Déclarations de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, et de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, à Paris le 24 juin 1997, et interview à TF1 le 29 juin 1997, sur les orientations de la politique de l'éducation nationale.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Première conférence de presse conjointe de Claude Allègre et Ségolène Royal, à Paris le 24 juin 1997.

Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Conférence de presse de Claude Allègre, ministre de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, et de Ségolène Royal, ministre délégué chargé de l’enseignement scolaire, le 24 juin 1997


Claude Allègre

Mesdames, Messieurs,

Dans le processus de concertation progressive que nous avons entamé, cette conférence de presse est destinée, non pas à vous annoncer des mesures extravagantes ou surprenantes, mais d’abord à vous donner un peu notre perception de la situation du ministère tel que nous le trouvons et tel qu’il est fait. Notre objectif est aussi de vous donner une idée du « périmètre » de ce ministère qui obligera probablement les médias à prendre l’habitude de cette association. Enfin, nous répondrons à un certain nombre de vos questions.

Hier, d’une manière qui ne nous est absolument pas imputable, mais qui est imputable à l’administration, dans la concertation que nous avions avec les acteurs du service éducatif, nous avons oublié d’inviter les parents de l’enseignement privé. C’est une erreur. Naturellement, ni Madame Royal ni moi-même ne nous sommes occupés de regarder par le détail. Il faut savoir que plus de 250 associations et syndicats étaient concernés par cette réunion. On me dit que l’habitude est de voir le secrétaire général de l’enseignement privé avant de recevoir les parents d’élèves. Cela explique peut-être que ces derniers n’aient pas été convoqués. Ils n’étaient pas contents, mais je tenais à mettre tout de suite les choses au point pour bien montrer qu’il s’agit d’un « loupé » et non d’une volonté. Nous avons l’un et l’autre, parfois ensemble, vu un grand nombre d’acteurs du système d’éducation, de la recherche, de la technologie, dont je vous ferai la liste dans un instant, et nous commençons à partir de cet après-midi les consultations syndicales avec les fédérations parce que nous ne pouvons pas descendre au niveau des syndicats, sachant qu’il y en a plus de 200.

Je vais d’abord vous dire un mot sur le « périmètre » du ministère, vous faire part d’un certain nombre de sensibilités et d’orientations très générales, ensuite Ségolène Royal vous parlera du secteur dont elle a plus particulièrement la charge, puis nous répondrons ensemble à vos questions.

Ce ministère – et ce n’est ni un hasard ni pour satisfaire un appétit technocratique quelconque – s’étend de l’éducation, c’est-à-dire des écoles maternelles, à l’ensemble de l’enseignement scolaire, c’est-à-dire les écoles, les collèges, les lycées, et à l’enseignement supérieur. Sur ce dernier point, il y a une nouveauté, c’est que ce ministère a la coordination de l’ensemble des grandes écoles et des universités, et la cotutelle et la tutelle des grandes écoles en même temps que celle des universités, des IUT et des IUP. Ce ministère est également celui de la recherche, et là aussi avec une coordination qui est le BCRD, avec un retour à une pratique plus conforme à l’esprit du BCRD, puisque nous coordonnerons l’effort national de recherche d’un point de vie budgétaire. D’ailleurs la plupart des organismes de recherche nous sont rattachés directement. Nous avons également en charge la technologie et donc tout ce qui est en amont entre la recherche technologique et le passage aux applications industrielles, la politique industrielle n’étant pas naturellement du ressort de ce ministère.

L’idée de ce ministère, c’est d’avoir une cohérence dans la préparation de la France pour entrer dans le XXIe siècle et dans le grand combat qui sera le combat de la matière grise. Nous pensons que les technologies modernes – y compris le multimédia, mais pas seulement – et la recherche sont les ferments qui doivent nourrir l’ensemble de l’enseignement, et cela dès le niveau élémentaire. L’idée est de redéployer à la fois la création et la transmission du savoir, l’une étant liée avec l’autre. Par l’éducation, il s’agit de mieux former les citoyens, probablement sur le plan des valeurs traditionnelles. Au risque de paraître « ringard », oui, nous allons introduire un enseignement de la morale dans l’ensemble des établissements, parce que nous pensons que les valeurs, pour beaucoup de jeunes, se sont un peu effritées. Mais en même temps, la citoyenneté c’est comprendre le monde dans lequel nous vivons, et sans un minimum de culture scientifique, on voit changer ce monde sans comprendre ce qu’il est. Or il s’est produit dans l’enseignement scientifique de ce pays un état de fait qui aboutit à classer la population en deux catégories. Il y a ceux qui sont scientifiques et ceux qui ne le sont pas. Ceux qui le sont aiment la science et la comprennent. Ceux qui ne sont pas scientifiques ne comprennent rien. Et on se demande parfois si cet état de fait n’a pas été voulu. La science est devenue un moyen de sélection et non pas un élément de culture. Or nous vivons dans un monde de plus en plus technique, de plus en plus scientifique et il n’est pas nécessaire de manipuler des équations différentielles compliquées pour comprendre les éléments de ce qu’est Ariane ou Superphénix et pourquoi on le ferme ou pourquoi on ne le ferme pas. Autrement dit, la citoyenneté c’est aussi faire en sorte que le savoir ne fabrique pas des ghettos intellectuels et ne sépare pas de la nation des populations entières qui subissent le monde au lieu de jouer leur rôle à l’intérieur de ce monde.

L’enseignement scientifique s’est beaucoup dégradé dans l’enseignement primaire au cours de ces dernières années et en même temps nous sommes dans une période où on ne sait pas bien ce qu’il faut enseigner. Je voudrais vous faire comprendre une chose : certains d’entre vous ont l’impression que le savoir est quelque chose qui tombe du ciel, plus exactement qui tombe d’Amérique. Il faut savoir qu’aujourd’hui la production du savoir se fait, au niveau mondial, à peu près à égalité entre l’Amérique et l’ensemble de l’Europe. Un article récent de la revue « American Science » montre cela très bien. Et, naturellement c’est une compétition constante, ce savoir est produit et change tous les jours. Les disciplines naissent continuellement. Que faut-il faire pour que ce savoir soit enseigné et comment doit-on l’enseigner ? Comment doit-on enseigner la biologie aujourd’hui ? Ou la chimie ? Quel type de physique faut-il enseigner ? Personne n’en sait plus rien et on a choisi depuis des années de pratiquer la technique du millefeuille : on empile les couches les unes sur les autres. Cela a eu pour effet d’augmenter les programmes et les horaires. Dans l’enseignement, je ne vais pas faire de jeu de mots, l’on fait plus de culture extensive que de culture intensive. C’est pourtant cette dernière qui conduit à l’élaboration de programmes bien faits et bien sus, qui permettent de structurer les intelligences, de faire face et de s’adapter continuellement. C’est le cœur de ce problème, qui est difficile. Et je vais vous surprendre, ce n’est pas à coup de milliards que ce problème va se résoudre, c’est à coup d’intelligence. Nous allons avoir besoin d’organiser cette réflexion, pour savoir comment, par cet enseignement, nous allons mieux former les gens. Et ceci va déboucher sur un changement radical, je dis bien radical, de la conception de l’école. Là se situe le plus grand pari de cette fin de siècle et du début de siècle qui arrive. Nous vivons tous dans l’idée de l’école de Jules Ferry, c’est-à-dire d’une école où l’on apprend et puis d’une vie où l’on applique les connaissances. Jules Ferry disait même : « il faut apprendre le plus possible à l’école parce qu’après vous n’aurez plus jamais l’occasion d’apprendre ». Naturellement cette vision est périmée. Personne ne peut apprendre à l’école tout ce dont il a besoin dans la vie, car les savoirs sont immenses.

Par conséquent, quel est le système qu’il faut mettre en place ? Il faut mettre en place un système de va-et-vient entre l’école et la vie. On parle toujours de formation continue, c’est d’éducation continue qu’il faut parler. Mais dans cette éducation continue, lorsqu’après un certain nombre d’années de métier on revient à l’école, on ne vient pas seulement pour recevoir de nouveaux savoirs, on vient apporter aussi son expérience et ce que l’on a créé soi-même dans le travail professionnel. Cette formation continue, ce ne sont plus des maîtres qui délivrent aux élèves ce qu’ils savent et des élèves qui écoutent. C’est un échange entre des gens qui ont une expérience professionnelle, qui ont une expérience de création de savoir, et d’autres qui ont une autre réflexion. C’est un changement extraordinaire. L’école doit s’ouvrir sur la vie, elle doit s’ouvrir sur la cité, elle doit écouter et en même temps transmettre continuellement. Ce changement a naturellement des conséquences très pratiques. Les locaux universitaires ne peuvent plus être utilisés pendant huit mois de l’année, les locaux étant vides le reste du temps. Les locaux et les matériels devront être utilisés à plein, pour réaliser cette formation continue. Ceci sera nourri naturellement par tout ce qui sera en amont, c’est-à-dire la recherche et la technologie.

Les organismes de recherche ne peuvent plus rester en marge de ce mouvement d’éducation. Il faut que naisse et se développe une synergie complète. Il faut que, à l’occasion d’un tir d’Ariane, il y ait dans toutes les écoles de France une discussion sur ce qu’est l’espace et la conquête spatiale, sur la signification technologique et même philosophique de cette conquête. Nous avons une grande action à faire. Vous savez que la France est le quinzième pays d’Europe dans l’utilisation des nouvelles technologies dans l’enseignement. Voilà un défi considérable. Nous ne pouvons pas former des jeunes qui seront en retard sur leurs collègues européens, y compris sur les Grecs ou les Portugais, dans l’emploi des nouvelles technologies. C’est pourquoi nous avons besoin de faire pénétrer dans l’éducation cet esprit de la technologie et de la science modernes.

Voilà le grand projet. Je lisais un article dans « Le Monde », au moment de la formation du Gouvernement, de quelqu’un que j’aime bien et qui disait : « On a oublié un ministère, le ministère du savoir et de la technologie ». Il terminait, c’était gentil, en disant : « Pourtant il y avait quelqu’un capable de le faire à l’intérieur de ce gouvernement ». Mais en fait c’est cela que nous avons fait et cela que nous voulons faire. Est-ce qu’on va réussir ? Suite au prochain numéro, nous verrons dans les années qui viennent. Mais le mouvement est amorcé.

