Texte intégral
Date : 28 mai 1997
Source : La Montagne
La Montagne : Le 7 mai dernier, vous aviez accueilli avec beaucoup de réserve la dissolution de l’Assemblée nationale. Pressentiez-vous alors ce résultat du premier tour des élections législatives ?
Valéry Giscard d’Estaing : Lorsque le président Chirac m’a demandé mon avis, je lui ai demandé de prendre en compte le mécontentement visible des Français par rapport à la manière dont ils étaient gouvernés. Dès lors qu’on leur donnait la parole, je pensais qu’ils exprimeraient ce mécontentement et qu’on aurait donc une élection difficile.
La Montagne : Le vote des Français exprimé dimanche sanctionne la politique du gouvernement d’Alain Juppé. Met-il en cause l’alliance RPR-UDF ?
Valéry Giscard d’Estaing : Il faut essayer d’être juste. L’opinion publique a toujours tendance à imputer l’échec aux personnes plus qu’aux circonstances ; la réalité est souvent différente.
Les circonstances dans lesquelles le Gouvernement a travaillé depuis deux ans étaient particulièrement difficiles, puisqu’il devait faire face à une addition de déficits massifs dans le budget de l’État, les régimes sociaux et les entreprises publiques alors que, dans le même temps, l’économie française était en stagnation. Alain Juppé a accompli des efforts courageux dans la bonne direction, c’est une justice élémentaire que de le reconnaître.
Quant à l’alliance RPR-UDF, elle n’est pas mise en cause dans le résultat des élections. Mon seul regret est que l’UDF n’ait pas été à même, dans la période récente, d’affirmer plus fortement son identité, et d’occuper ainsi le terrain politique du centre.
La Montagne : Pouvez-vous définir, aujourd’hui, l’initiative politique qui est nécessaire pour engager la stratégie de forte croissance que vous appelez de vos vœux ?
Valéry Giscard d’Estaing : C’est une question de gouvernement qui suppose un examen préalable de l’état des lieux et des marges d’action. Je pense que, depuis 1992, la France s’est laissée enfermer dans une contradiction qui lui a coûté cher : celle de la volonté de réussir l’Union monétaire de l’Europe – ce qui est tout à fait légitime – et celle d’en tirer les conséquences en suivant obstinément l’itinéraire tracé par les experts monétaires de Bruxelles et de Francfort. Le résultat est que nous avons conservé, pendant quatre ans, un taux de change anormal qui nous a coûté au minimum un demi-point de croissance par an, et que nous avons suivi une politique budgétaire exclusivement dictée par une interprétation inexacte des critères de Maastricht. Il faut sortir de cette contradiction.
La France doit être présente au rendez-vous monétaire de l’Europe de Maastricht en avril 1998, dans des conditions qui ne prêtent à aucune contestation ; jusque-là, elle est libre de choisir son itinéraire de croissance. J’estime indispensable de mettre en œuvre une stratégie économique nouvelle, faisant appel à l’ensemble des moyens de la politique fiscale, budgétaire et de crédit pour, installer l’économie française sur une trajectoire de plus forte croissance.
L’essentiel de cette politique passe par une réduction des charges fiscales et sociales, même de manière sélective, c’est-à-dire, en prenant exclusivement en compte leur impact sur l’activité économique et sur l’emploi.
La Montagne : Que pensez-vous d’une éventuelle cohabitation ?
Valéry Giscard d’Estaing : Une cohabitation qui interviendrait demain aurait un caractère très différent des deux précédentes ; celles-ci étaient des cohabitions de transition dont la durée était limitée à deux ans. Si nous entrions dans une nouvelle cohabitation, ce serait, en principe, pour cinq ans. On voit bien que notre système institutionnel en serait complètement perverti.
On peut prévoir aussi qu’une situation de cette nature n’étant pas durable, les deux parties en présence chercheraient à tout instant à se maintenir en position de force vis-à-vis de leurs initiatives respectives : le Président de la République guetterait le moment favorable pour prononcer une nouvelle dissolution, et le Gouvernement en place chercherait à se maintenir en position de force pour l’éviter… D’où une situation de conflit permanente.
La Montagne : Avant le premier tour, vous avez déclaré à La Montagne, qu’une victoire de l’opposition signifierait le renoncement à l’union monétaire. Pourtant, le Parti socialiste ne la remet pas en question ?
