Texte intégral
Date : 12 juin 1997
Source : Le Parisien
Le Parisien : L’éducation nationale s’est contentée pendant de nombreuses années de fermer les yeux ou au pire de muter les enseignants pédophiles. Pensez-vous qu’elle porte une part de responsabilité dans les récentes affaires ?
Ségolène Royal : Ces crimes et ces délits commis par des éducateurs sur des enfants sont des actes odieux que notre société ne peut pas tolérer, comme l’a dit Claude Allègre. Nous serons sans faiblesse. Jusqu’alors, ces dossiers ne remontaient pas jusqu’au ministre. Ils étaient étouffés à la base. Car il fallait absolument sauver la réputation des établissements ou des académies. Au ministère, personne ne suivait particulièrement ce dossier et nous n’avons aucun inventaire des faits. Mardi, le tour par téléphone des inspections académiques a permis d’avoir un premier état des lieux.
Le Parisien : Avez-vous déjà des résultats ?
Ségolène Royal : Il est trop tôt pour le dire et nous voulons faire les choses sérieusement. Il existe les cas suivis par l’administration. Et aussi les plaintes déposées par les familles sur lesquelles l’administration continue parfois à fermer les yeux. Et encore les cas de mutations. Il faut que tout le monde sache que c’en est fini des mutations – au vu et au su de l’administration – de personnels auteurs d’abus sexuels. Un fonctionnaire qui a connaissance de certains délits dans le cadre de ses fonctions a le devoir d’en saisir le procureur de la République. C’est de l’assistance à enfant en danger.
Le Parisien : Que comptez-vous faire ?
Ségolène Royal : Définir une méthode de travail en concertation avec la communauté éducative pour identifier le problème des mutations et des risques de récidive. Nous sommes déterminés à le mener à bien. Il est inadmissible que des enseignants aient été remis au contacts des enfants alors qu’on savait qu’il ne fallait pas le faire.
Le Parisien : Mais les motifs de ces mutations ne sont inscrits dans les dossiers ?
Ségolène Royal : C’est exact. Il va falloir faire appel à la mémoire des inspections académiques. Un groupe de travail sera constitué.
Le Parisien : Et l’enseignement privé ?
Ségolène Royal : Des contacts sont pris avec les responsables de l’enseignement privé pour voir ce qu’ils comptent faire dans ce domaine et comment nous pouvons les aider.
Le Parisien : Comment comptez-vous rompre la loi du silence ?
Ségolène Royal : Nous allons clarifier les règles de comportement incombant aux responsables administratifs, inspecteurs d’académie, directeurs d’école, collèges, qui n’osent pas parler parce qu’ils pensent être des délateurs. Nous allons leur expliquer comment concrètement faire face à ces cas. Par exemple pour saisir le procureur de la République. Il faut organiser de façon claire et solide les procédures de signalement pour épauler la communauté éducative. Comme l’a précisé Claude Allègre, en cas de faits avérés, il y a aura suspension immédiate, ce qui n’est pas toujours le cas. Nous irons même plus loin. La responsabilité de ceux qui se taisent sera engagée. À ce jour, un responsable ayant muté en toute connaissance de cause un enseignant qui s’est livré à des agressions sexuelles n’a pas été poursuivi. C’est fini. Le droit va être enfin appliqué en étroite liaison avec le ministère de la Justice, bien évidemment.
Le Parisien : Et que faire pour épauler les familles ?
Ségolène Royal : Elles s’étonnent d’être toutes seules à porter le fardeau, ce qui est très difficile. Lorsque leur enfant a été « abîmé » dans le cadre de l’Education nationale, elles se demandent pourquoi l’institution n’est pas à leur côté. Nous avons découvert des situations aberrantes où l’avocat de l’Education nationale se retrouve au côté de l’agresseur et non au côté des familles. Or l’éducation nationale doit être au côté des enfants victimes de violences comme elle doit être au côté des enseignants victimes de violence.
Le Parisien : Et la formation des enseignants ?
