Interviews de Mme Nicole Notat, secrétaire général de la CFDT, à France-Inter le 1er décembre, France 2 le 5 le 18 et le 20, "Le Parisien" le 7, RTL le 8, TF1 le 13 et Europe 1 le 15 décembre 1995, sur la réforme de la sécurité sociale et le sommet social.

Prononcé le 1er décembre 1995

Intervenant(s) : 

Circonstance : Grèves et manifestations à Paris et province contre le plan de réforme de la Sécurité sociale du 24 novembre au 17 décembre 1995

Média : France Inter - France 2 - Le Parisien - RTL - TF1 - Europe 1

Texte intégral

France Inter - 1er décembre 1995

A. Ardisson : Le Point, qui parait demain, vous présente en première page comme « la femme qui dérange les syndicats » ; je dirais aussi qui dérange les partis politiques puisque la prise de position d'une centaine de personnalités de gauche en votre faveur a amené la gauche du PS à exiger que celui-ci prenne position plus radicalement en faveur des grévistes. Sommes-nous à nouveau dans une guerre idéologique ou est-ce un problème technique cette différence que vous avez avec les autres ?

N. Notat : Ni idéologique ni technique. Nous avons une différence d'appréciation sur un point qui est ce qu'il fallait faire sur l'assurance-maladie. Sur ce point, la CFDT ne s'est pas laissée prendre au dépourvu. Depuis des mois, des années – rappelez-vous déjà la CSG –, la CFDT était seule à vouloir et à soutenir ce projet de M. Rocard à l'époque. Donc depuis toujours, la CFDT qui est attachée à la protection sociale, à ses fondements de justice et de solidarité, ne voulait plus voir se fissurer les fondements, la légalité d'accès aux soins, leur qualité, la dérive de la maîtrise de santé sur la sécurité sociale. Nous avons fait des propositions qui ont été validées dans nos congrès, débattues avec nos militants. Ces propositions, aujourd'hui, se retrouvent en grande partie dans ce qu'a décidé A. Juppé sur l'assurance-maladie. La CFDT est logique avec elle-même, elle a satisfaction dans ses revendications et en général, quand on a satisfaction sur les revendications, nous ne nous mettons ni en grève, ni dans la rue.

A. Ardisson : Pourtant le mécontentement est dans la rue. Ça veut donc dire que vous non plus vous n'êtes pas compris ?

N. Notat : Nous sommes aussi dans la rue quand il le faut et nous l'avons été lors de l'annonce sur le gel des fonctionnaires, et le 24 aussi, lors de la décision concernant l'évolution des régimes des fonctionnaires et des régimes spéciaux. Car une fois de plus, le gouvernement, concernant les fonctionnaires, a fait pour le moins preuve d'une nouvelle brutalité et d'une nouvelle maladresse. Quand il faut dire « non ! » vous trouverez toujours la CFDT. Ça veut dire qu'il n'y a pas, à la CFDT, une volonté qui consisterait à dire, aujourd'hui, que c'est une forme d'action syndicale qui ne privilégie que la proposition ou le compromis. Il y a aussi l'action, la contestation qui font partie de l'action syndicale mais dans une perspective d'utilité, d'efficacité.

A. Ardisson : Soyons clairs : quand les fonctionnaires CFDT se retirent de l'intersyndicale, ça veut dire « oui » à la réforme de la sécu ou « non » à l'examen de la réforme des régimes de retraite particuliers ?

N. Notat : Ça veut dire clairement que la CFDT, ce n'est pas elle qui a rompu le front syndical. Le 24, il y avait union de toutes les fédérations de fonctionnaires pour faire une grève des fonctionnaires contre les décisions gouvernementales sur les régimes spéciaux des fonctionnaires. La CFDT, aujourd'hui, n'est pas partante dans les fonctions publiques pour faire une autre action que celle qui se situe sur les régimes spéciaux des fonctionnaires. Elles ne veulent pas partir dans des mots d'ordre généraux et globalisants du type : retrait global du plan Juppé. Elles n'en veulent pas. Elles ne veulent pas laisser le gouvernement en paix sur les autres sujets qui sont à l'ordre du jour et plus que jamais : les problèmes de l'emploi, du temps de travail, de la précarité que Puech, avant de quitter l'ancien gouvernement, s'était engagé à négocier. La CFDT, dans les fonctions publiques, garde un cahier revendicatif dont celles qui consistent à refuser les conditions d'évolution des régimes spéciaux tels qu'ils sont présentés par le gouvernement, mais veut aussi reprendre l'action revendicative sur les autres terrains de l'emploi et du temps de travail.

A. Ardisson : Quand J. Barrot annonce que le RDS, la CSG nouvelle manière, le remboursement de la dette sociale, « ne sera pas déductible de l'impôt », vous êtes toujours d'accord avec le gouvernement ?

N. Notat : Absolument pas ! Et si c'est une décision qui correspond aujourd'hui à une décision gouvernementale, je vais m'en assurer en demandant aujourd'hui ou dans le week-end à rencontrer J. BARROT ou le Premier ministre car il y aurait là un premier coup de canif dans la manière dont le gouvernement appliquerait la réforme. La fameuse RDS, c'est une ponction, un prélèvement qui vise à rembourser la dette dans un fonds particulier. Ce prélèvement n'a pas vocation à ramener de l'argent dans le budget de l'État. Il a vocation à assumer, à résorber la dette, un point c'est tout ! Je vais tout de suite m'assurer que ce qu'a annoncé A. Juppé, à savoir que la CSG devait devenir une cotisation sociale et donc déductible de l'impôt, est une orientation qui fait bien partie du remboursement de la dette.

A. Ardisson : Et si vous n'aviez pas satisfaction, ça vous ferait changer de camp ?

N. Notat : De camp ?

A. Ardisson : Ça vous ferait rejoindre M. Blondel ?

N. Notat : Ça me ferait réagir fort par rapport à cette décision avec laquelle je serais contre et la CFDT le ferait savoir par les moyens appropriés.

A. Ardisson : P. Méhaignerie a annoncé qu'il préférerait que « la réforme fiscale soit reportée à plus tard ». Beaucoup de mauvaises nouvelles sont arrivées ces derniers temps et qui expliquent le malaise social. Pensez-vous qu'il faut faire une pause ou qu'il faut faire très vite ?