Valéry Giscard d’Estaing : Je maintiens mon affirmation : la victoire de l’opposition PS-PC est incompatible avec l’entrée en vigueur de l’union monétaire.
Le programme de l’opposition comporte, en effet, l’annonce de créations d’emplois financées sur les fonds publics et donc un engagement à accroître nos déficits.
La Parti communiste, dont la présence serait indispensable à la nouvelle majorité, répète à qui veut l’entendre son opposition à l’union monétaire ! Comment, dans ces conditions, prendre les décisions indispensables à son entrée en vigueur ?
La Montagne : Quel sentiment vous inspire la sensible progression du Front national ?
Valéry Giscard d’Estaing : Je ne parlerai pas, dans cette élection, de la situation des partis politiques. Mais je voudrais exprimer une véritable angoisse. Pour la première fois, dans cette campagne, y compris en Auvergne, j’ai senti monter le danger de véritables situations de violence. Nombreux ont été mes interlocuteurs, venant de quartiers dans lesquels le taux d’immigration est particulièrement élevé, qui m’ont exprimé le caractère inacceptable des conditions de vie qui étaient les leurs et, surtout celles de leur famille. Tous m’ont dit que nous devions nous attendre, à un moment ou à un autre, à un véritable danger d’explosion. J’ai aperçu dans leurs yeux une expression d’angoisse et de désespoir qui m’a conduit à penser qu’il fallait changer notre perception de ces problèmes, et aller beaucoup plus loin dans la recherche d’une solution.
La Montagne : Quelle campagne doit mener la majorité sortante pour espérer l’emporter dimanche ?
Valéry Giscard d’Estaing : Dans la société médiatique où nous vivons, il me semble que les gens parlent beaucoup pour dire peu de choses ! Il faut inverser cette tendance : parler moins et dire plus : et, donc, dire des choses qui donnent à ceux qui les entendent la conviction qu’on va répondre à leur attente. L’attente dominante étant celle de la création d’emplois.
La majorité doit annoncer que son programme a pour objet de donner du travail à tous les Français. Pour crédibiliser sa démarche, il faut indiquer que la solution concrète sera la mise en œuvre immédiate d’allègements des charges fiscales et sociales, notamment sur les bas salaires.
Il faut se fixer l’objectif d’atteindre une croissance plus forte d’ici à la fin de cette année, et de recommencer à créer des emplois.
C’est le seul sujet sur lequel on peut mobiliser l’attente et l’espérance des Français.
Date : Mercredi 28 mai 1997
Source : France 2/Édition du soir
D. Bilalian : Un tandem Séguin-Madelin, est-ce que ce serait un bon ticket pour la majorité sortante en cas de victoire ?
V. Giscard d’Estaing : Je ne suis pas venu vous parler de cela. Cette campagne, moi je la regarde, je l’écoute, je la suis, elle est intéressante, mais enfin elle est un peu politicienne, et elle est assez confuse.
D. Bilalian : Une majorité sans leader politique c’est un peu délicat...
V. Giscard d’Estaing : Non, on verra bien. Ça, c’est au lendemain de dimanche. Actuellement, la question n’est pas celle-là. J’ai dit il y a quelques semaines, qu’il y avait en fait trois options pour les Français : il y avait, soit continuer comme avant, cette option a été écartée dimanche dernier. Soit changer de majorité pour revenir au socialisme. Soit au contraire garder la majorité pour gouverner autrement. Et puis cette dernière formule a été retenue par la suite.
A. Chabot : Gouverner autrement, M. le président, on a pu comprendre dimanche dernier que les Français ont dit d’accord, mais gouverner par la gauche.
V. Giscard d’Estaing : Justement, je dis bien, la troisième option c’est garder la majorité, garder la majorité, mais gouverner autrement. Alors garder la majorité pourquoi ? Pour deux raisons. D’abord, parce que ce sont les Français qui l’ont installée. La majorité actuelle elle n’est pas tombée du ciel, c’est pas une majorité de députés contre des députés. C’est le vote massif des Français il y a quatre ans, après 12 ans d’expérience de socialisme vécu. C’est eux qui ont voté et ils ont chassé, écarté, les socialistes du pouvoir. Est-ce que vraiment l’image du sérieux de notre jugement politique, de la stabilité de notre ligne politique est compatible avec le fait qu’à quatre ans d’intervalle, tirant la leçon d’expérience, on écarte une majorité pour ensuite...
