Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
La métaphore de la "toile d'araignée" [Web en anglais] est souvent employée à propos du réseau que tissent aujourd'hui, à une vitesse toujours croissante, les très nombreux serveurs accessibles sur le World Wide Web…
On insiste souvent sur le caractère incontrôlable, voire dangereux, de cet univers qui s'est initialement développé de manière anarchique… Cela ne saurait faire oublier à quel point le Web est un outil puissant et utile, qui s'est imposé grâce à ses qualités : s'il a connu un succès sans précédent, c'est parce qu'il a assuré un accès plus convivial à Internet, ouvrant ainsi ce dernier à un public beaucoup plus vaste que les liens hypertextes et les documents multimédia, offerts par le Web, ne pouvaient que séduire.
Le Web est certes un outil puissant mais c'est aussi un outil fragile, dans la mesure où son succès dépend d'un processus continu de normalisation.
De fait, il importe que la métaphore de la toile d'araignée ne soit pas entendue dans ses connotations négatives : le Web ne doit pas être perçu comme un réseau labyrinthique et complexe où l'utilisateur risque de se perdre et de "s'engluer"… Cela impose que soient spécifiés et maintenus des standards communs, que soit mis en œuvre un processus de normalisation efficace et durable : ce sera ainsi le rôle du W3 Consortium que de faire que le World Wide Web doive d'être comparé à une toile d'araignée uniquement à sa remarquable solidité et à son architecture en étoile…
Avec votre aide, il continuera de s'imposer comme un standard, déjà en passe de devenir universel sur Internet. Le rôle du W3 Consortium sera donc, j'en suis convaincu, essentiel, et je ne peux que me réjouir d'avoir cette occasion de saluer sa création : j'en apprécierai les mérites en tant que Ministre des technologies de l'information, mais aussi en tant qu'utilisateur régulier d'Internet…
Il convient que chacun des acteurs concernés prenne la mesure des enjeux que représente le développement d'Internet, et en particulier du World Wide Web, en Europe et soit conscient des perspectives que les nouvelles technologies de l'information ouvrent à l'ensemble de l'industrie.
1. Un enjeu pour l'Europe qui justifie une forte mobilisation de tous les acteurs européens concernés
Le foisonnement de nouveaux services sur le Web – avec l'apparition de jusqu'à 500 nouveaux sites par jour – démontre l'intérêt du public pour ces nouvelles technologies et la dynamique qu'a permis de créer, à l'échelle de la planète, l'interopérabilité des protocoles de communication.
À terme, nombre de télé services continueront de se développer sur ce nouveau média de communication – services de diffusion d'information, commerce électronique, etc. Le Web commence en outre à pouvoir être utilisé pour le travail coopératif, des applications de visio-conférence étant, par exemple, progressivement développées (entre autres, à l'INRIA).
Nous connaissons tous les immenses enjeux que représentent la révolution dans la manière de communiquer, d'apprendre, d'acheter ou de travailler que promet le développement de ces technologies – aussi n'y insisterai-je pas plus devant vous.
Compte tenu de ces multiples enjeux économiques et culturels, il est naturellement très positif qu'une action conjointe entre les États-Unis et l'Europe soit conduite en ce domaine : elle s'inscrit tout à fait, notamment, dans l'esprit des travaux du G7 sur la société de l'Information, qui visent à mettre en première ligne les initiatives des industriels, ces derniers ayant vocation à coopérer sur des questions de standards susceptibles, en définitive, de faciliter l'accès du plus grand nombre aux contenus véhiculés sur les autoroutes de l'information.
La Commission européenne a bien saisi ces enjeux en décidant, ce dont je me réjouis, d'apporter son soutien à l'INRIA – pôle de recherche dont la compétence est mondialement reconnue dans le cadre de sa participation au W3 Consortium.
L'INRIA jouera un rôle déterminant dans la gestion opérationnelle de ce projet, en tant que pilier européen du W3 Consortium : c'est bien entendu la volonté des autorités françaises que l'INRIA soit à la hauteur de cette mission, qui permettra aux acteurs européens du secteur d'être présents, sur le même plan que nos partenaires nord-américains, dans le développement de ces nouveaux marchés.
