Déclaration de M. Denis Kessler, vice-président délégué et président de la Commission économique du MEDEF, sur la nécessaire adaptation des entreprises à la mondialisation avec le passage à l'euro, les nouvelles technologies de l'information et la modernisation de l'Etat, à Strasbourg le 27 octobre 1998, publiée dans "La Revue des entreprises" de novembre 1998.

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Intervenant(s) : 
  • Denis Kessler - Vice-président délégué et président de la Commission économique du MEDEF

Circonstance : Convention nationale du MEDEF (ex-CNPF) à Strasbourg le 27 octobre 1998

Texte intégral

Innovation et nouvelles technologies

La vague technologique n’a cessé d’enfler depuis quinze ans et concerne toutes les entreprises dans toutes leurs fonctions. Comment bénéficier au mieux des nouvelles technologies ? Comment combler notre retard ? Quel rôle pour l’école ?

La France a toujours été présente lors des grandes vagues d'avancées technologiques. A l’origine de nos grandes entreprises, on trouve toujours un inventeur, homme ou femme, qui a voulu développer une technique qu’il maîtrisait. Cela explique nos succès dans les pneumatiques, l’automobile, l’aéronautique, le matériel électrique, la mécanique… Dorénavant, le défi à relever est la maîtrise des nouvelles technologies pour le traitement de l’image, du son, de l’information. Là, tout le monde doit se mobiliser car nous n'avons pas le niveau du leadership auquel nous sommes en droit de prétendre. Nous devons rattraper ce retard et créer aujourd'hui les entreprises qui seront nos grandes entreprises de demain.

Pour cela le chef d'entreprise doit s'impliquer personnellement, être le premier à croire aux nouvelles technologies. L'entrepreneur doit porter le message technologique et convaincre tous ses collaborateurs de l'importance de l’innovation. La technologie concerne tous les secteurs, même des choses très simples. Prenons un crayon. Qui aurait pu penser qu'on puisse encore inventer quoi que ce soit en ce domaine ? Pourtant, on a imaginé un crayon tout en résine. Résultat : on n’abat plus les arbres et ce crayon, très flexible, ne casse pas.

Pour développer l’innovation, les recettes ne manquent pas. Décloisonner la recherche publique qui, aujourd’hui, n'est pas articulée avec le monde de l’entreprise. Ouvrir les laboratoires publics aux petites entreprises pour qu'elles n'aient pas à supporter des coûts d’investissement trop importants pour elles. Créer des technopoles, améliorer le financement de l’innovation. Il est regrettable que le capital-risque en France représente à peu près un centième du déficit de la sécurité sociale cumulé sur trois ans ! Les ressources de la Nation seraient tout de même mieux utilisées si elles étaient orientées vers ceux qui feront l'activité et les emplois de demain que stérilisées dans le financement de nos erreurs passées.

Quant à l’école, nous devons faire en sorte qu’elle soit aussi une école de la technologie, du progrès, de l’avenir. Une école où le secteur productif est reconnu. La façon de présenter l’entreprise dans les manuels scolaires est intolérable. Il faudrait tout de même intégrer le fait que Zola est mort.

International

A quelques semaines de l’entrée dans l’euro, comment les entreprises s’y préparent-elles ? Au-delà de l’Europe, comment abordent-elles la mondialisation ? Quelles solutions pour mieux s’ouvrir au monde ?

Les entreprises françaises ont soutenu le passage à la monnaie unique et ne craignent pas son arrivée. Nous avons été les premiers à dire qu’il fallait que la France fasse ce choix. Ce sont d’ailleurs les entreprises qui ont financé le passage à l’euro. Cinquante-cinq milliards de francs de prélèvements supplémentaires en trois ans ont permis de respecter les critères de Maastricht. Sans cet effort des entreprises c’était impossible. Aujourd’hui, elles doivent directement se préparer à l’euro et notre organisation faire en sorte que toute bénéficient de cette formidable transition. Il ne nous arrivera qu’une fois dans notre vie de changer de monnaie. Les entreprises sont techniquement prêtes mais il faut leur rappeler que l’euro n’est pas qu’un problème technique et comptable. C’est un véritable enjeu stratégique qui suppose une modification de la gamme des produits, des réseaux commerciaux etc. Les entreprises française peuvent en bénéficier si elles le comprennent, si elles intègrent vraiment qu’elles vont avoir accès à un marché de 400 millions d’habitants. Il y aura davantage de concurrence, ce qui obligera à davantage de transparence. Les entreprises savent qu’elles ont intérêt à ce que cela marche. C’est pour elles une chance formidable à condition bien entendu que l’État contribue lui aussi à alléger le coût de ce passage à la monnaie unique.

