Texte intégral
Nous vivons une mutation profonde de notre société.
La mondialisation de l'économie, la réduction des distances. L’accélération du temps, la révolution des technologies de l'information annoncent une transformation sans précédent de notre civilisation.
La civilisation de l'usine fait place à la civilisation du savoir, au moment précis où s'achève à la fois un siècle et un millénaire.
Avec deux guerres mondiales, avec deux idéologies totalitaires, le XXe siècle a été le siècle des États, de la toute-puissance des États. Un siècle dur pour l'homme, où l'homme était parfois peu de choses.
De plus, le modèle industriel, la civilisation de masse ont coupé de leurs racines, de leurs valeurs, des millions d'hommes et de femmes. Aujourd'hui, un urbanisme inhumain, un environnement parfois mutilé en portent encore la marque.
Progressivement nous sommes passés d'une confiance dans l'homme à une confiance dans l'État, et de la confiance dans l'État à une défiance envers l'homme.
Je suis convaincu que le nouveau siècle, la nouvelle civilisation en gestation constituent en fait une profonde et heureuse rupture par rapport au XXe siècle.
Il va nous falloir repenser notre culture, notre conception du pouvoir, de la souveraineté et l’ensemble de nos institutions sociales dans une nouvelle approche fondée sur la confiance retrouvée dans l'homme afin de remettre l'homme au cœur de la société.
Et dans cette œuvre de reconstruction, nous, les libéraux, nous avons beaucoup de choses à dire. Parce que nous sommes les héritiers de l'humanisme libéral.
Oui, nous entendons reprendre aujourd'hui l'idéal d'émancipation de la personne humaine. Son affranchissement de ces mille liens de tutelle qui brident sa liberté, sa responsabilité, sa personnalité et qui font obstacle à la vie.
Parce que, avant d'être une approche économique, le choix libéral est d'abord un choix profondément politique aux dimensions philosophiques, éthiques, juridiques et institutionnelles.
Ce n'est pas le choix de l'économie d'abord, comme on veut trop souvent le faire croire.
Certes, nous croyons à l'efficacité d'une économie de liberté. Elle constitue le meilleur moyen d'assurer la prospérité, la mobilité sociale et le progrès social.
Mais nous ne réduisons pas l'homme à l'économie. Au contraire, nous mettons l'économie au service de l'homme.
Ce n'est pas nous qui réduisons l'économie aux chiffres de la comptabilité publique. Nous n'avons qu'une médiocre confiance dans les agrégats de la comptabilité nationale qui considèrent comme augmentation de la richesse nationale l'augmentation du temps passé dans les embouteillages ou les accidents de voitures, et qui confondent ventes d'armes et ventes de livres.
Nous savons que l'économie c'est avant tout des hommes et des femmes plus ou moins motivés et incités par la culture et les institutions à développer leur initiative et leur créativité et à faire preuve de comportement responsable.
Et dans la défense que nous faisons souvent de l'entreprise, il y a avant tout la défense de l'entrepreneur, de l'innovateur, des créateurs, des hommes et des femmes au travail.
Nous savons que beaucoup de choses qui ne valent rien d'un point de vue marchand, la vertu, l'honneur, les soins prodigués par les mères à leurs enfants, ont cependant une vraie valeur pour l'homme et pour la société.
Voilà pourquoi, la pensée libérale n'est pas un manuel de cuisine économique qui mettrait l'homme au service de ses recettes.
Je tiens à réaffirmer cela précisément au moment où les tourmentes financières de la planète nous rappellent, notamment en Extrême-Orient, que la liberté économique ne peut se passer durablement, pour être efficace, des fondations juridiques et politiques d'une société libérale.
Et je le fais d'autant plus que nos adversaires qui ont été forcés d'accepter les contraintes de l'économie de marché, de reconnaître sa supériorité sur l'économie dirigée, voudraient aujourd'hui contenir la force de nos idées au seul domaine économique de façon à préserver le statu quo social et politique.
Donc, pas question de nous laisser enfermer dans le champ clos de l’économie, alors que le libéralisme économique n'est plus aujourd'hui vraiment un signe distinctif en Europe ou dans le monde, et que les libéraux ont bien d'autres choses à dire. Nous l'avons montré aujourd'hui.
Il y a quelques années, les libéraux ont su entraîner l'opposition tout entière vers le libéralisme économique. Aujourd'hui ils doivent aller plus loin et entraîner l'opposition, et au-delà les Français, vers le libéralisme politique.
