Article de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, dans "FO hebdo" du 22 mai et interview dans "La Croix" du 24 mai 1996, sur la résorption des déficits publics, le projet de diminution des effectifs dans la fonction publique, la réduction du temps de travail, et la mise en œuvre de la réforme de la Sécurité sociale.

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Média : FO Hebdo - La Croix

Texte intégral

Date : 22 mai 1996
Source : Force ouvrière Hebdo

D’un côté le gouvernement – au travers notamment des Contrats-emploi solidarité, voire de la volonté de développer les formes civiles du service national – reconnaît implicitement les besoins en effectifs dans la fonction et le service publics.

Tout le monde sait, par exemple, que pour contourner l'interdiction juridique d'utiliser les CES, l'administration a recours à des associations plus ou moins « bidons ». C'est ainsi qu'un CES peut se retrouver secrétaire de direction dans une préfecture.

D'un autre, le gouvernement annonce qu'il entend réduire le nombre de fonctionnaires, le Premier ministre n'ayant pas hésité à déclarer qu'il ne souhaitait pas de « mauvaise graisse ».

Contradictoire en terme d'emplois ces deux attitudes sont, dans la démarche gouvernementale, budgétairement logiques. Elles s'inscrivent en effet dans la volonté concomitante de réduire le coût du travail et les déficits publics et sociaux. Elles sont en ce sens significatives d'une politique économique restrictive.

Toutefois, elles sont contradictoires avec l'engagement de réduire la précarité dans la fonction publique, comme le gouvernement s'y est engagé vis-à-vis des organisations syndicales de fonctionnaires en concluant un accord sur ce point.

De fait, tout concourt actuellement à ce que le chômage s'aggrave lourdement en cette année 1996.

Outre la décrue voulue dans la fonction publique, d'autres décisions gouvernementales vont détruire des emplois.

C'est le cas notamment dans l'armement, où la suppression de 50 000 postes est annoncée, à la sécurité sociale, où l'accélération de « Sésam-Vitale » va détruire des milliers de postes.

C'est encore le cas dans d'autres pans du secteur public comme France Télécom, la SNCF ou les transports aériens.

Dans le secteur concurrentiel, la banque ou l'automobile prévoient également des dégraissages. Et tout cela ne tient pas compte des effets induits dans la sous-traitance.

Au total, le chômage risque d'augmenter d'au moins 150 000 en 1996.

De fait, le gouvernement a fait une croix sur la nécessité de lutter pour l'emploi.

Sa priorité, depuis l'automne, va à la réduction drastique des déficits. Ce qui ne l'empêche pas, par ailleurs, à la foi de ponctionner financièrement le secteur public (France Télécom va devoir lui verser 50 milliards de francs), et de ponctionner les contribuables, via le RDS, pour rembourser des emprunts destinés à la sécurité sociale auprès de banques étrangères.

Tondus en termes de salaires, d'impôts, d'emploi et de protection sociale, les salariés actifs, chômeurs et retraités sont à nouveau les sacrifiés de la politique gouvernementale.

Divers mouvements sont d'ores et déjà annoncés dans le secteur public (EDF ou SNCF notamment) mais aussi dans la fonction publique.

La Confédération les soutient, bien entendu.

À l'étranger, les choses ne vont guère mieux, les mêmes dogmes économiques conduisant à la même austérité. En Allemagne, les syndicats ont lancé des mouvements. En Belgique, la FGTB s'oppose à un pacte social, comme l'UGT en Espagne.

Force ouvrière s'est adressée à ces organisations sœurs pour que nous puissions confronter nos expériences afin de mieux agir de manière coordonnée.

Nous savons que la réduction du chômage impose d'autres choix, dont la relance de l'activité, le soutien du pouvoir d'achat tant dans le public que dans le privé, et la réduction de la durée du travail.

Nous savons tous également que cela nécessite une vision dynamique et non restrictive de la construction européenne.

Face à un tel entêtement, les salariés ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour se faire respecter. C'est le rôle du syndicalisme libre et indépendant de les y aider activement.

 

Date : 24 mai 1996
Source : La Croix

La Croix : Jeudi se tient une journée d’action pour la réduction du temps de travail. La grogne monte dans la fonction publique. Des grèves se profilent à EDF, à la SNCF, à France Télécom… Cinq mois après le grand conflit de novembre-décembre, avez-vous le sentiment que le climat social se durcit de nouveau ou s’agit-il d’un simple épiphénomène ?

