids des Verts n'est plus à démontrer. Je considère que ma tâche est plus facile, paradoxalement, que celle de bien des ministres de l'environnement qui se sont appliquée à masquer leur misère, et à nier leurs difficultés. Le poids des Verts m'aide, et la sensibilité de l'opinion a évolué, faisant progresser celle des élus. Il n'y a pas de jour où je ne me dise : où es-tu la plus utile, dedans ou en dehors du gouvernement ? Lorsque je perds, en apparence, une bataille, je sais que, en fait, je sème des débats qui aboutiront un jour.
Q - Vous inventez une nouvelle solidarité gouvernementale ?
Dominique Voynet. - Ce n'est pas facile d'être solidaire et de garder sa liberté de ton. Mais je suis convaincue que la fermer n'est pas obligatoirement faire preuve de solidarité. Je pense qu'il y a plus de courage et de crédibilité à se battre plutôt qu'à se taire.
Q - Vous avez récemment déclaré que la France devait revoir à la baisse son programme nucléaire civil comme l'ont décidé les Allemands…
Dominique Voynet. - Je pense que la décision allemande est une décision sage qui s'explique non seulement politiquement, mais aussi en raison de caractéristiques particulières à ce pays. En France, l'électricité produite est à 80 % d'origine nucléaire contre 30 % chez nos voisins. Une sortie brutale du nucléaire n'est pas envisageable, mais une sortie graduée n'a rien d'invraisemblable et nous sera peut-être imposée pour des raisons techniques ou économiques.
Q - C'est à dire ?
Dominique Voynet. - J'attends beaucoup de l'évaluation économique de la filière nucléaire qui vient d'être décidée par le Premier ministre. Cela permettra de réévaluer certaines affirmations unilatérales, jamais vérifiées, concernant l'efficacité économique de la filière, l'indépendance énergétique de la France, le nombre d'emplois dans le secteur. Je suis convaincue que les choix les plus efficaces, les moins dangereux, les moins chers sont les choix en faveur d'une politique de diversification et de maîtrise de l'énergie.
Q - Où en est le programme Eole 2005 d'énergies renouvelables ?
Dominique Voynet. - Le printemps 1999 devrait voir plusieurs projets d'énergie éolienne, notamment en Rhône-Alpes, dans le Pas-de-Calais et en Languedoc-Roussillon.
Q - La loi sur l'air promettait détendre les mesures des polluants aux particules émises par le diesel. Pour quelle raison ne le fait-on toujours pas ?
Dominique Voynet. - La réglementation européenne en la matière, comme pour les dioxines, est en révision. J'ai pensé qu'il était donc inutile d'imposer notre seuil pour devoir les changer dès que Bruxelles imposera les siens.
Q - À quand une deuxième journée sans voitures ?
Dominique Voynet. - En 1999, comme cette année, ce sera le 22 septembre. Il s'agira même d'une journée européenne car plusieurs pays souhaitent s'associer à notre démarche.
Q - Que répondez-vous aux chasseurs qui vous soupçonnent de vouloir que la France soit condamnée dans l'affaire qui nous oppose à Bruxelles sur les dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux ?
Dominique Voynet. - La commissaire européenne à l'environnement a bien précisé que la directive « oiseaux » ne pouvait être modifiée. Je souhaite qu'on trouve une solution à l'amiable, comme chez nos voisins. Croyez-vous que j'ai intérêt à ce que les dossiers traités avec Bruxelles, et pas seulement ceux concernant la nature, soient constamment bloqués par nos problèmes de chasse ? La commission n'a plus confiance en notre capacité de respecter les directives. À sa demande, nous avons demandé au Muséum d'histoire naturelle et à l'Office national de la chasse de rédiger un rapport, mais il était tellement accablant pour les chasseurs qu'il m'a été demandé de ne pas le lui envoyer. Lionel Jospin a demandé à deux groupes de travail parlementaires de proposer des solutions au ministère. J'attends toujours avec impatience leurs propositions.
La Tribune, 23 décembre 1998
La Tribune. - La coalition au pouvoir en Allemagne semble avoir quelques difficultés à abandonner l'énergie nucléaire. Cela vous étonne-t-il ?
Dominique Voynet. - Pas vraiment. Personne, en Allemagne ou ailleurs, n'a jamais imaginé de sortir du nucléaire en 48 heures ! Nous parlons ici d'une industrie et d'investissements très lourds, donc d'inerties très fortes. Il faut notamment penser à la reconversion des personnels qui pourront trouver à s'employer dans le démantèlement des centrales, la surveillance des déchets, ou encore dans d'autres modes de production de l'électricité. Tout cela demande beaucoup de temps, de dialogue social, de discussions avec les industriels du secteur, et une attention toute particulière à apporter aux contrat et aux engagements internationaux. La tâche est ardue, même si elle s'avère plus facile en Allemagne que dans notre pays : une bonne partie du parti social-démocrate est, culturellement, contre le nucléaire.
La Tribune. - En France, Lionel Jospin a récemment arbitré en votre défaveur sur le dossier des déchets radioactifs. De quelle façon allez-vous désormais exprimer votre opposition au nucléaire ?
Dominique Voynet. - Je considère que j'ai pu me faire entendre sur quelques points particulièrement opaques de ce dossier : sur le type de déchets, le type de stockage, la profondeur d'enfouissement, etc. Certaines de mes préoccupations ont été respectées : par exemple, il a été dit clairement que l'on n'est pas en train de qualifier les sites mais, au contraire, d'accumuler des connaissances sur le stockage. Pour cela, il est important qu'il y ait eu deux sites choisis, et non pas un seul, qui aurait été transformée à coup sûr en poubelle nucléaire. Je souhaite que l'on réaffirme la nécessité de préserver la réversibilité du stockage, d'où l'intérêt de l'expérimentation en site de sub-surface. Je rappellerai enfin que la décision définitive, en la matière, devra être prise en 2006.