Au-delà de l’Europe, les entreprises doivent s’ouvrir plus largement au monde. Ce n’est pas parce qu’on constate actuellement un ralentissement que la mondialisation va s’interrompre. Le XXIe siècle sera caractérisé par cet élargissement général des marchés. C’est bon pour tous. Pour les entreprises mais aussi pour les salariés, à condition de capter les poches de croissance qui apparaissent ici et là, à condition d’être mobile, adaptable. C’est déjà vrai en partie et, dans la région Rhône-Alpes, par exemple, 43 % de la production des entreprises est exportée. Mais il faut continuer cette percée. Quantité de suggestions ont été faites : rémunérer en partie les conseillers du commerce extérieur en fonction des résultats obtenus, faciliter le traitement social des expatriés, élargir et simplifier les procédures Coface, permettre aux PME de bénéficier des sources d’information et d’intelligence économique etc. Nos entreprises souhaitent participer non seulement à l’européanisation mais aussi à la mondialisation. Même s’il est plus facile pour une grande entreprise que pour une petite d’aller à l’étranger, toutes peuvent s’entraider pour se développer sur un continent ou dans un pays. Cet effort de solidarité permet de réduire les coûts de prospection.

Liberté d’entreprendre

Pour mieux se développer, à l’étranger comme en France, les entreprises ont également besoin de plus de libertés, d’un environnement national moins contraignant. Comment l’améliorer ? Comment développer la liberté d’entreprendre et la culture d’entreprise en France ?

Les entreprises du secteur concurrentiel ont fait des efforts remarquables pour s'adapter à l’Europe, au monde, à la technologie. En revanche, l'État et le secteur public ont un vrai retard d’adaptation. Cela n’est plus tolérable. Les entreprises ne peuvent éternellement compenser par des gains de productivité le handicap que représente un secteur public en mal d'adaptation et qui refuse de faire des efforts. Il doit lui aussi participer à la compétitivité de la Nation.

« Les entreprises françaises ne peuvent éternellement compenser par des gains de productivité le handicap que représente un secteur public en mal d’adaptation »

La réforme de l’État, toujours différée, doit être mise en place sans plus tarder. Cela concerne les recettes mais aussi les dépenses. L'État doit se donner un programme contraignant de réduction des dépenses de 400 milliards de francs en cinq ans. Cela permettra simplement à La France de rejoindre la moyenne des pays de la zone euro. Il faut également investir plus dans le secteur productif et supprimer totalement la taxe professionnelle qui pèse sur les moyens de production. L'État doit par ailleurs se désengager du secteur concurrentiel et redéfinir son périmètre, se réformer dans sa propre organisation. Sans doute existe-t-il un échelon administratif de trop, nous laissons aux pouvoirs publics le soin de déterminer lequel.

Trois grandes leçons

Au total, les forums de Nantes, Lille et Lyon ont permis de dégager trois grandes leçons.

Micro-solutions. Pour permettre aux entreprises de mieux se développer, innover, investir, exporter… les solutions sont désormais des micro-solutions. La solution du problème du chômage, l'amélioration du niveau de vie des Français, la reprise d'une croissance durable, la résorption de tous les problèmes du passé… tout cela passe par des milliers d’initiatives décentralisées menées par des hommes et des femmes de bonne volonté qui acceptent de prendre des responsabilités. Il n'existe plus de grande solution miracle décidée d'en haut comme les 35 heures, ou tout ce qui consiste à augmenter la dépense publique. Il faut faire confiance aux entreprises pour qu’à leur niveau on débloque petit à petit tous les problèmes sociaux, juridiques, fiscaux de notre société en utilisant la totalité de l'énergie qui existe en France.

Partenariat. Deuxième enseignement, les entreprises ne supportent plus la relation historique d'assujettissement avec les pouvoirs publics. Elles veulent au contraire une situation de partenariat.

Culture. Les années 2000 doivent être celle où la culture de l'entreprise deviendra la culture dominante de notre pays. C'est la tâche fondamentale à laquelle nous devons tous nous atteler. C'est formidable de se dire que nous avons la possibilité d’agir.