D. Bilalian : Mais s’ils sont déçus ?
V. Giscard d’Estaing : Justement. Donc sur ce point, il faut que les Français restent tout de même cohérents avec ce qu’ils ont jugé eux-mêmes. Et puis il y a quatre raisons, à mon avis, importantes pour souhaiter que les socialistes ne reviennent pas au pouvoir. Première raison très simple : c’est que les Français continuent à l’heure actuelle de payer encore les déficits et les dettes laissés par les socialistes. Et alors est-ce qu’on va recommencer à creuser les déficits, à faire monter la dette ? La deuxième raison, c’est que c’est vrai que les socialistes ont évolué il ne faut pas non plus simplifier, caricaturer mais ils indiquent toujours des solutions qui vont dans le mauvais chemin, dans la mauvaise direction. Prenez ce qu’ils disent pour l’emploi par exemple, vous savez que l’idée centrale pour l’emploi c’est de dire : en quelques années, on va réduire le temps de travail de 39 heures à 35 heures à salaire constant. Autrement dit, on travaillera moins pour le même prix. Et on pense que c’est un remède pour le chômage ! Moi, je dis à nos compatriotes : faites une petite expérience d’ici dimanche. Aller voir un des artisans de votre quartier et dites-lui, j’aimerais bien que vous m’embauchiez pour travailler moins pour le même prix. Et vous verrez l’accueil qu’il vous fera. Il vous dira : mais vous vous moquez de moi ! Ça n’est pas possible. Or ce qui n’est pas possible sur le plan du détail, n’est pas possible sur le plan national. La solution n’est pas du tout dans cette direction. Troisième raison pour ne pas faire revenir les socialistes au pouvoir, c’est que les communistes leur seront nécessaires dans leur majorité, et le PC veillera au grain, en particulier d’abord pour faire capoter l’union monétaire. Et puis, il y a une dernière raison qui me paraît tellement évidente d’ailleurs, elle revient un peu dans les réunions et les discussions c’est que si cela se produit, il y aura une cohabitation. Mais ce ne serait pas une cohabitation pour deux ans comme on l’a connue, c’est-à-dire, dans l’attente d’une élection prochaine, ça serait en théorie une cohabitation pour cinq ans.
D. Bilalian : M. Jospin dit que ça se passera mieux sur cinq ans que sur deux ans.
V. Giscard d’Estaing : Alors ça veut dire que c’est la destruction des institutions de la Ve République. Et les Français, qui sont quand même des gens de bon sens, si on leur dit qu’ils vont se préparer aux temps modernes avec deux pouvoirs antagonistes à la tête, deux pouvoirs qui se combattent pendant cinq ans et qui se surveillent mutuellement, c’est la destruction des institutions de la Ve République. Il y aura peut-être toujours les commémorations, mais il faudra dire adieu à l’héritage politique du général de Gaulle.
A. Chabot : Hier, le Président de la République est intervenu, a-t-il trouvé les mots justes pour remobiliser la majorité ?
V. Giscard d’Estaing : Je crois qu’il a entendu très simplement une partie du message des Français. Il a entendu la partie du message qui est de dire : gouverner autrement, c’est-à-dire, avec une autre méthode, une autre approche, une autre relation...
A. Chabot : Et une autre équipe ?
V. Giscard d’Estaing : Donc, de ce fait une équipe, et il l’a dit. Mais il y a un autre message. C’est que les Français sont mécontents de leur situation économique et sociale. Et donc, il n’y a pas que la manière de gouverner, il y a aussi les objectifs de gouvernement. L’objectif central à donner d’ici dimanche, c’est de dire : nous voulons donner du travail à tous les Français. Et il faut qu’il y ait derrière une logique crédible. C’est un engagement qu’on peut tenir si nous décidons de ré-épouser la croissance. Ça fait cinq ans que la France a divorcé avec la croissance. Elle a divorcé en 1992.
