Interviews de M. Gilles de Robien, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, dans "La Croix" du 23 novembre, "Libération" et "Le Monde" du 21 décembre 1995, sur les propositions au Parlement sur la réduction du temps de travail.

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Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Libération - Emission la politique de la France dans le monde - La Croix - Le Monde - Libération

Texte intégral

La Croix : 23 novembre 1995

La Croix : Quel est le sens de la proposition de loi sur le temps de travail qui est discutée à l’initiative de l’UDF à l’Assemblée nationale ce jeudi ?

Gilles de Robien : Il s’agit de favoriser, dans une totale liberté pour les chefs d’entreprise et les salariés, le champ des expérimentations en matière de création d’emplois grâce à l’annualisation et à la réduction du temps de travail. Cette proposition de loi s’inscrit dans la filiation de la loi quinquennale pour l’emploi, de Michel Giraud (décembre 1993).

L’article 39 de cette loi instituait à titre expérimental une aide aux entreprises qui concluent un accord d’annualisation-réduction du temps de travail. Mais cette aide était soumise à plusieurs conditions : réduction de la durée du travail d’au moins 15 % (33 h 10), réduction de salaire, embauches dans un délai de six mois égales à 10 % de l’effectif. Sous ces conditions, l’entreprise bénéficiait d’une compensation partielle des charges sociales patronales pendant trois ans : 40 % la première année, 30 % les deux années suivantes.

Notre texte supprime la limitation de durée des exonérations de charges sociales et l’obligation de réduction de salaires. Cette exonération sera portée à 50 % la première année, et 30 % les années suivantes, sans limitation de durée.

La Croix : N’est-ce pas couper l’herbe sous le pied du patronat et des syndicats qui ont signé le 31 octobre un accord sur la question ?

Gilles de Robien : Bien au contraire. Notre proposition se situe dans le cadre de cette négociation. L’accord du 31 octobre était plein de bonnes intentions mais vague. Exemple : une négociation est bloquée chez Goodyear à Amiens précisément parce que les exonérations sont limitées dans la durée. L’entreprise explique qu’elle sera piégée au bout de trois ans. 300 emplois sont en jeu.

Il faut faire sauter ce verrou en rendant les exonérations définitives. Il faut aussi supprimer la baisse obligatoire des salaires, qui heurte certains syndicats. En fait, notre proposition permet aux partenaires sociaux d’avoir plus de souplesse dans leur négociation.

La Croix : Pourtant, FO se déclare opposée à votre initiative.

Gilles de Robien : Ça ne m’étonne pas. FO préfère la prime à l’immobilisme à la prime à l’emploi.

La Croix : Votre initiative est-elle soutenue par le Gouvernement ?

Gilles de Robien : Jacques Barrot n’a pas d’objection sur le fond, mais il aurait voulu présenter lui-même un projet avec fin 1996. Aujourd’hui, il a pour souci que rien ne puisse entraver les négociations en cours. Il a été très vigilant sur ce point. Nous avons travaillé dans le même état d’esprit. Ces négociations ont abouti. Notre démarche n’est en rien antinomique. Je crois que le Gouvernement l’a compris.

Que chacun prenne ses responsabilités. Le Parlement améliore les conditions de création d’emplois. Je n’imagine pas que le ministre du travail se prive de cette chance.


Libération : 21 décembre 1995

Libération : Vous plaidez depuis longtemps pour la réduction du temps de travail. Pourquoi se tourner à nouveau vers cette éventualité ?

Gilles de Robien : Parce que tous les remèdes imaginables pour lutter contre le chômage ont montré leurs limites. À elle seule, la réduction du temps de travail ne sera pas suffisante, mais c’est un outil qu’il faut essayer. Pour réussir, elle doit d’abord être forte, massive, de l’ordre de 10 à 15 % au minimum. Ensuite, il faut mettre en place un système donnant-donnant. L’entreprise qui réduit le temps de travail s’engage à créer des emplois. En contrepartie, elle bénéficie d’une diminution du montant de ses charges sociales, à commencer par le montant de la cotisation chômage. Cette réduction doit être compatible avec la recherche de gains de productivité, mais aussi avec les conditions de travail et de rémunération des salariés. Tout cela doit être discuté branche par branche, filière par filière, quasiment entreprise par entreprise. Enfin, cette réduction massive ne doit pas être brutale pour ne pas alourdir les déficits publics. Il fait baisser franchement la durée hebdomadaire ou annuelle du travail, mais en l’étalant sur plusieurs années.

Libération : Cette réforme nécessitera un véritable changement de mentalités ?

Gilles de Robien : Nous avons besoin d’une révolution culturelle dans la tête des politiques, et dans celle de beaucoup de capitaines d’industrie. Et de beaucoup de pédagogie de la part de ceux qui prêchent dans le désert. Il faut un déblocage culturel chez les responsables politiques, en particulier dans la majorité. La France a des décennies de retard. On n’a guère progressé depuis la Libération. Dès qu’ils gagnent des points de productivité, l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou les Pays-Bas progressent et développent le temps partiel. En France, on se contente de convertir les gains de productivité en salaires ou en dividendes. Et on hérite d’un taux de chômage plus fort.

Libération : Comment expliquez-vous la conversion d’Alain Juppé ?

Gilles de Robien : Tout le monde a le droit d’évoluer. Et je pense que le groupe UDF n’y est pas étranger. Il y a un mois à l’Assemblée, nous avons encore voté une proposition de loi sur ce thème, cosignée par 170 députés de mon groupe. L’UDF pousse la majorité dans ce sens depuis longtemps. Et, aujourd’hui, il ne fait plus dire que ce schéma est de gauche ou de droite. Jacques Chirac, comme Édouard Balladur, avaient effleuré le sujet pendant la campagne électorale à travers la notion de temps choisi. C’était déjà le résultat d’une mission parlementaire que nous avions conduite avec mon collègue du RPR Jean-Yves Chamard il y a un an. Aujourd’hui, tout le monde a vu que la courbe du chômage repartait à la hausse. On n’a plus le choix. Les expérimentations réussies par plusieurs entreprises ont également conduit de nombreux élus à se convertir à la réduction du temps de travail.

Libération : Quels conseils donneriez-vous à Alain Juppé pour ce sommet social ? Quel doit être le rôle de l’État dans la négociation ?

Gilles de Robien : Je n’ai pas de conseil à donner au Premier ministre. Je crois qu’il ne doit surtout pas se laisser enfermer dans les oppositions classiques : flexibilité du travail défendue par le patronat contre réduction collective prônée par les syndicats. Le Gouvernement doit simplement accompagner les négociations. En même temps, il doit avoir présent à l’esprit, sans arrêt, les trois millions de chômeurs qui ne seront pas autour de la table. Le Premier ministre doit se montrer très volontariste sur l’objectif pour permettre aux parties en présence de progresser vers un accord. Ensuite, c’est aux partenaires sociaux de se réunir et de trouver ensemble les moyens d’avancer. Les maîtres mots de ce sommet seront pédagogie et accompagnement de l’État, par opposition à contrainte et autoritarisme.

 

(manque interview dans "Le Monde")