Texte intégral
Olivier Mazerolle : Il y a eu, hier, une manifestation contre le PACS. L'importance de cette manifestation est-elle de nature à modifier le comportement du gouvernement à l'égard de ce projet ?
Élisabeth Guigou : Le gouvernement est déterminé à faire passer cette proposition de loi. D'abord, il faut voir que c'est un texte qui ne menace ni le mariage, ni la famille. Il apporte des droits nouveaux aux personnes qui ne veulent pas, ou qui ne peuvent pas se marier de toute façon, donc qui ne vont pas vers le mariage. Et je crois que c'est une bonne chose, que ces quelque cinq millions de personnes ne soient pas ignorées par le droit. Et d'autre part, il n'enlève absolument rien à ceux qui choisissent le mariage, et encore moins, il n'enlève rien à la famille. Donc, il ne faut pas avoir peur du PACS. C'est un texte qui apporte un plus à des gens qui, aujourd'hui – plusieurs millions – encore une fois sont en dehors du mariage. Mais c'est un texte qui ne menace en rien ni le mariage, ni la famille.
Olivier Mazerolle : J'ai lu des déclarations, notamment d'un pasteur protestant aumônier à Fleury-Mérogis qui dit qu'il y a une contradiction entre le fait de dire que, pour lutter contre la délinquance, il faut restaurer l'autorité parentale et la promotion d'un texte qui, qu'on le veuille ou non, permet en tout cas d'éviter la constitution d'une famille.
Élisabeth Guigou : Mais, pourquoi d'éviter la constitution d'une famille ? Pas du tout ! Vous avez des familles, des couples hétérosexuels avec des enfants qui choisiront de faire un PACS parce qu'ils ne souhaitent pas se marier. Ils souhaitent rester en dehors du mariage. À ces enfants-là, ça apportera plus de stabilité dans le couple de leurs parents. Et il est normal qu'en contrepartie de cet engagement, la société donne des droits supplémentaires. D'autre part, c'est vrai qu'il y a, dans notre société, un problème d'exercice conjoint de l'autorité parentale par le père et la mère. Moi, j'estime qu'un enfant a besoin de son père et de sa mère. Et je trouve que nous sommes dans une société qui a tendance à éliminer les pères, et je trouve ça très grave. Mais le PACS ne change rien à ça ; il n'aggrave rien, en tout cas. Ce que je compte faire par rapport à ce problème, qui est un problème réel, sera fait dans la réforme du droit de la famille que je prépare – c'est distinct du PACS –, et sur lequel j'aurai un rapport, l'été prochain, d'un groupe de travail que j'ai installé l'été dernier. La principale question que j'ai posée, c'est : comment faire en sorte que les deux parents, quel que soit le statut juridique de leur couple – qu'ils vivent ensemble ou pas, qu'ils soient mariés ou qu'ils ne le soient pas –, comment peuvent-ils exercer conjointement leurs responsabilités vis-à-vis de leur enfant ? Parce que l'enfant, lui, n'est pas responsable. Donc, vous voyez, on mélange tout. C'est dommage.
Olivier Mazerolle : Concernant la lutte contre la délinquance, beaucoup de députés de l'opposition disent que le gouvernement a la peur de la sanction. Il y a eu un début entre vous – Jean-Pierre Chevènement et d'autres – sur le rôle de la sanction. Est-ce que, véritablement, les mesures prises vont aboutir à des sanctions contre des délinquants ?
Élisabeth Guigou : Mais, bien entendu ! Et d'ailleurs, des sanctions, il y en a déjà. Vous savez que 4 000 jeunes ont été en prison en 1998, 3 500 en 1997. Pour les crimes et pour les délits les plus graves, vous savez qu'on peut aller en prison à partir de l'âge de 13 ans, quand on est condamné. Donc, la seule discussion portait en réalité sur la détention provisoire, avant jugement. Moi, j'estime que pour les plus jeunes, pour ceux qui ont moins de 16 ans, ce n'est pas la bonne solution. Parce que je pense qu'il vaut mieux, pour les plus jeunes qui sont encore sur la corde raide – qui peuvent tomber du bon ou du mauvais côté –, je crois qu'il faut une sanction, bien entendu – et on peut l'avoir heureusement en dehors de la prison –, mais qu'il faut en tout état de cause la rééducation.
Olivier Mazerolle : D'où la création des centres de placement immédiat. Ces centres seront-ils fermés ou ouverts ? Le jeune pourra-t-il sortir ou pas ?
Élisabeth Guigou : Il ne pourra pas sortir sans autorisation, ça c'est clair.
Olivier Mazerolle : Il pourra sortir ?
