Déclaration de M. Georges Sarre, président délégué du Mouvement des citoyens, sur les valeurs défendues par le MDC, en particulier "l'Europe et la citoyenneté", la notion de service public à l'échelle européenne, la lutte contre les discriminations à l'égard des étrangers, à l'opposé du libre-échange libéral prôné par la Communauté européenne.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Georges Sarre - président délégué du Mouvement des citoyens

Circonstance : Réunion publique pour la création d'un comité local du MDC en Avignon (Vaucluse) le 3 décembre 1998

Texte intégral

Citoyennes, Citoyens, Chers Amis,


Je suis heureux d'être ce soir parmi vous. J'en suis d'autant plus heureux qu'avec le nouveau président départemental du MDC dans le Vaucluse, Karim ZERIBI, vous démontrez la justesse de notre combat. Les idées républicaines rencontrent nécessairement un écho dans notre pays, pour peu qu'elles soient portées avec talent, avec chaleur.

Comme vous, notre parti, le Mouvement des Citoyens est un parti jeune. Il est né en 1992 sur la base d'un double refus : refus de la Guerre du Golfe comme symbole du nouvel ordre mondial que les Etats-Unis veulent imposer à la planète entière ; refus de Maastricht et de l'érection en Europe de pouvoirs technocratiques totalement coupés des réalités nationales des peuples européens. Ces refus viennent de loin : d'une conception exigeant de la nation et de la République dont Jean Jaurès disait qu'elle était le socialisme accompli.

Si notre parti est jeune, et si par conséquent nous sommes encore peu nombreux (plus de 5.000 adhérents), notre influence politique rayonne au-delà de ces chiffres. Notre force tient à notre extraordinaire cohésion : le MDC présente la particularité de regrouper des femmes et des hommes qui sont d'accord sur l'essentiel. Il n'y a pas de désaccord de fond entre nous. Et si sur les options tactiques, les avis nécessairement peuvent diverger, nous restons tous attachés à un objectif de longue haleine : refonder la gauche sur des bases républicaine, faire place à nouveau à l'idée de nation, de nation citoyenne afin de mieux combattre les idées de haine et d'intolérance. Notre combat s'inscrit ainsi dans la durée, dans ce que nous appelons entre nous “la longue marche”. Notre but est clair : inventer les traits d'une République moderne, permettre à la France toute sa place dans le concert des nations en s'appuyant sur une Europe des peuples respectueuse des choix de chacun.

Oui  ! Le Mouvement des Citoyens est profondément attaché à l'idée de nation, à l'idée de souveraineté de la France. Ce qui est jeu, c'est notre liberté de peuple, c'est notre capacité de choisir notre modèle social et de vivre dans une République laïque.

Sur de nombreuses questions, qui engagent notre devenir collectif, les femmes et les hommes du Mouvement des Citoyens n'ont jamais hésité à prendre des positions difficiles, leur valant les sarcasmes et les attaques du microcosme. Sur le Golfe ou Maastricht hier ; sur la nation, l'immigration ou la sécurité aujourd'hui. Peu nous importe ! Nous nous déterminons en conscience, en tâchant toujours de faire nôtre cette maxime républicaine : entre le faible et le fort c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère.

L'existence d'une règle démocratiquement établie, son respect et la sanction de sa transgression : voilà ce qui fonde la République. Cette conviction simple peut s'appliquer tous les secteurs de la vie sociale ; c'est celle qui guide le Mouvement des Citoyens. C'est encore elle qui explique le mieux les raisons de la grève à la SNCF. Je reviens à cet exemple parce qu'il explique mieux qu'un long discours les défis que nous devons tous ensemble relever pour reconstruire en France un espace républicain, un espace de liberté pour tous les citoyens de ce pays. C'est sur deux de ces défis que je voudrais ce soir m'attarder plus particulièrement : l'Europe et la citoyenneté.

* L'EUROPE

La grève à la SNCF a été lancée lundi 22 novembre dernier, à l'appel de l'ensemble des syndicats européens des chemins de fer. C'est donc au départ une grève européenne. Pourquoi cette vaste mobilisation ? Parce que la Commission de Bruxelles propose aux différents pays d'Europe de déréguler le transport ferroviaire en Europe. Ces libéraux prétendent que le rail, qui transporte de moins en moins de personnes et de marchandises que la route, ne peut plus être organisé sur la base d'un service public : il faudrait mettre en concurrence des compagnies de transport ferroviaire pour, prétendent-ils, améliorer le service et redonner au rail son attractivité. Contestant cette vision libérale, les syndicats de cheminots en Europe ont lancé la grève pour signifier à leurs gouvernements respectifs leur opposition à cela. Ont-ils été entendus ?

