Texte intégral
O. de Rincquesen : Que répondez-vous aux socialistes qui dénoncent l’acharnement contre H. Emmanuelli ?
J. Toubon : Ce qui j’ai déjà répondu à plusieurs reprises, avec beaucoup de certitude et de sérénité : la justice suit son cours. En l’occurrence, sur les dossiers qui concernent Urba, le réseau de financement du Parti socialiste il y a quelques années, hier la Cour de cassation a décidé de rejeter des pouvoirs qui avaient été faits contre des décisions de juges d’instruction. Donc ce sont des affaires qui, pour certains dirigeants socialistes, seront renvoyées au tribunal de Lyon dans quelque temps. La justice suit son cours et, je l’ai dit à plusieurs reprises, il faut l’admettre tout simplement parce qu’il faut la considérer comme égale pour tous et impartiale.
O. de Rincquesen : Y aura-t-il des poursuites analogues contre d’autres trésoriers de formations politiques ?
J. Toubon : Si des dossiers qui n’existent pas aujourd’hui mais qui pourraient apparaître ou qui sont actuellement en cours – comme on dit dans le jargon judiciaire, qui continuent à prospérer, c’est-à-dire à ce que l’information se développe -, ils connaîtront naturellement le même aboutissement. Je l’ai dit encore la semaine dernière à l’Assemblée nationale : la justice est la même pour tous, de droite comme de gauche. Mais surtout, elle est la même pour les hommes politiques et pour les autres citoyens.
O. de Rincquesen : Même si ça touche le PR, le CDS, le RPR et la Ville de Paris ?
J. Toubon : Naturellement. Mon but, au ministère de la Justice, est de faire en sorte que la justice fonctionne et non pas de l’empêcher de fonctionner.
O. de Rincquesen : Vous attendez pour ce soir le rapport Deniau sur la réforme des cours d’assises. Ça marquera la fin de l’actuelle formule ?
J. Toubon : Je vais vous décevoir, je ne vais pas vous faire de révélation là-dessus. Ce soir, je recevrai le rapport du haut comité que j’avais demandé à J.-F. Deniau de présider. Ils ont fait, en trois mois, un travail remarquable, tous les échos que j’en ai vont dans ce sens. Ce soir, j’aurai ce rapport. Je vais prendre quelques semaines pour le disséquer, pour réfléchir aux modifications de l’avant-projet que je pourrai faire puisque, par définition, ce haut comité était destiné à me donner un avis dont je vais tenir compte ; ce n’était pas simplement pour faire un rapport. À partir de là, j’espère pouvoir, avant la fin du mois de juin comme je l’ai dit présenter un projet en Conseil des ministres et le soumettre à l’Assemblée nationale pour entamer la discussion au début de l’année 1997. Ce sera de toute façon un grand changement puisque maintenant, tout le monde est d’accord pour qu’il y ait deux degrés, c’est-à-dire pour qu’on puisse faire appel en matière de jugement criminel.
O. de Rincquesen : En matière de détention provisoire, vous avez avancé pour définir la gravité des troubles à l‘ordre public ?
J. Toubon : Je pense que nous avons un texte qui précis bien le trouble à l’ordre public. Il dit d’abord que le juge d’instruction ne peut l’utiliser comme motif de la détention provisoire que si ce trouble est exceptionnel. En droit, et notamment dans le contrôle de la Cour de cassation, ça veut dire quelque chose. C’est quelque chose qui est limitatif. Nous avons trouvé trois critères, notamment la gravité de l’infraction, le préjudice causé, pour définir le trouble à l’ordre public. Tout ce texte a quel but ? Essayer de mieux concilier deux choses qui, en apparence, apparaissent irréconciliables : d’un côté, la présomption d’innocence qui est nécessaire et de l’autre, les exigences de l’investigation judiciaire. Il faut qu’on puisse respecter la présomption d’innocence. C’est vrai que le problème de la détention provisoire est difficile. Ce texte n’est qu’un premier pas et il est limité, même s’il est assez ambitieux, notamment parce qu’il donne de nouvelles possibilités de recours à celui qui est mis sous mandat de dépôt, ce qui n’existait pas jusqu’à maintenant. Mais en même temps, je revois à une réforme plus importante et d’ensemble de la procédure pénale l’ensemble de ces questions très difficiles que vous connaissez bien, vous les journalistes : comment concilier la présomption d’innocence, le secret de l’instruction, la liberté d’information et aussi l’impératif de sécurité ? La justice, elle est faite pour assurer la sécurité.