2. La politique française en faveur du développement d'Internet : des soucis et des objectifs communs
Je souhaite que l'Europe tout entière, et la France en particulier, participent activement au développement international d'Internet – qui préfigure les autoroutes de l'information de demain – et définissent une stratégie de déploiement d'une offre de services en ligne attractifs.
Dans cette perspective, je partage largement les préoccupations qui sont celles du W3 Consortium. Nos objectifs sont largement communs, et je suivrai donc avec la plus grande attention vos travaux.
Comme le W3 Consortium, je me soucie en particulier de l'accroissement des débits : en tant qu'utilisateur d'Internet, je constate fréquemment des engorgements importants, tant au niveau national que dans le cadre de liaisons intra-européenne sou intercontinentales. Au plan national, la mise en œuvre progressive eu projet Renater 2 constitue, entre autres, un début de réponse. Au plan européen, la Commission a lancé une initiative importante visant à accroître le débit des liaisons pour les réseaux de recherche. Cela sera utile pour les membres du W3 Consortium, qui auront à utiliser les potentialités de l'Internet pour travailler ensemble – ce qui est également indispensable pour les utilisateurs.
Sur le plan industriel, l'introduction du protocole ATM constituera un enjeu important. Son utilisation dans le cadre de l'Internet, tant au niveau national que pour les liaisons internationales, va certainement s'imposer compte tenu de la souplesse qu'il peut apporter. La compétitivité des industriels européens des télécommunications, qui ont beaucoup investi sur ces questions, passe par des développements technologiques et des expérimentations dans ce domaine.
Les expérimentations qui vont être menées en France vont permettre de vérifier l'intérêt de ces techniques ainsi que l'existence et la solvabilité de la demande, avec la mise en œuvre d'une stratégie de mise à disposition de plateformes expérimentales fournissant des services de télécommunication avancés (réseaux ATM, déploiement d'infrastructures expérimentales en fibre optique pour plusieurs dizaines de milliers d'abonnés).
Le commerce électronique et le paiement sur les réseaux sera une préoccupation que je partagerai également avec le consortium – j'en suis certain, compte tenu de l'importance de ce sujet.
J'ai déjà pris l'initiative de mettre en place un atelier thématique qui travaille à formuler, à court terme, des propositions concrètes qui permettront de dynamiser le développement du commerce électronique sur le Web. Les travaux qui seront conduits sur ce thème au sein du W3 Consortium présentent donc le plus grand intérêt pour notre propre réflexion.
En outre, la mise en place, à l'initiative conjointe de mon ministère et de celui de la Culture, d'un fonds d'aide à l'édition de services multimédia en ligne, doté d'un budget de 30 MF, permettra d'enrichir l'offre de services télématiques francophones, notamment sur le Web.
Je suis par ailleurs conscient du handicap que constitue, pour le développement des services en ligne, l'insuffisant équipement des ménages français en micro-ordinateurs communiquant. Je ferai donc prochainement un certain nombre de propositions concrètes visant à permettre à la France de combler ce retard.
3. Conditions de développement du W3 Consortium : mes souhaits
Pour que le Consortium puisse pleinement jouer son rôle, parallèlement à l'action menée par les Gouvernements européens, il est indispensable que les entreprises européennes et tout spécialement les entreprises françaises, soient nombreuses à y adhérer : c'est à cette condition que pourra être définie une stratégie commune et cohérente pour le développement des nouveaux services en ligne.
J'encourage donc vivement les principaux acteurs européens concernés à rejoindre les rangs du W3 Consortium pour y faire entendre leurs voix et pour contribuer à la définition commune des axes de développement d'Internet. Il s'agit là d'un moyen important, parmi d'autres, d'assurer un ancrage ferme et rapide de l'Europe et de ses entreprises dans la société de l'information.
Dans cette perspective, la composition actuelle du W3 Consortium m'inspire quelques regrets et quelques souhaits.