D. Bilalian : Et ça se décide ça ?
V. Giscard d’Estaing : Ça se décide parce que ça a été préparé. Il faut dire que le Gouvernement sortant a fait du travail dans cette direction. Il y a des signes, et il y a des mesures qu’on peut prendre. Et moi, je suggère que le prochain gouvernement donne rendez-vous à la croissance pour le 1er juillet prochain. C’est-à-dire, qu’ils viennent devant la nouvelle assemblée avec un programme qui, naturellement prendra acte du travail accompli, mais qui sera complété par un certain nombre de mesures fiscales et sociales simples qui auront comme unique objet de soutenir la croissance et donner comme objectif 3 % de croissance d’ici la fin de l’année, c’est-à-dire, la reprise des créations d’emplois en France. Je crois que si on change à la fois la méthode de gouvernement mais ça a été pratiquement décidé et les objectifs de gouvernement, en disant qu’on a un objectif simple qui est de donner du travail à tous les Français et pour cela un pacte avec la croissance, on repart le 1er juillet prochain.
D. Bilalian : Est-ce que ça veut dire que le Président de la République doit intervenir une nouvelle fois d’ici la fin de la campagne ?
V. Giscard d’Estaing : Non, je ne crois pas. Je crois qu’il a parlé comme Président de la République, et il a en effet parlé des grands enjeux. Mais il y a les enjeux mais aussi les solutions. Et moi, je crois qu’il faut maintenant parler aux Français très simplement des solutions. Et puis, en même temps, leur dire, si vous me le permettez : ne vous trompez pas parce que si vous vous trompez, cela pourrait vous coûter très cher.
Date : Jeudi 29 mai 1997
Source : RTL/Édition du matin
RTL : Vous avez déclaré : « la cohabitation, c’est la destruction des institutions de la Ve République ». Mais pourtant, le Président Chirac a usé d’un ton moins dramatique ?
V. Giscard d’Estaing : Non, d’abord, déjà, l’évolution, depuis 1981, nous a éloignés du grand concept de la Ve République, qui était le concept de stabilité de l’exécutif, puisqu’on a assisté à une rotation rapide et accélérée des Premiers ministres. Mais l’affaire de la cohabitation, si elle se présentait demain, est tout à fait différente. C’est une cohabitation pour cinq ans. Cela veut donc dire que l’équilibre des pouvoirs de la Ve, qui est un président qui préside et qui conduit la vie politique de la France, sera modifié parce que le Premier ministre deviendra le personnage important du paysage politique, et donc vous aurez un autre fonctionnement institutionnel que celui voulu par de Gaulle. Pendant les courtes périodes de transition, on pouvait l’imaginer, pour cinq ans c’est impossible.
RTL : Et pourtant, L. Jospin dit : « précisément, sur une longue durée, ça se passera mieux, parce qu’il n’y aura pas de confrontation entre le président et le Premier ministre, dès lors que le président respectera ce que le peuple a décidé » ?
V. Giscard d’Estaing : C’est cela. Eh bien, c’est très clair. Cela veut dire que le pouvoir sera entre les mains du Premier ministre. Puisque le Premier ministre sera l’émanation, il le dit lui-même, du suffrage populaire, c’est donc lui qui dirigera, et dans la mesure où le président n’y ferait pas obstacle, les choses pourraient continuer. Mais c’est l’inverse de l’institution de la Ve République. La Ve République, c’est un président élu au suffrage universel sans doute d’ailleurs pour une durée trop longue, je le dis depuis très longtemps , donnant l’impulsion, c’est lui qui représente l’impulsion nationale et ce n’est pas le Premier ministre.
RTL : Les Français n’ont pas eu l’air d’avoir peur de la cohabitation...
V. Giscard d’Estaing : Parce qu’il y a une chose qui leur plaît assez, c’est la recherche d’une synthèse qui manque dans notre vie politique, c’est vrai. Et puis, ils l’ont connue pendant une courte période où on attendait une élection prochaine. Là, ce n’est pas du tout la même chose. Nous avons, on le dit, de grandes choses à faire. Nous avons à nous adapter, nous avons à franchir le cap de l’an 2000 et ainsi de suite. On ne peut pas le faire avec, au sommet du pays, deux pouvoirs antagonistes et qui se surveilleront constamment l’un l’autre, puisque l’idée du Président de la République, ce sera d’essayer de trouver le bon moment pour dissoudre l’Assemblée nationale, et l’idée du Premier ministre socialiste, ce sera d’éviter cette situation, ce qui le condamnera à pratiquer une politique électoraliste constante. Donc, impossibilité de grandes réformes, impossibilité de conduire une politique durable.
