Texte intégral
Date : 5 juin 1996
Source : Force Ouvrière Hebdo
Privatisation : Danger
Selon une information parue dans le journal Le Monde du 29 mai 1996, une compagnie d’assurance-vie (Prévoyance Sociale Vie), risquerait de se voir retirer son agrément, ce qui signifierait sa faillite. À l’origine des problèmes, selon le journal, une insuffisance des actifs ne permettant plus de faire face aux obligations vis-à-vis des assurés.
Enivrée, comme d’autres compagnies, par une croissance importante de l’assurance-vie depuis plusieurs années, cette société se serait développée au détriment des règles élémentaires de solvabilité, tout en ayant été victime d’une escroquerie.
Depuis plusieurs mois, les actionnaires, dont quelques sociétés étrangères, n’auraient pu trouver les 80 millions de francs nécessaires au redressement.
Comme l’expliquerait un professionnel du secteur : « Comme pour les banques, il doit y avoir une sélection naturelle qui s’opère. »
Si tel était le cas, ce serait la première fois que des clients se retrouveraient ainsi sans recours dans le cadre d’une faillite dans ce secteur.
Dans un système prônant le libéralisme économique – la prise de risque, la loi du marché, c’est-à-dire la loi du plus fort – de tels événements peuvent apparaître comme logiques.
Et c’est d’ailleurs ce qui se passe dans un pays comme les États-Unis.
Il n’en reste pas moins que cela doit donner à réfléchir.
Imagine-t-on, demain, de tels scénarios dans le domaine de l’assurance privée, en matière de santé par exemple ? Déjà, à l’occasion de leur privatisation, les AGF se félicitent d’être la première compagnie française dans ce secteur appelé à se développer.
Imagine-t-on encore de tels scénarios avec un développement annoncé des fonds de pension, c’est-à-dire de la retraite par capitalisation ?
Dans tous les cas de figure, il convient de se rappeler que la Sécurité sociale n’est pas là pour faire des profits mais de la redistribution, à la différence des compagnies financières.
D’ores et déjà, il se murmure que se développerait dans la complémentarité maladie des contrats à différents niveaux de prix et de prix et de couverture selon le choix des clients.
Tout cela ne fait que conforter l’analyse que nous faisons du plan Juppé sur la Sécurité sociale, et les positions que nous avons développées sur les fonds de pension.
Le contrôle de la technostructure sur la Sécurité sociale, avec le double souci du pouvoir et de la réduction des dépenses, conduira inéluctablement à favoriser, par des voies directes et indirectes, la privatisation, comme dans les autres pays. C’est-à-dire un poids croissant des intérêts privés (industries pharmaceutiques, notamment étrangères et compagnies d’assurances) sur la santé.
Il en sera de même sur la retraite.
Faire dépendre l’accès aux soins et à la retraite de la solvabilité individuelle des assurés et de critères de gestion et de placements capitalistes, ne pourra que conduire à accroître de manière importante les inégalités sociales ;
Jusqu’à ce jour, la société française est constituée de trois éléments : un secteur administré, un secteur dit socialisé géré paritairement, un secteur privé libéral.
Les deux premiers sont progressivement rognés, avec la complicité des pouvoirs publics qui se font de plus en plus interventionnistes pour déréglementer.
Ce mouvement de fond est une des questions clés à l’origine de la fracture sociale.
Le fait que les politiques s’y prêtent et que la technostructure les y incite est lourd d’inquiétudes pour l’avenir des valeurs républicaines.
L’interventionnisme social n’est pas compatible avec la liberté de négociation, condition essentielle de la vie démocratique.
(manque l'éditorial du 10 juin 1996)