N. Notat : Je ne peux pas considérer que la réforme de l'assurance-maladie annoncée est une mauvaise nouvelle. Quand il s'agit de remettre sur ses rails les fondements de la solidarité, de la justice sociale, qui consistent à ce que la sécurité sociale, dans les 10 ans à venir, ne soit pas donnée pieds et poings liés aux assurances privées, je considère que ça va dans le sens du progrès social et pas dans le sens des mauvaises nouvelles. Ce gouvernement a mis 6 mois à ne rien faire de sérieux quand il est arrivé, à ne rien faire de sérieux concernant les problèmes sociaux. Et d'un seul coup, il est pris d'une boulimie de réformes et d'accumulation de décisions qui gagneraient effectivement à un peu plus de temps à prendre pour la concertation. Il y a une chose que je ne veux pas voir retardée : c'est la mise en application, d'un point de vue fiscal, des décisions qui ont été prises sur la protection sociale et en particulier sur l'assurance-maladie. Cela appelle des décisions gouvernementales concernant les prélèvements obligatoires et cela, il n'est pas question pour nous de le voir retardé : la CSG, la déductibilité, le transfert de la cotisation maladie vers la CSG rénovée, le fait que les entreprises payent sur la valeur ajoutée et plus seulement sur les salaires car c'est une contre-performance par rapport aux entreprises qui plus elles licencient, moins elles payent de cotisations et moins elles participent à la solidarité nationale. Donc sur ces 4 points, c'est rapidement que le gouvernement doit faire la preuve de sa crédibilité sur les orientations qu'il a prises. Nous l'avons dit : la CFDT est pour la réforme mais elle met le gouvernement sous haute surveillance dans son application. Je suis fidèle à cette position.


France 2 : mardi 5 décembre 1995


A. Chabot : Les autres organisations syndicales peuvent-elles changer ? Ne risquez-vous pas d'être un peu isolés devant M. Barrot ?

N. Notat : L'isolement, ce n'est pas par plaisir que nous le subissons. Mais, dans la mesure où la réforme de l'assurance-maladie est une réforme qui était nécessaire pour que nous ne reculions pas par rapport à l'esprit des fondateurs de la sécurité sociale, pour que les principes de solidarité, de justice, qui étaient et qui sont mis à mal aujourd'hui... N'oublions pas que nous sommes le pays qui payons le plus cher pour l'assurance-maladie et qui sommes les moins bien remboursés. N'oublions pas qu'il y a plus de 800 000 personnes qui passent entre les mailles du filet de l'assurance-maladie. Il faut que cela change. Il faut remettre l'assurance-maladie sur ces bons rails, les rails de la solidarité, les rails qui font que tous les Français, tous les assurés sociaux, quels que soient leurs revenus, qu'on soit jeune ou chômeur, vieux ou bien portant, nous puissions trouver une bonne qualité de soin dans une égalité de soin pour tous.

A. Chabot : Faut-il que le travail reprenne ?

N. Notat : Quand les gens sont dans l'action, c'est à eux, au fur et à mesure que leur action se déroule, au fur et à mesure que les propositions, les réponses aux revendications qu'ils posent, sont faites, qu'ils les apprécient, qu'ils décideront, ou qu'ils ne décideront pas, de reprendre le travail. Ce qui est sûr, c'est que, concernant la CFDT, il est certain que les équipes CFDT, et très majoritairement, ne se trouveront pas dans l'action contre le plan de réforme de l'assurance-maladie. Nous avons bien d'autres points de désaccord avec ce qu'a fait Juppé, mais pas celui-là.

B. Masure : Vous avez écrit à A. Juppé pour lui dire de ne rien décider sur les retraites avant une réelle négociation, êtes-vous satisfaite de ce qu'a annoncé le Premier ministre à la tribune cet après-midi ?

N. Notat : À condition d'avoir bien compris ce qu'a dit le Premier ministre, car effectivement, comme vous le savez, le 15 novembre, le Premier ministre a annoncé avec brutalité, de manière unilatérale, deux décisions qui ont mis le feu aux poudres et ont fait que nous en sommes à ce nouveau moment de conflit et de désaccord entre les grévistes, la CFDT et le gouvernement. Il a annoncé aujourd'hui qu'il était prêt à changer la fonction de la commission LE VERT, mais je regrette qu'il n'ait pas été aussi clair dans son expression devant le Parlement qu'il ne l'a été dans la lettre dans laquelle il répond à celle que j'ai envoyée hier. Il me dit effectivement, à ma demande de lever toute décision unilatérale, qu'aucune décision ne saurait être à ce jour prise par rapport au travail que va faire la commission LE VERT. J'en déduis donc que cela veut dire qu'il n'y a pas de décision de prise ni sur l'allongement de durée de cotisation, ni sur la caisse des fonctionnaires. Si mon interprétation est bonne, alors je considère que le gouvernement a reculé par rapport à sa décision et ses annonces du 15. S'il ne me contredit pas, je considère que c'est effectivement un point d'apaisement.

B. Masure : N'avez-vous pas l'impression d'être prise en sandwich entre FO et la CGT en ce moment ?

N. Notat : Non. Si vous voulez, pour le moment, ce qui compte pour moi, c'est la question de l'avenir de la protection sociale et de ce point de vue, quand la CFDT est favorable à la réforme, elle est favorable à la réforme parce que c'est l'intérêt des assurés sociaux. Il faut lui redonner plus de solidarité, plus de justice sociale, qu'elle était en train de perdre. Qu'il y ait aujourd'hui des différences de conception sur cette réforme, je l'accepte, je le respecte, mais je ne peux pas dire qu'une réforme est mauvaise quand elle va dans l'intérêt des assurés sociaux.

B. Masure : Votre propre fédération de la santé de la CFDT appelle à la grève, comment réagissez-vous ?

N. Notat : Le point concernant l'avenir des régimes spéciaux des fonctionnaires doit être définitivement clarifié quant aux intentions du Premier ministre. Si ce qu'il me répond est juste, c'est-à-dire qu'il ne prend pas de décision avant que la commission ait travaillé, avant qu'elle ait remis son rapport, avant qu'il ne rediscute avec les organisations syndicales, alors je crois que dans la CFDT, l'action menée ces derniers jours par nos équipes de terrain auront trouvé là une évolution positive.