Je voudrais aujourd'hui, pour mieux cerner le fil conducteur de notre projet, tenter de définir les quatre traits majeurs du nécessaire libéralisme politique.
1. Ce libéralisme politique, c'est d'abord, une philosophie et une éthique l'éthique de la responsabilité personnelle.
Nous croyons à la supériorité éthique des choix qui proposent d'enrichir la personne humaine en conduisant celle-ci à assurer une part toujours plus grande de responsabilité personnelle.
Nous savons, puisque nous avons aujourd'hui sans aucun doute, plus de liberté qu'à n'importe quelle autre époque de l'histoire de l'humanité, qu'il nous faut plus que jamais apprendre à faire un bon usage de notre liberté.
C'est que la liberté, celle d'agir ou de choisir, n'est rien si elle n'est éclairée par la responsabilité.
Il est vrai qu'après des décennies de tutelle, voire d'assistance, la liberté de choix - choisir sa retraite, sa protection sociale, l'école de ses enfants - peut effrayer et que par facilité ou par habitude, on préfère encore s'en remettre à d'autres, à l'État, à l'autorité, à la loi, au règlement, pour faire le bon choix.
Malheureusement notre pays ne dispose plus à ce jour de la culture, des règles du jeu et des institutions qui correspondent à cette confiance dans l'homme, dans sa liberté et sa responsabilité.
Nous sommes encore dans une période charnière, ou sous le double choc de Mai 1968 et de la mondialisation, le vieux modèle autoritaire et hiérarchique qui dominait notre société craque de toute part, et je dis cela sans regret. Dans le même temps, partout s'ouvrent de nouveaux espaces de liberté. Mais une liberté orpheline encore de la responsabilité.
Tant de beaux. esprits sont venus soit rétrécir à l'excès la notion de responsabilité - « personne n'est responsable, c'est la société qui est responsable de tout » - soit l'agrandir en exagérant la notion de responsabilité - « nous sommes tous collectivement responsables de tout », ce qui revient à peu près au même que de dire que personne n'est responsable.
C'est pourquoi, il est absolument nécessaire, pour déplacer le centre de gravité de notre culture politique, qu'aux côtés des libéraux, de nombreux Français qui, quelles que soient leurs positions sociales, partagent cette culture de la liberté et de la liberté personnelle, s'engagent dans la vie civile et politique.
2. Le deuxième trait du libéralisme politique, c'est aussi des règles du jeu, des institutions modernes qui accompagnent cette confiance dans l'homme, dans sa liberté et sa responsabilité.
À tous les étages de nos institutions et de notre droit, nous privilégions encore l'État, les décisions et les choix collectifs.
Prenez nos grands systèmes bloqués comme l'Éducation ou notre protection sociale. Ne perdons pas notre temps à accuser les médecins, les professeurs, les élèves ou les malades.
Dans un cas comme dans l'autre, ce qui est en cause c'est un système qui ne sait pas favoriser à tous les niveaux des comportements responsables et organiser la responsabilité de chacun.
Il est faux de croire encore que l'on peut diriger de tels mammouths en mettant un contrôleur derrière chaque médecin ou chaque ordonnance, un syndicat ou un bureaucrate parisien derrière chaque établissement ou chaque nomination de professeurs.
C'est pourquoi, dans notre projet, nous faisons les choix de la décentralisation et de l'autonomie pour retrouver des mécanismes de responsabilité, indépendance pour les universités, responsabilité des entreprises dont la formation professionnelle, autonomie des caisses d'assurance maladie et la liberté de choix pour les assurés...
Je suis d’ailleurs convaincu que le projet libéral constitue une révolution aux deux sens de ce mot à la fois le bouleversement des valeurs et d'un ordre social existant, et aussi la rotation autour d'un axe.
Nous avons une société, une politique, des institutions, une culture même, qui procède de l'État.
Il nous faut inverser le sens du mouvement et repartir de l'homme.
Formidable tâche de reconstruction pour le libéralisme politique.
C'est pourquoi par nos choix, nous voulons favoriser le gouvernement local, réformer l'État, réduire la part de nos dépenses publiques dans la richesse nationale, déplacer la frontière entre la dépense privée et la dépense publique, c'est-à-dire la frontière de la responsabilité personnelle, c’est-à-dire faire le choix d'un peu plus de feuilles de paie et donc un peu moins de feuilles d’impôt ou d’allocation…
Nous proposons de reconstruire un État de droit et non de passe-droit, où la loi est la même pour tous avec justice sereine qui fait que les bons citoyens sont tranquilles et que les mauvais ne le sont pas. Un État respecté car un État respectable.
