Texte intégral
Le Parisien : 3 mai 1996
Le Parisien : Votre cheval de bataille, la baisse des dépenses publiques, semble faire école…
Alain Madelin : Je me réjouis que ce thème soit aujourd'hui aussi consensuel tout simplement parce qu'il est le point de passage obligé de toute bataille pour l'emploi. En effet, on observe dans tous les pays industriels que le chômage est proportionnel au niveau des dépenses publiques. Plus les dépenses publiques sont élevées, plus les impôts et les charges augmentent, plus les déficits se creusent, plus la dette s'alourdit. Ce qui, au bout du compte, étouffe l'initiative, l'investissement et l'emploi. L'État vit depuis trop longtemps au-dessus de ses moyens des Français. Il est dans la situation d'un ménage qui gagnerait 8 000 francs par mois, en dépensant 10 000, et aurait en plus 250 000 francs de dettes. On ne peut plus continuer comme ça.
Le Parisien : Tout le monde est d'accord sur le principe, mais personne ne veut en faire les frais. Dans quelles dépenses faut-il tailler ?
Alain Madelin : Pour dépenser moins, il faut dépenser mieux et autrement. C'est-à-dire que les bonnes économies budgétaires ne sont pas le résultat de coupes aveugles dans les budgets mais le fruit de réformes de l'action publique.
Le Parisien : Mais alors, cela repousse aux calendes grecques les économies budgétaires ?
Alain Madelin : Non, cela prouve seulement l'urgence des réformes ! Il y a un an, par exemple, je disais qu'il fallait réformer l'État et réduire le nombre de fonctionnaires comme le font tous nos partenaires. Non pas en les licenciant bien sûr mais, compte tenu des départs à la retraite, en ralentissant leur recrutement et en favorisant la mobilité interne. L'évidence finit par s'imposer.
Le Parisien : Vous n'êtes pas, vous-même, un modèle de vertu, puisque vous avez augmenté les effectifs de Bercy quand vous étiez ministre des Finances…
Alain Madelin : A Bercy, je n'ai fait que transformer des emplois précaires en emplois permanents sans augmenter les dépenses publiques. Dans toutes les fonctions ministérielles que j'ai exercées, je pense avoir toujours donné l'exemple de la réduction des dépenses publiques et de la chasse aux gaspillages.
Le Figaro : 7 mai 1996
« De l'audace ! »
Dans un point de vue au « Figaro », l'ancien ministre de l'Économie et président d'Idées Action, Alain Madelin, juge les douze premiers mois de la présidence à l'aune de l'espoir « placé il y a un an dans l'élection de Jacques Chirac ».
Un président plus proche des Français. Une politique de profondes réformes économiques et sociales libérant les énergies et créant des emplois. Voilà l'espoir placé il y a un an dans l'élection de Jacques Chirac.
Jacques Chirac exerce assurément une présidence plus moderne, empreinte de davantage de simplicité que celle de ses prédécesseurs. Il n'est pas un super Premier ministre et a mis fin, comme il s'y était engagé à la dérive monarchique du pouvoir présidentiel, donné tout son sens à l'article 20 de la Constitution qui dit que « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation ». Autrement dit le président préside, le gouvernement gouverne. Le Parlement a vu accroître son rôle législatif. Les Français ce sont vus la possibilité de s'exprimer sur les sujets de société par voie de référendum.
La politique étrangère et la défense, deux domaines où le président de la République joue un rôle essentiel, ont été marquées par un retour de la volonté politique.
Jacques Chirac assure une présence forte de la France sur la scène internationale. En Bosnie, son attitude ferme, ses décisions courageuses ont permis d'engager le processus de règlement du conflit.
Au Proche-Orient, il a réussi, récemment, grâce à l'action du ministre des Affaires étrangères, a réimposer la présence de la France sur une scène diplomatique considérée comme chasse gardée par les Américains…
Jacques Chirac a montré son attachement à la réalisation de l'Union européenne, au renforcement des liens franco-allemands, et au succès de la Conférence intergouvernementale.
Dans le domaine de la défense, après la reprise limitée des essais nucléaires, où il a pris le risque de l'impopularité, le Président de la République a impulsé une profonde réforme devant aboutir notamment à la professionnalisation de nos armées.
Reste la politique économique et sociale et les grands chantiers de réformes annoncées dans la campagne présidentielle. Après deux septennats socialistes, il y avait de l'espoir d'un nouveau départ, d'un sursaut attendu par de nombreux Français, et notamment par la France entreprenante et une grande partie de la jeunesse. Ce sursaut n'a pas eu lieu, et cet espoir reste à ce jour déçu.
Pour retrouver le chemin d'une croissance saine et durable créatrice d'emplois, Jacques Chirac se proposait à la fois :
– d'assainir nos finances publiques, au moyen de réformes de structures, visant à dépenser moins en dépensant mieux et en dépensant autrement ;
– de libérer et stimuler les forces vives du pays, pour favoriser la création de richesses et d'emplois.
L'assainissement de nos finances publiques était, pour Jacques Chirac, la condition nécessaire pour faire baisser les taux d'intérêt qui étouffent l'économie, l'investissement et l'emploi. Le gouvernement s'est engagé fortement dans la lutte contre les déficits publics. Non sans mal. A son arrivée, il a eu en effet à faire face à une dérive des dépenses (une cinquantaine de milliards) en raison d'une perte de nos recettes fiscales, du dérapage de nos dépenses et de l'augmentation de la charge de la dette. De plus, le gouvernement, mésestimant sans doute la fragilité de la reprise de la fin 1994, le poids des pressions déflationnistes sur l'économie et la baisse des recettes fiscales, a eu la tentation de marquer ses premières actions par des mesures nouvelles – et coûteuses – en faveur de l'emploi.