Marc Blondel : Je ne crois pas que ce soit un épiphénomène. Aujourd'hui, les menaces sont encore là. Les fonctionnaires ont de bonnes raisons de craindre que le gouvernement, à la recherche d'économies, ne gèle à nouveau leur salaire en 1997. Les salariés des entreprises publiques n'ont pas de garantie sur l'avenir du service public « à la française » soumis à la pression européenne. Quant aux salariés du privé, ils commencent à payer le RDS et constatent que le chômage augmente. Donc, on retrouve tous les éléments qui nous ont conduit à l’action de novembre et décembre. Mais cette action n’avait été possible que parce qu’il y avait eu la présentation du plan Juppé au Parlement, qui avait servi de détonateur. Aujourd’hui, il y a de nouveau l’insatisfaction et nous allons mesurer son intensité.

La Croix : Les déclarations d’Alain Juppé sur la « mauvaise graisse » dans la fonction publique ne peuvent-elles pas constituer un nouveau détonateur ?

Marc Blondel : Entre nous, on lui fait un petit procès. Il n’a pas dit qu’il y avait de la mauvaise graisse dans la fonction publique mais qu’il ne souhaitait pas qu’il y en ait. Cela dit, il est clair qu’il a utilisé un terme très maladroit. D’une certaine manière, il a pété ses boulons, ce qui est plus fréquent qu’on ne le croit, M. le Premier ministre ayant les nerfs sensibles. Je le sais, je l’ai pratiqué…
Ce qui me fait le plus sursauter, c’est que nous venions le matin même de signer un accord pour réduire le nombre d’emplois précaires dans la fonction publique. Peut-on dire d’un côté que l’on va titulariser ces personnes, et, de l’autre, que l’on va réduire le nombre global de postes ? C’est incohérent.
Enfin, je peux démontrer cent fois que l’administration a recours, de manière illégale, à des CES. Ces postes-là correspondent à des besoins. Ils devraient être budgétés.

La Croix : N’y-a-t-il pas, ici ou là, des économies possibles ?

Marc Blondel : Je crois que nous avons à peu près le bon nombre de fonctionnaires mais je ne suis pas sûr qu’ils soient toujours affectés au bon endroit. Selon moi, l’administration de trop n’est peut-être pas l’administration d’État.

La Croix : Vous plaidez pour des suppressions d’emplois dans la fonction publique territoriale ?

Marc Blondel : Je ne suis favorable à aucune suppression d’emplois.

La Croix : Vous ne vous associez pas à la journée de ce jeudi sur le temps de travail. Dans le même temps, FO est l’un des rares syndicats à signer avec le patronat un accord dans la métallurgie que beaucoup trouvent insuffisant. Quel jeu jouez-vous ?

Marc Blondel : La journée du 23 sur le temps de travail est une journée cafouillis. Moi, je ne crois pas que la réduction du temps de travail puisse, à elle seule, avoir un effet sur l’emploi. Isolée, elle sera avalée par les gains de productivité. A fortiori si on l’accompagne d’un aménagement du temps de travail, ce qui était la revendication principale de la CFDT jusqu’à ces derniers temps.
Je suis favorable à un triptyque : relance de l’activité, augmentation des salaires, réduction du temps de travail. Dans ce cadre, je plaide pour la sixième semaine de congé payés et la semaine de 35 heures sans réduction de salaire.

La Croix : Ne pourrait-on pas créer plus d’emplois avec une légère baisse des salaires ?

Marc Blondel : Soyons clair. La baisse des salaires accentuerait la récession et serait refusée par les salariés. Ce serait la répartition de la misère.

La Croix : Comment jugez-vous la position du patronat ?

Marc Blondel : Il ne veut rien céder sur la durée du travail et veut tout obtenir sur la flexibilité. S’il reste sur cette ligne-là, il risque d’y avoir une loi.

La Croix : Si vous jugez aussi sévèrement le patronat, pourquoi avoir signé l’accord dans la métallurgie ?

Marc Blondel : C’est différent. Dans cette branche, le patronat a accepté, d’une certaine façon, le principe de la sixième semaine. Comme c’était une revendication de FO, le secrétaire de notre fédération a signé l’accord. Je rappelle que nos fédérations ont leur liberté de comportement.

La Croix : Auriez-vous signé cet accord si vous étiez le secrétaire de la Fédération FO de la métallurgie ?