Ouverture de l’école, écoute de l’école, donc, et resserrement de la formation initiale sur des savoirs fondamentaux bien sûr. Et là, le point central, le nœud gordien, le carrefour, ce sont bien sûr les formations supérieures et l’enseignement supérieur, qui se trouvent au centre de tout cela. Il faut savoir que l’Université française a fait face à un défi comme aucune administration dans ce pays. Elle a fait face en trente ans à un accroissement du nombre d’étudiants, non pas de 10 ou 20 %, mais de 500 %. Et malgré cela, malgré les moyens qui ont été à chaque fois des rattrapages, elle a augmenté considérablement la qualité de son enseignement. L’enseignement que nous donnons aujourd’hui dans les universités françaises n’a rien à envier à aucun enseignement des grands pays du monde et il est bien meilleur que l’enseignement que l’on donnait il y a trente ans. Car c’est là qu’est notre difficulté et je voudrais d’entrée de jeu le dire. Je lis ou j’entends des mots : catastrophique, désastreux, etc. Dites-vous bien que l’enseignement français est l’un des meilleurs du monde. Il est le meilleur du monde à l’école maternelle, il est sans doute encore l’un des meilleurs du monde à l’école primaire, et il demeure pour le reste dans le peloton de tête. Mais ce n’est pas pour cela qu’on est satisfait et qu’il ne faut pas aller de l’avant. Nous devons l’améliorer constamment, mais il faut garder raison et ne pas se complaire dans le catastrophisme ou le pessimisme systématique. Bien sûr nous avons des problèmes, bien sûr nous avons une inégalité qui naît, bien sûr nous avons des tendances à ce que s’établisse une école duale. Mais néanmoins, globalement les enseignants sont de grande qualité et cet enseignement est excellent.

Comme je le disais pour l’enseignement supérieur en particulier, l’enseignement secondaire également a su faire face au défi de la quantité. Maintenant la situation est différente. Nous sommes dans une décroissance démographique dans le primaire, dans le secondaire et dans le supérieur. Par conséquent on pourrait dire : tout est gagné, il n’y a plus rien à faire. Eh bien non, c’est là qu’il faut saisir cette opportunité pour, après avoir gagné le pari de la quantité, gagner le pari de la qualité pour tous. Et, dans l’objectif de la qualité pour tous, nous avons un autre défi à relever car nous allons à l’encontre d’une histoire qui a tendu à uniformiser notre enseignement. Je crois pour ma part que les talents sont beaucoup plus grands, beaucoup plus multiples que ce que l’on croit. Mais pour cela il faut reconnaître et imposer la diversité. L’égalité républicaine ce n’est pas l’uniformité, ce n’est pas l’égalitarisme, c’est la diversité. Ce qu’il nous faut, c’est faire en sorte que les enfants, les étudiants, puissent, à tous les niveaux, épanouir leurs talents. C’est la base, c’est l’ambition. Faire rentrer la diversité, en gardant une école laïque, gratuite, et qui préserve l’égalité des chances pour tous. Et l’égalité des chances, c’est permettre aux différents talents de s’épanouir. Voilà quelle est notre ambition et notre programme pour l’école.

Pour les organismes de recherche, vous avez lu les engagements de la campagne électorale. L’éducation, la recherche, la technologie seront une priorité budgétaire. Nous aurons un certain nombre de moyens, dans le cadre des contraintes générales qui sont les nôtres.

Je voudrais, pour convaincre les plus sceptiques, donner deux éléments. Lorsque nous étions à l’Education nationale auprès de Lionel Jospin, le budget de l’enseignement supérieur a doublé en cinq ans. Les enseignants ont été revalorisés. Ce fut le meilleur budget de l’Education nationale. Donc vous pouvez faire confiance au Premier ministre, l’éducation nationale, la recherche et la technologie ne seront pas oubliées.

Un dernier mot sur le problème qui nous tenaille tous et qui est notre priorité : l’emploi. Oui, nous allons être en première ligne de cette lutte pour l’emploi et d’abord pour l’emploi des jeunes. Il n’est pas normal que nous produisions dix mille docteurs par an, qu’un bon nombre de ces docteurs erre, faute de trouver des débouchés. Vous vous douterez que c’est ma première priorité. Car si nous ne donnons pas des débouchés à ceux qui ont passé victorieusement les obstacles de la sélection universitaire progressive, eh bien à ce moment-là on ne croit plus à l’école, parce que ce n’est plus la peine de faire d’études si c’est pour se retrouver chauffeur de taxi après avoir soutenu une thèse. Nous avons le devoir de résoudre ces problèmes, de résoudre le problème de tous ces gens qui ont réussi leurs études et qui sont dans la désespérance. C’est pourquoi l’emploi scientifique va reprendre.

Mais nous avons par ailleurs un plus grand déficit encore : les étudiants qui ont fait des thèses – donc qui se sont heurtés au monde de la création, de l’invention, de l’innovation – ne sont pas suffisamment embauchés dans les entreprises françaises. D’abord, lorsqu’on compare les patrons français et les patrons américains, on constate que ces derniers sont pour la plupart des gens qui ont fait un PHD ou un master, c’est-à-dire qui sont ouverts à l’innovation. Les nôtres, pour l’essentiel, sortent de grandes écoles où ils ont appris quantité de choses, ils sont devenus savants, mais ils n’ont jamais créé dans leur vie, ce qui fait qu’ils ne sont pas formés à accepter l’innovation. On a ainsi des découvertes françaises, comme ce fut le cas encore récemment, qui sont exploitées par les Japonais ou les Américains, et dont ensuite nous rachetons les brevets. Nous avons le devoir impérieux de faire pénétrer l’innovation dans notre technologie et notre industrie. Cela sera difficile, mais le périmètre de ce ministère doit permettre de progresser dans ce domaine, et de pouvoir créer sans doute ces fameuses entreprises innovantes, en sachant toutefois que la culture de notre pays n’est pas une culture de pionniers. Nous ne sommes pas les descendants des cow-boys et les universitaires français créent beaucoup moins facilement des entreprises que leurs collègues américains. Il faut le savoir.

C’est pourquoi je reviens toujours à ces séparations précoces qui caractérisent notre éducation. Je crois qu’une grosse erreur a été faite dans le passé en séparant l’enseignement technique de l’enseignement général. Je crois que dans le futur nous devons rapprocher formation et éducation. Il ne doit pas y avoir d’éducation, au niveau du collègue, du lycée ou de l’université, sans un peu de formation professionnelle. Et il ne doit pas y avoir de formation professionnelle et technologique sans une formation générale, faute de laquelle aucune reconversion n’est possible. Nous devons peu à peu, chacun restant chez soi, rapprocher l’enseignement technologique et l’enseignement général. À cet effet, nous prendrons une mesure symbolique l’an prochain. Dans les grands lycées de France dits d’enseignement général, nous allons faire en sorte qu’il y ait des classes technologiques, nous allons aussi faire en sorte que la filière technologique de préparation aux grandes écoles conduise à nombre de postes significatifs dans les plus grandes écoles de France. Parce qu’il fait redonner de la noblesse à l’enseignement technologique. C’est une priorité essentielle.

Voilà ce que je voulais vous dire sur ce périmètre et l’état d’esprit qui nous anime. « Alors, pourriez-vous me dire, vous n’avez pas sorti de vos poches des mesures diverses et ponctuelles ». Tout à l’heure, à l’occasion des questions, nous vous répondrons mais nous voulions surtout vous expliquer dans quel esprit nous travaillons. Nous allons travailler dans un esprit de concertation, avec tous les acteurs du système éducatif et de recherche, mais pas dans un esprit de cogestion. L’Education nationale et la Recherche ne sont pas cogérés. La responsabilité revient à la représentation nationale, elle sera assumée. Mais dans le même temps je pense que rien ne peut être fait sans une concertation. C’est pour cela que nous avons lancé dans le domaine de l’éducation et de la recherche cinq tables rondes pour les mesures d’urgence, pour que l’ensemble des acteurs soient associés à la discussion. Et vous serez informés d’une manière régulière de ces progrès. J’en prends l’engagement, cela ne se fera pas par des manipulations plus ou moins secrètes. D’une manière générale, je vais prendre un engagement devant vous, nous ne mentons pas et nous ne mentirons pas. Si nous ne voulons pas vous dire quelque chose, nous dirons : on ne peut pas vous le dire, mais on ne vous racontera pas de mensonges. J’espère que vous ferez de même en ce qui nous concerne.

Je donne la parole maintenant à Ségolène Royal.

Ségolène Royal

Pour faire une transition directe avec ce que vient de dire Claude Allègre, je dirai que nous nous intégrons aujourd’hui, en prenant nos responsabilités, dans une double dynamique positive. La première, c’est la réaffirmation par le Premier ministre de la priorité redonnée à l’éducation nationale. Cela peut vouloir dire plusieurs choses.

Tout d’abord, ce n’est pas seulement une augmentation de moyens en volume, mais c’est aussi l’idée que les moyens doivent être affectés en fonction des besoins, c’est-à-dire donner plus à ceux qui ont moins. Nous pensons que l’égalité républicaine, ce n’est pas l’uniformité dans la répartition des moyens, mais c’est la reconnaissance et le traitement particulier des inégalités.

Le second élément de cette priorité redonnée à l’éducation nationale, c’est l’idée de l’amélioration de la qualité du premier service public français, celui de l’éducation. Premier service public à la fois en nombre de personnels, mais, bien au-delà, en termes d’attente des citoyens et des familles, surtout dans un contexte économique difficile, où l’on se rend compte que les Français attendent tout de l’école et attendent même trop de l’école. Donc, je crois que nous devons leur donner ce qu’ils attendent, leur dire aussi quelles sont les milites de l’action éducative, mais en même temps ne pas restreindre nos préoccupations à ce qui se passe derrière les portes de l’école. Puisque l’enfant est une personne, il n’est pas dans l’école, puis en dehors de l’école. Dans l’évolution de l’école qu’évoquait Claude Allègre, le travail que nous aurons à faire, c’est sans doute de prendre davantage en compte de manière globale les enfants et les enseignants par rapport à leur condition de vie, à leur condition scolaire, par rapport aux nouvelles conditions d’existence aussi dans la famille.

