Texte intégral
M. Cotta : Journée difficile, aujourd’hui, avec une grève qui s’annonce suivie et d’autres mouvement sociaux en perspective. Aujourd’hui, c’est la mobilisation des fonctionnaires. Pour vous, est-ce que c’est le réveil d’un certain corporatisme ou vous comprenez quand même leurs inquiétudes ?
Jacques Barrot : Il y a un côté un peu attrape-tout dans la grève d’aujourd’hui : moment d’inquiétude d’expression des peurs, parfois contradictoires. Ce que l’on peut dire c’est que, par exemple, ce n’est pas vraiment le plan Sécurité sociale qui est en cause, c’est plus le fait de craintes, d’inquiétudes qui d’ailleurs me semblent parfois non justifiées. Mais il faudra que le débat, je l’espère, qui va succéder à ce moment d’irritation, permette de dissiper ces malentendus.
M. Cotta : C’est une grande addition d’inquiétudes, il y a d’une côté les étudiants, les cheminots qui craignent leur plan de restructuration, les agents de France Télécom qui ont peur de la privatisation. Est-ce que vraiment il fallait faire tout ça tout ensemble ?
Jacques Barrot : Vous savez, il n’y a pas vraiment d’alternative. Ce pays, si on veut vaincre progressivement le chômage, si on veut avoir une véritable espérance, il faut se mettre en route, la route monte un peu mais il y a un horizon.
M. Cotta : Mais tout de même, est-ce que vous ne craignez pas ces mouvements de grèves, ces mouvements de revendications à répétition. Le 24, aujourd’hui, le 28 FO, le 25 les femmes, le 30 les étudiants, comment allez-vous passer cette semaine ?
Jacques Barrot : Si c’est un temps d’expression de la peur et de l’inquiétude, passe ! Mais si la société française s’enferme dans ses corporatismes, si chacun veut uniquement regarder ses intérêts immédiats sans avoir une vue d’ensemble des problèmes de la société française et de ce que peut donner la solidarité de tous, effectivement il y a du souci à se faire.
M. Cotta : Mais c’est à vous, Gouvernement, peut-être de leur donner ce sens de l’intérêt général qu’apparemment vous avez tant de mal à faire passer ?
Jacques Barrot : Le plan Sécurité sociale s’est inspiré vraiment d’un souci de justice d’équité, de traiter l’ensemble des problèmes, de ne pas laisser dans l’ombre telle ou telle difficulté et je voudrais dire un mot quand même sur le problème des fonctionnaires car il y a vraiment une lecture de ce dispositif qui ne me paraît pas exacte. De quoi s’est-il agit ? De consolider les retraites de la fonction publique et des régimes spéciaux tout en essayant d’introduire une meilleure justice de tous, une meilleure égalité de tous devant la retraite. La méthode retenue par le Gouvernement est une commission de haut niveau qui va écouter les uns et les autres, il n’y aura pas de conclusion prise hâtivement, on ne va pas faire des ajustements ponctuels sans vue d’ensemble.
M. Cotta : Cela veut dire que vous pouvez encore reculer, la commission peut reculer sur les mesures ?
Jacques Barrot : L’esprit veut dire que vous pouvez encore reculer, la commission peut reculer sur les mesures ?
M. Cotta : L’esprit que le Premier ministre a très bien défini, c’est l’esprit d’essayer d’aller au fond des choses, de mettre à plat pour que l’on puisse faire éventuellement des ajustements, mais des ajustements avec une vue d’ensemble.
(...)
M. Cotta : Le Premier ministre a dit, après son plan sur la Sécurité sociale, que s’il y avait deux millions de personnes dans la rue, son gouvernement n’y survivrait pas. Est-ce qu’il n’a pas été un peu imprudent ?
Jacques Barrot : La voie du courage et de la justice implique beaucoup de continuité dans l’effort et je respecte, bien sûr, ceux qui font grève et ceux qui protestent mais je ne cesserai de les appeler au dialogue. Parce qu’on ne résout pas les problèmes de la France uniquement en protestant. Et j’ajoute qu’on ne fait pas revenir la croissance en suscitant partout dans ce pays des foyers de peur.
