Texte intégral
M. Cotta : Le projet de loi sur l'apprentissage est déjà controversé car il semble plus coûteux pour les entreprises. Quels sont ses avantages ?
J. Barrot : Il est d'abord plus coûteux pour l'État qui rajoute un milliard ; en année pleine, l'État mettra huit milliards. Ce que nous avons voulu, c'est nous donner les moyens de former les apprentis, car ils se forment tantôt à l'usine et à l'atelier, tantôt en centre de formation. Il fallait financer les centres de formation parce que l'apprentissage doit être une voie d'excellence. Je rappelle que deux apprentis sur trois trouvent presque immédiatement du travail après leur apprentissage. Donc il faut nous engager résolument dans cette voie qui sera bénéfique pour les jeunes Français.
M. Cotta : Est-il possible de moduler cette prime en fonction de l'âge de l'apprenti ?
J. Barrot : En effet il y a aussi le problème des primes que l'on donne aux employeurs. D'abord nous simplifions un système qui était très compliqué, c'est déjà bien. Bien sûr, dans notre bon pays de France, on veut toujours plus et on comprend que certains employeurs disent que ça coûte plus cher. Il y aura en effet probablement des possibilités de modulation. J'observe tout de même que deux fois 13 000 francs, pour l'apprentissage en deux ans, ça fait 26 000 francs et c'est une prime accompagnée d'exonération de charges. Donc il y a là tout de même un système favorable pour les maîtres d'apprentissage. Ça ne veut pas dire qu'ils n'ont pas de mérite mais ça veut dire aussi qu'on les accompagne largement. Qu'il y ait un petit peu de surenchère, c'est logique et normal ; on va en débattre. Ce qui importe, c'est qu'on a simplifié les circuits de financement et qu'on devrait pouvoir, cette année, je croise les doigts, voir 200 000 garçons et filles s'engager dans l'apprentissage en France, ce qui serait une première.
M. Cotta : Comment expliquez-vous que les différents plans sur l'apprentissage n'aient jamais marché par exemple celui de P. BÉRÉGOVOY ou d'E. CRESSON ?
J. Barrot : Parce qu'on a fait des proclamations de bonnes intentions mais on n'a pas mis l'argent derrière. Et le projet que je vais présenter à l'Assemblée n'est peut-être pas spectaculaire mais il a au moins un mérite, c'est qu'il met les financements là où il faut, il clarifie les règles du jeu et normalement, ça doit marcher.
M. Cotta : Il y a 615 000 jeunes parmi les trois millions de chômeurs, c'est beaucoup. Vous aviez, jusqu'à présent, privilégié les chômeurs de longue durée ; maintenant c'est aux chômeurs jeunes. Comment allez-vous changer de braquet ?
J. Barrot : Il y a toute une série de mesures qui vont, en application du sommet du 21 décembre 95, être prises. Aujourd'hui, c'est l'apprentissage. J'ajoute que nous allons faire voter, dans ce texte, les fameux contrats initiative locale, les emplois-ville. Je rappelle que le Gouvernement s'est engagé à en créer 100 000 sur quatre-cinq ans. Et nous allons ouvrir le CIE aux jeunes en grande difficulté sans avoir à justifier des périodes de chômage. Autrement dit, le CIE va être, en effet, beaucoup plus accessible aux jeunes en grande difficulté. Enfin, nous allons monter, avec les régions des programmes d'insertion des jeunes en entreprise. Il y a là un plan méthodique que nous allons suivre car il n'est pas normal que, en France, il y ait aussi peu de jeunes dans les entreprises. C'est une moyenne d'environ 7 % de la tranche 17-25 ans, c'est beaucoup moins qu'ailleurs. Il y a vraiment une faiblesse française, on va la corriger mais il faut quelques mois.
M. Cotta : Pas d'amélioration dans la demande en vue pour le premier trimestre, selon l'INSEE. Comment les patrons vont-ils embaucher, dans ces conditions ?
J. Barrot : Je reviens de Davos où il y avait tous les responsables économiques du monde. Le paysage mondial peut nous laisser espérer le retour du beau temps au deuxième semestre. Ce que nous voudrions, c'est que les chefs d'entreprise qui se heurtent, dans l'instant, a un certain nombre de difficultés – ce n'est pas la peine de se le cacher – anticipent un peu et, d'une certaine manière, évitent eux-mêmes de se restreindre, s'agissant notamment d'embauches de jeunes et de contrats d'apprentissage et de qualification. Je crois qu'on peut y arriver. Seulement on traverse une petite période de gros temps. Il faut que dans le bateau France, au lieu de s'admonester les uns les autres, Gouvernement, patrons, il faut que tous ensemble...
M. Cotta : Vous êtes en retrait par rapport au chef du Gouvernement, vis-à-vis des patrons ?
J. Barrot : Non, je ne suis pas en retrait. C'est normal qu'on ait une petite explication un peu vive. Quand on commence à rentrer dans le gros temps, on s'admoneste un peu et ensuite, on œuvre ensemble. C'est ça qu'on va faire maintenant.
M. Cotta : J. GANDOIS demande au Gouvernement de cesser de culpabiliser les entreprises et c'est ce que vous proposez ; serez-vous suivi par le Gouvernement ?
J. Barrot : Il faut revenir à ce qui a été voulu par le Président de la République et le Premier ministre, le dialogue. Il y a le dialogue social et puis il y a le dialogue tout court. Moi-même, je vais aller voir des chefs d'entreprise en province, il faut qu'on parle. Il faut que les uns et les autres nous nous soutenions le moral de manière à ce que les jeunes n'en fassent pas les frais et qu'ils restent en-dehors des entreprises. Je sais que c'est difficile mais franchement, il y a de la bonne volonté dans ce pays.
M. Cotta : Sentez-vous, comme A. JUPPÉ, la France prête à redémarrer ou est-ce la méthode Coué ?
J. Barrot : Nous sommes un peu déroutés parce qu'il y a des cycles très courts. Nous avions, en 95, senti la reprise, il y a là une petite rechute mais ce qui est vrai, c'est qu'on voit que ces rechutes de l'économie sont relativement courtes. C'est cela dont nous n'avons pas l'habitude. Nous sommes déroutés alors, à nouveau, nous sombrons dans le pessimisme. Il faut garder un peu une humeur égale, faire preuve un peu de courage et accroître le dialogue dans ces périodes un peu incertaines.
M. Cotta : L. JOSPIN a dit que la multiplication des plans ne crée pas la confiance mais l'incertitude ; que lui répondez-vous ?
J. Barrot : C'est un propos d'opposant qui n'essaie pas de regarder un peu aussi les lignes de force d'une politique qui, notamment en matière d'emploi, je le maintiens, vise à enrichir la croissance française en emplois par quelques axes clairs que je rappellerai au Parlement ce soir : abaissement des charges sur le travail moins qualifié, aménagement du temps de travail et insertion des jeunes. Tout cela, c'est un plan qui va se dérouler tout au cours de l'année. Il y a là une vraie logique. J'ai vu, à Davos, aussi bien les Allemands que les Américains, être très proches de la même démarche.