Ségolène Royal : Il faudra mieux les sensibiliser à ces problèmes. L’école doit être un lieu de discipline, de dialogue, d’autorité et de respect mutuel. Et quand la violence surgit à l’école, il faut que les enseignants soient formés pour y faire face. On ne peut pas à la fois supprimer cinq mille postes (NDLR : au budget 1997) et lutter contre la violence. Nous travaillons au rétablissement d’un certain nombre d’entre eux et nous comptons bien aussi participer au programme de création des trois cent cinquante mille emplois pour les jeunes.
Date : Jeudi 12 juin 1997
Source : France 2
France 2 : Claude Allègre et vous-même avez affirmé votre volonté de vous attaquer résolument à la violence et à la pédophilie à l’école. Commençons par les agressions sexuelles, illustrées malheureusement récemment par de nombreuses affaires, comment intervenir, comment prévenir ?
Ségolène Royal : Je crois qu’il faut que chacun sache aujourd’hui que la loi du silence, c’est terminé et que le ministère se trouvera aux côtés des victimes. Et que ce que nous trouvons particulièrement odieux, Claude Allègre et moi, c’est que les enseignants aient pu être mutés, en toute connaissance de cause, c’est-à-dire aient pu être remis au contact des enfants alors qu’il était connu de tous qu’ils avaient commis des délits ou des crimes sexuels sur des enfants. Cela, maintenant, c’est terminé.
France 2 : Justement, concrètement, comment allez-vous intervenir pour que ce genre de pratique cesse ?
Ségolène Royal : D’abord, je voudrais dire que l’école est quand même un lieu de sécurité où les enfants sont heureux et où les enseignants sont en France d’excellente qualité, qu’il ne faut donc pas surestimer ce phénomène ni, bien sûr, le sous-estimer. Aujourd’hui, je crois qu’il est sous-estimé parce que chacun ferme les yeux, il faut sauver la réputation de tel établissement ou de telle académie et, en effet, des pressions ont eu lieu sur des familles et sur des enfants pour qu’ils se taisent. Je crois qu’il faut aujourd’hui faire passer le message suivant : il faut croire la parole des enfants, il faut que les parents soient attentifs aux signaux d’alarme que lancent les enfants qui subissent finalement, lorsqu’un enseignant trahit la fonction qui lui est confiée, comme une sorte de torture. Il est là pour respecter son enseignant, pour être protégé à l’école et c’est le contraire qui se passe. Donc, cette loi du silence – là aussi qui s’impose aux enfants parce qu’ils ont honte, ils se sentent coupables : il faut dire aux enfants qu’ils ne sont pas coupables et ce qui leur arrive, que l’enseignant lui sait qu’il fait le mal lorsqu’il le fait. Donc, l’enfant doit parler, ses parents doivent l’écouter et nous allons les aider, les accompagner tout au long des procédures car ce qui me choque aujourd’hui, c’est que les familles sont isolées dans les tribunaux et que l’Education nationale n’est pas du tout à leurs côtés. Donc, cela aussi, ça va changer.
France 2 : Donc, rompre la loi du silence et en finir avec les mutations. C’est-à-dire que lorsqu’il y aura un cas, l’enseignant sera immédiatement éliminé ?
Ségolène Royal : Le dispositif sur lequel nous sommes en train de réfléchir avec Claude Allègre, est le suivant : dès qu’il y aura des cas avérés et on sait comment les identifier – il n’est pas, bien évidemment, question de prendre des mesures si les cas ne sont pas certains –, l’enseignant sera immédiatement suspendu et ce sera le ministère de l’Education nationale qui saisira le procureur. Je me suis rendue compte par exemple qu’à l’heure actuelle, même lorsque les cas sont avérés – je pense à un enfant qui a été violé dans le cadre d’une section sport-étude –, le rectorat n’a rien fait. Et quand je l’interroge : « pourquoi vous n’avez rien fait ? » « C’est parce que nous n’avons pas d’instructions claires. » Donc, nous allons rédiger des instructions très claires pour expliquer comment on saisit le procureur de la République, par écrit, il ne s’agit pas de donner, comme ça, un vague coup de téléphone et comment on accompagne psychologiquement et juridiquement les familles.
