Déclaration de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, sur la politique de recherche publique et notamment les grandes lignes de la réforme du CNRS, Paris le 30 octobre 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Claude Allègre - Ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie

Texte intégral

Voici les réflexions qui ont guidé ma démarche en matière de recherche.

La dépense de recherche et développement par habitant pour la France est analogue à celle de l’Allemagne fédérale, légèrement inférieure à celle des États-Unis et du Japon et supérieure à celle de la Grande-Bretagne. Pourtant, malgré d’incontestables succès, malgré l’éminence d’un grand nombre d’équipes ou de personnalités scientifiques, la pénétration économique ou internationale de notre recherche n’est pas optimale. Alors que dans certains pays on considère que la recherche est le moteur économique favorisant la relance de l’emploi, alors que la mondialisation interdit de considérer les frontières comme garantes de la propriété intellectuelle, il est normal pour un gouvernement de s’interroger sur les causes de ces insuffisances et les moyens d’y remédier.

Après d’autres, avec d’autres, nous avons fait les remarques suivantes :

1. La recherche scientifique française est encore trop séparée du monde universitaire. Le grand défi du siècle qui s’annonce est celui de l’intelligence. Les réponses passent nécessairement par le rapprochement entre les lieux de production du savoir et ceux où ils sont transmis. Aujourd’hui, l’innovation doit être au cœur de la formation des scientifiques, des ingénieurs et des gestionnaires. C’est autour des laboratoires de recherche que doivent s’organiser d’un côté les lieux de transmission du savoir, de l’autre les pépinières d’entreprises innovantes. C’est cette association qui fonde le tissu universitaire et péri-universitaire. Malgré les efforts louables, il en est ainsi du grand nombre de laboratoires associés au CNRS, notre recherche demeure encore trop éloignée des établissements d’enseignement supérieur.

2. Bien que les relations recherche-industrie se soient beaucoup améliorées au cours des dernières années, le transfert des découvertes de la recherche vers le secteur productif, et inversement, la prise en compte par la recherche des besoins sociaux, et surtout vers la création d’emplois restent très insuffisants. Le taux de mobilité des chercheurs vers l’industrie est actuellement de moins de un pour mille. Multiplier, par exemple par dix ce taux en incitant l’industrie à en recruter, n’affecterait pas les potentialités des organismes tout en facilitant le transfert de savoir et l’irrigation de l’économie. Les conditions administratives et financières pour permettre de créer des entreprises sont restées trop contraignantes. La qualité des chercheurs est insuffisamment reconnue dans les entreprises qui ne dépensent elles-mêmes que trop peu pour leur recherche.

3. En France, les grands équilibres disciplinaires n’ont pas évolué assez vite par rapport à la rapidité d'avancement des sciences. Les grands équilibres scientifiques établis dans les années 1950 ont été peu modifiés et nous n’avons pas su donner une véritable priorité à des champs tels que les sciences du vivant, les sciences de l'information ou encore les sciences de la planète et de l'environnement alors que l'évolution scientifique le demandait.

4. Le vieillissement de l'appareil de recherche français s'est accentué. Du fait des faibles taux de recrutement à certaines périodes et de la difficulté pour les chercheurs d'aller vers d'autres secteurs, l'âge moyen des chercheurs est élevé (47 ans au CNRS). L'âge auquel les chercheurs peuvent accéder à des responsabilités scientifiques ne cesse de croître. Les jeunes chercheurs attendent trop longtemps avant d'acquérir une réelle autonomie dans notre système de laboratoires souvent trop gros impliquant trop de tâches de gestion ; beaucoup de ces jeunes restent désormais outre-Atlantique, souvent par absence de perspectives de recrutement en France, mais aussi parce que là-bas leurs qualités sont reconnus plus tôt, au sein de petites équipes.

Face à cette situation, que faire ?

Fallait-il organiser un « grand colloque national » pour « chercher ensemble » une réponse à ces difficultés ? Leur ampleur ne le nécessite sans doute pas, ce qui n'exclut pas de trouver des formes plus adaptées de débat.

Fallait-il s'orienter vers une remise en cause globale du système français de chercheurs à plein temps et d'organismes de recherche d’État ? Malgré les avis de certains, nous avons éliminé fermement cette idée.

Nous confirmons que nous sommes attachés à des structures de type EPIC et EPST pour organiser la recherche publique, armature indispensable de notre effort national de recherche. Nous sommes également convaincus qu'il faut maintenir des corps de chercheurs à plein temps. Cela ne signifie pas que tous les chercheurs resteront à plein temps pendant toute leur carrière.