(Après l'allocution du Premier ministre, Ndlr)

B. Masure : M. Blondel a déclaré tout à l'heure que les ouvertures de M. Juppé ne sont pas suffisantes et L. Viannet pour la CGT a qualifié le discours d'A. Juppé à l'Assemblée d'une « non réponse ». Votre réaction sur l'allocution télévisée d'A. Juppé ?

N. Notat : Elle est fidèle à celle qu'il a prononcée devant l'Assemblée. Ce que je retiens – car c'est pour moi le point prioritaire ce soir – c'est que sur la question des régimes spéciaux et de la retraite de fonctionnaires, il vient bien de repréciser qu'il n'y avait aucune décision a priori qui pesait sur les travaux de la commission Le Vert qui doit remettre un Livre blanc. Je considère donc que l'épée de Damoclès qui pesait jusque ce soir est levée. En tout cas, tant qu'il n'en aura pas dit le contraire, je considérerai cela ainsi. Pour le reste, il a confirmé des points, en particulier la réforme de l'assurance-maladie, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je ne vais pas regretter aujourd'hui que le Premier ministre maintienne le cap sur cette réforme. Mais, puisque nous la voulions, puisqu'elle est nécessaire, puisqu'elle est au cœur de notre système de solidarité, des problèmes d'exclusion qui sont ceux aujourd'hui qui créent de l'angoisse, de l'inquiétude, chez bon nombre de salariés, je lui redis ce que nous avons déjà dit : la CFDT va rester vigilante. Vigilante, pour que tous les points d'application de cette réforme annoncée ne soient pas déviés. Vous savez, quand j'entends que des médecins vont manifester le 17, je me dis qu'il va y avoir bien des lobbies pour faire dévier de son objet cette réforme. Donc, nous allons avoir l'œil, nous allons regarder à la loupe tout ce que le gouvernement va faire dans les ordonnances désormais.


Le Parisien : 7 décembre 1995

Le Parisien : Alain Juppé a donné des gages à la CFDT sur la question des retraites des fonctionnaires. Souhaitez-vous personnellement la reprise du travail ?

Nicole Notat : J'étais le 24 novembre dans la rue pour dire notre opposition aux décisions brutales prises par Alain Juppé concernant les régimes de retraite. Ce point de désaccord est levé. La position du gouvernement est un recul et vaut retrait de décisions du 15 novembre. Les raisons qui motivaient l'action de nombreuses organisations de la CFDT [illisible] plus. Il n'y a plus de motifs pour faire grève sur cette question. On avisera dans quatre mois au vu de ce que le gouvernement nous proposera. Mais il reste dans bien des secteurs des sujets de mécontentement qui relèvent d'un autre traitement, comme à la SNCF.

Le Parisien : La France vit un conflit historique. Comment un leader syndical réagit-il quand les plus grosses manifestations jamais vues depuis des années se font sans lui ?

Nicole Notat : J'ai l'impression d'avoir été à la tête de plusieurs manifestations ces derniers temps. Le 10 octobre, par rapport à l'annonce du gel des salaires des fonctionnaires, le 14 octobre à l'appel de l'intersyndicale pour la défense et la réforme de la sécurité sociale, le 24 novembre sur les annonces concernant les régimes spéciaux des fonctionnaires. Comment imaginer que je puisse me retrouve à la tête d'une manifestation qui appelle au retrait d'un plan dit Juppé, alors que c'est un plan qui reprend pour une large partie de revendications de la CFDT ! Et dont je pense qu'il est essentiel qu'il voit le jour pour que l'assurance-maladie retrouve les bases de la solidarité et de la justice sociale.

Le Parisien : Vous avez gagné vos galons de partenaires privilégiés du gouvernement et du patronat, à la place de FO. Comment gérez-vous cela ?

Nicole Notat : On n'a pas attendu le plan Juppé à la CFDT pour prendre notre place d'interlocuteur syndical. Si nous occupons aujourd'hui sur l'échiquier social et syndical cette place c'est par défection des autres organisations comme la CGT et FO qui ne savent plus ou ne veulent plus l'occuper. Dans les autres pays européens, je ne connais pas un seul syndicat qui se mette hors-jeu dans la vie contractuelle. Même si tous n'ont pas la même vision des choses, aucun ne déserte le terrain. La CFDT a toujours jugé les gouvernements à leurs actes, c'est ce qui fonde notre indépendance, notre autonomie et donc notre efficacité.

Le Parisien : Mais pour occuper cette place n'avez-vous pas été obligé de laisser de côté un certain mécontentement qui s'exprime encore aujourd'hui dans les rues. Ce que certains de vos militants vous reprochent d'ailleurs ?

Nicole Notat : Nous sommes conscients que c'est l'angoisse, la peur de l'avenir qui donne actuellement dans la société française. Des sentiments qui engendrent mécontentement et repli sur soi. Mais ces situations-là, si on les exploite, peuvent renforcer l'égoïsme et le corporatisme. Est-ce que l'action commune a pour fonction d'apporter des réponses en profondeur à cette situation sociale dégradée ou doit-elle se contenter de les attiser sans véritablement apporter des solutions adaptées ? C'est là où il y a peut-être des divergences sur la nature du syndicalisme en France. Je ne souhaite pas, à la CFDT, prendre les chômeurs et les exclus comme otages d'une action syndicale qui ne fait pas d'eux les bénéficiaires de l'action. Fédérer les mécontentements, oui, mais ne pas les exploiter à des fins qui se retournent contre l'intérêt général.

Le Parisien : Comment voyez-vous l'issue des conflits actuels ?

Nicole Notat : Les conflits démarrent et s'arrêtent un jour. Simplement celui qui reste aujourd'hui le plus visible, c'est celui de la SNCF. L'hypothèse des régimes de retraite est levée, mais j'ai cru comprendre que les cheminots avaient aussi des inquiétudes par rapport à l'avenir de l'entreprise. C'est de la responsabilité du gouvernement et la direction de la SNCF de trouver les moyens de répondre aux préoccupations compréhensibles des cheminots.


RTL : vendredi 8 décembre 1995

J.-M. Lefèbvre : Comment sortir de la crise actuelle ?