France 2 : Il y a la pédophilie, il y a également tout ce qui est regroupé autour de la violence à l’école, ses différents aspects, les agressions, des enfants qu’on a retrouvés avec des armes dans les cours de récréations, les classes saccagées, comme à Strasbourg… Comment intervenir face à cette violence ?
Ségolène Royal : Il y a aussi les violences que subissent les enseignants, qui sont absolument également intolérables. Et il faut que les enseignants sachent aussi que le ministère sera à leurs côtés, de façon inflexible, par rapport aux enfants, même si ces enfants sont très jeunes. Je pense que tous ces problèmes de violence contre les enseignants, contre les enfants, entre les enfants entre eux ou aux portes de l’école, constituent des problèmes qui mettent en cause la réussite scolaire. Donc, ils doivent absolument être éradiqués du système scolaire. L’école doit devenir un lieu bien sûr de dialogue et de discipline, nous souhaitons renforcer le pouvoir d’autorité des chefs d’établissement, ça doit être un lieu d’obéissance aussi et de respect mutuel. Autrement dit, il faut – et nous sommes en train d’y réfléchir – rétablir une sorte de morale citoyenne dans l’école qui correspond, je crois, à ce que le Premier ministre veut faire au niveau national : rétablir une morale citoyenne de comportement des citoyens des uns par rapport aux autres. Comment vivre ensemble, comment se respecter, comment s’écouter, comment avoir une éthique du comportement. Et ces préoccupations-là seront intégrées, nous le pensons, dans les programmes scolaires.
France 2 : On a beaucoup parlé, pendant la campagne électorale, des enfants qui ne pouvaient plus aller à la cantine, faute de moyens financiers. Il y a un cas précis à Beaucaire où une élève de dix ans a été raccompagnée par la police municipale chez elle parce que sa mère n’avait pas payé la cantine, il manquait 230 francs. Qu’est-ce que vous en pensez ?
Ségolène Royal : Je pense qu’il est intolérable que, dans notre pays qui est un pays riche même s’il y a beaucoup d’inégalités, qui est la quatrième puissance industrielle du monde, des enfants soient en situation de carence alimentaire et ne mangent pas à leur faim. C’est vrai dans les collèges, c’est vrai aussi dans certains lycées. Il faut savoir qu’il y a trois ans, le système des bourses a été modifié par le gouvernement Balladur pour faire croire aux familles que l’allocation de rentrée scolaire augmentait. On a cumulé les bourses, on les a versées en une seule fois alors qu’auparavant, elles étaient versées par trimestre et directement aux collèges. Donc, le collège payait la cantine et reversait à la famille le différentiel de bourse. Aujourd’hui, quand les bourses sont versées au mois de septembre, les familles défavorisées ont toutes les factures à payer et, au bout de trois mois, n’ont plus d’argent.
France 2 : Donc, on va revenir au système ancien ?
Ségolène Royal : Nous allons en effet essayer de revenir à un système de versement direct des prestations au collège pour que les enfants aient accès au droit élémentaire qui est de manger à sa faim. J’observe aussi que le fonds social collégien et le fonds social lycéen, ce qui permet justement de faire face à des situations de difficultés, a été considérablement diminué, pratiquement divisé par deux par le Gouvernement précédent. Donc, nous sommes en train d’examiner de quelle façon nous pouvons répondre mieux que cela n’est fait aux situations d’urgence.
France 2 : Il y a beaucoup d’autres questions très concrètes qui dépendent de votre ministère, par exemple les rythmes scolaires : est-ce que c’est une préoccupation ? Est-ce que par exemple la fameuse fin de l’école le samedi, ça fait partie de vos priorités ?
Ségolène Royal : Oui, je pense que l’adaptation des rythmes scolaires dont a aussi la charge le ministre de la Jeunesse et des Sports, c’est quelque chose de très important parce que c’est au cœur de l’harmonisation de la vie familiale et de la vie de l’école et qu’un enfant doit vivre harmonieusement ces deux lieux où il reçoit l’éducation qui lui permet de devenir un adulte responsable, où il apprend à maîtriser le monde qui l’entoure.
France 2 : Donc, vous vous en occupez, ça fera partie de vos préoccupations ?
Ségolène Royal : Bien sûr.