Déclaration de M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire de la ville et de l'intégration, sur la politique d'aménagement et son interaction avec la politique sociale, Paris le 17 avril 1996.

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  • Jean-Claude Gaudin - ministre de l'aménagement du territoire de la ville et de l'intégration

Circonstance : Colloque "Politiques sociales et territoires" organisé par la Revue française des affaires sociales, à Paris le 17 avril 1996

Texte intégral

Je me réjouis de l'initiation de la revue française des affaires sociales, qui a permis, à l'occasion de votre colloque, la confrontation des points de vue des chercheurs, de décideurs, d'acteurs de terrain et d'élus sur l'articulation entre les politiques sociales et les territoires.

C'est un sujet ambitieux, à certains égards paradoxal, sur lequel vous avez réfléchi toute la journée ; mais il est, je crois, important de conduire ce genre de réflexion pour orienter l'action publique.

Le paradoxe n'est-il pas d'envisager que les politiques sociales et celles d'aménagement du territoire puissent s'appuyer l'une sur l'autre, alors que leurs champs d'intervention sont de nature très différente ?

La politique sociale s'adresse à des catégories de personnes fragiles ou vulnérables, auxquelles la collectivité vient en aide, pour des raisons bien évidentes de solidarité : handicapés, personnes sans ressources, enfants maltraités, chômeurs,… L'objectif est d'assurer des minima sociaux, de conduire des actions de prévention, de maintenir la cohésion sociale et de prévenir autant que faire se peut la pauvreté, la précarité, l'exclusion ou la délinquance.

La politique d'aménagement du territoire, quant à elle, a pour rôle de répartir, d'une manière équilibrée, les hommes et les activités. Elle s'adresse en priorité aux territoires affectés de handicaps. Son objectif est d'assurer des minima de développement.

Or, en période de récession-mutation prolongée comme celle que nous connaissons depuis 1974, les différences de situation, malgré la redistribution, ont tendance à s'accroître entre les individus comme entre les collectivités et les territoires.

Ce phénomène s'observe à toutes les échelles de la géographie, ségrégation entre quartiers d'une même ville, ségrégation à l'intérieur d'une région, ségrégation entre nations… Le phénomène de ghetto menace.

Les difficultés sociales, par leur ampleur et leur localisation, prennent alors une dimension territoriale qui, à son tour, amplifie la fracture sociale. Le processus s'auto-alimente.

Les deux politiques, celle de l'action sociale et celle de l'aménagement du territoire, doivent impérativement évoluer pour prendre en compte cette situation nouvelle.

En premier lieu, l'action sociale doit être envisagée à partir de « situations » et non plus seulement à partir de catégories de population. Elle doit devenir aussi géographique : il faut gérer des processus de sur-urbanisation, ou à l'inverse de désertification et non plus uniquement des catégories de population : les jeunes, les actifs, les sans-emplois, les retraités…

La priorité est de soutenir tous les réseaux d'échanges et de solidarité informels. L'échelle du quartier ou du territoire de dimensions adaptée est alors idéale pour reconstruire la relation entre les hommes, renforcer la cohésion sociale, lutter contre l'exclusion.

Pour ce qui concerne l'aménagement du territoire, le besoin d'évolution est comparable. Je rappelle que cette politique, à ses débuts dans les années soixante, a consisté à compenser les déséquilibres territoriaux par la régulation des effets spontanés de la croissance économique et du marché. Depuis une quinzaines d'années, c'est dans le même esprit « régulateur » que l'État s'est investi dans des interventions correctrices d'urgence, pour compenser les conséquences des mutations successives de différents secteurs industriels.

Mais, pour traiter la priorité de l'emploi dans ces situations de crise, les principales interventions de l'aménagement du territoire sont restées, dans leur principe, les mêmes que celles inventées il y a une trentaine d'années : réalisation d'infrastructures, zonages prioritaires, aides financières directes, incitations réglementaires, négociations avec les entreprises sur la localisation de leurs établissements.

L'aménagement du territoire doit aujourd'hui introduire dans ses méthodes une nouvelle approche plus globale et intégrée, qui prenne en compte l'évolution des territoires, pour que se rétablissent une cohérence sociale et des communautés de vie solidaires.

Les notions traditionnelles d'équipement et d'aménagement doivent donc être complétées par une prise en compte explicite d'un troisième volet : l'organisation du territoire.

La qualité et l'intensité des relations entre les hommes et les entreprises, les pouvoirs publics et les partenaires privés doivent être renforcées car on devine, intuitivement, qu'une économie compétitive ne peut se développer sans le support d'une communauté locale dynamique, sans vitalité dans les relations entre acteurs, sans capacité de création, sans partage des valeurs.