En troisième lieu, la priorité redonnée à l’éducation nationale, c’est de redire des choses simples. C’est que, de la maternelle au baccalauréat, l’école doit être un lieu de respect et de discipline. Elle doit bien évidemment être aussi un lieu de dialogue, et la violence sous toutes ses formes doit en être éradiquée, si l’on veut que l’école soit un lieu d’apprentissage du civisme, c’est-à-dire du respect d’autrui. Nous allons chercher à valoriser l’école citoyenne et là aussi à ne pas découper en rondelles ces différentes préoccupations. Par exemple, une grande campagne de sensibilisation à la violence aura lieu dès la rentrée prochaine. Cette campagne, qui aura lieu non pas par un effet d’annonce limité dans le temps mais s’inscrira dans une action à long terme, en profondeur, avec des méthodes d’évaluation de ce qui se fait sur le terrain, peut prendre place dans des journées citoyennes. Il va falloir des temps forts au cours de l’année scolaire, et pas seulement deux ou trois jours de sensibilisation à ces questions à la rentrée. Je crois qu’aujourd’hui, c’est à l’école que l’on apprend l’éthique du comportement en société. Et cela de la maternelle jusqu’au baccalauréat. À chaque étape de la vie, il y a bien sûr la maturité des enfants, dont il faut tenir compte. C’est pourquoi nous allons aussi cibler les instruments pédagogiques par rapport à la maturité de l’enfant. Mais cet apprentissage du comportement comment dès l’âge de deux ans.

En quatrième lieu, il faut décliner au sein de l’éducation nationale le « gouverner autrement » de Lionel Jospin. C’est-à-dire que les réformes pédagogiques qui ont eu lieu, tant dans les collèges que dans les lycées, pourront être réorientées. Je pense en particulier aux collèges, mais je prendrai le temps de le faire, pas à la prochaine rentrée, c’est trop tard.

En même temps, je crois que ces réformes pédagogiques, à la fois celles qui seront maintenues et celles qui seront réorientées, ne produiront leur plein effet que si la concertation, le partenariat, la démocratie, au sein des établissements d’une part, et entre les établissements et le monde extérieur d’autre part, sont renforcés. Donc cette préoccupation-là aussi, il faudra la porter sur plusieurs années.

Enfin quant au rôle de l’éducation nationale dans la lutte pour l’emploi, Claude Allègre en a parlé à l’instant, je n’y reviendrai pas. Bien évidemment nous souhaitons, d’une part, nous intégrer pleinement et puissamment dans l’objectif de création des 350 000 emplois pour les jeunes, d’autre part rappeler que le Premier ministre a annoncé qu’il n’y aurait plus de suppressions de postes de fonctionnaires, donc bien évidemment plus de suppressions de postes dans l’Education nationale.

Enfin, en ce qui concerne des problèmes plus urgents, nous sommes en train d’examiner de quelle façon les suppressions draconiennes qui ont eu lieu au cours des derniers mois pourraient être surmontées pour qu’à la rentrée prochaine les choses se passent correctement sur le terrain.

Le deuxième atout, c’est celui qu’a exprimé à l’instant Claude Allègre : pour la première fois l’enseignement scolaire, dont j’ai la charge, s’intègre à un ministère très vaste qui comprend la recherche et la technologie. Le défi qui est devant nous est de faire en sorte qu’il n’y ait plus de coupure entre le parcours scolaire des élèves qui mène jusqu’au baccalauréat et le monde de la matière grise qui produit des savoirs, monde de l’université et des organismes de recherche. Il faut qu’il y ait une osmose, que l’enseignement scolaire bénéficie aussi de l’excellence qui existe dans ce pays et vienne imprégner la totalité des échelons de la formation des enfants et des jeunes. C’est un défi formidable que nous avons à assumer, à prendre en main, pour que tout ce qui rayonne dans ce pays puisse bénéficier également aux jeunes générations.

Je suis une femme de terrain. En ce qui concerne le travail concret, j’ai l’intention d’aller au fond des choses par rapport à ce qui est dit, de ne pas me bercer d’illusions. Quand on nous dit que tout va très bien, que ce problème-là est réglé, je ne me satisfais pas de ces réponses. Ce que nous avons l’intention de mettre en place, ce sont des réseaux d’évaluation, des réseaux d’information, des relais dans les établissements, dans les inspections académiques, dans les rectorats, autour de trois priorités, pour ce qui me concerne, qui vous paraîtront peut-être évidentes, mais je crois qu’il faut revenir à des objectifs simples.

D’abord la priorité de la réussite scolaire, ensuite la lutte contre l’exclusion sociale et enfin l’amélioration des conditions de vie et de travail dans l’école. Je voudrais simplement donner un exemple autour de ces trois axes majeurs d’action pour l’école. En ce qui concerne la réussite scolaire des enfants, je considère qu’il y a beaucoup à faire sur les questions d’orientation, et j’ai d’ailleurs entamé une réflexion sur le déroulement des conseils de classe. Je n’accepte plus qu’on dise à un enfant tout au long de sa vie scolaire qu’il est un médiocre. J’estime que dans chaque enfant il y a une part de réussite. Il faut aller la chercher, il faut la trouver. Un enfant à qui l’on dit pendant des années « médiocre », « moyen », ça ne veut rien dire. Et l’on sait parfaitement que lorsqu’on dit d’un enfant qu’il est un bon à rien, il devient un bon à rien, il se met dans le moule qu’on lui assigne. Cela n’est plus possible. Il faut ouvrir les yeux sur les compétences diversifiées et l’entrée des nouvelles technologies à l’école le permettra. Après tout, un enfant bon en gymnastique et mauvais en lecture, et bien ce n’est déjà pas si mal, parce que s’il est bon en gymnastique c’est qu’il a aussi des atouts quelque part. Donc à partir des atouts que l’on peut repérer, il faut le tirer vers le haut. Je veux que tous les enfants de ce pays soient tirés vers le haut et cessent d’être parfois tirés vers le bas, lorsque tombe le couperet des évaluations dans les conseils de classe. Je sais bien qu’il faut du temps pour prendre en considération un enfant dans sa globalité, pour s’interroger sur les raisons de son échec scolaire, pour savoir comment l’orienter au mieux, mais je crois aussi qu’il y a beaucoup d’inégalités entre les parents qui ont l’information et les parents qui ne l’ont pas. Par conséquent, le système scolaire doit apporter, au niveau de l’orientation des élèves, l’information aux familles, l’information aux élèves, se substituer à ce manque d’information qui est un élément essentiel de l’inégalité entre les enfants, pour que chacun puisse demain être l’adulte qui trouve sa place dans la société, avec ses propres compétences, avec ses propres qualités.

Le second exemple est la lutte contre l’exclusion sociale. Aujourd’hui, cette lutte commence à l’école primaire, et en particulier autour du problème de la lecture. Nous avons un système scolaire d’excellente qualité, je crois qu’il faut le redire, mais autour de lui la société évolue et les inégalités s’accroissent aussi. L’accès aux nouvelles technologies, je pense à l’informatique, va créer de nouvelles inégalités, parce que pour accéder à l’informatique, il faut aussi savoir lire. Le fait qu’un enfant ne sache pas lire, c’est là que se trouve la racine des inégalités sociales et la racine de l’échec scolaire. Un enfant qui ne sait pas lire correctement en CP n’aura jamais le baccalauréat. On le sait. Et plus grave encore, l’enfant lui-même le sait. Il est donc déjà en situation de révolte sociale par rapport à l’école, à la société. Lorsqu’on voit le niveau de l’analphabétisme ou de l’illettrisme des adultes, on se rend compte que là se trouve la première des priorités de l’école primaire. Une parmi d’autres, mais je vous donne un exemple qui illustre ces préoccupations-là.

En ce qui concerne l’amélioration des conditions de vie et de travail de toute la communauté éducative, il faut insister sur le rôle des personnels non enseignants, qui sont souvent en situation de grande misère dans les établissements scolaires. Or c’est de là que résulte aussi la qualité de la vie dans les établissements scolaires. Je pense au rôle de la médecine scolaire dans les écoles et évidemment au problème des cantines scolaires.

Ce qui me permet de faire la transition vers quelques éléments d’actualité qui ont déjà été évoqués par le Premier ministre pour vous dire comment nous traitons dans l’urgence les problèmes qui se posent aujourd’hui. Vous avez vu que l’allocution de rentrée scolaire a été augmentée. On ne le redit pas assez. On entend beaucoup parler des discussions qui ont lieu à juste titre sur les allocations familiales. Rappelons quand même que l’allocation de rentrée scolaire passe de 420 Francs à 1 600 Francs, que 2 900 000 familles sont ainsi concernées, pour 5,5 millions d’élèves. Cette décision de justice sociale, qui a été prise par le Gouvernement, est quand même d’une ampleur considérable.

L’autre engagement qui a été pris et sera mis en œuvre, c’est qu’à la rentrée prochaine, tous les enfants puissent manger à leur faim et qu’on ne nous raconte plus, comme je l’ai entendu lorsque j’étais député à l’Assemblée nationale que si les enfants n’allaient plus à la cantine c’est parce qu’ils avaient changé leurs habitudes alimentaires. Ce n’est pas sérieux, parce que les enquêtes sociales qui ont lieu montrent bien évidemment qu’il y a un problème de misère sociale qui empêche les enfants de manger à leur faim. Aussi, le premier travail qui a été fait, c’est un inventaire département par département. C’est difficile parce qu’il faut revenir au niveau des collèges et des écoles, des collèges surtout, parce que dans les écoles le problème ne se pose pas dans la mesure où les communes, avec les bureaux d’aide sociale, prennent en charge le problème. La vraie difficulté se situe au niveau des collèges, mais également des lycées et nous aurons un état des lieux assez rapide pour mettre en place un dispositif qui permettra de régler ce problème social aigu.

Troisième élément annoncé par le Premier ministre, la relance des zones d’éducation prioritaires. Ce qu’il faut redonner à ces zones d’éducation prioritaires, c’est à la fois une reconnaissance politique et un soutien de tous les instants qui leur font défaut depuis 1993. Ce que je souhaite dans ce secteur, c’est de ne plus assimiler les zones d’éducation prioritaires au thème de l’échec scolaire. Et dans les trois thèmes que j’ai évoqués tout à l’heure, les zones d’éducation prioritaires feront partie des actions concernant la réussite scolaire. Parce qu’il y a des choses qui marchent formidablement dans les zones d’éducation prioritaires et qu’elles ont été créées pour cela, pour un jour ou l’autre sortir de la zone. Lorsqu’il y a une révision des cartes des zones d’éducation prioritaires, au lieu de se dire : « c’est dramatique, nous sortons de la zone, on va avoir moins de moyens ». Eh bien ! non. Au contraire, si les établissements sortent de la zone, cela veut dire que l’action aura réussi. Notre objectif est donc de faire en sorte que la carte des zones soit revue, qu’elle ait une approche beaucoup plus souple, parce qu’à l’intérieur des zones il y a les établissements qui vont marcher mieux que d’autres ; ces établissement-là, il ne faut plus qu’ils soient marqués par le dénominatif zone, au contraire il faut valoriser ce concept pour que l’on dise que les zones d’éducation prioritaires font partie de la priorité relative à la réussite scolaire.

