Texte intégral
Le Courrier des Maires : 22 septembre au 5 octobre 1995
Le Courrier : Quel jugement portez-vous sur la présence accrue des collectivités locales en matière universitaire ?
Jean de Boishue : Depuis une dizaine d’années, les collectivités locales investissent beaucoup en matière d’enseignement supérieur. Les politiques de cofinancement ou de contractualisation avec l’État sont devenues une règle très largement répandue. Aujourd’hui, les collectivités s’imposent de plus en plus comme des partenaires incontournables.
Déjà compétentes pour les schémas prévisionnels des formations, les régions constituent la bonne échelle territoriale. Elles doivent discuter avec les autres collectivités. Les villes ont également leur mot à dire. J’ai reçu récemment le président de l’AMF, Jean-Paul Delevoye, qui va mettre en place une équipe sur la question universitaire afin d’exprimer les revendications et les propositions des maires.
Le Courrier : Est-il temps de passer du cofinancement à la coresponsabilité ?
Jean de Boishue : J’ai parlé en effet de coresponsabilité dans le rapport que j’avais remis en 1994 à Édouard Balladur. À l’époque, le terme avait choqué certains qui y voyaient l’idée d’attribuer de nouveaux pouvoirs aux régions. Je parlerai plutôt aujourd’hui de partage de responsabilités. L’association nationale des élus régionaux (Anr) réfléchit à ces questions. Lors de la rencontre, fin juillet, de l’association avec Alain Juppé, les présidents de région ont réclamé l’ouverture d’un débat tout en rappelant leur refus de nouveaux transferts de charges.
Pratiquement terminée, la politique de partenariat, initiée avec Université 2 000, doit se poursuivre. C’est ce qui se passe en ce moment avec les schémas régionaux d’enseignement supérieur qui permettent des discussions entre les partenaires locaux. Le petit tour de France que j’ai effectué au début de l’été m’incite plutôt à l’optimisme. Le bon axe d’entente me semble être entre les régions et les présidents d’universités afin d’obtenir une meilleure cohérence des implantations. Achevés pour août 1996, les schémas vont permettre d’élaborer une carte de l’existant mais aussi de ce qui est à venir. Ils offriront aussi la possibilité aux partenaires locaux d’exprimer leurs souhaits.
Le Courrier : Une clarification des compétences vous paraît-elle nécessaire ?
Jean de Boishue : Sur ce sujet, il ne faut pas se précipiter. Des discussions sont nécessaires pour savoir si on s’oriente dans le cadre d’une décentralisation ou d’une déconcentration, voire les deux. Si une loi apparaît nécessaire, elle consisterait avant tout à pérenniser le travail effectué par les schémas régionaux. Université 2 000 a été un bon système mais qui s’est limité à du cofinancement. Avec un accord passé entre Paris et les élus locaux. L’échelon universitaire intervenait après. À présent, il s’agit de travailler à l’échelon local. La contractualisation est une formule qui sera de plus en plus pratiquée car les universités ont vocation à être de plus en plus autonomes. Je crois beaucoup aux schémas de secteur pour évoluer dans ce sens.
Les collectivités ont plutôt tendance à favoriser les cursus de prestige qui constituent les troisièmes cycles et la recherche. Je vais essayer de les convaincre que le vrai investissement se trouve dans les premiers cycles. Dès que les schémas locaux seront en place, une de mes principales missions sera de plaider cette cause auprès des élus locaux.
Talents : 6 au 19 octobre 1995
Talents : Une question personnelle pour commencer. Vous êtes agrégé de russe et avez enseigné à la Sorbonne au début des années 1970. Pourquoi avez-vous quitté l’enseignement ?
Jean de Boishue : Pour venir ici ! Olivier Guichard, ministre de l’éducation nationale, m’avait appelé à son cabinet. Je suis resté trois ans, puis j’ai suivi Olivier Guichard, si bien que ma carrière universitaire s’est arrêtée.
Talents : L’université d’aujourd’hui est-elle différente de celle que vous avez connue comme enseignant ?
Jean de Boishue : Ce qui a changé, ce sont les préoccupations des étudiants. Avant, le problème, c’était d’entrer dans le supérieur. Aujourd’hui, c’est d’en sortir dans de bonnes conditions. En revanche, l’impression d’une forte croissance des étudiants, a « massification » comme l’on dit maintenant, était déjà sensible.
Talents : On reproche à l’Université de ne pas délivrer de diplômes monnayables sur le marché de l’emploi… Que répondez-vous ?