Outre le fait que les européens y sont encore – pour peu de temps, je l'espère – insuffisamment représentés, je regrette par exemple que trop peu de Sociétés de Services en Ingénierie Informatique (SSII) y participent. En effet, les services sur le Web, et plus généralement les normes techniques sous-jacentes (norme HTLM), constitueront un domaine d'activité important pour les années à venir.
Dans le cas de la France, ce domaine d'activité est tout particulièrement voué à se développer, dans la mesure où l'évolution de la télématique traditionnelle vers l'Internet et le Multimédia s'y pose, j'en suis persuadé, comme une priorité. Il s'agit en effet d'un enjeu économique considérable, dont le potentiel est très réel et qui constitue une issue primordiale pour toute l'industrie des services télématiques. Je souhaite donc que les conditions techniques de cette évolution de la télématique, que j'entends encourager, puissent être évoquées dans le cadre du W3 Consortium.
L'association des utilisateurs à vos travaux est par ailleurs indispensable pour que le consortium fournisse des solutions réellement utilisables et efficaces : j'y attache donc le plus grand prix. Les travaux du consortium seront d'autant plus riches que s'instaurera un réel dialogue entre fournisseurs de technologie et grands utilisateurs et fournisseurs de services. Le pilotage par le marché doit faire partie intégrante des travaux du groupe, afin que la technologie du Web serve effectivement à développer de services attrayants et faciles d'usage. Je ne verrais que des avantages à ce que des associations constituées de PME utilisatrices puissent prendre part aux travaux, suivant des modalités que le Consortium examinera.
Je m'étonne également que certains secteurs qui sont, ou seront rapidement concernés par le déploiement des nouveaux services ne soient pas représentés au sein du W3 Consortium : il en va ainsi, par exemple, des banques qui, avec le développement du commerce électronique, devront bientôt s'intéresser à vos travaux et proposer des services sur les réseaux. Je sais que le Consortium souhaite que l'ensemble des acteurs puisse contribuer à sa réflexion, et je ne peux que m'associer à ce vœu.
Je souhaite enfin que les acteurs qui pourraient jouer un rôle dans la médiation entre fournisseurs de service et utilisateurs – ceux qui réalisent par exemple les outils de navigation sur Internet – s'intéressent de plus près à l'action du W3 Consortium et y participent en plus grand nombre. Il s'agit de fait d'un marché très prometteur – le succès de l'entrée de Netscape sur le Nasdaq en témoigne amplement.
De plus, cette participation permettrait à des applications européennes de s'imposer face à des outils pour l'heure exclusivement anglophones : il me paraît essentiel pour les langues et les cultures de l'Europe que des outils de recherche de la navigation spécifiques à l'Europe puissent être développés. N'est-il pas aussi naturel et élégant, pour un francophone de "butiner" en français sur Internet, selon le terme consacré par nos amis québécois, que de "netsurfer" pour un anglophone ?
Conclusion :
Pour toutes les raisons que je viens rapidement d'évoquer, il est indispensable qu'une forte mobilisation des acteurs européens s'effectue autour du W3 Consortium : l'Europe a l'ambition et les moyens de s'inscrire, dans son ensemble, comme pôle essentiel, fort et innovant de la révolution technologique qui conduira à l'avènement de la société de l'information.
Je me tiendrai personnellement informé de l'évolution des adhésions au Consortium, et attache beaucoup de prix à ce que les acteurs européens contribuent positivement à ses travaux.
Au-delà de la dimension technologique de la réflexion qui est conduite au sein du W3 Consortium, il est indispensable que nous restions conscients des autres dimensions, des autres enjeux des évolutions en cours. Il faudra tout particulièrement veiller à ce que des contenus attractifs soient élaborés en Europe, à ce que des entreprises européennes commercialisent des produits et des services Internet : la présence de l'Europe devra être tout autant commerciale et culturelle que technologique pour que l'ensemble des opportunités qui s'ouvrent à elle soient saisies dans les meilleures conditions et avec les plus grands bénéfices, pour son économie et pour ses peuples.