Enfin, s’agissant d’un autre élément évoqué par le Premier ministre concernant le rôle des écoles dans l’aménagement du territoire, à la fois dans les milieux urbains et dans les milieux ruraux en voie de désertification, les suppressions de classes draconiennes qui ont eu lieu l’année dernière et qui vont marquer la prochaine rentrée ne sont pas acceptables. Qu’il y ait des redéploiements de postes en fonction d’une évolution démographique, pourquoi pas ? Mais encore cela doit-il être discuté. Les décisions couperet qui tombent sur les départements, qui remettent en cause souvent des années de travail, alors qu’il y a eu des regroupements pédagogiques en zone rurale, des communes qui ont investi beaucoup de moyens, des contribuables qui ont accepté de retaper leurs écoles pour accompagner les regroupements pédagogiques et que du jour au lendemain on ferme des classes – et j’ai en mémoire une commune précise que je connais où une classe a été fermée dans un regroupement pédagogique, dans lequel une petite commune rurale a investi 500 000 Francs, s’est endettée sur dix ans pour refaire l’école –, je crois que des mesures comme celle-là, qui entraînent une dépression sociale et même économique sur tout un territoire, ne sont plus acceptable. C’est pourquoi le Premier ministre a annoncé que les fermetures inacceptables seraient revues. C’est ce que nous allons entreprendre cet été, pour mettre vraiment en application l’idée que les données en termes de volume, en termes du nombre d’effectif ne suffisent pas à prendre en compte la globalité du rôle de l’école dans le tissu urbain. Parce qu’on voit aussi des fermetures de classes qui ont lieu dans des zones d’éducation prioritaires, c’est complètement incohérent, et en même temps dans des zones rurales en voie de désertification.

Enfin nous avons pris à bras-le-corps une gestion différente des problèmes d’actualité qui se posaient, et décidé d’aller voir au plus près des choses si ce qu’on nous disait, si ce qu’on nous faisait remonter comme information était exact.

C’est difficile d’entrer dans le fond des choses, mais vous avez vu que nous réglons les problèmes relatifs à l’actualité concernant les phénomènes de pédophilie, que nous nous sommes engagés à clarifier très rapidement les instructions qui seront données, tant aux recteurs qu’aux inspecteurs d’académies. Des instructions orales ont déjà été données, elles sont en cours de rédaction. Il ne faut pas surestimer le phénomène, tomber dans une psychose, mais il ne faut pas, sous ce prétexte-là, continuer à fermer les yeux ni à laisser l’administration étouffer, muter ou couvrir certains faits. Par ailleurs, nous serons farouchement aux côtés des victimes, ce qui ne se fait pas encore, même au moment où je parle, où l’administration est toujours dans une idéologie d’autodéfense : « On ne pouvait rien faire de plus, on a tout fait, on a fait le nécessaire ». Et quand on va regarder au fond des choses, on se rend compte que ce n’est pas exact et que bien souvent les familles qui ont perdu un enfant ou qui ont eu un enfant abîmé dans l’Education nationale n’ont même pas reçu un message de solidarité ou d’affection du responsable administratif. Cela n’est plus acceptable. Même s’il faut changer la loi pour permettre que l’administration soit davantage aux côtés des victimes, nous le ferons. Qu’elle soit à côté d’eux moralement, mais aussi financièrement. Quand j’apprends que l’administration fait l’avance des fonds pour payer les avocats de pédophiles et ne le fait pas pour payer les avocats des familles dont les enfants sont victimes, je trouve que c’est inacceptable et ça va changer dans ce ministère.

Enfin, je voudrais terminer sur la méthode de travail. Nous allons prendre en charge les choses sérieusement, avec des évaluations, aller sur le terrain, aller au fond des choses, ne pas se payer de mots. Lorsqu’après l’émission d’Antenne 2 je vois Monsieur Vidal qui nous dit que l’administration s’est mal comportée envers lui, que je fais une enquête pour savoir s’il a raison et que je ressorts le rapport de l’inspection général, je me rends compte qu’il avait raison, et qu’on n’a pas voulu voir, qu’on n’a pas voulu consoler, qu’on n’a pas voulu dire tout simplement, « oui, l’administration a été responsable ».

Je considère, en tant que ministre de l’enseignement scolaire, que je suis d’abord l’amie des enfants et des adolescents et que tout doit être mis au service de cette priorité qui est, à Claude Allègre et moi, notre obsession, par rapport à la façon dont on conduit les enfants vers l’âge adulte. Cela nous voulons le faire le mieux possible.


Date : dimanche 29 juin 1997
Source : Sept sur Sept

Mme Sinclair : Bonsoir.

Lionel Jospin a choisi de confier l’Éducation nationale a un tandem de choc, Claude Allègre, ministre de l’Education nationale, de la Recherche et de la Technologie, et Ségolène Royal, ministre déléguée à l’Enseignement scolaire, de la maternelle au Bac.

Ils sont tous les deux mes invités ce soir, en cette fin d’année scolaire. À quelques jours des résultats du baccalauréat, il est intéressant de découvrir ensemble leur projet qui, ils vont vous le dire, va bien au-delà de l’aménagement des programmes scolaires.

À tout de suite avec Claude Allègre et Ségolène Royal.

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Mme Sinclair : Rebonsoir à tous.

Ce soir, Claude Allègre et Ségolène Royal, le nouveau tandem de l’éducation national de Lionel Jospin sont mes invités sur ce plateau.

Claude Allègre, vous êtes ministre de l’Education nationale, de la Recherche et de la Technologie, et le titre, on le verra tout à l’heure, a de l’importance. Un poste qui, a priori, va comme un gant au scientifique et au chercheur que vous êtes.

Vous êtes né dans une famille de résistants et d’enseignants en 1937, la même année, si je ne me trompe, que votre grand ami, le Premier ministre, Lionel Jospin.

Vous êtes devenu le spécialiste des Sciences de la terre. Couvert de titres, comme la médaille du CNRS que vous avez obtenue en 1994, et vous avez été récompensé par des prix très célèbre, comme le Prix Craford, l’équivalent du Prix Nobel dans votre discipline.

Rien de ce qui concerne la croûte terrestre ne vous est vraiment étranger. Rien de ce qui concerne non plus l’enseignement, puisque vous avez été au cabinet de Lionel Jospin en charge de l’Enseignement supérieur quand lui-même était ministre de l’Education nationale.

On imagine toujours le scientifique et le chercheur de haut, enfermé dans son labo ou dans ses recherches, vous, parallèlement, vous vous êtes assez vite engagé en politique tout en disant à chaque fois « on ne m’y reprendra plus ».

M. Allègre : Oui, parce que j’ai reçu une éducation citoyenne et je pense que tout le monde doit participer au gouvernement de la cité. Nous nous sommes connus avec Lionel Jospin lorsque nous étions militant étudiant contre la guerre d’Algérie et le début des fondations de ce qui s’appelait le PSU à l’époque. Et puis j’ai continué par la suite à toujours m’intéresser à la politique. J’estime que c’est un devoir…

Mme Sinclair : …mais en faisant des allers et retours entre vos recherches et la politique, et en disant chaque fois : « Bon, cette fois, je pars dans mon laboratoire ».

M. Allègre : Parce que la science est ma passion et qu’il n’y a rien de plus important pour moi que la science, et qu’on ne peut pas faire de la science à mi-temps. Donc, j’ai besoin de grandes périodes où je fais de la science à 150 %...

Mme Sinclair : …alors, là, c’est une période à moins 150 %.

M. Allègre : C’est une période à zéro pour cent, en ce moment. Mais je pense que c’est le côté citoyen, cette fois. Je suis ravi de pouvoir aider mon ami et, en même temps, la gauche qui a gagné magnifiquement cette élection.

Mme Sinclair : Vous êtes un ami de 30 ans, 40 ans, je crois même.

M. Allègre : 40 ans.

Mme Sinclair : Enfin, 30 ans, c’était devenu une expression ! Avec Lionel Jospin, cela vous donne plus de devoirs ou plus de liberté ?

M. Allègre : Cela me donne plus de devoirs, bien sûr. Il faut que je sois à la hauteur des tâches qu’il m’a confiées, naturellement.

Mme Sinclair : Et vous qui le connaissez depuis longtemps, si longtemps, avez-vous l’impression que, Premier ministre, il a changé. On le sent très épanoui. Le sentez-vous comme cela ?

M. Allègre : Il est épanoui parce que je pense qu’il a, enfin, l’occasion d’exprimer totalement son talent. J’ai vu se développer ce talent politique qu’il a, qu’il a mené le Parti socialiste pendant 7 ans et, à l’époque, d’une manière extrêmement efficace. Il a été ministre de l’Education nationale. Je suis bien placé pour savoir qu’il a fait quelque chose de très important à l’éducation nationale. Mais, maintenant, il a la dimension pour développer son talent. Je crois qu’il sent cela et qu’il est…

M.  Allègre : …dans le costume.

Mme Sinclair : Ségolène Royal, je n’ai pas besoin de brosser votre portrait, vous êtes très connue des Français. Vous êtes ministre déléguée à l’Enseignement scolaire. Vous êtes une femme politique qui s’est battue beaucoup sur le terrain, sur tous les terrains. L’enseignement a-t-il été un peu un hasard pour vous ou y étiez-vous un peu prédestinée.

Mme Royal : Cela a été aussi une amitié avec Claude Allègre. C’est lui qui en a eu l’idée, je vous le dis très simplement. Et, mois, je suis très heureuse de travailler avec lui. En plus, cela correspond à un des engagements très profonds parce que j’ai toujours milité pour la cause des droits de l’enfant et je crois que le premier droit de l’enfant, de l’adolescent, du jeune, du futur adulte, c’est d’abord l’accès à la connaissance, à l’éducation, pour qu’il devienne un être humain – il l’est déjà – mais qu’il le devienne pour s’insérer dans la société en étant responsable et qu’il maîtrise le monde qui est autour de lui. C’est une formidable mission qui m’est confiée aujourd’hui. Je crois que c’est quelque chose qui est essentiel pour la préparation de l’avenir.

Mme Sinclair : Plus largement, quel sens cela a pour vous d’être une ministre ?

Mme Royal : Je crois qu’une ministre est quelqu’un qui continue à être une femme de terrain, qui est là pour régler les problèmes qui se présentent, qui est là pour regarder le monde qui est autour d’elle, pour dialoguer aussi et pour avoir une capacité de décision.