Lundi 30 novembre et mardi 1er décembre, les ministres européens des Transports se sont réunis à Bruxelles avec la Commission. Une majorité de gouvernements en Europe soutient le projet de déréglementation de la Commission. Pas le nôtre. Et Jean-Claude Gayssot a rappelé avec force l'opposition du gouvernement français à ce projet. Peine perdue : dans l'Europe communautaire actuelle, un certain nombre de décisions sont prises à la majorité, et peuvent donc être imposées aux Etats qui ne sont pas d'accord. Malgré les apparences, une telle façon de procéder n'est pas démocratique : ni le peuple français, ni ses représentants parlementaires n'ont décidé de saborder la SNCF. Personne ne peut naturellement parler en son nom : la démocratie c'est le pouvoir du peuple, pour le peuple, par le peuple.

La construction européenne actuelle est libérale.

L'exemple du rail montre combien l'Europe est défavorable aux services publics. En fait, celle-ci ne fait confiance qu'au marché et à la concurrence pour satisfaire les besoins des usagers, niant au passage leurs droits spécifiques pour ne voir en eux que des consommateurs. Est-ce raisonnable ?

La déréglementation des services publics a pour effet de casser les entreprises publiques qui en ont la charge. En les saucissonnant, la déréglementation ne leur permet plus guère d'assurer les solidarités nécessaires entre les différents usagers du service. Pire : les transferts financiers qui permettent d'assurer cette solidarité sont concrètement interdits. Conséquence : la desserte des lignes les moins rentables ou les plus difficiles, dans les régions peu peuplées ou dans les banlieues, sera plus difficile à assurer. Pourquoi ?

Les lignes les plus rentables faisant l'objet d'une concurrence acharnée, elles ne permettront plus à la SNCF d'en retirer un profit suffisant ; elle aura donc moins d'argent disponible pour assurer le service public ferroviaire partout ailleurs sur le territoire national. Au nom de l'efficacité, au nom de la concurrence, l'Europe est en train de nous imposer une société à plusieurs vitesses : les consommateurs qui ont l'argent pourront s'offrir les services performants, les autres devront se contenter d'un service minimum subventionné par l'impôt. Mais pour combien de temps encore ? Ce qui est vrai de la SNCF, l'est aussi de la Poste, de l'énergie ou des télécommunications.

Mais pourquoi l'Europe est-elle libérale ? En fait, dans son inspiration cela a toujours été le cas, mais chacun pouvait faire d'autres choix. Au début, quand en 1956 le traité de Rome créant la Communauté européenne a été signé l'idée était de créer un marché commun, de mettre en commun les forces économiques des différents pays européens. Et ça a marché : grâce au mécanisme de la « préférence communautaire », nos entreprises ont trouvé de nouveaux marchés et ont pu embaucher. C'est comme ça que l'Europe en général et la France en particulier n'ont pas connu de chômage de masse jusqu'au milieu des années soixante-dix. Les choses se sont dégradées depuis. On nous a longtemps dit que la crise était née des deux chocs pétroliers. Faux : les deux chocs de 1973 et 1979 ont simplement révélé une crise plus générale du système monétaire international. Et d'ailleurs, aujourd'hui que le prix du pétrole est au même prix qu'avant le choc pétrolier de 1973, la crise ne s'est pas évanouie d'un coup de baguette magique.

Non. La cause principale du chômage en France, comme celle de la misère au Sud, est à rechercher dans des échanges commerciaux internationaux toujours plus inégaux, et qui profitent pour l'essentiel aux grandes multinationales anglo-saxonnes. N'est-ce pas d'ailleurs l'une des raisons essentielles qui ont poussé les Etats-Unis à faire la guerre du Golfe ? Il leur était insupportable, non qu'un Etat souverain, le Koweït, soit envahi, mais qu'un autre Etat, l'Irak, remette en cause leur contrôle des zones de production pétrolière dans la péninsule arabique. Et si huit années après, ils maintiennent en Irak un embargo inhumain, qui a causé la mort de près de un million de personnes, dont une majorité d'enfants et de nourrissons, c'est toujours pour les mêmes raisons : pour contrôler le cours du pétrole. Ce n'est pas une conception républicaine des relations internationales. C'est une conception impérialiste inacceptable ! Et à plusieurs reprises, à la tribune de l'Assemblée nationale, le Mouvement des Citoyens a demandé que la France pousse le Conseil de Sécurité de l'ONU à lever cet embargo.