La Tribune. - La discussion sur le nucléaire est-elle close, du moins pour l'instant, au sein du gouvernement ?
Dominique Voynet. - Dans les prochaines semaines, je souhaite au contraire voir clarifier la question du comportement de l'Andra (1) sur le terrain. Je considère que seules les qualités objectives des sites doivent être évaluées. La pratique qui consiste à acheter le consentement des populations par des distributions massives d'argent public brouille la donne. Il y a eu distribution de 60 millions de francs pendant 15 ans sur un seul site : soit c'est pour accumuler des connaissances géologiques et c'est beaucoup trop, soit c'est pour faire accepter l'idée que l'avenir du site sera mononucléaire, et c'est indécent. En règle générale, je dis oui à des actions d'accompagnement pour les lieux où se trouvent les laboratoires, mais non à l'arrosage systématique des associations de quartiers ou des clubs de boules…
La Tribune. - Qu'espérez-vous de la création d'une autorité indépendante en matière de nucléaire ?
Dominique Voynet. - On a entendu tout et n'importe quoi sur le sujet… il s'agit précisément de garantir l'indépendance par rapport aux exploitants du nucléaire. Donc de créer une petite structure composée deux personnalités indépendantes chargée d'assurer la rigueur du contrôle, la transparence et la qualité de l'information sur le nucléaire. Un profil d'ingénieur des mines est peu souhaitable, il faudrait préférer des personnes capables de prendre de la hauteur par rapport au sujet. Les ministres de l'industrie, de l'économie, de la santé, de la recherche et de l'environnement nommeront chacun un « Sage », ce qui garantit un certain pluralisme.
La Tribune. - Quels seront les liens de cet autorité avec les structures de contrôle déjà en place ?
Dominique Voynet. - Pour que le système marche, il faudra que cette instance indépendante puisse exercer son autorité sur la direction de la sûreté des installations nucléaires, qu'elle puisse également donner son avis et enrichir le travail du conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaire. Prenez l'information locale sur les lieux des sites nucléaires dont s'occupe ce dernier organisme. Dans certains endroits, les exploitants jouent le jeu. Dans d'autres, il arrive qu'un directeur de centrale ne réponde pas aux questions des associations. La nouvelle autorité a vocation à assurer le bon fonctionnement des commissions locales d'information.
La Tribune. - Comment communiquer le plus honnêtement possible sur ce sujet controversé ?
Dominique Voynet. - Je dois reconnaître que des progrès ont été accomplis en la matière. La revue de la direction de la sûreté nucléaire, par exemple, est ouverte aux comités d'habitants, voir aux antinucléaires. Mais il n'y a pas de lieu où il y ait une réflexion sur la façon dont l'information est donnée. Nous avons soi les placards de publicité (par forcément désinformateurs) d'EDF ou de la Cogema, soit des informations extrêmement techniques, inaccessibles aux profanes. La tendance des ingénieurs du nucléaire est de considérer que ce sujet ne regarde pas le grand public ou de penser que c'est trop compliqué à expliquer. Mais ni les députés, ni les sénateurs, ni les élus locaux, ni la population ne sont censés avoir intégré Polytechnique ou l'École des mines pour comprendre quelque chose à ce qui n'est pas un enjeu technique, mais un enjeu politique et de société.
La Tribune. - Vous sentez-vous en phase avec la société française, en tant qu'opposante au nucléaire ?
Dominique Voynet. - Lorsqu'on demande aux Français ce qu'ils pensent du nucléaire, on s'aperçoit qu'une majorité absolue est réticente. Mais c'est aussi une majorité qui se dit : peut-on faire sans ? Comment pourraient-ils d'ailleurs se poser autrement la question quand, depuis 30 ans, on leur explique que le nucléaire représente l'indépendance énergétique de la France, procure de l'électricité sans restriction aucune et sans avoir à faire d'efforts économie d'énergie. En France, on confond énergie, électricité et nucléaire. Cette confusion est particulièrement à l'oeuvre dans le débat sur l'effet de serre. Les partisans de l'atome nous expliquent qu'il est possible de réduire la part du nucléaire, alors que l'on doit faire des efforts en matière de réduction des gaz à effet de serre. Ils négligent le fait que c'est dans le domaine des transports - et non dans celui de la production électrique - que les émissions de gaz carbonique ont explosé !
La Tribune. - De façon plus générale, considérez-vous avoir les moyens de votre politique en faveur de l'environnement ?
Dominique Voynet. - Je suis en train de réorganiser mon administration en accord avec les nouveaux moyens que j'ai obtenu de Lionel Jospin. Il faut savoir que, depuis des années, le ministère de l'environnement faisait semblant, avec une inadéquation flagrante entre les moyens et les missions. Si nous avons autant de difficultés, par exemple, à transposer en droit national des directives communautaires, c'est simplement parce qu'il n'y a que deux juristes, avenue de Ségur, susceptibles de faire ce travail… Cela ne pouvait plus durer. Nous avons donc vu nos crédits progresser cette année de 15,6 %, permettant de créer 140 emplois à l'administration centrale et quelques centaines d'autres en région. C'est une première étape. Notre budget continuera à progresser à ce rythme, comme j'en ai reçu l'assurance du Premier ministre.
(1) Agence nationale des déchets radioactifs, en charge des questions de stockage.