Je pense aussi que ce que nous devons faire, c’est avancer pas à pas. Travailler beaucoup déjà et avoir le sens de l’évaluation de notre action. Et puis, je crois qu’au sein du Gouvernement que dirige Lionel Jospin – ce qui est, je crois, inédit dans la Ve République – c’est que nous avons un gouvernement collégial, qui travaille en équipe et qui a un capacité…

Mme Sinclair : …cela n’a pas toujours été le cas ? Les gouvernements, c’est généralement cela. C’est une équipe qui arrive au pouvoir, non ?

Mme Royal : C’est ce qui se dit. Mais je crois que c’est la première fois où les ministres ont autant de liberté de parole autour d’un Premier ministre, qui a, à la fois, la capacité d’écoute et de dialogue, et puis, le temps du dialogue étant terminé, qui a aussi une grosse capacité de décision, un vrai leadership sur la décision à prendre et sur la direction donnée à ce gouvernement.

Mme Sinclair : Claude Allègre, j’ai envie de vous poser un peu la même question que Ségolène Royal : avant les élections, vous aviez confié au « Monde » : « si la gauche gagne, je ressentirai beaucoup de gravité et de responsabilité ». La gauche a gagné ?

M. Allègre : Oui, mais je suis exactement dans cette disposition. Nous avons une grande responsabilité et j’en conçois, personnellement, à la fois une fierté, une ambition et, en même temps, une crainte de ne pas être à la hauteur de cela. Parce que le ministère que m’a confié Lionel Jospin, c’est le ministère qui va mener la bataille du XXIe siècle. La bataille du XXIe siècle, ce sera la bataille autour de la matière grise. C’est là que les entreprises font des bénéfices. C’est là que se joue la compétition internationale, cela s’appelle « logiciel », cela s’appelle « objet culturel », cela s’appelle « objet technique ». Et ce que nous voulons, c’est un ministère qui couvre depuis la pointe de la technologie jusqu’à l’enseignement, de manière à ce que l’un et l’autre se pénètrent.

Savez-vous que la France est le dernier pays d’Europe dans l’utilisation des nouvelles technologies à l’école ? Eh bien, je pense que cela va changer. Vous savez que l’enseignement scientifique à l’école a décru. Or, un vrai citoyen dans le monde moderne, c’est un citoyen qui comprend le monde dans lequel il vit, autrement dit, qui a des bases suffisantes pour comprendre les grandes évolutions qui bouleversent ce monde. En même temps, il faut faire naître dans l’éducation, ce qui manque, je crois, dans l’éducation, notamment de nos élites, l’innovation. Il faut introduire l’innovation. Il faut introduire l’esprit d’imagination, l’esprit d’entreprise.

Mme Sinclair : On va y venir, notamment votre projet sur l’école, et on va en parler longuement. Peut-être dernière question avant qu’on voit ce qu’est votre projet éducatif et global. « L’école est le berceau de la République » a dit Lionel Jospin dans son discours d’investiture, de politique générale. Comment peut-on traduire concrètement cette notion-là ? Parce que c’est toujours une phrase qu’on répète, qui est une phrase de tradition. Mais comment allez-vous le faire passer ?

Mme Royal : C’est le lieu où se construit l’égalité des chances, où se forge la réussite scolaire, où l’on donne à chaque enfant le droit d’accès à cette réussite scolaire, c’est-à-dire qu’on cherche à détecter en lui ses talents. Moi, je n’accepte plus, par exemple, qu’un enfant entende, pendant toute sa vie scolaire, qu’il est médiocre. Je crois qu’il faut réformer très concrètement les conseils de classe. En chaque enfant, il y a un espace de talent, il y a une petite part de génie, il y a une petite part de réussite qu’il faut détecter, qu’il faut pousser en avant. Donc, mon rêve dans le système scolaire, c’est que tous les enfants soient poussés en avant et que ce système scolaire, qui a réussi globalement en volume, qui est un excellent système scolaire, doit malgré tout prendre en compte tous les problèmes qui se posent autour de lui. La montée du chômage, la montée de la pauvreté, la perte des systèmes de valeur font que l’école affronte aujourd’hui des nouveaux problèmes qu’il faut régler si on ne veut pas que 20 % des enfants restent au bord du chemin.

Mme Sinclair : On va voir tout cela plus en détail puisque vous avez donné, tous les deux, cette semaine, les grandes lignes de votre politique. Résumé par Viviane Junkfer et Joseph Pénisson et commentaire, ensuite, par vous deux.

« Éducation : l’école de Jules Ferry bientôt périmée ? Le nouveau ministre concocte un double traitement pour l’éducation nationale. Il souhaite, selon ses propres termes, dégraisser le mammouth, autrement dit, déconcentrer une administration jugée trop lourde, trop centralisée et trop coûteuse.

Mme Sinclair : Claude Allègre, expliquez-nous pourquoi ce projet d’éducation, qui pourrait être vu comme le énième projet du énième ministre de l’Education nationale, a quelque chose pour vous de novateur ? C’est précisément peut-être dans le titre qui est le vôtre, global de ce ministère et de l’accent mis sur les sciences. C’est cela ?

M. Allègre : Je crois que nous avons un corps enseignant qui est parmi le meilleur au monde. À la base, nous avons des enseignants, dans le primaire, dans le secondaire, dans le supérieur, qui sont extraordinaires. Mais nous n’avons pas fait suffisamment confiance à ces enseignants, c’est-à-dire enlevé la chape de plomb d’une réglementation tatillonne qui les empêche de développer pleinement leur talent. Cela est la première chose.

Il faut que les Français sachent qu’ils ont un des meilleurs systèmes du monde. Bien sûr, il y a des ratés ici ou là, mais, globalement, c’est parmi les meilleures choses. Mais sous le prétexte que l’on a un enseignement national, et il faut que cet enseignement reste un grand service national, on n’a pas laissé suffisamment d’initiative. Et on a eu tendance à réglementer à l’extrême, de manière à, sous des prétextes d’égalité, établir ce qui est l’égalitarisme. Tous les deux, nous sommes des adversaires acharnés de l’égalitarisme parce que nous sommes pour l’égalité.

Mme Sinclair : C’est-à-dire que vous voulez donner plus à ceux qui ont moins de chance que les autres ?

M Allègre : Nous voulons donner plus à ceux qui ont moins de chance. Nous voulons que, dans les zones difficiles, les taux d’encadrement soient moins grands. Mais ce que vient de dire Ségolène, qui est au cœur de notre projet commun, la règle, c’est la diversité. Les talents sont divers, les talents sont considérables. Il n’y a pas une discipline noble et des disciplines secondaires, il y a des disciplines dans lesquelles des talents doivent s’épanouir.

Nous voulons rénover la noblesse de l’enseignement technologique comme la noblesse de l’enseignement artistique, comme la noblesse de tous les enseignements.

Mme Sinclair : J’allais vous dire, l’accent que vous mettez, pas ce soir, mais qui est le vôtre depuis quelque temps et toujours dans vos idées sur l’éducation, c’est de mettre l’accent sur la science, sur la technologie dont vous trouvez qu’elles ne sont pas assez présentes dans l’enseignement aujourd’hui. Ne craignez-vous pas qu’on vous reproche de donner une trop grande orientation scientifique et de négliger ce qui fait aussi le patrimoine d’une culture, d’une éducation qui a des branches diverses, histoire, français, philosophie, langues, qui ne se réduise pas à la science ?

M. Allègre : Il n’est pas question de donner une dominante scientifique au détriment du reste. La culture de base, la lecture pour le démarrage, l’histoire, la philosophie dont nous voulons augmenter l’importance pour développer cette morale physique, comme l’a dit Lionel Jospin dans son discours, sont des bases de l’enseignement.

Je dis simplement qu’on a conçu l’enseignement des sciences comme un moyen de sélection. Ce qui fait qu’il y a des gens qui connaissent des sciences et il y a des gens qui n’aimes pas la science. Pour nous, la science est un élément de culture. Tout le monde doit pouvoir comprendre des éléments de sciences, tout le monde doit aimer la science, au même titre que tout le monde doit aimer l’histoire ou tout le monde dit aimer la poésie ou la musique.

Mme Sinclair : C’est un effort que vous demandez aux enseignants pour faire mieux aimer leur matière ou aux élèves pour être plus réceptifs ?

M. Allègre : Je crois qu’il y a un effort des deux. Il y a, d’abord, une grosse difficulté, c’est que la science augmente très vite et il faut choisir et décider ce que l’on doit enseigner. J’ai demandé à Georges Charpak, par exemple, de réfléchir sur l’ensemble de l’éducation. J’ai demandé à Pierre-Gilles Degenne de faire de même. Je crois qu’il est très important que nous ayons des grands scientifiques, des très grands novateurs qui acceptent de réfléchir aussi au problème de l’éducation de base.

Mme Sinclair : L’éducation nationale, Ségolène Royal, déborde de rapports qui n’ont jamais été suivis d’effet. Je pense au rapport Fauroux qui est resté dans un tiroir. Je pense au rapport que Jacques Delors a fait pour l’UNESCO, est-ce que vous voulez, justement, dépoussiérer un enseignement qui est un peu le même depuis Jules Ferry et réfléchir sur le type d’enseignement qu’on donne, le type de connaissance qu’on apprend à nos enfants ?

Mme Royal : Moi, j’aurais tendance à dire qu’il faut revenir à quelques idées, et celle de la réussite scolaire, comme je le disais tout à l’heure. L’apprentissage de la lecture qui me paraît au cœur des inégalités sociales aujourd’hui.

Mme Sinclair : Je me souviens de Jean-Pierre Chevènement disant : « Il faut que tous les enfants qui arrivent en 6e sachent lire, écrire et compter ». Donc, quelle est l’ambition nouvelle ?

Mme Royal : Le problème, c’est que, aujourd’hui avec la montée des difficultés économiques autour de l’école, on se rend compte que deux enfants sur dix sont en grande difficulté de lecture. Et un enfant de CP qui ne sait pas lire n’aura jamais le baccalauréat ou aura beaucoup de mal à acquérir une formation professionnelle. A-t-on le droit dans ce pays de se dire que tout est joué à 6 ou 7 ans ? Non.

Ce que vient de dire Claude Allègre, avec les nouvelles technologies, avec la science, c’est cela qui est nouveau aujourd’hui, c’est que l’apprentissage de la lecture ne se fais pas par un repli sur les acquis fondamentaux, mais pas une ouverture vers de nouvelles pistes de connaissance.

