Interviews de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, dans "Paris-Match" et "La Lettre de la nation magazine" les 23 et 24 novembre 1995, sur les grandes lignes du plan Juppé de réforme de la protection sociale.

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Média : Paris Match - La Lettre de la Nation Magazine

Texte intégral

Protection sociale : Jacques Barrot en première ligne

"Notre plan rigoureux et équitable doit faire baisser les taux d'intérêt"

Paris-Match : Alain Juppé a opté pour un traitement de choc. Ne craignez-vous pas que les Français se rebiffent et obligent le gouvernement à reculer ?

Jacques Barrot : Il faut passer aux actes. D'abord au nom de la solidarité : elle ne peut pas durer si elle est à crédit. Et aussi au nom de la réputation de la France : notre pays doit rassurer les investisseurs s'il veut obtenir des taux d'intérêt plus favorables à l'emploi. On ne recule pas au moment de faire son devoir.

Paris-Match : Vous allez instituer au 1er janvier prochain une nouvelle contribution temporaire – une CSG élargie – qui va ponctionner les Français de 25 milliards par an pour rembourser la dette de la sécu. En quoi est-elle équitable ?

Jacques Barrot : Parce qu'elle sera payée par l'ensemble des revenus, y compris ceux de l'épargne et du patrimoine. Seuls y échapperont les minima sociaux (notamment le minimum vieillesse et l'allocation spéciale de solidarité pour les chômeurs en fin de droits), le livret A et enfin, l'an prochain, les prestations familiales car elles ne seront pas revalorisées en 1996.

Paris-Match : Le gouvernement prend-il l'engagement solennel que cette contribution dite temporaire ne sera pas maintenue ?

Jacques Barrot : Il s'y engage : cette contribution sera consacrée exclusivement à rembourser la dette et cessera quand celle-ci sera éteinte.

Paris-Match : Au sein même de votre majorité, l'UDF et les balladuriens ont déjà prévenu qu'ils observeraient à la loupe le degré de priorité accordé aux économies et à la lutte contre les gaspillages sur l'augmentation des recettes. Êtes-vous en mesure de les rassurer ?

Jacques Barrot : M. Balladur doit trouver dans ce plan la confirmation de son souhait. Non seulement la part des économies est nettement supérieure à celle des ponctions nouvelles, mais les mécanismes de régulation sont destinés à générer des économies croissantes au fil des années.

Paris-Match : Où engagez-vous concrètement la chasse du gaspi ?

Jacques Barrot : D'abord, nous fixerons en 1996 un objectif très rigoureux de hausse des dépenses de l'assurance maladie. S'il n'est pas atteint, les conséquences devront en être tirées, notamment pour la fixation des honoraires des médecins de ville. Cette régulation globale doit être relayée par un suivi individuel de chaque praticien afin de veiller au respect des règles de bonne pratique contenues dans les "références médicales". Les abus seront sanctionnés ; Quant aux hôpitaux, le suivi se fera grâce à des équipes nouvelles d'assistance technique de grande qualité formées de fonctionnaires de haut niveau. Ils examineront cas par cas comment aider les directions hospitalières à mieux répartir le personnel, à regrouper certains services, voire à supprimer les lits inutiles.

Paris-Match : N'êtes-vous pas trop indulgent avec les responsables des laboratoires pharmaceutiques ? Ne fallait-il pas les inciter à mettre sur le marché beaucoup plus de médicaments génériques moins chers ?

Jacques Barrot : Nous demandons aux laboratoires une contribution exceptionnelle, lourde et douloureuse, puisque leurs dépenses ont largement dérapé. Mais, parallèlement, nous garantissons une politique conventionnelle qui assurera des prix corrects aux laboratoires qui investissent dans la recherche sans pousser à la consommation.

Paris-Match : Côté recettes, vous prévoyez une augmentation cette année, et une encore l'an prochain, de la cotisation maladie des retraités et vous fiscalisez les allocations familiales. Où est l'équité qui vous est si chère ?

Jacques Barrot : Après la guerre, on avait dispensé les retraités des cotisations maladie parce que leurs pensions étaient inférieures aux revenus des actifs. Aujourd'hui, la majorité d'entre eux a un niveau de vie comparable à celui des salariés. Il n'est pas illogique de solliciter de leur part un effort. Leur cotisation maladie était jusqu'à présent de 1,4 % contre 6,8 % pour les actifs. Les prestations familiales ne seront mises dans l'assiette de l'impôt que lors de la réforme fiscale et avec des précautions, notamment pour éviter l'assujettissement de familles non imposables aujourd'hui.