RTL : Vous avez souhaité, hier soir sur France 2, que la majorité sortante donne rendez-vous à la croissance en prenant des mesures simples et fortes. Mais quelles mesures exactement ?
V. Giscard d’Estaing : Alors d’abord, la majorité sortante, et on le rappelle maintenant, a fait un travail important, utile, ingrat. Elle a créé une espèce de plate-forme pour la croissance. Maintenant, il s’est passé une chose depuis quelques mois, c’est qu’on a corrigé enfin et malgré la résistance, je dois dire, des autorités politiques et monétaires françaises on a corrigé la parité franc-dollar, donc nous avons une des conditions de la croissance qui est réunie. La deuxième condition, c’est le redémarrage de la consommation et de l’investissement, qui s’annonçait à l’heure actuelle, on en voyait les premiers signes, et qu’il faut encourager par des incitations fiscales et sociales. Or, il faut faire cela pour le deuxième semestre. Et le deuxième semestre, il commence quand ? Il commence le 1er juillet. Donc, dès que le Gouvernement serait mis en place, il doit préparer des mesures qui seraient applicables à partir du 1er juillet et qui conforteraient la croissance.
RTL : Par exemple ?
V. Giscard d’Estaing : Alors, quelles mesures ? On ne va pas donner des détails, ça a l’air démagogique. En gros, c’est des allégements de charge. Mais je crois d’abord qu’on peut revenir sur certaines augmentations d’impôt qui se sont révélées non-productives.
RTL : TVA ?
V. Giscard d’Estaing : Par exemple en matière de TVA. On peut aussi prendre un certain nombre de mesures fiscales qui n’ont d’effet qu’à retardement, par exemple sur les transmissions d’entreprise où, vous savez, les pertes sont étalées dans le temps, et on donne un signal qui montre que les transmissions d’entreprises, ou même les transmissions tout court seront moins taxées en France dans la période à venir. Et on peut enfin regrouper dans un allégement simplifié et uniforme l’ensemble des mesures qu’on a commencé à prendre, concernant les cotisations sociales sur les bas salaires. On en a prises, mais elles sont compliquées. Il faut en faire une meure simple, applicable à tous les bas salaires à partir du 1er juillet prochain.
RTL : Donc on peut décider que la politique va mener l’économie ?
V. Giscard d’Estaing : Non. On peut... Enfin, d’abord, la politique a un rôle dans l’économie, mais ça n’est pas une politique étatique, c’est une politique qui crée les conditions d’une croissance qui attend de redémarrer et qui donne des indications fortes pour ouvrir le chemin à cette croissance ou pour la consolider.
RTL : Est-ce que, à travers ce que vous dites, on ne peut pas avoir le sentiment que, finalement, l’orthodoxie monétaire et budgétaire ont moins d’importance qu’elles n’en avaient il y a encore deux ou trois semaines ?
V. Giscard d’Estaing : Non, ce n’est pas cela. Elles ne doivent pas être exclusives. Elles ont pesé d’un poids trop lourd sur les choix de politique économique depuis quatre ans, depuis 1992. Pour simplifier, en matière économique, on a le choix actuellement entre deux attitudes. L’attitude socialiste qui est, en gros, la dépense, et l’attitude de notre majorité qui devrait être la croissance. La dépense est impossible parce que nous n’avons pas de marge, pour une raison simple. Et la croissance, elle est presque au rendez-vous, il faut donc lui donner un signal et l’encourager.
RTL : Mais en encourageant cette croissance, est-ce qu’on ne risque pas de déraper, de ne pas pouvoir respecter les fameux critères de Maastricht et finalement, en arriver à tourner le dos à l’euro ?
V. Giscard d’Estaing : Vous voyez qu’à la fin de cette campagne, finalement, les deux grands sujets contemporains sont, pour nous : le fonctionnement politique de la France, c’est-à-dire les institutions ; et le deuxième grand sujet, c’est l’Union européenne, initiative française depuis l’origine, qui est également en question. Si vous écoutez, sans caricaturer, sans forcer la dose, à travers les déclarations des dirigeants de la coalition socialiste et communiste, l’union monétaire est en réalité irréalisable. Parce que leur programme, même atténué, c’est un programme de dépenses, et donc on repart en direction inverse de la réduction du déficit.
RTL : L. Jospin dit qu’il n’y aura pas de dépenses publiques supplémentaires.