Bref, nous voulons garder la structure générale de la recherche française telle qu'elle est. Ce qui n'exclut pas de la faire évoluer, de l’assouplir, de la rendre plus efficace, de la réformer, de la moderniser pour répondre aux défis qui nous attendent.

Qu'avons-nous déjà fait ?

1. La première action a été de marquer l'intérêt du gouvernement pour la recherche en stoppant la décroissance de ses moyens, en effectuant une forte relance du recrutement des jeunes docteurs (5 000 en 1998 et 5 000 en 1999 dans le secteur public) et en donnant une priorité aux crédits récurrents des formations.

2. La deuxième action a été de réaffirmer clairement le rôle stratégique de l'État dans les définitions des priorités de la recherche et de ses orientations afin que celle-ci féconde l'ensemble des activités sociales. Nous l'avons marqué par des débats à l'intérieur du gouvernement auxquels ont participé l'ensemble des ministres concernés. Un premier CIRST (conseil interministériel de la recherche scientifique et technologique, CIRST) s'est réuni le 15 juillet 1998 et a pris, en se prononçant sur des méthodes et des procédures, un certain nombre de décisions.

3. En particulier, il a décidé la création d'une structure de haut niveau scientifique, qui a pour mission de conseiller le gouvernement : le Conseil national de la science (CNS). Celui-ci, ouvert vers la communauté scientifique européenne et le monde industriel, illustre clairement par sa composition les orientations de notre politique : excellence et ouverture : priorité à la recherche fondamentale mais aussi à la recherche technologique ; quête pour l'accroissement des savoirs mais rôle moteur de la recherche dans la dynamisation économique. Dans le même ordre d'idée de conseil au gouvernement, un conseil pour le nouveau développement des sciences humaines et sociales a été créé.

Le problème est pour l'État d'assurer pleinement son rôle stratégique touchant à la répartition des grandes masses budgétaires entre disciplines ou secteurs de recherche, à la mise en œuvre des interactions et synergies souhaitables ou à la nécessité de combler les lacunes comme les retard pris dans certains domaines. Il ne s'agit pas, bien sûr, de se substituer à l'initiative des chercheurs ou au rôle des conseils et instances scientifiques. Bien au contraire, le succès des réformes implique que chacun, de l'équipe au conseil scientifique, s'investisse plus dans la prospective de son secteur, dans la mise en œuvre de la pluridisciplinarité ou dans l'émergence de nouvelles thématiques.

4. Nous avons également mis en place un certain nombre de comités destinés à coordonner l'action des différents acteurs de recherche :
- comité de coordination des sciences du vivant ;
- comité de recherche technologique ;
- un comité de coordination des sciences de la planète devrait voir le jour sous peu.

L'objectif premier est de décloisonner les recherches des différents organismes en assurant, autour de problématiques, la structuration du milieu par la création de laboratoires mixtes ou de réseaux thématiques ainsi que la collaboration de leurs instances scientifiques.

5. Un second CIRST se réunira avant la fin de l’année 1998, pour fixer les grandes priorités après les avis donnés par le CNS.

Évolution des organismes et du CNRS

Dans ce même esprit, nous avons décidé de conforter les grands organismes de recherche et de modifier les statuts de trois d’entre eux ( CNRS, INSERM, ORSTOM), tout en les faisant évoluer vers une organisation péri-universitaire, une ouverture européenne, une politique en faveur des jeunes, une gestion moderne, la mise en place de structures de transferts plus efficaces. Les autres organismes ne sont pas concernés par cette action, car leur vocation ne nécessite pas ce type d’évolution.

Le CNRS doit rester l'organisme de recherche fondamentale généraliste qu'il est. Il conserve toutes ses missions et les moyens de les mettre en œuvre. En modifiant son statut, le gouvernement réaffirme tout à la fois son attachement à cet organisme (créé ne l'oublions pas par un gouvernement de gauche) et affiche sa volonté de le moderniser pour lui permettre de continuer à jouer pleinement son rôle éminent et central.


Les objectifs de cette réforme, dont nous avons confié la préparation au président du conseil d’administration, Edouard Brézin, entouré de son conseil, sont clairs et simples :

1. Donner au conseil d'administration un véritable pouvoir d'orientation et de contrôle alors qu'il n’est, aujourd’hui, qu'une chambre d’enregistrement.

2. Clarifier les responsabilités au sein de l'équipe de direction comme nous le faisons dans tous les organismes et entreprises publiques. Le président du conseil d'administration est chargé, avec son conseil, de définir la stratégie à long terme. Il représente l'organisme à l’extérieur.