Quand Georges Charpak va dans une école de Vaulx-en-Velin et qu’il fait fabriquer aux élèves de l’école élémentaire des petits objets, des microscopes à la main avec une petite lentille, etc. il leur fait aussi apprendre à lire parce qu’il leur fait lire le mode d’emploi de ces objets technologiques. Lorsque les enfants seront mis devant Internet, ils se rendront compte qu’ils auront envie d’apprendre à lire pour jouer avec Internet. Donc, l’entrée de la science et de la technologie à l’école, c’est aussi un formidable moyen de rattraper les enfants qui ont un blocage à l’égard des apprentissages traditionnels, mais qui vont acquérir les moyens fondamentaux de devenir des adultes qui maitriseront ces moyens de communication essentiels, grâce à cette ouverture sur la technologie. C’est cela le nouvel enjeu de l’école.

Mme Sinclair : Vous avez défini vos priorités en matière d’enseignement, c’est la réussite scolaire, vous en parliez tout à l’heure, c’est la lutte contre l’élimination des élèves, et vous mentionniez les conseils de classe qui, quelquefois, sont des couperets.

Mme Royal : Et des mots qui tuent plus sévèrement que certaines armes.

Mme Sinclair : Et vous insistez aussi beaucoup sur l’amélioration de la vie à l’école. Est-ce que ce n’est pas faire passer des préoccupations sociales au moins autant que des préoccupations éducatives ?

Mme Royal : Je crois que ces préoccupations sociales, si elles ne sont pas prises en compte, éliminent les parties de la population qui attendent le plus de l’école. Et en ce qui concerne l’amélioration des conditions de vie à l’école, il y a une urgence absolue, c’est de faire de l’école un lieu de non-violence.

Je crois qu’on ne peut plus accepter aujourd’hui, je pense aux enseignantes femmes qui ont peur de traverser la cour, qui ont tous les matins des gestes obscènes, qui retrouvent le soir leur voitures abîmée, le racket, le vandalisme, les bagarres entre élèves, la violence aux alentours de l’école, aujourd’hui, il y a une angoisse qui est portée par les parents, qui est portée par les enseignants, qui est portée par les élèves, et nous voulons absolument réussir à faire reculer la violence à l’école.

Je crois que si l’on veut remettre des points de repère, des références, des valeurs, la morale civique à l’école, on ne pourra pas le faire dans un contexte où tout indique qu’autour de soi les gens ne se respectent plus. Donc, l’apprentissage des modes de comportement, d’une éthique de la responsabilité à l’école, ce sera un travail de longue haleine, ce ne sera pas une journée comme ça, gadget, organisée de temps en temps. Cela partira de la maternelle avec les petits cours de morale du matin que l’on va rétablir en maternelle jusqu’à la terminale, en prenant en considération le niveau de maturité des élèves, en donnant aussi des moyens supplémentaires à l’école. Donc, tout cela, c’est un travail que nous avons déjà engagé, et nous réussirons à faire reculer la violence à l’école. Je vous le dis parce que nous en avons la ferme détermination.

Mme Sinclair : Transition délicate, mais passons un peu de la violence à l’école, à toutes ces affaires qu’on découvre tous les jours de pédophilie, qui lient quelquefois les enseignants à ces problèmes.

Dans l’affaire de la directrice d’école mise en examen pour ne pas avoir dénoncée assez vite un instituteur pédophile, est-ce que vous ne croyez pas qu’il y a deux dangers entre lesquels on navigue plus ou moins bien en ce moment ? Le premier qui est l’indifférence et le laxisme, ce qui a été trop souvent le cas, et le silence, et puis aujourd’hui une sorte de psychose.

Claude Allègre

Claude Allègre : Je crois qu’il faut dire d’abord que ces cas sont des cas très rares. La grande majorité de notre corps enseignant, encore une fois, est parfaitement…

Mme Sinclair : …heureusement, j’allais dire !

M. Allègre : À lire un certain nombre de journaux, etc. on pourrait le faire croire de temps en temps. Ce sont des cas très rares. C’est vrai, par contre, qu’ils ont été tolérés, alors qu’ils ne doivent pas être tolérés. Nous, notre position, c’est qu’on est d’abord du côté des victimes. Mais, deuxièmement, on était dans une situation donnée, dans des instructions qui n’étaient pas suffisamment fermes et, à partir de là, il ne faut pas accuser tel ou tel enseignant qui, peut-être, n’a pas été ferme, parce que sa hiérarchie, elle-même, n’était pas assez ferme.

Mme Sinclair : Là, c’est le cas. La directrice d’école a été mise en examen.

M. Allègre : Oui, c’est le cas. Et je pense qu’elle n’est pas la seule coupable. Et c’est toujours la même chose, c’est celui qui est au bas qui paie. Donc, moi, je pense qu’il faut garder raison dans cette affaire : fermeté d’un côté, pas de psychose – pas évidemment de délation – et nous punirons la délation aussi sévèrement que possible. Il n’est pas question de faire cela. Mais il faut rétablir l’école républicain, c’est-à-dire l’école dans laquelle on se sent libre et dans laquelle on ne se sent pas menacé.

Mme Sinclair : Ségolène Royal, je voudrais que vous disiez un mot parce qu’on a l’impression que cette directrice d’école, pour terminer là-dessus, a eu un réflexe d’abord d’attente et de stupeur, puis elle a réagi tout de même assez vite. Peut-on la tenir pour coupable ?

Mme Royal : Je crois qu’il faut attendre que l’instruction se termine et peut-être verra-t-on qu’elle avait justement eu plus de temps pour prévenir. Je crois que certains parents n’ont pas été écoutés, que les cas ont été signalés beaucoup plus tôt…

Mme Sinclair : …vous ne craignez pas une sorte de chasse aux sorcières ?

Mme Royal : Je crois qu’il faut être raisonnable, c’est-à-dire, à la fois ne pas surestimer le phénomène, mais surtout ne pas le sous-estimer. Et cette levée de la loi du silence est tout de même une très bonne chose, parce que cela veut dire qu’enfin la criminalité sur les enfants est considérée comme une criminalité à part entière. Et même si cela fait mal, parce que cela nous fait mal que l’on parle de l’ducation nationale en voyant ce qu’il y a de pire, mais il y a une délinquance, et même si cela fait mal, nous irons au bout de cette détermination-là, parce qu’il n’est plus possible que des personnes qui ont des pulsions sexuelles à l’égard des enfants viennent en toute impunité dans les professions qui sont liées à l’enfance, que ce soit l’éducation, que ce soit l’aide sociale à l’enfance où il y a aussi beaucoup de problèmes, que ce soit le secteur du sport.

Mme Sinclair : J’ai reçu, Claude Allègre, des dizaines de lettres de maîtres auxiliaires dont on sait qu’ils sont des enseignants qualifiés, diplômés, mais qui vivent dans une situation de précarité et qu’ils sont sous-payés. Que comptez-vous faire ?

Lionel Jospin, à la veille du second tour, leur avait écrit pour leur dire qu’il ferait son possible pour qu’ils soient titularisés. Cela s’est déjà produit dans le passé, en 1983, 40 000 ou 42 000 maîtres auxiliaires ont été titularisés. Avez-vous l’intention de faire la même chose ? Ils attendent de vous une réponse ce soir.

Mme Allègre : Ce problème est un problème, d’abord, douloureux parce qu’on a traité des gens d’une manière absolument inadmissible. On les a exploités pendant des années. Je veux dire que je suis extrêmement touché par ce problème.

Deuxièmement, les règles de la République, de la fonction publique doivent s’appliquer. Par conséquent, pour recruter des fonctionnaires, il y a un certain nombre de procédures. Bien sûr, ces procédures sont peut-être un peu scolaires et, probablement, il faut les améliorer. Donc, mon premier problème, c’est que ceux qui ont passé des concours, qui ont été reçus normalement, soient titularisés. Pour les autres, nous prévoyons qu’aucun ne reste sans travail.

Mme Sinclair : C’est-à-dire que vous ne promettez pas la titularisation pour tous ?

M Allègre : Nous ne promettons pas la titularisation immédiate pour tous, parce que ce serait une mesure qui ne serait pas une mesure rigoureuse. Et je tiens à un certain nombre de rigueur. Mais tous auront du travail et nous allons faire un plan de résorption et d’intégration de tout ce personnel sur quelques années. Mais c’est un exemple de l’excessive centralisation, parce que c’est un résultat de la centralisation. Si les recteurs étaient responsables de ces maîtres auxiliaires, il y aurait eu beaucoup moins de maîtres auxiliaires et ces maîtres auxiliaires auraient été traités, depuis très longtemps d’une manière bien meilleure.

Mme Sinclair : Oui, mais ils sont là, ils attendent une réponse.

M. Allègre : Eh bien, je dis aujourd’hui qu’il n’y aura pas de maître auxiliaire qui n’aura pas de travail à la rentrée.

Mme Sinclair : Parlons justement de la lourdeur de l’administration, vous avez un peu ému tout le personnel de l’Education nationale en parlant de dégraisser le mammouth. Vouliez-vous dire qu’il fallait diminuer le nombre de fonctionnaires ou vouliez-vous dire qu’il y a des tâches qui ne devraient plus appartenir à un certain nombre de fonctions, qui devraient peut-être appartenir à l’administration centrale ?

M Allègre : Je voudrais dire que c’est une image dans une conversation privée qui a été rapportée.

Mme Sinclair : Elle a fait fortune.

M. Allègre : D’accord ! Il s’agissait naturellement de l’administration centrale et non pas de l’Education nationale. Je pense qu’il faut assouplir l’administration centrale, faire en sorte que l’administration centrale règle, par exemple, 400 000 fonctionnaires, le mouvement de 400 000 fonctionnaires. Ce qui conduit à des retards de paiement…

Mme Sinclair : …qui doit gérer ce mouvement ?

M. Allègre : Cela doit être géré d’une manière déconcentrée. Aucune entreprise ne gère 400 000 personnes avec un seul DRH.

Mme Sinclair : Cela veut dire, géré par les régions, par les départements, par les chefs d’établissement ?

M. Allègre : Géré par les recteurs. Mais le recrutement reste national, parce que j’ai entendu des tas de choses là-dessus. Bien sûr, le recrutement, au niveau des fonctionnaires, reste national. Encore une fois, nous sommes pour l’école de la République, l’école laïque, l’école grand service public. Mais nous sommes pour un grand service public déconcentré, souple, permettant aux enseignants de pouvoir être proches des décisions qui les concerne et d’y participer. Donc, c’est vers cela que nous voulons aller, et nous irons vers cela.

Mme Sinclair : Et pas de suppressions de postes ?

M. Allègre : Bien sûr que non ! On va augmenter le nombre d’enseignants.

Mme Sinclair : Le Gouvernement précédent disait : « il y a une logique : il y a moins d’élèves, donc il y a moins de professeurs ».