V. Giscard d’Estaing : Oui mais il le dit et en même temps, on dit : « il faudra augmenter les pensions » et les pensions pèsent sur les comptes sociaux, puisque ce n’est pas seulement « dépenses publiques », c’est « dépenses publiques » et « comptes sociaux ». On dit : « il faudra augmenter les bas salaires ». Eh bien, si on augmente les bas salaires, on ne pourra pas ne pas augmenter les bas salaires de la fonction publique ou du secteur public. Donc, les mesures qu’on annonce, et d’ailleurs les mesures qui séduisent les Français, en ne les prenant peut être pas en totalité mais en partie, et si on les prend en partie, ce sont des mesures de dépenses, il n’y a que des mesures de dépenses. À partir de ce moment-là, le signal donné en direction de l’union monétaire est un signal qui, du point de vue de l’opinion publique allemande et du point de vue de nos engagements, d’ailleurs, à nous-mêmes, sont très difficiles à tenir.
RTL : Et avec votre politique, on ne dérape pas ?
V. Giscard d’Estaing : Non, naturellement, il faut faire en sorte qu’on ne dérape pas. C’est une anticipation de la croissance, il faut gérer l’anticipation de la croissance sans dérapage. Il y a des mots. Les communistes ont une position très claire sur l’union monétaire. Ils sont décidés à la faire capoter. Ils le disent. Ils le disent probablement sur vos antennes. Si vous êtes dans un gouvernement qui devrait prendre des mesures difficiles pour respecter les critères de Maastricht et qui a dans sa coalition des éléments déterminés à faire capoter le système, vous n’avez pas de chance d’aboutir. Donc, c’est une très grave échéance pour la France. Parce que si nous échouons dans l’union monétaire, nous vivrons dans une Europe dominée par le deutschemark et ce sera donc, à la fois, l’échec de l’union, et en même temps, pour le prestige et l’influence de la France, un coup sévère.
RTL : Vous avez vu l’équipe Madelin-Séguin hier soir à Chambéry ? Cela ne fait pas équipe de circonstance ?
V. Giscard d’Estaing : Une des choses qui nous a certainement nui dans toute la période récente, c’est cette passion pour les opérations ou les attitudes de caractère personnelles. D’ici dimanche, oublions vraiment les attitudes personnelles. Il faut savoir si les Français vont choisir de revenir au socialisme, dont ils se sont écartés eux-mêmes massivement en 93 après une expérience de douze ans, donc s’ils vont décider d’y revenir ou si, au contraire, ils vont dire à la majorité : « allez-y, on vous garde ».
RTL : Il n’y a pas d’homme providentiel pour la majorité ?
V. Giscard d’Estaing : Il n’y a pas d’homme providentiel, il ne doit pas y en avoir. Il doit y avoir une idée providentielle, c’est de donner du travail aux Français et de revenir à la croissance.
Date : 30 mai 1997
Source : Le Figaro
Les Français, dont beaucoup ont dispersé leurs votes au premier tour, ou se sont abstenus, pour exprimer leur mécontentement ou leurs frustrations, découvrent qu’ils vont peut-être se réveiller lundi matin, avec une majorité rose-rouge, faite d’une coalition socialiste et communiste, celle précisément qu’ils ont écarté du pouvoir, par un vote massif, en 1993, après douze ans d’expérience de sa gestion.
Je voudrais donner ici trois raisons de voter dimanche, et de voter pour notre majorité. Je le ferai en essayant de ne pas caricaturer la réalité, de ne pas peindre tout en noir d’un côté, et tout en blanc de l’autre, et en reconnaissant l’évolution perceptible chez certains nouveaux dirigeants du parti socialiste.
Deux de ces raisons touchent directement les grands sujets qui ont dominé la vie politique française depuis quarante ans, c’est-à-dire, les institutions politiques de notre pays, et la tentative d’union de l’Europe.