Jean de Boishue : Je suis peut-être vieux jeu, mais ma conviction est que l’université est un formidable outil de promotion sociale, culturelle, intellectuelle. On me dit que l’outil du savoir doit fonctionner avec l’outil économique. Que ceux qui en ont le secret me montrent la voie. C’est un problème de tout une société. Pour employer une formule chère à une certaine période de la Russie, moi, je ne suis pas chargé du Gosplan, ce comité chargé de la planification en URSS. Pour une raison très simple, c’est que le Gosplan n’a pas marché !
Talents : Alain Juppé a installé mi-septembre une commission sur l’éducation, présidée par Roger Fauroux. Or les rapports et les concertations ont été nombreux au cours des dix dernières années…
Jean de Boishue : Cette commission, c’est l’anti-commission, et c’est pour cela que j’y crois ! En France, les commissions sont faites pour enterrer les sujets et, en général, leurs conclusions n’intéressent que les spécialistes. Or la commission Fauroux est là non pour enterrer le sujet, mais pour le sortir au grand jour. Ensuite, la grande majorité des membres n’est pas spécialiste d’éducation. Or nous autres, qui vivons dans cet univers, tournons beaucoup autour des techniciens, des « qualiticiens » de l’éducation. La liberté de pensée de la commission est très importante. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il y a sur l’avenir de l’université un certain consensus. En privé, des gens de droite ou de gauche l’admettent. Publiquement, bien sûr, le discours est différent… D’où l’intérêt d’une commission libre, qui pourra exprimer ce consensus. Dernier argument, cette commission a choisi de se balader. Je l’ai entendu clairement et je serai le premier provocateur dans cette affaire. J’irai dire sur le terrain « j’espère que la commission viendra chez vous ».
Talents : Y a-t-il un sujet que vous souhaiteriez voir traiter, en dehors de premiers cycles ?
Jean de Boishue : La commission est libre. Ceci étant, la question de l’autonomie de l’université est un chantier à creuser. Je l’ai d’ailleurs signalé à Roger Fauroux ; il en fera ce qu’il veut.
Talents : Autonomie est un mot piégé…
Jean de Boishue : C’est vrai, mais il l’est pour tout le monde ! Pour les universitaires d’abord, qui n’ont pas trop envie que l’autonomie aille contre leur propre confort ; mais aussi pour l’État, qui n’a pas envie de perdre ses prérogatives. La vérité, c’est que l’autonomie a beaucoup avancé. Si je peux faire quelque chose dans cette maison, c’est de donner aux université le maximum de moyens d’autonomie et conserver à l’État son vrai rôle : réguler l’égalité des chances par la qualité des diplômes, des projets et des personnels.
Talents : On parle beaucoup du malaise des premiers cycles. N’est-ce pas un écran de fumée qui masquerait une maladie dont souffrirait l’ensemble de l’université ?
Jean de Boishue : Non ! En premier lieu, je conteste l’idée d’une université malade. Nombre d’université se portent bien et la science française est à un niveau d’excellence incontestable. Ensuite, j’insiste, il faut se concentrer sur les premiers cycles. Pourquoi ? Parce que les étudiants échouent pour des raisons sociales. Ce n’est pas normal que 33 % des étudiants sortent de l’université sans aucun diplôme. Je suis chargé de la déchirure sociale des premiers cycles : je suis convaincu que l’échec se joue pour beaucoup sur des facteurs tels que la condition sociale, la santé, et surtout l’accueil – je le dis d’autant plus volontiers que je suis en train d’enfoncer une porte ouverte : énormément d’université organisent déjà, de leur propre initiative, des accueils. Continuons.
Talents : Qu’en est-il du statut de l’étudiant, dont Jacques Chirac a beaucoup parlé pendant la campagne présidentielle ?
Jean de Boishue : Si je devais résumer l’idée en une phrase, je dirais qu’il faut repenser la place des étudiants dans la société. Quand j’étais étudiant, la société estudiantine était dans la société française. Maintenant, elle est aux avant-postes. Elle ressent plus durement les crises, et elle est devenue un sujet d’opinion – quand on est 2 200 000, on représente beaucoup de familles. Mais il est un peu prématuré de parler en détail de la question du statut de l’étudiant.
Talents : Quand pourra-t-on en reparler ?
Jean de Boishue : Vite, j’espère. Alain Juppé, François Bayrou et moi-même y travaillons sans relâche. Mais nous en parlerons avec les étudiants, bien sûr.
Talents : Quel message souhaiteriez-vous délivrer aux étudiants qui reprennent le chemin des amphis ?