Le libre-échangisme contre l'Europe.

Et l'Europe dans tout cela ? L'Europe pour l'essentiel ne pèse guère sur les relations internationales. Ce n'est pas comme certains le prétendent parce qu'elle n'est pas unie. Dire cela c'est prendre le problème à l'envers : elle n'est pas unie parce que les pays qui la composent n'ont ni la même conception ni les mêmes intérêts. La Grande-Bretagne, mais aussi 1'Allemagne, l'Italie ou l'Espagne jouent complètement le jeu des Américains, dans la diplomatie, les affaires militaires ou économiques.

Le principal souci des Américains est de s'ouvrir des marchés. Les Etats-Unis pèsent de tout leur poids pour libéraliser toujours plus les échanges commerciaux internationaux. Cela explique pourquoi l'Europe, depuis 1986 et plus encore Maastricht en 1992, a abandonné le principe de préférence communautaire pour devenir une vaste zone de libre-échange ouverte à tous les vents.

Le 9 novembre dernier, à Bruxelles, sur proposition de la Commission, les gouvernements européens ont ainsi accepté de jeter les premières bases d'une zone de libre-échange entre l'Europe et les Etats-Unis. Or, au même moment, les Etats-Unis ont décidé de doubler les droits de douanes de certaines marchandises en provenance d'Europe. Notons au passage la naïveté des autorités communautaires qui passent un accord dont l'esprit est violé le jour même ! Mais pourquoi cette sanction unilatérale ? Parce que l'Europe ne renonce pas assez vite aux aides spécifiques qu'elle accorde aux pays d'Afrique et des Caraïbes producteurs de bananes ! Traduction : le libre-échange s'accommode mal de l'aide au développement. Voilà ce qui condamne un modèle de développement du Sud plus juste, plus respectueux des hommes, plus déterminant. Il importe au contraire aux républicains que nous sommes de réduire le sous-développement, source de nombreux déséquilibres socio-économiques, et partant de pressions démographiques.

* LA CITOYENNETE

En s'efforçant de maîtriser les flux migratoires, le Gouvernement auquel participe Jean-Pierre Chevènement prend naturellement pleinement en compte ces déséquilibres mondiaux. Qui peut sérieusement prétendre que la solution des problèmes des pays du Sud se trouve ici, en France ? Comment croire que la régularisation, par exemple, des 63.000 sans-papiers qui ne remplissent pas les critères définies réglementairement, et conformément aux demandes de la Commission nationale des droits de l'homme, mette un terme à la question de l'immigration clandestine ? Qui ne comprend enfin qu'en agitant ce chiffon rouge, quelques irresponsables de droite ou de gauche cherchent à se construire une belle image, au détriment des étrangers vivant régulièrement sur notre sol?

Le Gouvernement auquel le Mouvement des Citoyens participe, a le souci de maîtriser les flux migratoires, de traiter avec justice des situations humaines difficiles, et de donner toute leur place aux étrangers hôtes de la République qui ont vocation à devenir Français, à devenir des citoyens de la République. Tel est le sens de la réforme du code la nationalité que nous avons adopté ; tel est également le sens de la loi sur l'entrée et le séjour des étrangers qui pour la première fois garantit l'égalité totale des droits sociaux entre nationaux et étrangers. Tel est le sens de la politique de codéveloppement que Sami NAÏR est chargé de mettre en place.

Alors naturellement, je dis à tous les enfants de parents étrangers, qui sont nés ou qui ont grandi dans le sein de la République : vous êtes les enfants de ce pays. Il vous appartient d'en devenir des citoyens pleinement actifs, c'est-à-dire engagés dans la vie politique de la France. Naturellement, nous ne sous-estimons pas les difficultés que vous pouvez rencontrer. Il y a un mois, le Haut Conseil à l'Intégration a remis au Premier ministre un rapport sur 1es discriminations en France. Elles existent, inutile de les cacher. Mais attention à ne pas jouer les victimes : bien souvent ces discriminations ne sont pas la conséquence d'attitudes racistes. Elles découlent plutôt, dans des situations difficiles, de la cristallisation des égoïsmes. Ainsi à l'école : dans les quartiers dits difficiles, les parents qui le peuvent, ceux qui en ont les moyens, choisissent de sortir leurs enfants de l'école publique ; conséquence, celle-ci concentre les enfants des milieux les moins favorisés.