N. Notat : Il n'y a pas une crise, je crois qu'il y a des conflits qui ont chacun des objectifs différents et qu'il faut s'occuper de chacun des conflits. Le point de conflit qui était fort, qui était partagé par l'ensemble des organisations syndicales et des salariés, c'était celui sur l'avenir des régimes spéciaux des fonctionnaires et des entreprises publiques. Je crois que celui-là, au fur et à mesure que les uns et les autres se font redire ce que le Premier ministre a dit, à savoir ce qui s'appelle un recul par rapport aux décisions qu'il avait prises le 15 novembre, je pense que là, progressivement, les gens entendent. Il me semble que, peut-être, il y a des endroits où il y a encore besoin de précisions, je pense en particulier à la RATP et peut-être que là, nos amis et d'autres organisations syndicales souhaitent être vraiment sûrs de ce qu'ils doivent comprendre et être écoutés par le ministre des affaires sociales. Eh bien, je pense que ce serait une bonne chose qu'il les reçoive pour qu'ils soient définitivement convaincus de l'avenir et de la consolidation de leur régime.

J.-M. Lefèbvre : Je crois que les syndicats de la RATP, y compris d'ailleurs la CFDT, veulent interpeller J. BARROT dans une lettre, pour être reçus. Vous êtes prête à appuyer cette démarche ?

N. Notat : Tout à fait.

J.-M. Lefèbvre : Demain, la CFDT va être reçue par le ministre du travail et des affaires sociales. Vous, sur les modalités d'application de la réforme, il y a quand même la question de fond du RDS déductible ou non ?

N. Notat : Ma préoccupation, par rapport à ce qui est le prélèvement pour apurer la dette, était simplement, à travers son statut, d'être sûre que ce qui allait être prélevé allait intégralement aller à la caisse d'amortissement pour la dette et qu'au passage, l'État ne s'en prenne pas une petite partie pour le budget de l'État. Voilà ce que signifiait ma controverse avec le ministre du travail. J'ai depuis reçu la garantie que toutes les recettes de cette RDS iraient à la caisse d'amortissement. Donc, de ce point de vue-là, je crois que c'est une assurance qui permet de ne pas avoir de déviations de l'objet du RDS. Mais demain, il y a surtout pour nous, de mettre en application notre mot d'ordre permanent, c'est-à-dire la vigilance sur l'application de la réforme de l'assurance-maladie. Vigilance parce que nous ne laisserons pas le gouvernement faire n'importe quoi dans l'application d'orientations sur lesquelles nous avons dit qu'elles étaient bonnes, qu'elles étaient justes, qu'elles devaient être prises. En particulier, nous allons regarder de près comment la CSG nouvelle formule va exister, quel va être son statut, nous allons être exigeants pour que, très rapidement, il y ait un point de cotisation maladie que payent les salariés aujourd'hui, qui soit transformé en CSG et qui, du même coup, va leur donner un gain de pouvoir d'achat. Nous allons être vigilants sur la prestation autonomie : puisque le gouvernement l'a reportée, nous voulons qu'il revoie sa copie sur la manière dont il a conçu cette prestation autonomie. Nous allons aussi être très vigilants sur la manière dont il va faire payer les entreprises qui – plus elles réduisent leurs effectifs et plus elles s'enrichissent –  finissaient par payer moins de cotisations sociales. Donc, la valeur ajoutée des entreprises, il faut maintenant la mettre à contribution. Voilà une série des questions sur laquelle nous allons demain rappeler et porter nos revendications au gouvernement.

J.-M. Lefèbvre : Le conflit entre certains syndicats et le gouvernement porte en fait sur des mots qui cachent des réalités : discussion approfondie, négociations ou concertation ?

N. Notat : Je ne vais pas faire de conflit de vocabulaire. Avec un gouvernement, un syndicat négocie rarement ; nous ne signons pas une loi, quand nous sommes un syndicat. Tout ce qui est de la responsabilité gouvernementale, tout ce qui relève de l'élaboration de la loi, a fortiori quand il s'agit d'ordonnances, même s'il s'agit d'ordonnances, nous ne sommes pas partie prenante de cette décision, contrairement à ce que nous faisons avec le patronat lorsque nous nous engageons par une signature dans un accord, par exemple sur la réduction du travail ou dans une entreprise, sur une politique salariale. Donc, je ne vais pas négocier. J.-M. Spaeth et J.-R. Masson, demain matin devant BARROT, iront faire prévaloir la vision qu'a la CFDT de l'application de cette réforme en espérant être suffisamment convaincants pour que le ministre entende nos revendications.

J.-M. Lefèbvre : Avez-vous demandé à être reçue par A. Juppé ?

N. Notat : Sur cette question ?

J.-M. Lefèbvre : Globalement. Sur cette question comme sur les autres ?

N. Notat : Je ne ressens pas aujourd'hui personnellement l'utilité d'une rencontre avec le Premier ministre. Nous aurions été tout à fait en désaccord si le Premier ministre était revenu sur la mise en œuvre de la réforme de l'assurance-maladie, donc je n'ai rien à aller dire à A. Juppé sur l'assurance-maladie. Il décide que ce soit le ministre du travail et des affaires sociales qui applique maintenant ses orientations. Ce n'est pas moi qui choisis les ministres, ce n'est pas moi qui choisis les patrons, je travaille avec les interlocuteurs tels qu'ils existent aujourd'hui.

J.-M. Lefèbvre : Votre objectif est que le syndicalisme français pèse réellement, comme en Allemagne ?

N. Notat : Je pense que je serai en retraite avant que cette chose-là n'existe. Je souhaite effectivement aujourd'hui que le syndicalisme français, en prenant notre part à la CFDT, devienne effectivement un syndicalisme qui soit beaucoup plus efficace dans les transformations sociales qu'il faut effectuer dans cette société, pour que l'on fasse des pas en avant fantastiques contre le chômage, contre l'exclusion, contre cette angoisse qui mine la dynamique de chaque individu, de chaque famille, de chaque catégorie sociale par la peur qu'il a aujourd'hui de l'avenir, compte tenu de l'inconnu et  compte tenu des risques qu'il ressent comme des menaces très lourdes. Oui, je voudrais que ce syndicalisme – en tout cas c'est le choix de la CFDT, ce n'est pas seulement le mien, je le porte parce que c'est celui de la CFDT – soit effectivement capable d'être un véritable levier de changement social, d'efficacité dans ce changement au quotidien pour les salariés.

J.-M. Lefèbvre : Cela ne secoue pas trop, avec la CFDT cheminots ?

