Extraits d'une interview de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, à France 3 le 19 mai 1996 publiés le 15 dans "Démocratie moderne", sur l'accord sur le temps partiel signé dans la métallurgie, et article dans "Libération" le 23 intitulé "Stratégie pour l'emploi", sur l'efficacité des aides à l'emploi.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : DEMOCRATIE MODERNE - Emission Forum RMC Libération - France 3 - Libération - Télévision

Texte intégral

Date : 15 mai 1996
Source : Démocratie Moderne

Démocratie Moderne : Croyez-vous au développement du temps partiel ?

Jacques Barrot : J’y crois à condition qu’il n’y ait pas d’abus. Si nous devons légiférer, comme c’est probable, il faudra continuer à inciter tous ceux qui le veulent à travailler à temps partiel, mais en même temps, il faudra lutter contre les abus que nous avons pu constater. Lorsqu’il est bien pratiqué, le temps partiel est un élément fort. Toutes les sociétés européennes font d’ailleurs mieux que nous dans ce domaine.

Démocratie Moderne : Vos réactions à l’accord dans la métallurgie ? Un tel accord crée-t-il des emplois ?

Jacques Barrot : C’est un accord vraiment a minima. Il faut être vraiment plus audacieux… Il n’est pas sûr qu’un tel accord crée beaucoup d’emplois. Il ne faut pas non plus penser que ce type d’accord sur le temps de travail au niveau des branches peut produire à lui seul des emplois. C’est au niveau de l’entreprise et en faisant du sur-mesure que l’on arrivera à avoir une vraie dynamique d’emplois (…). Je voudrais surtout stimuler les partenaires sociaux. Nous allons nous rencontrer autour du Premier ministre début juillet et dès le 20 mai je vais nommer M. Cabane, secrétaire général de Thomson, à la tête d’un groupe de pilotage chargé de préparer cette rencontre.

Démocratie Moderne : Ce groupe se penchera-t-il sur l’aménagement ou sur la réduction du temps de travail ?

Jacques Barrot : Il ne faut pas que la France se lance dans un effort de réduction du temps de travail vu du côté malthusien comme si le travail était un gâteau qui rétrécit et dont chacun essaie de prendre un morceau à son profit. Le véritable aménagement-réduction du temps de travail, celui qui marchera, c’est celui qui répond aux critères du « trois fois gagnant ». L’entreprise, plus productive, y gagne, le salarié qui récupère ainsi du temps disponible pour sa vie privée, pour sa formation aussi, et enfin la communauté nationale qui en tire bénéfice parce qu’on embauche des jeunes…

Démocratie Moderne : Parlons de la baisse des impôts…

Jacques Barrot : Il faut réduire la dépense parce que les Français ont besoin de payer moins d’impôts. Mais nous ne serons crédibles dans les annonces que nous ferons de la réduction de la pression fiscale que si nous sommes capables de présenter un plan de maîtrise et de réduction progressive de la dépense. Un assez grand consensus se dégage, au moins au sein de la majorité pour essayer de parvenir à un plan sur cinq ans, au cours duquel nous proposerons une réduction progressive de la pression fiscale.

Extrait de « Dimanche Soir », 19 mai 1996, sur France 3.


Date : 23 mai 1996
Source : Libération

Stratégie pour l’emploi

Les aides à l’emploi seraient trop nombreuses, trop complexes, trop coûteuses, pas assez efficaces. Ce bilan un peu rapide a au moins le mérite d'ouvrir sur la politique de l'emploi un débat de fond. Au lieu de multiplier les aides, il faut définir une stratégie et s'y tenir. Il y a quatre grands axes.

La croissance. Pour la relancer, il fallait sortir d'une politique à la fois trop expansive sur le plan budgétaire, avec les déficits que l’on sait, et trop restrictive sur le plan monétaire, avec des taux d'intérêt trop élevés.

La réduction des déficits impose d'améliorer l'efficacité de notre sphère publique. Quant à notre modèle social, facteur de stabilité et de cohésion, il peut être un atout dans la compétition internationale, pourvu que nous apprenions à vérifier l'utilité réelle de chaque franc dépensé. C'est tout le sens de la réforme nous avons engagée. Grâce à la baisse durable des taux d'intérêt, les ressources de la nation se réorienteront vers l’investissement et le travail.

L'épanouissement des compétences. Notre système de formation professionnelle doit être profondément rénové. Une première étape a été franchie avec la réforme de l’apprentissage. Dans le même esprit, il faut, pour réussir l’entrée des jeunes dans la vie active, rapprocher études et acquisitions de savoir-faire professionnel, et organiser, tout au long de la vie, une formation qui soit source de promotion individuelle au même titre que la formation initiale.

L’enrichissement de la croissance en emplois. À croissance égale, nous devons créer plus d’emplois. En aménageant le temps de travail. En développant les services. En allégeant les prélèvements qui pèsent sur le travail.

L’aménagement et la réduction du temps de travail ne sont pas des solutions miracles. Mais en libérant l’imagination sociale, on peut favoriser la réduction du temps de travail, la diminution des heures supplémentaires et l’essor du temps partiel. À condition, toutefois, que chacun y trouve son compte : le salarié en y gagnant temps et liberté, l’entreprise en obtenant des souplesses nouvelles et la collectivité dès lors que des emplois seront créés. Cela n’exclut pas l’intervention du législateur, bien sûr, mais cela veut dire que les seules lois efficaces seront celles qui permettront de relancer les dynamiques de négociation, pour trouver des accords au plus près des réalités de l’entreprise.

L’essor des services est aujourd’hui facilité par le chèque emploi-service. Il est également encouragé à grande échelle par l’abaissement du coût du travail peu qualifié. À la différence des aides à l’embauche, ponctuelles, temporaires et d’un effet discutable, l’allègement des charges sur les bas salaires modifie en profondeur les conditions économiques de l’emploi, pour toutes les activités à fort contenu en main-d’œuvre.

Une croissance mieux partagée. Un tiers des chômeurs sont sans travail depuis plus d’un an. Le temps passant, les risques d’exclusion s’accroissent. Il faut tout faire pour éviter d’installer durablement ces chômeurs dans le « non-travail » rémunéré.

Depuis un an, les partenaires sociaux s’efforcent d’activer les dépenses d’indemnisation du chômage. De son côté, l’État, avec le CIE, a engagé en faveur des chômeurs de longue durée un effort massif, qui porte ses fruits : pour la première fois, le chômage de longue durée recule mois après mois. Il faut continuer, en concentrant notre attention sur ceux qui en ont le plus besoin. Et il faut aussi développer dans le secteur non marchand, sur le modèle des « emplois villes », des activités qui pourraient être en grande partie financée par le RMI et l’allocation de fin de droits.

En conclusion, pour atteindre leurs objectifs, les aides à l’emploi ne doivent être ni trop dispersées car elles seraient inefficaces, ni trop concentrées, car il faut pouvoir jouer sur tous les leviers à la fois. Au-delà du droit à l’emploi, notre stratégie doit garantir un véritable droit à l’employabilité, en redonnant l’espérance, le goût et la capacité d’agir.