M. Cotta : Lorsque M. Blondel déclare, comme il l’a fait hier, que Jacques Chirac n’a pas tenu ses engagements sur la Sécurité sociale, qu’est-ce que vous lui répondez ?
Jacques Barrot : Je lui dis non, les craintes exprimées par M. Blondel ne me paraissent pas justifiées, notamment le fait que le Parlement va entrer dans ce système de pilotage plus clair et plus efficace et ne dépossède pas les partenaires sociaux.
M. Cotta : Lui dit que c’est vouloir mettre la Sécurité sociale sous administration judiciaire ?
Jacques Barrot : Non mais je ne vais pas polémiquer ici. Mais je réponds très clairement : nous articulons démocratie politique et démocratie sociale, à chacun son rôle mais l’heure est venue de rendre ces rôles complémentaires pour que ça marche.
M. Cotta : N’êtes-vous pas, en quelque sorte, trahi par les chiffres puisque les observateurs pensent que la croissance se situera autour de 1 % seulement l’année prochain et que l’activité en ce moment est à 0 %. Est-ce que c’est le moment de… ?
Jacques Barrot : Je crois que, si tout à coup les Français se prenaient la main dans la main et faisaient corps, nous obtiendrions mieux que ce que nous promettent les prévisionnistes. Mais si nous nous enfonçons dans nos corporatismes et dans nos peurs, alors oui, il y a beaucoup de choses à redouter.
M. Cotta : Mais tout de même, taxer davantage les Français, est-ce qu’on ne peut pas craindre en ce moment les effets nocifs sur la consommation ?
Jacques Barrot : Mais enfin, le Gouvernement n’est pas responsable de toute la solidarité à crédit, des déficits accumulés ces dernières années. Et même les étudiants, on ne résoudra pas les problèmes en un jour parce que ce sont des adaptations que la France a sans cesse retardées et qui sont inéluctables. J’aimerais bien que, dans ce pays, des voix d’hommes indépendants s’élèvent pour expliquer que ce temps d’adaptation est difficile mais qu’il est indispensable parce qu’il n’y pas d’alternative.
M. Cotta : La réforme fiscale, vous l’aviez annoncée pour le mois de janvier, est-ce que vous pensez, aujourd’hui, que le Gouvernement pourra, dès le mois de janvier, dans quelques jours, après le débat social, embrayer sur le débat fiscal ?
Jacques Barrot : Je crois que le Premier ministre a surtout expliqué qu’elle sera précédée d’un travail de réflexion et de préparation qui est en cours, et puis nous verrons. Il ne s’agit pas, là encore, d’improviser mais il s’agit aussi de ne pas retarder des adaptations dont on sait ensuite qu’elles sont de plus en plus douloureuses, faite de les avoir engagées à temps.
M. Cotta : Il y a un pessimisme quand même des Français. Comment faire reculer ce sentiment de morosité qui a des conséquences graves sur le comportement économique, on vient de la dire ?
Jacques Barrot : C’est de rappeler que les efforts d’aujourd’hui – et je ne cesse de le dire et j’ai le sentiment quand même d’être assez entendu, chaque fois que je me promène en province, comme hier, dans la région du Doubs –, leur expliquer que si chacun fait l’effort de responsabilité nécessaire, en deux ans notre Sécurité sociale retrouvera solidité et vigueur pour résoudre les problèmes sociaux.
M. Cotta : Vous refondez le CDS cette semaine…
Jacques Barrot : On ne peut pas prêcher l’adaptation si on ne commence pas à s’adapter soi-même !
M. Cotta : Force démocrate, c’est le moment ?
Jacques Barrot : C’est le moment en effet d’essayer de pratiquer la politique autrement, d’y mettre probablement une plus grande proximité avec les problèmes de tous les jours et les Français. C’est aussi le moment d’affirmer que la politique doit comprendre cette part d’honnêteté profonde qui rétablira les conditions d’un vrai dialogue en France.