M. Allègre : L’éducation nationale a gagné le pari de la quantité. Elle a accueilli un nombre considérable d’élèves, y compris vers le supérieur. Maintenant, elle va gagner le pari de la qualité pour tous. Et les problèmes démographiques vont être utilisés pour précisément moduler et permettre de gagner la qualité pour tous.

Mme Sinclair : On va revenir à l’actualité après la page de publicité.

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Mme Sinclair : 7 Sur 7 en compagnie de Claude Allègre et de Ségolène Royal, tout de suite, la suite de l’actualité de la semaine et tout de suite la décision concernant Vilvorde.

Vilvorde :
Après 4 mois de rebondissements politiques et judiciaires, le sort en est jeté : la fermeture de Renault-Vilvorde est irrévocable et définitive. L’expert nommé par le conseil d’administration est arrivé aux mêmes conclusions que le PDG : Renault s’engage à trouver un repreneur et à créer parallèlement une activité gardant 400 salariés sur les 3 137 que compte Vilvorde. La fermeture du site belge pourrait être décalé au-delà du 31 juillet. Le plan social prévoit également des indemnités de licenciement, une cellule de reconversion ou encore des offres d’emploi sur d’autres sites en France.

Tabou :
Autre dossier chaud pour le Gouvernement : des mères de famille bourgeoise et communistes manifestant ensemble avec leurs enfants devant l’Assemblée nationale, c’est du jamais vu. L’annonce du plafonnement des allocations familiales faite par Lionel Jospin provoque des réaction d’hostilité de la part d’associations de familles traditionnelles.

Politique :
Face à sa majorité, Lionel Jospin revendique le droit à l’erreur et réclame à nouveau du temps pour tenir ses promesses.

À ses ministres, il rappelle leurs priorités absolues : l’emploi et la justice sociale, mais sans aggraver les dépenses publiques afin de respecter les engagements européens.

Un mois après sa défaite, la droite, elle, s’installe dans l’opposition. Première séance de questions houleuses à l’Assemblée nationale face au nouveau Gouvernement et première sortie outrager.

Mme Sinclair : Claude Allègre, Vilvorde d’abord : un expert, un rapport, des solutions recherchées, et tout cela pour aboutir à fermer le site belge. Est-ce que vous comprenez l’amertume des salariés ?

Mme Allègre : Bien sûr. Comment on ne le comprendrait pas ! C’est dramatique, c’est terrible cette opération.

Mais ce qui a été dit n’est pas tout à fait exact, car la manière dont le Gouvernement a traité cette affaire, n’a rien à voir avec la manière dont elle avait été traitée précédemment.

Premièrement, Lionel Jospin avait dit : « Le problème sera réexaminé d’une manière indépendante ».

Mais, deuxièmement, chose plus importante qu’on ne nous dit pas : le Gouvernement a fait pression sur Renault, il n’y aura aucun licenciement : entre la réindustrialisation, le plan social et des réaffectations dans d’autres sites Renault, il n’y aura aucun licenciement.

Mme Sinclair : Parce que, pour l’instant, on dit 400 sur 3 100 seront récupérés sur le site ?

M. Allègre : 400, c’est la filiale de Renault sur le site. Il y aura le plan social et il y aura des réaffectations. Et cela, c’est nouveau. Et cela, c’est l’action du Gouvernement, c’est l’action du ministre des Finances, de l’Industrie et de l’Economie. C’est l’action des socialistes. Mais cela montre d’une manière évidente que le Gouvernement a raison de réclamer une Europe sociale, de réclamer des règles en Europe, de réclamer une meilleure organisation.

Ceci étant, Jospin, ce n’est pas Merlin. Ce n’est pas un enchanteur, il ne peut pas transformer une situation dont il a hérité, et qui était dans une situation terrible, en une situation positive. Car là aussi nous sommes responsables. Il y a une logique industrielle, nous ne pouvons pas affronter la compétition mondiale en ne constatant pas cette logique industrielle.

Mme Sinclair : Claude Allègre, il y a, comme dit Alain Genestar dans Le Journal du Dimanche aujourd’hui, ce qui est dit et il y a ce qui est entendu. C’est vrai que Lionel Jospin n’avait pas pris l’engagement de ne pas fermer Vilvorde mais la gauche avait cru comprendre, les gens qui avaient voté pour vous, avaient cru comprendre que, pour Vilvorde, la décision serait autre.

Est-ce que cela veut dire qu’aujourd’hui un Gouvernement est impuissant face à une logique d’entreprise qui s’impose à lui.

Ségolène Royal : On avait tous l’espoir que Vilvorde réouvrirait.

Mme Sinclair : Est-ce qu’un Gouvernement peut dire : « Voilà, je voudrais empêcher la fermeture de ce site et puis je m’aperçois que ce n’est pas possible, donc on ferme ».

Mme Royal : Oui, parce que ce qu’a dit Lionel Jospin, dire : on va rouvrir, avec l’espoir que l’on avait tous, au fond de notre cœur, que Vilvorde réouvrirait, et qu’est-ce qu’a montré l’expertise : elle a montré que la piste de la diminution du temps de travail pour maintenir les emplois était, finalement, trop tardive, une partie des chaînes était arrêtée. Ce qui est inacceptable dans l’opération Vilvorde, c’est qu’une entreprise attende au dernier moment pour trouver des solutions sociales.

Donc, aujourd’hui, la question essentielle est de savoir comment empêcher d’autres Vilvorde. On empêchera d’autre Vilvorde que si les employeurs, avec les organisations syndicales, négocient suffisamment tôt la piste de la réduction du temps de travail pour maintenir les emplois. C’est ce que le Gouvernement va faire dès l’automne. Il faut le faire, non pas en négociant site par site, c’est là aussi où Renault a eu un comportement inacceptable, c’est en fermant un site, en nous disant : on va comme cela sauver d’autres sites. Non.

Mme Sinclair : Au bout du compte, l’expertise aboutit à la même conclusion.

Mme Royal : Oui, parce que Renault s’y est pris beaucoup plus tard, alors qu’on voit bien aujourd’hui, pour éviter d’autres Vilvorde, qu’il faut une négociation au niveau des branches, il faut une négociation au niveau de l’Europe et il faut que la piste de la réduction du temps de travail soit examinée suffisamment tôt à l’avance, avant que l’on ait le nez sur l’évènement et qu’on nous dise : il n’y a plus d’autres solutions.

M. Allègre : Mais sur le plan humain, l’important, c’est quand même : il n’y aura pas de licenciements. Et cela, c’est quand même une autre manière d’aborder le problème.

De la même manière, je m’excuse de revenir à notre ministère, il y avait 5 000 suppressions d’emploi, il n’y aura plus de suppressions d’emploi. Il y a un autre Gouvernement, avec une autre philosophie. Ce Gouvernement ne peut pas inverser le cours des choses en quelques semaines. Sinon, on ne nous croirait pas. Sinon, on penserait que ce que l’on raconte n’est pas vrai. Nous prenons les faits tels qu’ils sont. Mais nous faisons autrement. Qu’on nous fasse confiance pour continuer à lutter dans ce sens : ce sens pour l’emploi, pour la dignité des travailleurs mais sans nier les évidences de la logique industrielle ou de la logique économique parce qu’elles existent.

Mme Sinclair : Justement, il y a eu les problèmes de la campagne et puis les réalités économiques auxquelles le Gouvernement est confronté, comme toujours, j’allais dire.

N’êtes-vous pas en train de faire passer celles-ci, les réalités économiques, avant celles-là, les promesses de la campagne ? Ségolène Royal ?

Mme Royal : Je ne crois pas. Je crois que le Gouvernement a mis en place, avec le ministre de l’Economie et des Finances, Dominique Strauss-Kahn, une évaluation. Nous attendons cette évaluation. Beaucoup de chiffres circulent, attendons d’avoir sereinement les choses.

Lionel Jospin a défini une méthode de travail, qui est une bonne méthode de travail, c’est-à-dire que nous faisons les choses sérieusement, sans faire de promesses inutiles, en nous bloquant sur nos engagements de ce que nous avons dit aux Français pendant la campagne de ces élections, et, à partir de là, en expliquant les décisions que nous allons prendre. C’est cela qui change aujourd’hui, c’est-à-dire que les pistes, que nous allons arrêter à partir de l’analyse de la situation objective, que donne cette évaluation, nous permettront de faire des choix difficiles, qui sont en contradiction les uns avec les autres. C’est vrai que nous voulons à la fois maintenir les emplois et en même temps nous savons que des emplois de fonctionnaires, cela pèse, en effet, sur le budget de l’État.

Donc, la démarche que nous avons, c’est d’identifier les besoins, d’identifier les problèmes et d’arrêter des priorités en fonction des moyens budgétaires que nous aurons.

M. Allègre : Je crois que, là, c’est le point essentiel. Je pense que nous entrons dans cette démarche budgétaire d’une manière différente de ce que l’on a fait jusqu’à maintenant. Nous n’entrons pas avec une logique technocratique dans laquelle le ministère du Budget règle, au coup par coup, tout ce qui se passe. Nous avons une latitude à l’intérieur de nos ministères pour inventer des solutions et re-répartir les choses avec une priorité : l’emploi.

Et je vous dis, en ce qui concerne l’éducation nationale, vous verrez, au moment où nous ferons la rentrée, que cela se traduira par des créations d’emploi, par des créations d’emplois de jeunes, par des non licenciements, et cela, ce sera complètement nouveau.

Vous savez, Anne Sinclair, vous rappeliez que je suis un scientifique : pour moi, la rigueur est une méthode que j’ai toujours utilisée mais elle n’a jamais été contraire à l’imagination.

Mme Sinclair : D’accord. Mais quand Lionel Jospin parle de réduire les déficits et demande à son Gouvernement d’observer cette exigence, en quoi vous pouvez expliquer que c’est une logique différente de celle d’Alain Juppé ou d’Édouard Balladur ?

Mme Royal : Parce que cette volonté de réduire les déficits s’inscrit dans le cadre des priorités politiques. On ne va pas réduire les déficits pour réduire les déficits, on va arrêter les priorités d’un ministère et ensuite voir comment on peut redéployer les moyens budgétaires.

Je donne exemple : nous avons ensemble arrêté les priorités budgétaires de notre ministère d’ici à la fin de l’année, sur l’emploi, sur la lutte contre la violence, sur la réussite scolaire, sur les réouvertures de classes…

Mme Sinclair : À l’intérieur du même cadre ?

Mme Royal : À l’intérieur du même cadre. Donc, nous allons faire des réouvertures de classes parce qu’il n’est pas tolérable que certains territoires soient totalement fragilisés par des fermetures sauvages.

Mme Sinclair : Alors, qu’est-ce qui trinque, si j’ose dire ?