N. Notat : Nous allons avoir une réunion avec la fédération cheminots lundi. Nous n'en sommes pas à ne pas nous parler. C'est d'ailleurs à leur demande. Donc, nous allons discuter avec la fédération cheminots. Je dois dire que, sur le conflit qui est le leur, ils ne m'ont à aucun moment entendu dire que je ne comprenais pas ce conflit. Peut-être même que je serais encore plus critique qu'ils ne le sont sur les conditions et les finalités du contrat de plan tel qu'il leur a été présenté.

J.-M. Lefèbvre : Comment analysez-vous les attitudes de M. Blondel ou de L. Viannet hier ? M. Blondel, en évoquant votre demande d'un service minimum, disait que c'est un coup de couteau dans le dos de ceux qui font grève ?

N. Notat : Merci de me permettre de préciser cette affaire. Je vois que je n'ai pas que des amis, mais je le savais. J'ai écrit au Premier ministre, il m'a répondu. J'ai écrit au lendemain de la manifestation d'usagers qui ne me semblaient pas des gens qui condamnaient le droit de grève, qui condamnaient l'action des cheminots, qui simplement souhaitaient ne pas en subir des répercussions trop négatives et qui eux, avaient fait état d'une demande de service de transports pendant les moments où ils allaient au travail. Et j'ai alerté le gouvernement pour dire mon désaccord avec la manière dont le RPR était en train d'exacerber et de créer l'affrontement entre des comités d'usagers et les gens qui étaient en grève. Cela m'apparaissait tout à fait odieux et un affrontement dont nous n'avions pas besoin. Je disais en même temps au Premier ministre que, sur une question aussi importante que celle que posaient les usagers, dont je redis que je les comprends, je ne voulais pas et la CFDT ne voulait pas de mesure législative portant atteinte au droit de grève et organisant le service minimum. Voilà ce que j'ai dit au gouvernement, voilà ce que je maintiens. Donc, vous voyez que c'est loin de ce que l'on me fait dire aujourd'hui.

J.-M. Lefèbvre : Comment qualifiez-vous cette crise sociale, c'est la crainte de l'avenir, c'est Maastricht, c'est la rigueur ?

N. Notat : C'est beaucoup de choses à la fois, mais je crois que dans les secteurs où le mécontentement a pris une forme un peu radicale, un peu dure, c'est effectivement, chez les cheminots, l'incertitude qui pèse sur leur entreprise. C'est sûrement la même chose dans beaucoup d'entreprises publiques qui, à cause de la dérégulation, par exemple à EDF, que Bruxelles voudrait leur imposer, résistent par rapport à ce qu'est aujourd'hui la qualité du service public que cette entreprise offre aux Français, et c'est bien légitime. Il y a aussi eu ce point de fixation dont le gouvernement aurait pu se passer par rapport à la maladresse, à la brutalité concernant la situation des régimes de fonctionnaires et des régimes spéciaux. Et au-delà de cela, il y a de nombreuses personnes en France qui sont inquiètes pour leur avenir. Je pense que, aujourd'hui, la bonne manière de mener l'action, la bonne manière de leur donner des garanties, de leur donner de la sécurité sur leur avenir, c'est justement que cette réforme de l'assurance-maladie voie le jour et bien le jour ; que la lutte contre le chômage devienne une véritable réalité, qu'ils s'aperçoivent que la création d'emplois, les syndicats en sont les porteurs et donc ne défendent pas seulement des gens qui ont un emploi mais aussi ceux qui veulent en avoir un ; et que Maastricht, ce n'est pas l'Europe, ce n'est pas seulement la réduction des déficits publics, ce n'est pas seulement la monnaie unique, c'est un élément de l'Europe. Mais il faut beaucoup plus pour que les Français adhèrent à une Europe qui soit une Europe où il fasse bon vivre, une Europe où les gens aient le sentiment que chacun va trouver sa place, va être reconnu sur le plan social, va trouver sa dignité. Bref, une Europe qui donne envie de s'engager avec elle pour faire face aux problèmes qui sont ceux de l'avenir.


TF1 : mercredi 13 décembre 1995

P. Poivre d'Arvor : Vous aviez réclamé un sommet social après les grèves. Est-ce que la date vous convient ?

N. Notat : C'est le Premier ministre qui l'a choisie. Ce qui m'importe aujourd'hui c'est que nous n'ayons pas un sommet social fourre-tout et que nous ayons un sommet social qui serve à quelque chose sur un terrain qui est prioritaire, et qui est presque à la source de tellement de mécontentements, de tellement de désarrois que l'on comprend aujourd'hui et qui s'expriment dans la rue, c'est bien la question de l'embauche et de l'avenir des jeunes, c'est bien la question du chômage, c'est bien la question de la réduction de l'exclusion. Voilà des questions qu'il faudra évoquer à ce sommet et auxquelles il faudra surtout apporter des réponses.

P. Poivre d'Arvor : Dimanche vous souhaitiez ce sommet après les grèves. À votre avis, est-ce que le 21 la France sera encore en grève, est-ce que la CFDT demandera pendant huit jours encore qu'il y ait poursuite de la grève ?

N. Notat : La poursuite de la grève existe ici et là, encore que nous apprenons aujourd'hui qu'il y a des reprises du travail dans certains secteurs, en particulier la SNCF, je pense à Mulhouse, je pense à Saint-Brieuc. Je crois que les cheminots et les gens de la RATP ne se sont pas battus pour rien : ils ont obtenu satisfaction à leurs revendications. Le contrat de plan, on le revoit, les régimes de retraite sont garantis. Ils peuvent être contents de s'être battus et d'avoir gagné. Simplement maintenant, il faut que les salariés des entreprises et tous les salariés dans les assemblées générales, démocratiquement, pas seulement ceux qui viennent dans les assemblées générales, mais tous les salariés, se prononcent sur l'appréciation qu'ils portent du résultat de leur action - et ils ne peuvent qu'en faire une appréciation positive - et se prononcer ensuite, démocratiquement, donc sur les conditions de leur reprise du travail.

P. Poivre d'Arvor : Diriez-vous comme la CFTC que les revendications qui ont déclenché la grève sont aujourd'hui satisfaites ?

N. Notat : Au sujet de la SNCF et de la RATP, oui.

P. Poivre d'Arvor : Et les retraites ? Vous avez l'air de considérer que Je sujet est définitivement clos ?

N. Notat : C'est que j'ai compris quand le Premier ministre a dit qu'il suspendait la commission Le Vert. C'est ce que j'ai compris de la lettre qu'il a envoyée à tous les personnels de la RATP, à tous les personnels de la SNCF. Donc je crois qu'aujourd'hui, autant il pouvait y avoir encore de l'inquiétude, du doute sur les intentions réelles du Premier ministre, autant je crois que maintenant les choses sont effectivement bien clarifiées.