3. Le troisième trait du libéralisme politique, c'est l'exigence sociale de la protection des plus faibles
L'histoire nous apprend d'ailleurs, ou plus exactement devrait nous apprendre, que la pensée libérale apparaît avec l'exigence de protéger les faibles contre les puissants, avec l'affirmation des droits de la personne contre les excès du pouvoir, la protection du droit de la minorité contre les tyrannies possibles de la majorité. Et que cette pensée libérale est à l'origine même de l'idée des Droits de l'homme.
L'histoire nous apprend aussi, ou plus exactement devrait nous apprendre, que les libéraux ont défendu dès l'origine dans un même mouvement, et les libertés économiques et le besoin de sécurités sociales.
Beaucoup sont surpris lorsqu'on leur dit que ce sont les libéraux qui ont pensé, créé, initié à la fin du siècle dernier et au début de ce siècle, toutes les grandes institutions telles que, l'assurance maladie, l'assurance chômage, l'assurance vieillesse, et qu'ils sont aussi à l'origine de la liberté syndicale, des bourses du travail ou encore de la politique contractuelle. Aussi, quand l'État Providence est en panne, quand il nous faut explorer d'autres chemins, il est normal que les libéraux sachent apporter là encore des réponses au besoin de justice et de protection sociale.
C'est pourquoi nous avons proposé de remettre radicalement en cause les structures, les mécanismes même de l'État-Providence pour rompre avec la logique de l'inactivité.
Nous refusons d'enfermer des familles entières dans la dépendance et la pauvreté au risque d'une déstructuration familiale dangereuse et d'une transmission d'une culture d'assistance, de générations en générations.
Nous proposons une activité minimum rémunérée pour, chaque fois qu'on le peut, transformer les revenus d'assistance en revenus d'activité.
Un revenu minimum garanti par un complément sur la feuille de paie.
Le sauvetage de nos retraites par la création de fonds de pension.
Le sauvetage de notre assurance-maladie par l'autonomie des caisses, la concurrence, et la liberté de choix des assurés.
Nous voulons reconstruire une école qui donne à chacun sa chance, toute sa chance, en faisant bouger l'Éducation nationale, par la décentralisation, l'autonomie des établissements, par l'indépendance des universités, une vraie liberté d'initiative aux chefs d'établissements et aux enseignants, une vraie liberté de choix aux parents et aux étudiants.
4. Quatrième trait : le libéralisme politique cherche le rassemblement, la concorde et non la division.
Promouvoir un libéralisme politique c’est chercher à unir et réunir les Français. Certes la France est unique. Et elle est sûrement porteuse d'un destin singulier. Mais les Français sont pluriels.
Il s'agit de faire vivre ensemble des Français différents, ayant chacun son propre projet de société et de bonheur.
Le temps n'est plus à ceux qui prétendaient dire aux Français comment ils devaient vivre, et faire à leur place les choix essentiels.
Notre démarche est plus modeste, ou, peut être plus ambitieuse : permettre l'harmonie, la coexistence pacifique des projets de vie de tous les Français.
Aujourd'hui les intellectuels de gauche découvrent les valeurs dites « de droite », des valeurs qu'à mes yeux on avait eu tort d'oublier et même de dénigrer: la défense de la loi et de l'autorité, de l'ordre et de la morale, l'ordre, la discipline à l'école et le civisme.
Mais il existe aussi des valeurs que l’on dit abusivement, selon moi, « de gauche », la générosité, la fraternité, la solidarité ; elles sont tout aussi indispensables à l'équilibre d'une société et à une vie en commun.
Le projet des libéraux, c'est celui qui additionne ces valeurs et non celui qui oppose artificiellement les unes aux autres.
Pour nous, le vrai clivage aujourd'hui - et encore plus demain - c'est celui qui oppose ceux qui font d'abord confiance à l'État à ceux qui font d'abord confiance en l'homme ; c'est celui des anciens et des modernes.
Le projet des libéraux aujourd'hui, c'est sans doute, le seul projet qui peut permettre à notre société de réussir notre entrée dans le prochain siècle, celui qui peut permettre à la jeunesse de vivre toutes les chances de ces nouveaux espaces de liberté et de responsabilité, les exaltantes perspectives que leur offre le prochain monde.
Permettez-moi pour conclure de citer cette phrase de Saint-Exupéry : « L'avenir, tu n'as pas à le prévoir. Tu as à le permettre. »