Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "Le Parisien" du 8 décembre 1995, sur les manifestations contre le plan Juppé sur la Sécurité sociale et la volonté de négociation de FO, intitulé "Le Premier ministre ne mesure pas l'ampleur du mouvement".

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Média : Le Parisien

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Le Parisien : On a encore assisté hier à une grosse mobilisation partout en France. Faut-il considérer cela comme un baroud d’honneur ou au contraire comme une accentuation de la guerre d’usure contre le plan Juppé ?

Marc Blondel : Aucun symptôme ne permet de parler de baroud d’honneur. C’est au contraire le développement d’une action progressive qui, après les services publics, s’ouvre sur le privé. Nous avons des relevés de manifestations, d’actions et de grèves dans ce secteur. Les gens comprennent bien que le plan Juppé aura pour effet de transférer aux ménages les charges des entreprises. Que c’est leur pouvoir d’achat qui en prend un coup. La semaine prochaine je pense qu’il y aura des mouvements encore plus grands. Quand on regarde les manifestations d’hier on se rend compte qu’en province elles sont toutes supérieures à celles de 1968. Ça mérite quand même une petite réflexion.

Le Parisien : La secrétaire générale de la CFDT, Nicole Notat, estime qu’il n’y a plus de raison de faire grève. Que lui répondez-vous ?

Marc Blondel : Sa dernière innovation, pour rentrer dans le débat, a été d’envoyer une lettre à M. Juppé en lui proposant de ramener la discussion de l’éventuel service minimum dans les services publics dans une négociation. Proposer cela en plein milieu d’une grève équivaut à donner un coup de couteau dans le dos de ceux qui la font.

Le Parisien : Que va-t-il selon vous se passer la semaine prochaine ?

Marc Blondel : On va voir comment amplifier le mouvement avec une nouvelle journée d’action mardi puisque M. Juppé ne veut pas comprendre que la seule solution maintenant c’est une négociation globale et à son niveau. S’il persiste à faire éclater les concertations pour répondre à cet engouement populaire qui fait non seulement que la grève est bonne mais qu’elle perdure et reste populaire, c’est qu’il n’aura pas mesuré l’ampleur du mouvement. Ça c’est à ses risques et périls.

Le Parisien : D’éventuelles discussions avec un médiateur ou d’autres ministres seraient, à vos yeux, vouées à l’échec ?

Marc Blondel : Oui car on ne réglera pas le problème de la grève qui est maintenant multidisciplinaire en donnant peu ou prou satisfaction à une partie de ceux qui manifestent. Il faut trouver le moyen de satisfaire tout le monde.

Le Parisien : À travers leur contestation du plan Juppé, les Français ne remettent-ils pas en cause certaines décision européennes prévoyant par exemple d’harmonisation des systèmes de protection sociale ou de retraites ?

Marc Blondel : Il y a, c’est l’évidence, une reprise du débat sur Maastricht qui, je le rappelle, n’a jamais été clarifié. On a simplement dit à l’époque que les plus intelligents étaient pour et ceux qui ne comprenaient rien étaient contre. Si comme M. Juppé le laisse parfois croire, la réforme de la protection sociale est avant tout une des conditions pour satisfaire les convergences économiques, ceux qui sont contre, dans les faits, bousculent les conceptions générales sur le plan économique. Finalement le gouvernement joue aussi un jeu dangereux vis-à-vis de l’idée européenne.

Le Parisien : M. Pasqua vient de reprocher au Premier ministre de gérer la France comme un conseil d’administration. Que cela vous inspire-t-il ?

Marc Blondel : M. Pasqua rappelle opportunément qu’on ne gère pas la société ou la Sécurité sociale comme un ordinateur. Il y a une donnée que les économistes excluent toujours qui est le comportement des hommes. On constate aujourd’hui que les hommes n’acceptent pas la règle des ordinateurs. M. Pasqua a repris cette idée, je crois qu’il a raison.

Le Parisien : Êtes-vous en contact avec le Premier ministre ?

Marc Blondel : Je n’ai pas de contact direct avec lui.

Le Parisien : Et M. Gandois, le président du CNPF ?

Marc Blondel : Oui j’ai des contacts directs avec lui. Nous avons parlé de la grève. Il s’inquiète de savoir si ça va durer. Je lui ai rappelé qu’une grève se terminait toujours par une négociation et que nous ferions mieux de négocier le plus vite possible.

Le Parisien : La poignée de main avec Louis Viannet a-t-elle fait du bruit à FO ?

Marc Blondel : Elle avait un côté un peu particulier dans la mesure où nous étions à la tête de la manifestation du 28, mais sans pour autant être bras dessus bras dessous. Quelques vieux camarades qui ont fait la scission considèrent par exemple que nous abandonnons certains principes. Je crois qu’ils ont tort. Nous nous retrouvons d’accord avec la CGT car elle a compris qu’on était en train de confisquer la Sécurité sociale des salariés. Ça nous permet de faire un bout de chemin ensemble.