Il apparaît ainsi que les politiques sociales d'une part, et d'aménagement du territoire d'autre part, se rejoignent progressivement sur la nécessité d'intervenir sur des espaces pertinents, adaptés à la concrétisation de projets de développement intégrés.

L'action entreprise par le Gouvernement va d'ores et déjà dans ce sens.

C'est en premier lieu l'esprit du pacte de relance pour la ville, fondé, vous le savez, sur le partenariat, et qui repose sur une approche globale territorialisée.

La politique de la ville, en effet, ne peut marquer des points que si elle est une démarche collective qui mobilise pour sa mise en œuvre tous ses partenaires.

Il ne peut y avoir sur le terrain quatre politiques, celle de l'État, celle des maires, celle des associations et celle des entreprises.

Les quatre doivent se rejoindre, s'épauler mutuellement, se relayer sur le terrain, bref ne fait qu'une.

Pour ce qui concerne l'aménagement du territoire, j'observe que plus l'économie et les échanges de produits et d'informations se mondialisent, tendance contre laquelle nous ne pouvons rien, plus les demandes de décentralisation et d'identification locale sont fortes. Cette aspiration à l'organisation d'espaces de dimensions modestes est nette. Il nous revient d'en tirer le meilleur parti pour structurer le territoire.

Mais l'État ne peut tout faire. L'aménagement du territoire est désormais une compétence partagée avec les collectivités locales, notamment les régions. Il faut donc s'assurer que tous les partenaires ont bien une vision commune du devenir du territoire. Cette vision commune n'existe pas en soi. Il faut y travailler. C'est l'objet du schéma national d'aménagement et de développement du territoire, actuellement en cours d'élaboration, qui doit dessiner l'image de la France en 2015.

A cet égard, mon avis est que nous devons choisir le scénario d'une France intégrée et maillée, celui de l'ouverture sur l'extérieur et de la cohésion interne. La France qui privilégie une organisation reposant sur des villes nombreuses à taille humaine. Une France possédant des provinces à forte identité. Une France de solidarités entre territoires riches et pauvres. Une France qui concilie impératifs de compétitivité et cohésion nationale.

C'est dans ce cadre général, qu'il faut favoriser l'émergence d'espaces pertinents que j'évoquais précédemment. C'est-à-dire d'espaces qui par leur dimension et leur organisation coordonnée seront susceptibles de « porter » le développement, de créer des emplois et de recomposer, si besoin, la cohésion des communautés locales.

L'organisation efficace pour ce développement repose à mon avis sur les agglomérations dans les zones de forte densité et les pays dans les zones de plus faible densité.

J'ai déjà eu l'occasion de dire que nous devrions constituer les 100 plus grandes agglomérations en communautés de villes, les doter d'un pouvoir et de compétences accrues leur permettant de lutter efficacement contre l'apparition de ghettos et de créer collectivement des emplois, de l'unité, de l'organisation. La constitution de ces communautés urbaines faciliterait à n'en pas douter aussi bien la conduite des politiques sociales que celle des actions en faveur de l'aménagement du territoire.

Il faudrait aussi créer de l'ordre de quatre à cinq cents « pays », pour mieux structurer l'espace rural.

Cela ne signifie pas pour autant, je le souligne, qu'il faille renoncer à nos 36.000 communes auxquelles nous sommes tous très attachés. Mais il faut inventer de nouveaux modes de coopération et de relations.

La politique d'aménagement et de développement du territoire concourt à l'unité et à la solidarité nationale. Elle constitue un objectif d'intérêt général.

Elle a pour but d'assurer, à chaque citoyen, l'égalité des chances sur l'ensemble du territoire et de créer les conditions de leur égal accès au savoir. Elle a pour objet la mise en valeur et le développement équilibré du territoire de la République.

A cet effet, elle corrige les inégalités des conditions de vie des citoyens liées à la situation géographique et à ses conséquences en matière démographique, économique et d'emploi. Elle vise à compenser les handicaps territoriaux. Elle fixe des dispositions dérogatoires modulant les charges imposées à chacun. Elle tend enfin à réduire les écarts de ressources entre les collectivités territoriales en tenant compte de leurs charges.

Les politiques de développement économique, social, culturel, sportif, d'éducation, de formations, de protection de l'environnement, du logement et d'amélioration du cadre de vie contribuent à la réalisation de ces objectifs.

Mesdames et Messieurs, les dernières phrases que je viens de prononcer, ne sont autres que les quatre premiers alinéas de l'article premier de la loi du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire.

Elles témoignent de la volonté du Gouvernement et de la représentation nationale, qui a voté cette loi, de faire de l'aménagement du territoire un instrument de la cohésion nationale.

Elles montrent également de manière frappante, tant cet article premier de la loi trouve sa place dans mon propos d'aujourd'hui, à quel point les politiques sociales et l'aménagement du territoire se rejoignent dans leurs objectifs fondamentaux.