P. Poivre d'Arvor : Est-ce que vous vous associerez à la journée du 16, unitaire FO-CGT ?

N. Notat : Non, parce que ce n'est pas vraiment notre démarche que de nous laisser aller dans une démarche de politisation de l'action syndicale. Cette journée s'annonce effectivement tout à fait comme ayant un objectif politique. Je crois que c'est une journée qui conduit dans l'impasse les gens qui sont invités à y participer. Elle conduit dans l'impasse parce que, par nature, elle ne peut pas déboucher sur des résultats concrets, elle ne peut pas déboucher sur ce sur quoi. Les gens attendent des solutions. Ils en ont marre, ils en ont ras-le-bol de payer plus, de toujours entendre parler d'efforts, de toujours entendre parler qu'on va arriver à réduire le chômage, mais qu'on ne le réduit jamais. Donc il faut enfin apporter des réponses et nous, nous concevons notre rôle d'action syndicale, non pas pour exacerber les angoisses, non pas pour en créer encore plus demain, mais pour les réduire, obtenir des résultats à l'action syndicale pour l'emploi, pour la réduction de l'exclusion, pour des solidarités entre ceux qui travaillent et ceux qui cherchent un emploi et je pense en particulier aux jeunes.

P. Poivre d'Arvor : Pour vous il y a eu politisation de la part des deux autres grandes centrales ?

N. Notat : Si j'en juge par le mot d'ordre qui est donné aujourd'hui à l'action de samedi, oui. Je crois que nous avons changé de terrain. Nous ne sommes plus dans l'action syndicale, nous sommes dans une action politique. Ce n'est pas notre travail.

P. Poivre d'Arvor : Même si L. Viannet dit qu'il ne veut pas « la tête » d'A. Juppé, vous pensez que c'est un peu ce qu'il désire ?

N. Notat : Je ne sais pas s'il le veut ou s'il ne le veut pas, mais en tout cas, la manière dont il s'y prend laisse tout à fait penser que l'intention est celle-là.

P. Poivre d'Arvor : M. Blondel aux côtés de L. Viannet ça vous a toujours paru curieux et visiblement vous ne souhaitez jamais dialoguer avec eux deux lorsqu'ils se trouvent sur un plateau de télévision ?

N. Notat : Vous avez tout à fait tort. J'ai déjà dialogué en compagnie de L. Viannet et de M. Blondel et j'espère que nous retrouverons des conditions pour continuer. Nous avons eu un différend. Ce n'est pas un différend sur la situation des retraites des fonctionnaires – nous étions tous contre l'annonce qu'a fait le gouvernement sur ces questions. Ce n'est pas non plus un différend sur un certain nombre de critiques que nous formulons sur d'autres points du plan Juppé. Notre différend il est sur la compréhension que nous avons, l'intérêt qu'il y a à réformer ou non la sécurité sociale. Nous, nous disons, oui, il y a intérêt à la réformer pour la sauver parce qu'aujourd'hui, telle que fonctionne la sécurité sociale, plus exactement telle qu'elle dysfonctionne, il y a des dérapages, il y a plus de 800 000 personnes qui passent entre les mailles du filet. Il y a aujourd'hui un financement qui n'est pas juste, qui repose trop sur les salariés et pas assez sur les revenus du patrimoine, sur les revenus des entreprises, sur les revenus de l'épargne. Voilà, il faut sauver la sécu pour lui redonner tout son sens de solidarité et de justice sociale qui était au cœur de ce que les fondateurs de la sécurité sociale ont voulu.


Europe 1 : vendredi 15 décembre 1995

M. Grossiord : Est-ce que vous trouvez que cette reprise du travail ce matin est encourageante ?

N. Notat : En tout cas, elle montre qu'un certain nombre de cheminots et d'agents de la RATP, qui ont fait le bilan de leur action, ont légitimement pu considérer que cette action avait payé, qu'ils avaient obtenu les résultats qu'ils attendaient, puisque, finalement, ils avaient obtenu du gouvernement les reculs sur leur régime de retraite, et à la SNCF, sur le contrat de plan.

M. Grossiord : M. Blondel vous a, à nouveau, vertement critiquée. Le leader de FO estime que vous avez passé les limites de la correction en dénigrant les grévistes. Qu'est-ce que vous lui répondez ?

N. Notat : Je trouve que M. Blondel s'énerve beaucoup en ce moment.

M. Grossiord : Vous n'avez pas le sentiment d'avoir bafoué la tradition syndicale, comme le dit encore M. Blondel ?

N. Notat : Non, pas du tout, parce que nous sommes, à la CFDT, tout à fait sereins sur les positions que nous avons prises. Nous avons soutenu, et sans aucun état d'âme, toutes les grèves qui allaient à la SNCF, à la RATP, dans les entreprises publiques, dans l'objectif de faire revenir le gouvernement sur les mauvaises décisions, les décisions brutales et unilatérales qu'il avait prises sur les régimes spéciaux. Nous avons été dans cette action à la CFDT, toute la CFDT. Nous avons aussi vertement critiqué et soutenu les cheminots dans l'action concernant le contrat de plan dont j'ai souvent dit qu'il n'était ni fait ni à faire. Donc, je n'ai pas de leçon à recevoir sur la manière dont la CFDT s'est inscrite dans l'action.

M. Grossiord : Voilà pour M. Blondel. Évoquons L. Viannet maintenant pour la CGT. Qu'est-ce que vous lui souhaitez à la veille de son grand appel à la manifestation parisienne, appel rejoint d'ailleurs par FO ?

N. Notat : À L. Viannet ? Je lui souhaite de faire la preuve de ce qu'est la bonne tradition de la CGT. C'est-à-dire qu'après un mouvement qui a été fort, après des résultats qui ont été obtenus – j'ai cru entendre que les cheminots de la CGT disent avoir gagné sur leurs revendications – c'est bien de mener une action, c'est fait pour gagner. Je souhaite à L. Viannet que son organisation, comme elle a souvent su le faire par le passé, acte parce qu'elle a participé à cette action – acte les résultats de ce qu'elle a gagné, et puis nous accompagne maintenant sur les vrais terrains qui vont devoir être traités. Parce que ça n'est pas parce que ce mouvement s'arrête sur les objectifs qui avaient été les siens qu'il n'y a plus rien à faire dans ce pays. Il y a les problèmes de l'emploi, il y a les problèmes de l'exclusion, il y a les problèmes du chômage qui sont justement au cœur des angoisses, au cœur du désarroi que beaucoup de gens ont exprimé dans des manifestations et que ceux qui trouvaient ces manifestations sympathiques pensaient aussi.