Jean de Boishue : Qu’ils insistent, à leur niveau, pour améliorer la vie participative à l’université. Sinon, l’esprit de solitude vaincra. La vraie autonomie, c’est aussi cela. Cette idée est passée dans l’enseignement primaire et secondaire depuis les années 1970 : je suis maire, et je vois des écoles qui fonctionnent très bien parce que la vie participative s’y organise, d’autres non. La participation, c’est là où recommence la démocratisation, et où s’arrête la massification.
Date : 11 octobre 1995 – 15 h 28 (Script)
Source : France 3
Jean Glavany – PS Hautes-Pyrénées
Monsieur le ministre de l’éducation nationale, vous avez déclaré récemment sur une grande radio, avec cette fierté que nul ne vous conteste, que la rentrée universitaire se passait très bien et que c’était suffisamment rare pour qu’on puisse le souligner publiquement. Malheureusement, autosatisfaction et précipitation sont souvent les mamelles des errements des déclarations de Monsieur Bayrou et donc sont souvent les mamelles de l’imprudence de Monsieur Bayrou. Et depuis quelques jours, les nouvelles se multiplient sur le front de la rentrée universitaire qui sont autant de nouvelles alarmantes. Là, ce sont des occupations de locaux, là ce sont des grèves dans les facultés, là, ce sont des listes d’attente qui s’annoncent, là, c’est un rapport de l’administration même du ministère qui indique que 450 bâtiments universitaires ne répondent pas aux normes de sécurité. C’est pourquoi Monsieur le ministre (brouhaha) vous êtes au Gouvernement depuis deux ans, vous êtes au Gouvernement depuis des années, vous auriez pu remédier à tout cela. C’est pourquoi je me contenterai de poser trois questions au ministre de l’éducation nationale. Première question, êtes-vous prêt à présenter à l’Assemblée nationale un collectif budgétaire pour abonder les crédits de l’enseignement supérieur de sorte qu’ils puissent faire face à cette rentrée universitaire avec de meilleurs moyens et non pas avec la sous-estimation de ces crédits tels qu’ils avaient été préparés par votre prédécesseur ? Deuxième, êtes-vous prêt à engager tout de suite la négociation avec les organisations syndicales étudiants sur le statut social de l’étudiant qui a fait l’objet d’une grande promesse électorale, promesse encore non tenue ? Êtes-vous prêt enfin, et j’en finis, à demander au président du conseil général des Hauts-de-Seine de mettre à disposition de la faculté publique de Nanterre ses luxueux bâtiment de l’université ou du centre Léonard de Vinci pour faire face, justement, au trop-plein de l’université de Paris X Nanterre et à ce gâchis financé sur fonds publics.
Jean de Boishue, secrétaire d’État à l’enseignement supérieur
Monsieur le député. Rien ne m’invite au pessimisme que vous êtes en train d’évoquer et de partager vos inquiétudes et personne n’a poussé de cris de triomphe. Je suis le premier à reconnaître que des difficultés subsistent dans certaines universités, que certaines sections ont parfois des difficultés à la rentrée. Mais je rappelle que globalement cette rentrée se passe dans la parfaite sérénité et qu’il y a en France 90 universités et 3 66 établissements qui rentrent sans bruit. Je voudrais simplement, et je vous remercie de votre question, remercier très simplement ceux qui contribuent à cette rentrée. Je veux parler des syndicats étudiants, des président d’université et des recteurs. Ils permettent en effet de rentrer sous trois signes, sous le signe de l’orientation, cette année, par rapport à l’année dernière, nous avons 19 000 bacheliers de plus, et ces 19 000 bacheliers ont trouvé de la place grâce aux conseils d’orientation qu’on a pu leur donner et la possibilité qu’on a eu de les orienter vers les SPS, BTS et IUT. Et je rappelle que dans ces sections on avait un risque de déficit effectif. La seconde raison de notre satisfaction, c’est que le collectif budgétaire a permis de dégager 30 millions qui a permis, effectivement, de faire face aux besoins urgents, notamment en matière de sections qui avaient du mal à démarrer, et a permis en effet de régler au jour le jour un certain nombre de points tout à fait importants. Dernier point, Monsieur le député, nous nous battons sous le signe aussi de la concertation. Et je rappelle que dans quelques jours commencera une négociation, une discussion, une concertation avec les étudiants sur le statut des étudiants. Monsieur le député, je vous invite à voter le budget que le Gouvernement présentera au Parlement. Dans ce budget, vous verrez que l’enseignement reste une grande priorité de la nation.