Plus préoccupantes sont les discriminations à l'embauche : entre 20 et 29 ans, le taux de chômage des jeunes issus de l'immigration est presque 4 fois supérieur à celui de la moyenne : 42 % contre 11 %. C'est inacceptable ! Des efforts ont été demandés à un certain nombre de services publics, mais cela reste totalement insuffisant. Le Haut Conseil de l'Intégration dans son rapport, préconisait la mise à l'étude d'un Observatoire des discriminations. Sur le modèle de celui qui fonctionne en Grande-Bretagne, il pourrait agir avant des poursuites au pénal, afin de convaincre les employeurs suspectes de discrimination de changer d'attitude. Martine AUBRY a annoncé la création d'un Observatoire, sans toutefois préciser ses fonctions. Elles ne peuvent qu'être fortes, sous peine de laisser continuer l'inadmissible.

L'actualité me fait également penser à des discriminations mal connues, mais tout aussi intolérables. L'un des plus hauts magistrats de France, l'avocat général auprès de la Cour de Cassation, s'est rendu coupable de propos ouvertement antisémites dans une publication syndicale connue pour ses sympathies d'extrême-droite. Je souhaite la révocation de ce magistrat. Mais plus généralement, il apparaît que les magistrats prononcent des peines plus sévères à l'encontre des jeunes issus de l'immigration. Là encore, nous devons, nous politiques, exiger de l'administration un comportement parfaitement exemplaire et égal envers tous les citoyens.

Mais qui parle de citoyens, parle de droits c'est entendu, mais parle également de devoirs. Ces devoirs en République sont de deux ordres : le respect de l'autorité et la participation à la vie de la cité. J'évoquais au début de mon intervention l'exemple la grève à la SNCF. Aujourd'hui cette grève est essentiellement celle des contrôleurs. Pourquoi ? Parce qu'ils sont chargés de faire respecter le règlement : tout voyageur doit avoir un billet, et parce que cette fonction provoque de plus en plus l'agressivité des jeunes, des jeunes des banlieues défavorisées le plus souvent. Est-ce normal ? Est-ce juste ? Non. Le premier des droits de l'homme, c'est le droit la sûreté. C'est le droit qui permet l'existence de tous les autres. Les apprentis citoyens doivent donc apprendre, et d'abord de leurs parents, le respect de l'autorité et à se comporter civilement. C'est la règle de base de la vie en société. Sinon c'est la jungle.

Le deuxième devoir, c'est celui d'une participation active à la vie de la cité. Karim ZERIBI nous donne un exemple éclatant de cet engagement. Et il est d'autant plus nécessaire que la France n'est pas un pays communautariste : ce ne sont pas des communautés définies par la religion ou l'origine ethnique qui sont les interlocuteurs de la République, ce sont les citoyens. La nation française est une nation citoyenne. La citoyenneté n'est pas « naturelle », elle est un construit ; elle procède d'un long apprentissage, du lent frottement des individus aux valeurs « républicaines ».

Bref la République a intimement partie liée avec notre conception de la nation, une conception non pas ethnique ou biologique ou religieuse, mais une conception politique, citoyenne. C'est cela le principe de laïcité : dans la vie de la cité, aucune considération d'origine ou de religion ne compte. La religion relève de la conscience privée de chacun ; l'autorité publique doit seulement s'attacher à ce que chaque croyant, quelle que soit sa religion, dispose ni plus ni moins des mêmes droits que les autres. Fidèles à cette conception de la laïcité, nous sommes attachés à ce que l'Islam en France puisse trouver des lieux d'expression qui respectent ces droits, dans le strict respect de la séparation des affaires publiques et privées.

Le Mouvement des Citoyens plus que tout autre est attaché à une conception exigeante de la République. La République c'est d'abord et avant tout un projet politique. Le projet d'une communauté de citoyens qui activement participent à la vie de la cité dans un esprit de justice, de solidarité et d'égalité.

Il nous apparaît notamment essentiel qu'un parti politique fasse preuve d'esprit de responsabilité sur des sujets aussi divers que ceux de la maîtrise des flux migratoires, afin de ne plus donner d'arguments à l'extrême-droite ; que ceux de la sécurité, car c'est une attente forte et parfaitement légitime des Français ; ou que ceux encore de l'Europe, car c'est notre démocratie et la forme citoyenne et laïque de notre nation qui peuvent être remis en question.

Tel est le sens de notre engagement politique. Et puisque vous êtes ici ce soir, je crois pouvoir dire, tel est le sens de votre engagement dans le débat public. Ensemble, j'en suis convaincu, nous pourrons faire avancer en France, en Europe et dans le monde, les idées républicaines.

Je vous remercie.