M. Grossiord : On entend deux choses à votre sujet. Pour les uns, vous êtes une femme de courage et pour les autres, vous avez trahi votre cause. On le dit aussi au sein de la CFDT. Qu'est-ce que vous allez faire pour réunir le consensus autour de vous maintenant ?

N. Notat : Si j'avais trahi la cause de la CFDT, il faut que vous sachiez que je ne serais aujourd'hui plus à mon poste et que la cause de la CFDT, elle est aujourd'hui que l'action syndicale que nous voulons développer, elle se développe en faveur d'un mouvement qui tire la société vers plus d'intégration de tous ceux qui en sont exclus aujourd'hui, qu'elle tire la société vers plus de solidarité, vers plus de travail pour tous, vers moins d'angoisse, vers moins de désarroi qui est au cœur aujourd'hui de beaucoup de catégories sociales. Alors non, franchement, je suis tranquille, la cause de la CFDT est bonne et je me sens très à l'aise pour la défendre.

M. Grossiord : Certains disent que ce sommet social est un cadeau que vous fait A. Juppé.

N. Notat : Un cadeau ? Mais enfin, écoutez, faites attention aux mots que nous utilisons. Ce n'est pas à votre égard que je le dis, mais franchement, c'est un cadeau aujourd'hui que de s'occuper des problèmes de l'emploi des jeunes ? C'est un cadeau que de s'occuper de faire reculer l'exclusion qui mine la société française, qui fait qu'il y a aujourd'hui des familles entières qui sont dans la marginalisation, qui ne savent pas de quoi sera fait demain ? Mais enfin, qu'est-ce que c'est que ce terrorisme verbal sur les mots que l'on emploie aujourd'hui ? Oui, il faut aujourd'hui s'attaquer sérieusement aux vrais maux de la société française. Et c'est ce qu'attendent les Français. Et c'est la raison pour laquelle ils ont été nombreux à manifester, au moins dans ce que sous-tendaient leurs motivations. Alors moi, je dis à A. Juppé : un sommet social, oui. Je l'ai déjà dit 100 fois, pas un sommet fourre-tout. Un sommet où on aborde les vraies questions, et il y en a plusieurs. Mais en priorité, je tiens moi à ce que l'on parle, parce que c'est l'urgence, des questions de l'embauche des jeunes. Pas seulement les jeunes pour l'insertion, pour la formation, il faut aussi en parler. De l'embauche des jeunes dans les entreprises. Et là, j'attends aussi des réponses du patronat. Et j'attends que l'on parle des questions de réduction du temps de travail, bien sûr en lien avec l'organisation du temps de travail, dans la fonction publique, dans les entreprises publiques, comme il faut accélérer le pas dans le secteur privé, à partir de l'accord qui a été signé le 31 octobre entre les partenaires sociaux.


France 2 : Lundi 18 décembre 1995

G. Leclerc : « Du mal peut sortir un bien », a dit hier le Premier ministre. Il a ajouté qu'il fallait réapprendre à vivre ensemble, recoller les morceaux. Alors, est-ce que vous êtes aussi optimiste que lui ?

N. Notat : Je dirais que le Premier ministre, ces dernières semaines, semble faire un apprentissage social accéléré. Mais je trouve que ça n'est pas mal. On va voir jeudi, puisque c'est jeudi qu'il y a un sommet social, s'il a véritablement tiré toutes les conséquences de ce conflit et s'il est décidé à faire de ce sommet, non pas, ce qui serait une erreur, un point d'orgue pour terminer les conflits, pour terminer des moments de tension, mais au contraire, un moment de rebondissement pour aller enfin vers le traitement des vraies questions qui se posent à la société française et qui étaient derrière ces manifestations, derrière cette expression directe ou indirecte que les Français ont exprimée.

G. Leclerc : Justement, il a donné, hier, le programme, puisqu'il a dit qu'on parlerait de l'emploi, notamment de l'emploi des jeunes, et puis de la réduction du temps de travail. Est-ce que ce sont des bons thèmes ? Est-ce que les conditions sont réunies pour qu'en un sommet, on règle ces questions qui traînent depuis très longtemps ?

N. Notat : Je pense que vous seriez étonné si je vous disais qu'à la CFDT, nous ne sommes pas prêts à enfoncer le clou sur des questions aussi importantes que celles-là, et qui sont nos priorités revendicatives depuis très longtemps. Il est temps, enfin, on a commencé. Mais il est temps de donner un coup d'accélérateur aux problèmes qui sont ceux des jeunes et ceux du chômage. Évidemment, si ce n'est qu'un sommet pour se dire des choses, suivi de rien, ce sera un coup d'épée dans l'eau. Et ce serait dommage et nous, nous n'irons pas dans cet esprit-là. Nous souhaitons que ce sommet soit le sommet où sont posées les questions, que ça ne soit pas un sommet fourre-tout, je l'ai dit 50 fois, avec un objectif. Il a dit la croissance, il a dit l'emploi des jeunes, il a dit la réduction du temps de travail. C'est déjà un bon menu si nous voulons faire les choses sérieusement. Pour ce qui concerne l'emploi des jeunes, comme la réduction du temps de travail d'ailleurs, je crois qu'il faut tout à la fois que jeudi il y ait des décisions, des orientations précises qui soient fixées, qui montrent que l'on entame quelque chose, que l'on ouvre un grand chantier. Pas faire croire aux gens qu'on va, par un coup de baguette magique, par un sommet social, tout résoudre. Tout le monde va se mettre au travail. Quand je dis tout le monde, c'est qui ? Les partenaires sociaux, on a commencé. Il y a un accord, le 31 octobre, maintenant, il faut le mettre en musique. C'est un peu comme la réforme de la sécurité sociale ou de l'assurance-maladie. Il y a le squelette, mais il n'y a encore rien autour. Donc il faut lui donner de la chair, il faut que la réduction du temps de travail devienne une réalité dans les branches et les entreprises. Les fonctions publiques, parce qu'il n'y a pas de raison que l'État donne des conseils aux entreprises privées. Elles en ont besoin de temps en temps, et qu'il ne montre pas l'exemple. Donc, négociation dans les fonctions publiques et dans les entreprises publiques. Voilà autant de sujets qui devraient donner de la perspective et peut être transformer la colère, le mécontentement qu'on a senti, qui est fort et qu'on connaissait avant ce mouvement, en mobilisation positive pour une société qui aille moins vers l'exclusion et plus vers l'intégration.