Élisabeth Guigou : Il peut sortir avec des éducateurs. La nuit, les portes seront fermées. Il y aura des veilleurs de nuit. Ça existe déjà. Nous en avons dix, de ces centres. Et je me suis appuyée sur ces expériences pour dire que ce qui nous manque dans toute la palette très diversifiée – il faut qu'elle reste diversifiée parce qu'il y a diverses formes de délinquance – d'accueil et de prise en charge des jeunes, ce qui nous manque, ce sont des centres d'accueil immédiat dans lesquels tous les juges pourront trouver une place, dans lesquels on pourra faire une évaluation, un bilan psychologique, social de l'enfant ou de l'adolescent et bâtir, avec lui, un projet de rééducation. C'est très important : il faut que l'adolescent adhère ! Sinon, si vous le bouclez simplement derrière des barreaux, quand il sortira – parce qu'il sortira de toute façon – il ne se sera rien passé. C'est-à-dire qu'il récidivera.
Olivier Mazerolle : C'est dans l'attente du jugement, ces centres de placement immédiat…
Élisabeth Guigou : Dans l'attente du jugement ou dans l'attente d'une orientation dans une autre structure d'accueil, par exemple les centres éducatifs renforcés. Donc, ce sont des structures où, naturellement, les jeunes viendront sur placement judiciaire, et au bout de quinze jours, trois semaines, un mois – le délai aura été fixé par le juge –, on dira où il va : soit pour être jugé devant un tribunal, soit pour être orienté, en fonction de la gravité évidemment de ce qu'il aura commis, vers d'autres structures d'accueil.
Olivier Mazerolle : Souvent les enquêtes d'instruction durent très longtemps. Alors, est-ce que ce jeune pourra rester plusieurs mois, voire un an ou deux ?
Élisabeth Guigou : Non, je ne crois pas. L'idée n'est pas de parquer les jeunes en attente. C'est toute la difficulté : c'est de faire en sorte qu'il y ait des places. Pourquoi, souvent, est-ce que les jeunes sont renvoyés dans leur famille ? Parce qu'on ne trouve pas de place dans les foyers. Il n'y a rien pour les accueillir. Alors, on ne va pas les laisser à la rue. On ne va pas les mettre en prison lorsque ce qu'ils ont fait ne réclame pas de la prison. Donc, ce qui est important, c'est de pouvoir les accueillir immédiatement ; de cet accueil immédiat, d'en faire quelque chose d'utile. C'est sur ma proposition que ces centres immédiats vont être créés, parce que l'expérience nous montre – dans la dizaine de ceux que nous avons, que ça marche bien – de les orienter ensuite, tout ça sous le contrôle d'un juge. Et, si le jeune évidemment ne respecte pas, par exemple, fugue, non seulement les éducateurs iront le chercher et le ramèneront dans le centre mais, en plus, le juge qui aura mis le contrôle judiciaire pourra lui infliger une sanction supplémentaire. Donc, ce sont des centres strictement contrôlés comme le dit le relevé de décision du conseil de sécurité.
Olivier Mazerolle : Oui, mais avec possibilité de sortie ?
Élisabeth Guigou : Mais pas sans autorisation. Vous pouvez très bien avoir, par exemple, des éducateurs qui pensent que tel jeune peut sortir avec eux, jamais tout seul. Car l'encadrement, ce ne sont pas des barreaux ; ce sont des éducateurs qui encadrent le jeune. Tout ça pourquoi ? Parce que je crois à la rééducation, je ne crois pas à l'enfermement.
Olivier Mazerolle : Avec Chevènement, c'est fini. Lui dit que vous ne vous êtes jamais engueulés et que c'est finalement grâce à lui que vous avez obtenu beaucoup de moyens pour la justice.
Élisabeth Guigou : Eh bien, tout va bien. C'est vrai que j'ai obtenu des moyens supplémentaires remarquables, historiques.
Olivier Mazerolle : Grâce à lui ?
Élisabeth Guigou : Eh bien, je l'en remercie en tout cas.
Olivier Mazerolle : La parité : vous pensez qu'un référendum pourrait permettre de surmonter l'obstacle du Sénat ?
Élisabeth Guigou : C'est au Premier ministre de voir ce qu'il souhaite proposer au président de la République. C'est en tout cas au président de la République de prendre la décision. Ce que je constate simplement, c'est que le Sénat a bloqué cette réforme. D'ailleurs, beaucoup de sénateurs avaient l'air de ne pas en être très, très fiers. À droite, puisque c'est la majorité sénatoriale qui a bloqué, plusieurs sénateurs se sont désolidarisés des positions qui ont été prises par la majorité sénatoriale. Donc, je pense que c'est une réforme qu'il faut faire passer parce que nous voyons bien que, pour que la vie politique ressemble davantage à la vie tout court, pour que la politique reflète mieux les aspirations des concitoyens, il faut qu'il y ait un équilibre entre les hommes et les femmes. Donc cette réforme, il faut la faire passer. Le gouvernement est déterminé.
Olivier Mazerolle : Quand Roselyne Bachelot traite les sénateurs de « cons »…
Élisabeth Guigou : C'est son style.