Paris-Match : Les syndicats sont déjà dans la rue. Est-ce un signe précurseur de l'échec de votre plan ?

Jacques Barrot : Le syndicats ont manifesté avant de connaître le plan. Ils voulaient qu'on maintienne l'esprit de solidarité de la sécu et qu'on consacre leur rôle dans la gestion des caisses. Le gouvernement leur garantit l'un et l'autre. La réforme ne se fait ni sans eux ni contre eux ; Ils sauront tenir compte du fait qu'après les avoir écoutés attentivement nous avons tenu compte de leurs réactions afin de répartir le plus équitablement possible les efforts.

Paris-Match : Votre plan est-il de nature à faire baisser visiblement les taux d'intérêt ?

Jacques Barrot : La réponse est oui, sans équivoque. C'est un plan de mobilisation rigoureux et équitable dont Hervé Gaymard et moi-même nous engageons à suivre énergiquement l'application avec le soutien du Premier ministre et du chef de l'État. C'est le gage d'une grande efficacité.

Paris-Match : Légiférez-vous par ordonnances ?

Jacques Barrot : Les ordonnances n'excluent pas la consultation du Parlement. Elles sont un moyen de travail plus rapide et qui permet d'aller plus loin dans les réformes de structures sans se heurter à trop d'états d'âme.

 

Date : 24 novembre 1995
Source : La Lettre de la Nation Magazine

Justice, solidarité, responsabilité

Jacques Barrot est ministre du Travail et des Affaires sociales. Il a une longue expérience de la protection sociale puisqu'il a été ministre de la santé et de la sécurité sociale de 1979 à 1981 et président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales à l'Assemblée nationale de 1986 à 1988.

La Lettre de la Nation Magazine : comment est réparti l'effort financier demandé aux Français ?

Jacques Barrot : L'effort demandé aux Français pour sauvegarder leur protection sociale est avant tout un effort de responsabilisation. Quant à l'effort financier que vous évoquez, il convient de distinguer le remboursement de la dette sociale. Le prélèvement sur une base élargie par rapport à l'actuelle CSG ne touchera pas les minima sociaux et les revenus de l'épargne actuellement exonérés. Ainsi, les Français les plus modestes ne seront pas touchés. Quant à l'effort contributif, au titre de l'assurance maladie, demandé aux chômeurs et aux retraités imposables, il s'inscrit dans une démarche de justice et de solidarité.

La Lettre de la Nation Magazine : Que répondez-vous aux fonctionnaires qui critiquent l'allongement de la durée de leur cotisation retraite ?

Jacques Barrot : Il faut bien préciser que le gouvernement souhaite d'abord la clarification. Elle est l'une des conditions de la justice, et va faire l'objet d'un travail conduit par une commission de réforme des régimes spéciaux qui, d'ici à quatre mois, proposera les mesures à prendre. Mais rien ne sera décidé sans une réelle concertation avec l'ensemble des représentants de la fonction publique.

La Lettre de la Nation Magazine : Comment parvenir à une réelle maîtrise médicalisée des dépenses ?

Jacques Barrot : Nous ne partons pas de zéro. Les conventions signées par les caisses d'assurance maladie et les médecins contiennent des instruments de maîtrise. Il convient de les appliquer, ce qui n'a pas toujours été le cas. Il ne peut pas y avoir de contrat si la responsabilité de ceux qui s'engagent n'est pas sanctionnable en cas de non-respect des termes du contrat.

Nous devons aider les médecins à s'engager dans cette maîtrise. Une éthique de la responsabilité s'impose. Mais il faut aussi des instruments nouveaux. C'est la raison pour laquelle nous allons favoriser l'informatisation des cabinets, les aides à la prescription et la formation continue des médecins, mais aussi favoriser la reconversion de plusieurs milliers de médecins.

La Lettre de la Nation Magazine : Toutes ces réformes garantissent-elles une sauvegarde durable de notre protection sociale ?

Jacques Barrot : En prenant en main ce dossier, j'ai affirmé ma volonté de procéder à une remise en ordre durable de notre système de protection sociale. La confiance accordée par le Parlement au gouvernement lui permet de traduire rapidement dans les faits les orientations. Nous avons dit que ce plan est juste. Mais c'est sa qualité d'exécution qui, plus que tout, permettra la sauvegarde d'un système de protection sociale auquel je suis profondément attaché.