Le directeur général, entouré de directeur scientifiques, est chargé de la mise en place de cette politique et assure la direction de l’organisme.

3. Affirmer le souci d'indépendance et l'ouverture sur l’Europe est sur le monde industriel des instances scientifiques.

Le conseil scientifique, qui doit jouer un rôle central dans le débat scientifique, est ouvert aux scientifiques européens et du monde industriel. Il conseille librement la direction sur l'orientation scientifique en général et sur l'équilibre des disciplines en particulier. Son indépendance est assurée en faisant élire son président et en le faisant délibérer, lorsqu'il le souhaite, hors de la présence de la direction de l’organisme.

4. Le Comité national demeure inchangé quant à ses fonctions et à son mode de désignation. Afin de mieux intégrer la communauté scientifique dans son ensemble, il cherchera à utiliser plus largement la communauté nationale et internationale dans les processus d'évaluation individuels et collectifs. On devra aussi veiller à ce que le découpage du Comité national, quel qu'il soient, ne conduise pas à gêner ou retarder le développement ou l'émergence de nouvelles disciplines situées à la charnière des divisions établies.

5. Cependant certaines pratiques devront évoluer.

L’institut ou le laboratoire restera la structure organisée autour d'une logique scientifique commune. C'est cette structure qui gérera les locaux, le personnel, les infrastructures et organisera l'animation scientifique commune.

Toutefois, afin de permettre une évaluation plus fine de la recherche et l'émergence de l'autonomie des jeunes chercheurs, l'évaluation de l'activité et des projets de recherche devra se faire au niveau des laboratoires lorsqu'ils sont de petites tailles et pour les gros laboratoires ou instituts, au niveau de leurs équipes.

6. Afin de favoriser l'intégration péri-universitaire, les formations seront de type mixte ou associé. Les formations propres actuelles devront, sauf raisons scientifiques ou logistiques précises, évoluer progressivement vers ce statut. Par ailleurs, dans le cas où la création d'une formation propre serait la meilleure solution pour un organisme afin de faire face à ses missions dans un domaine donné, la formation ainsi créée devrait évoluer de la même façon. Les formations associant, outre l’université, d'autres organismes de recherche publics ou privés devront être encouragées.

7. Les procédures assurant la mobilité des chercheurs, l’essaimage et le transfert des découvertes devront être mises en place en utilisant les possibilités de la loi sur l'innovation qui sera soumise au Parlement en janvier 1999.

8. La façon de mettre en œuvre les contrats pluriannuels entre les organismes et l'État renforce le rôle que le gouvernement entend donner aux instances scientifiques ainsi que sa volonté de donner aux organismes une grande responsabilité dans la définition d'une politique de recherche.

La conception précédente des « contrats d’objectifs » consistait en ce que l'État imposait des orientations aux organismes sans engagement financier de sa part. Au contraire, avec le contrat pluriannuel voté par le conseil d'administration après avis du conseil scientifique, chaque organisme élaborera ses propres orientations. En contrepartie, l'État s'engagera à lui assurer un plancher de ressources (emplois et moyens financiers) durant la période du contrat.

Sur les principes, le gouvernement souhaite renforcer le parallélisme des statuts des EPST afin de favoriser les échanges et les coopérations entre eux. En conséquence, il convient d'alléger chacun des statuts des organismes afin qu’y figure principalement leurs missions, leurs moyens d’actions, leur structures ainsi que le rôle et la composition de leurs instances. Les règles de fonctionnement, plus variables suivant les organismes, seront placées dans un règlement intérieur voté par le conseil d’administration. Cette conception laisse aux organismes une marge plus grande de liberté pour effectuer les adaptations qu'ils souhaitent sans avoir recours à chaque fois à des modifications réglementaires interministérielles.

Comme vous pouvez le voir, les nouvelles procédures tentent toutes à dynamiser le débat démocratique (rôle accru du conseil d’administration, indépendance du conseil scientifique, politique pluriannuelle). La transparence des procédures et des centres de décisions en sera renforcée.

Sur la méthode, je reste attaché à la procédure choisie, à savoir une réflexion et des propositions présentées par Édouard Brézin et le conseil d’administration du CNRS. Tout naturellement cette procédure comporte des consultations indispensables en y consacrant le temps nécessaire. Je vous demande donc de prendre contact avec le président du conseil d'administration pour en préciser les modalités.

Je terminerai en encourageant tous ceux et toutes celles qui le souhaitent à faire des propositions pour améliorer notre système de recherche et je les en remercie d’avance.