O. de Rincquesen : Irez-vous jusqu’aux formules de type bracelet électronique ?
J. Toubon : C’est une idée que j’ai et que je n’abandonne absolument pas. Simplement, j’ai pensé que sur le plan technique, et notamment sur la mise en œuvre – quand la personne assignée à surveillance électronique y échappe, quelles mesures prendre avec la police et avec la gendarmerie ? Tout n’est pas encore tout à fait au point. C’est pourquoi, je ne l’ai pas mis dans ce texte. Mais je compte bien, dans les mois qui viennent, reposer ce problème car c’est une manière d’éviter la prison, d’éviter l’incarcération tout en contrôlant pendant les enquêtes ou en fin de peine ceux qui sont prévenus ou ont été condamnés. C’est le moyen moderne.
O. de Rincquesen : Quand allez-vous légiférer sur les nouvelles technologies type internet ? On pense à l’affaire Gigastorage.
J. Toubon : En gros, ne disons pas qu’il y a un vide juridique comme on le dit trop souvent. Il y a, en fait, des textes, que ce soit sur la contrefaçon, des textes pénaux, des textes sur la responsabilité civile qui s’appliquent. Ils s’appliquent naturellement plus difficilement lorsque le serveur est à l’étranger, comme c’est le cas dans l’affaire que vous citez. Mais par ailleurs, j’ai mis à l’étude, avec mes collègues chargés des télécommunications, notamment F. Fillon, de nouvelles règles. Je crois que c’est un moyen de communication extraordinaire que personnellement, j‘approuve complètement car il est celui du dialogue et celui de l’égalité. N’oubliez pas que sur Internet, celui qui émet et celui qui reçoit sont à égalité : c’est le seul moyen de ce type. Donc c’est une technique que j’approuve complètement mais il faut naturellement la réglementer. Sinon, si elle devient le siège de l’anarchie, elle sera très vite réprouvée et je ne le souhaite pas.
O. de Rincquesen : En pensant à l’abbé Pierre et à l’affaire R. Garaudy, que pensez-vous de la loi Gayssot qui permet la mise en examen pour négociation de crime contre l’Humanité ?
J. Toubon : Sur le fond des choses, j’ai dit, lorsqu’on a discuté ce texte en 1990 – j’étais, à l’époque, parlementaire dans l’opposition – que je n’étais pas d’accord avec l’idée que l’Histoire était fixée par la loi. L’Histoire, c’est l’Histoire, ce sont les faits tels qu’ils sont relatés, commentés, interprétés pas les historiens. La loi n’a rien à faire avec ça. Cela étant, aujourd’hui la loi existe et il faut l’appliquer. Pour ma part, naturellement, je crois ce qu’il faut surtout dans ce genre d’affaire, c’est garder beaucoup de sérénité et surtout se dire que toute remise en cause est en quelque sorte un coup de pouce à ceux qui voudraient, un jour, faire revenir ce de genre de barbarie.
O. de Rincquesen : Sur le fond, il n’y a pas de tabou autour de l’Holocauste ?
J. Toubon : Je crois que si. Il faut être clair : le génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas du tout, du tout la même chose que les autres massacres, que les autres génocides. Il y a une spécificité de la Shoah et il ne faut pas la récuser. Si on met le droit dans l’engrenage, alors tout est possible, et c’est ce que je reproche pour ma part à l’abbé Pierre.