Marc Blondel : Je ne suis pas secrétaire de la Fédération FO de la métallurgie.

La Croix : Plus généralement, quelle est votre marge de manœuvre dans les négociations, vu l’attitude du patronat ?

Marc Blondel : Quand le patronat ou le gouvernement ouvrent des négociations sans leur permettre d’aboutir, ils risquent le rapport de force.

La Croix : On en est là ?

Marc Blondel : Cela se profile. Le patronat bloque et, si on se retourne vers le gouvernement, il n’arbitre pas en notre sens car il pratique une politique restrictive. Donc, on alimente l’insatisfaction et, à mon avis, un jour ou l’autre, un grand conflit social peut repartir.

La Croix : La mollesse de la croissance économique vous renforce dans votre demande de relance de l’activité.

Marc Blondel : Absolument. Il faut relancer l'activité. C'est possible. Je propose un vaste plan de destruction des HLM. Dans les années 60, leur construction correspondait à un besoin et a apporté une amélioration considérable – je le sais, j’ai habité Bondy Nord. – On a dit à l’époque qu’ils dureraient trente ans. Il est donc temps de les détruire et de construire différemment. Cela relancera l’activité et, au passage, aidera à résoudre les problèmes des banlieues.

La Croix : Comment financer un tel plan ?

Marc Blondel : Comment je ne crois pas à l’efficacité de toutes les aides à l’emploi, je pense qu’il faudrait consacrer une partie des sommes à une relance réelle de l’activité pour développer le pays et pas pour réduire les déficits.

La Croix : Que pensez-vous de la politique du gouvernement ?

Marc Blondel : Je regrette que, pendant l’été 1995, la technostructure et les énarques aient ramené le Président de la République et le Premier ministre à la pensée unique.

La Croix : Où en sont aujourd’hui vos relations avec l’un et l’autre ?

Marc Blondel : Avec M. Juppé, on ne les démultiplie pas. Avec M. Chirac, c'est autre chose. Il a une part de jovialité qui permet de maintenir avec lui des contacts différents. Néanmoins, cela me frappe de le voir me parler avec des notes rédigées par ses conseillers, ce qu'il ne faisait pas avant. Mais il a suffisamment de sens politique pour comprendre qu’il devra changer de politique économique. Sinon, on va dans le mur.

La Croix : Où en sont vos relations avec les autres syndicats ? Pendant le conflit, vous avez eu avec Nicole Notat des mots très durs.

Marc Blondel : Je ne crois pas à l’unité d’action pour l’unité d’action. Ce serait une simple opération d’appareil. En revanche, je crois que l’on peut mobiliser aujourd’hui sur le triptyque : relance de l’activité, amélioration des salaires, réduction de la durée du travail. C’est urgent. Mieux, si cela se faisait comme cela, j’aurais l’ambition de mener une action coordonnée avec l’Allemagne, l’Espagne et d’autres pays européens où les problèmes sont semblables.

La Croix : Six mois après, Alain Juppé a fait aboutir une bonne partie de son plan de réforme de la sécurité sociale. N’est-ce pas surprenant et, pour vous, décevant ?

Marc Blondel : Non. Car il a eu des alliés très intéressés. Notamment le docteur Bouton (NLDR : président du syndicat des médecin généralistes MG France) et M. Davant (NDLR : président de la Fédérations nationale de la mutualité française).
Je persiste à penser que l’on devrait s’étonner qu’un gouvernement qui privatise à tous crins décide de nationaliser la sécurité sociale. Je maintiens qu’il ne s’agit que d’une étape pour, ensuite, « face aux charges qui seront trop lourdes », laisser une partie du champ d’activité au marché, aux compagnies d’assurances et la mutualité. Ce sera la deuxième étape. Chaque individu, en fonction de ses revenus, prendra des garanties dans les sociétés d’assurances. C’est ce que l’on avait voulu éviter en 1945. C’est l’inverse de la sécurité sociale et de la solidarité.

La Croix : Voulez-vous garder la présidence de la Caisse nationale d’assurance-maladie ?

Marc Blondel : J’en suis arrivé à une simple question : la présidence, pour quoi faire ? Quand Jacques Barrot dit que le rôle du président sera d’appliquer les orientations gouvernementales, ce n’est pas, à mon sens, le rôle du syndicat. À l’inverse, on peut transformer cette présidence en îlot de résistance. Je n’ai pas encore répondu à cette question.