Mme Royal : Il y a un redéploiement qui se fait. On a détecté, par exemple, des enseignants qui sont sans élève devant eux. Donc, on va faire un redéploiement intelligent aussi du personnel enseignant.

M. Allègre : Qui trinquera par exemple ? Les heures supplémentaires qui prennent des emplois et qu’on n’a pas osé arrêter et qui seront transformées en emplois.

Mais, vous le savez, la macro-économie, c’est une chose, c’est un cadre. Mais la vie, c’est la micro-économie. Ce que nous essayons de faire, chacun dans notre département, c’est de faire de la micro-économie pour redonner de la vie à différents secteurs qui étaient précisément réglés et dans lesquels des archaïsmes restaient, des rentes de situation, disons-le ; des gens, y compris dans l’administration, étaient confortablement installés. Nous voulons redonner de l’emploi aux jeunes et du dynamisme.

Mme Sinclair : Les allocations familiales, est-ce de la micro-économie mal comprise ?

Mme Royal : C’est en tout cas un beau débat de société. Je comprends l’émotion des associations familiales. Je suis sûre qu’elles sont sincères. Mais en même temps je vois, de l’autre côté aussi, les enfants, dans les écoles, qui ne peuvent plus payer les cantines.

Je rappelle que, dans notre pays, il y a 5 millions de personnes en-dessous du seuil de pauvreté et que si les associations familiales sont inquiètes que l’on fasse des économies sur le dos des familles, comme elles disent, ce n’est pas de cela dont il s’agit, car les premières mesures qu’a prises le Gouvernement Lionel Jospin, ce sont des mesures pour les familles :

- augmentation de l’allocation de rentrée scolaire, qui passe de 420 francs à 1 600 francs, deux millions et demi de familles sont concernés.

Donc le débat parlementaire qui aura lieu, parce qu’il va y avoir un débat parlementaire qui sera donc intéressant, c’est de savoir comment on re-déploie, là aussi, les efforts. Comment on donne un peu moins aux familles les plus aisées et puis un peu plus aux familles qui en ont le plus besoin.

Mme Sinclair : tout dépend où l’on place le seuil des plus aisées ?

Mme Royal : Tout à fait, tout dépend où l’on place le seuil des plus aisées. Mais, là, Lionel Jospin l’a dit : on tiendra compte de la taille de la famille, qui est le critère le plus juste.

Et, moi, je suis convaincu que les associations familiales qui expriment aujourd’hui l’inquiétude, lorsqu’elles participeront à la discussion et qu’elles verront qu’il s’agit aussi là de faire de la justice sociale, je suis convaincue qu’elles se rallieront à un projet qui permettra aux familles moyennes et modestes de mieux élever leurs enfants.

Mme Sinclair : Claude Allègre, Lionel Jospin a dit clairement cette semaine : « Donnez-moi du temps. Nos marges de manœuvre sont étroites. Nous ferons l’euro quand même. Nous ferons du mieux que nous pourrons. Mais arrêtez de dire, dit-il, que nous n’avons pas le droit à l’erreur », pourquoi ?

M. Allègre : Parce que c’est une méthodologie. Tout le monde a droit à l’erreur. On a droit à faire des erreurs et nous ferons sans doute des erreurs comme les autres.

Mais ce qui change, c’est que nous ne croyons pas que les choses sont inévitables, que les choses sont automatiques, que les choses sont technocratiques. Nous pensons qu’à l’intérieur de ces contraintes il y a la place pour une politique différente, pour une manière d’aborder les choses. Et, bien sûr, à l’intérieur, nous allons essayer d’inventer. Tout le monde nous dit : mais les Hollandais font comme ci, les Grecs font comme ceci, etc. Pourquoi imite-t-on les autres ? Il y aura une voie française. Et, dans cette voie française, probablement, il y aura des erreurs et il y aura des succès. Mais je vous garantis qu’il y aura des succès.

Mme Sinclair : Vous prenez de l’avance, là. Vous prenez déjà le parapluie ?

M. Allègre : Non, je ne prends pas le parapluie. Quand Lionel dit : On a droit à l’erreur, c’est parce que certains font du tout ou rien. La vie, ce n’est pas un tout ou rien. Simplement, ce que je vous garantis, Anne Sinclair, c’est que nous allons lutter contre le chômage avec toutes nos forces, et en particulier celui des jeunes.

Mme Royal : C’est peut-être en prenant conscience qu’on peut faire des erreurs, qu’on en fait le moins possible, justement.

Mme Sinclair : Je vous le souhaite.

On va voir la fin de l’actualité de la semaine : Hong-Kong, Cousteau, Mir. Disons que la planète, vu du dessus ou vu du dessous, nous renvoie à nos petits problèmes hexagonaux.

Cousteau :
« Le commandant Cousteau a rejoint le monde du silence. »

Il avait 87 ans, mais à force de le voir avec son bonnet rouge, sur la Calypso, sillonner toutes les mers du globe, on avait fini par le croire éternel.

Espace :
Que se passe-t-il réellement à bord de la station Mir ? Mercredi un cargo de ravitaillement a raté son arrimage et endommagé sérieusement les panneaux solaires qui fournissent l’énergie électrique de la station orbitale.

Vendredi, l’équipage russe et américain à bord a totalement perdu le contrôle du vaisseau spatial pendant plus d’une heure à la suite d’une panne d’ordinateur.

Euro-Pride :
Ils sont venus de tout le continent, très nombreux, 200 à 300 000 pour défiler à Paris à l’occasion de leur grand rassemblement européen. Cette année, la marche de la fierté homosexuelle était placée sous le signe d’un formidable espoir pour toute la communauté gay et lesbienne, celui de voir enfin aboutir, avec l’aide des socialistes, le projet d’un contrat d’union civile et sociale qui leur donnerait les mêmes droits qu’aux couples mariés.

Hong-Kong :
C’était l’un des derniers confettis de l’Empire britannique, demain soir Hong-Kong retournera dans le giron de Pékin.

Mme Sinclair : Il paraît, ce soit, qu’il y a 100 000 personnes, place Tien An Men, pour fêter le retour de Hong-Kong à la Chine. Il y a ceux qui insistent sur la liberté économique, dont tout le monde pense que la Chine a intérêt à préserver et ceux qui insistent sur la liberté politique, dont ils craignent, justement, qu’elle soit entamée ?

M. Allègre : Le grand problème, cela va être surtout : comment la Chine va utiliser Hong-Kong ? Est-ce que cela va être un éperon dans le monde occidental ? Est-ce que cela va être un moyen de « sucer » la technologie occidentale ? Ou bien au contraire est-ce que cela va être une ville de Chine comme les autres, relativement fermée ? C’est extrêmement important sur tout le mouvement économique qui va se produire en Asie.

Je ne suis pas de deux qui prédisent quoi que ce soit. J’ai tendance à penser que les Chinois vont utiliser convenablement Hong-Kong. Mais suite au prochain numéro.

Mme Sinclair : Oui, exactement.

Cousteau, Ségolène Royal, Laurent Joffrin, dans Libération, avait une très belle phrase disant : « Il n’a pas changé la mer comme la saga télévisée de sa vie maritime pourrait le laisser penser, mais il a changé la vision que l’humanité avait de la mer ».

Mme Royal : Oui, sur Cousteau, j’aurai un souvenir personnel puisque j’étais allée avec lui, en tant que ministre de l’Environnement, au sommet de la planète Terre, à Rio, et nous avions défendu ensemble une idée formidable, qui est la suivante : qui est la conviction que les pays pauvres pourront sortir du sous-développement grâce à l’éducation des filles.

Autrement dit, pour lutter contre la démographie galopante, cela ne sert à rien les mesures coercitives. En revanche, dès qu’on met les petites filles à l’école, quand elles apprennent à lire, elles ont beaucoup moins d’enfants parce qu’elles sont éduquées.

Et cela rejoint un formidable projet éducatif au plan planétaire.

Et puis la deuxième idée, c’était qu’il fallait résoudre les problèmes de l’eau, parce que, là aussi, les pays pauvres utilisent les petites filles pour aller chercher l’eau, comme il n’y a pas la sécurité, à 14, 15 ans, elles se retrouvent enceintes.

Donc, si l’on réglait ce problème d’acheminement de l’eau, on réglerait aussi les problèmes de démographie galopante.

Cette idée-là était une formidable idée humaniste. J’espère qu’elle n’est pas perdue et qu’elle continuera son chemin.

Mme Sinclair : Justement, pour les petites filles et pour les petits garçons, qu’il ne faut quand même oublier, le sommet de la Terre a été quand même un échec. Et, justement, depuis Rio, dont vous parliez, depuis 5 ans, il y a eu si peu de progrès et tellement de dégradations ?

Mme Royal : Oui, c’est l’égoïsme des pays riches, je crois. Si les pays riches ne comprennent pas que leur survie dépend aussi de la sortie du sous-développement des pays pauvres, c’est qu’ils n’ont rien compris.

Donc, j’espère que le prochain sommet de la Terre sera aussi un succès, parce qu’on ne peut pas imaginer, nous, notre propre survie sans amener vers le développement, vers l’alimentation en eau potable, vers la sécurité alimentaire les trois quarts de l’humanité. On ne se sauvera pas tout seul.

M. Allègre : Vous savez, que c’est un peu ma spécialité : si l’on veut faire progresser, il faut s’attaquer aux problèmes que l’on peut résoudre facilement.

J’ai été très content de voir le président de la République dire que l’une des grandes priorités, c’était l’eau, comme vient de le dire Ségolène.

Je pense que s’attaquer, d’entrée de jeu, au problème de l’effet de serre ne me paraît pas être ni le problème le plus facile, ni le problème le plus urgent.

Le problème de l’eau ou le problème de l’air des villes, qui est un problème angoissant, me paraissent des problèmes beaucoup plus concrets et faciles à résoudre.

Donc, je souhaite, et je pense que nous y participerons, que les prochaines initiatives se fassent sur des propositions concrètes sur des problèmes que l’on peut résoudre. C’est comme cela que l’on guérira la planète.

Mme Sinclair : Merci, Claude Allègre. Merci, Ségolène Royal.

C’était le dernier 7 Sur 7 traditionnel, la semaine prochaine, dimanche prochain, 6 juillet, je vous proposerai pour la toute dernière émission de 7 Sur 7, après 13 ans de présence sur les antennes de TF1, les bons moments, les moments forts de ce qu’ont été ces années.

Merci à BFM qui a diffusé chaque dimanche en direct et à TV5 qui a relayé sur toute la planète cette émission.

Dans un instant, le journal de 20 heures de Claire Chazal.

Merci à tous les deux. Bonsoir.