La structure politique conçue par le général de Gaulle visait à guérir la France d’un mal chronique, celui do l’instabilité, qui condamnait à l’avance la possibilité de toute action durable. Pour cela, la responsabilité éminente de la conduite du pays était confiée à un Président de la République, élu au suffrage populaire. Or, si l’opposition l’emporte dimanche, nous entrerons dans une cohabitation pour cinq ans, c’est-à-dire, un régime bicéphale, conduit par deux dirigeants antagonistes. Même s’ils se respectent mutuellement, ils seront objectivement des adversaires, car chacun cherchera à l’emporter sur l’autre ! L’opinion, blasée, se console en se disant que cela ne durera pas. C’est vrai, mais on ne pourra sortir de cette situation que par une crise : une nouvelle dissolution, la démission du Président de la République pour faire appel au pays, ou la pression de la nouvelle majorité, assurée du soutien de l’opinion publique, pour abréger la durée du mandat présidentiel. Quelles seraient dans ces conditions les chances de conduire dans le calme et dans un large consensus, les adaptations dont la France a un pressant besoin ?
Quant à l’Europe, la prochaine échéance est celle de l’union monétaire. Il y a longtemps que je répète qu’elle est vitale pour l’avenir de la construction européenne. Si elle réussit, tout reste possible. Si elle échoue, c’est la fin du rêve ! Les dirigeants socialistes s’engagent à réaliser l’union monétaire, mais cette position de principe se heurte à trois « mais » : mais leur programme de gouvernement étant principalement tourné vers la dépense publique, ils n’échapperont pas à l’accroissement du déficit, alors qu’il nous reste à le réduire. Mais leurs partenaires communistes sont décidés à faire capoter l’union monétaire, et ils refuseront leur voix à toutes les mesures nécessaires pour l’atteindre. Mais, enfin, la France risquerait d’entrer dans l’union monétaire en situation de faiblesse économique, c’est-à-dire, de dépendance vis-à-vis de l’Allemagne, ce à quoi je me suis refusé depuis l’origine. Si bien que le succès de l’opposition contient en germe l’échec certain de l’union monétaire.
La troisième raison est positive : celle de donner à la majorité la chance de pouvoir « gouverner autrement », c’est-à-dire, de gouverner avec de nouveaux objectifs. En terme politique cela signifie pour la France de ré-épouser la croissance économique, après un divorce de cinq ans, pour que ses entreprises puissent donner du travail à tous les Français. En terme technique, cela veut dire sortir du triangle infernal : « réduction des déficits, stagnation, chômage » où nous nous sommes laissé enfermer.
Cette sortie est désormais possible, grâce en particulier au travail courageux accompli par Alain Juppé et son équipe depuis deux ans. Un préalable a été également satisfait : la correction du taux de change néfaste du franc par rapport au dollar qui bloquait notre croissance qui a – enfin ! été réalisée. Il faut maintenant engager fortement la croissance économique par des signaux clairs et fermes.
Je suggère que l’on annonce que le prochain gouvernement mettra en application le 1er juillet – début du second semestre par un ensemble de mesures fiscales et sociales exclusivement tournées vers le soutien de la croissance et de l’emploi : le rendez-vous de la croissance. J’en énumère quelques-unes : correction des taux d’impôts trop élevés, dont les conséquences ont été décevantes sur le niveau des recettes fiscales, telles que la TVA ; réduction des droits de transmission sur les PME-PMI, et sur l’habitation principale ; regroupement des mesures partielles déjà prises en une réduction simple et massive des cotisations sociales sur les bas salaires. Et le financement, objecterez-vous ? Il faut mesurer avec soin, et sans les préjugés habituels des administrations financières, l’autofinancement spontané de ces allègements de charges que réaliseront l’accroissement des rentrées fiscales, et la réduction des dépenses liées au traitement administratif du chômage. On peut aussi mettre certains mécanismes d’anticipation, utilisant habilement la baisse acquise des taux d’intérêt. Vis-à-vis de nos partenaires allemands et européens, le langage à tenir est simple : « La France sera présente au rendez-vous de mai 1998, dans le respect des critères de Maastricht. D’ici là, elle choisit l’itinéraire qui répond le mieux aux exigences de la situation. »
De même que les autorités allemandes, pour faire face à leurs difficultés, envisagent de réévaluer le stock d’or de la Bundesbank, de même la France, de son côté, se propose de réévaluer sa croissance !
Voici trois raisons pour aller voter dimanche, trois raisons aussi pour voter pour notre majorité !
Si vous le faites, vous découvrirez au réveil de lundi matin, après les doutes et les interrogations que nous venons de connaître, un sentiment réconfortant, ténu mais tenace, semblable en cela aux semences en train de germer autour de nous, celui de la confiance retrouvée…