G. Leclerc : En revanche, le Premier ministre a précisé qu'on ne parlerait pas des salaires, qu'on ne parlerait pas non plus du plan sur la sécurité sociale. Là aussi, ça ne pose pas un problème quand même ?

N. Notat : Deux choses alors. Sur le plan Juppé, maintenant, je crois qu'il faut employer d'autres mots. Dans le plan Juppé, il y avait la réforme de l'assurance-maladie, il y avait aussi les retraites. Les retraites, on n'en parle plus. La question est terminée. Sur l'assurance-maladie, ô combien il faut en parler. Mais il ne faut pas tout mélanger. Il y a des choses qui sont engagées auprès du ministre du travail. Et vous savez que nous, dès l'annonce de la réforme, à la CFDT, nous avons dit : vigilance et détermination sur les nouveaux arbitrages, sur les décisions d'application qui vont être mises au clair. Par exemple, l'annonce que j'ai écoutée hier du Premier ministre, et qui va tout à fait dans le sens des revendications que nous avons faites auprès de J. Barrot, celles qui consistent à ce que la cotisation maladie qui est la ressource principale de l'assurance-maladie, eh bien, il a annoncé hier que deux points d'assurance-maladie, c'est-à-dire que les salariés verraient baisser leurs cotisations de deux points... Il y aurait à peu près 0,5 % de gains de pouvoir d'achat sur les feuilles de paie. Vous voyez 0,5 ? C'est l'équivalent de la RDS. Eh bien voilà une bonne mesure. Ça veut dire qu'en même temps que la dette doit être résorbée, un financement plus juste de la sécurité sociale compense l'effort sur la RDS. Voilà une bonne mesure.

G. Leclerc : Autre souci, le CNPF, qui est très réticent et qui laisse même planer la menace de ne pas aller à ce sommet social. On pourra négocier sans le CNPF ?

N. Notat : Non, c'est évident que non. Je n'ose pas imaginer qu'au-delà des tensions, des énervements, des irritations compréhensibles, le CNPF qui se dit, après tout, il ne s'est rien passé dans le privé, donc moi je ne suis pas concerné. Attention à ces propos un peu trop péremptoires. On ne sait jamais, il y a des négociations qui vont s'ouvrir dans le privé. Il faut que les entreprises et les branches professionnelles fassent preuve d'un peu d'imagination, qu'ils ne trainent pas des pieds, sinon ça pourrait se retourner contre eux. Donc, je conseille au CNPF de plutôt venir jeudi.

G. Leclerc : Un mot pour conclure sur l'attitude de la CFDT durant tout ce conflit. On vous a souvent reproché d'avoir été trop proche du gouvernement, d'avoir presque jouer les briseurs de grèves, a dit M. Blondel. Il y a même une petite contestation au sein de la CFDT.

N. Notat : Il faut rétablir les faits. La CFDT a été de toutes les manifestations dès lors qu'il y a eu attaque sur les fonctionnaires, que ce soit sur leur pouvoir d'achat, que ce soit sur leurs retraites, que ce soit dans les entreprises publiques quand il y avait attaque sur l'avenir des services publics. Donc, pas d'ambiguïté. La CFDT a été dans la rue et la CFDT saura retourner dans la rue le jour où il faudra y retourner. Par contre, la CFDT ne joue pas contre son camp. Quand on rentre dans un match, c'est pour y jouer, marquer des buts pour son camp, et pas pour le camp adverse et l'assurance-maladie, c'est une réforme que nous avons voulue, pour les assurés sociaux et dans leur intérêt, pour plus de solidarité et de justice sociale. Alors revenir en arrière par rapport à cette situation, évidemment non. C'est ça notre différence avec FO, pas autre chose.


France 2 : mercredi 20 décembre 1995

B. Masure : Vous avez dit espérer de cette réunion de Matignon, un coup d'accélérateur pour les réformes, qu'attendez-vous précisément ?

N. Notat : J'attends que nous n'ayons pas un sommet social pour rien, c'est-à-dire qu'il soit véritablement un coup d'envoi, un nouvel élan donné à ce qui fonde aujourd'hui l'angoisse, le désarroi de bons nombres de Français et de jeunes, la question préoccupante du chômage, de l'avenir des jeunes diplômés et de leur insertion dans la vie active. Pour moi, la priorité, c'est l'emploi des jeunes, il faut franchir un seuil dans la manière dont les entreprises doivent être contraintes de les embaucher, aussi dans le développement de la réduction du temps de travail, à la fois dans les entreprises privées – selon un accord que nous avons déjà signé avec le patronat – mais aussi dans les entreprises publiques et aussi dans les fonctions publiques.

B. Masure : Seriez-vous d'accord pour demander au Premier ministre un report de certaines hausses de prestations de façon à relancer la consommation ?

N. Notat : Vous savez, pour la relance de la consommation, je crois qu'on nage dans une confusion extrême. Je suis persuadée aujourd'hui que la bonne relance de la consommation, c'est celle qui va permettre à tous ceux qui sont aujourd'hui dans l'incapacité de consommer – c'est qui ? Les chômeurs, les exclus, ceux qui ont de trop petits salaires pour pouvoir consommer – c'est de remettre ces gens-là dans l'activité économique. Et enfin, il y aura plus de monde pour consommer et la relance de l'activité sera au rendez-vous, et la croissance sera au rendez-vous. Il faut donc remettre les choses dans l'ordre. Et en réglant demain des mesures beaucoup plus contraignantes pour l'embauche des jeunes, en réglant demain des mesures beaucoup plus audacieuses pour la généralisation de la réduction du temps de travail, nous fournissons les moyens à beaucoup plus de personnes aujourd'hui d'avoir du salaire, donc de pouvoir consommer et donc, de relancer l'activité. Voilà la proposition que je ferai au Premier ministre.