Alors ministre de l'Économie et des Finances, je me suis attaché à ce qu'on limite ces dépenses et qu'on ne laisse pas filer les déficits. Le déficit budgétaire a été ramené à sa prévision initiale et l'action gouvernementale inscrite dans un calendrier : 5 % des déficits publics (budgétaires et sociaux) par rapport au PIB en 1995, 4 % en 1996, 3 % en 1997.
Cette politique a été confirmée solennellement par Jacques Chirac le 26 octobre 1995. Elle a gagné la confiance des milieux financiers internationaux, et permis une baisse spectaculaire des taux d'intérêt français, dont on doit souhaiter qu'elle se poursuive de concert avec l'Allemagne pour donner de l'oxygène à nos économies.
Le problème – car problème il y a – est que ces résultats, faute de croissance, compte tenu de la baisse des recettes fiscales et des dépenses nouvelles engagées par le gouvernement, ont été essentiellement obtenus par des prélèvements supplémentaires et des économies budgétaires. D'où l'impopularité d'une telle politique.
En fait :
– les rares marges de manoeuvres disponibles auraient dû être investies dès 1996 dans la réforme fiscale pour stimuler la confiance et l'initiative ;
– les dépenses nouvelles auraient dû être financées par le redéploiement des dépenses existantes. Ajouter des aides à l'emploi puis décider qu'il faut couper des aides à l'emploi, décider d'une allocation dépendances puis geler cette allocation, c'est prendre le risque de brouiller l'image de la politique gouvernement ;
– la vraie réduction des dépenses publiques passe par un engagement des réformes de fond qui permettent de dépenser moins en dépensant autrement.
Réformer pour économiser
Réformer pour économiser, c'est le chemin qui a été suivi dans le domaine de l'assurance maladie. Tout le monde sait bien qu'on ne pouvait pas continuer comme cela, que des mesures d'urgence s'imposaient pour combler nos déficits et qu'il était nécessaire d'engager une réforme de fond, Jacques Chirac n'avait pas dit autre chose dans sa campagne lorsqu'il parlait de revoir le rapport « coût-efficacité de nos dépenses sociales » et « responsabiliser l'ensemble des profession de santé par le biais de contrat d'objectifs et de moyens ».
La réforme a été engagée. Les instruments de régulation qu'elle prévoit – l'évaluation des services hospitaliers, leur accréditation, les contrats d'objectifs, l'organisation de filières de soins, l'informatisation des cabinets médicaux, les références médicales, le carnet de santé, le développement des médicaments génériques – constituent dans leur principe de bons instruments. Ils s'inscrivent, cependant, dans un nouveau système qui souffre, à mes yeux, d'un vice de construction. Là où Jacques Chirac avait proposé, durant sa campagne, de « privilégier les responsabilités par rapport à la contrainte », de « laisser aux partenaires sociaux la pleine autonomie dans la gestion des caisses sur la base de vrais rapports contractuels », on a construit, je l'ai regretté, un édifice quelque peu différent qui met l'État en première ligne. La réforme renforce la gestion étatique et administrative de la santé, faisant craindre aux professionnels que ces nouveaux instruments de régulation ne deviennent une sorte de carcan bureaucratique. Souhaitons davantage d'autonomie pour les caisses, davantage de liberté contractuelle pour mieux responsabiliser les professionnels.
Emploi : rien de nouveau
Quant à la création de richesses et d'emplois par la stimulation des forces vives, que proposait Jacques Chirac, force est de constater que l'on a, à ce jour, davantage poursuivi les politiques d'hier qu'engagé des politiques nouvelles.
1. Le contrat initiative-emploi, qui repose sur une subvention et une exonération de charges sociales, était à l'origine, selon Jacques Chirac, une mesure ciblée, conditionnée par la création d'emplois nouveaux. On a généralisé le CIE à l'ensemble des embauches des chômeurs de longue durée. Résultat : une mesure coûteuse aux résultats modestes qui déplace davantage d'emplois qu'elle n'en crée.
2. L'allègement des charges sociales sur les bas salaires, qui avait été engagée par le précédent gouvernement, a été amplifié. Sur ce point, Jacques Chirac avait déclaré pendant sa campagne : « Il ne faut pas faire de démagogie. Cet allègement, pour être efficace, en termes d'emplois, suppose une contrepartie de maîtrise des dépenses publiques. C'est donc le point d'aboutissement d'un ensemble de réformes ». On en a fait un point de départ, gagé par une augmentation de la TVA. Et l'on découvre aujourd'hui – ce que je ne cesse de répéter depuis des années – qu'à dépenses sociales constantes, les baisses de charges ne constituent que des transferts sans effets déterminants sur l'emploi. Le président du CNPF, qui défendait il y a un an la baisse du coût du travail sur les bas salaires en vient à dire : « Le transfert de charges sur le budget de l'État vous retombe sur la tête sous forme d'impôt ».
Pour stimuler la croissance, on a davantage cherché à relancer la consommation au travers de toute une série de mesures sectorielles et de déductions fiscales d'une complexité parfois décourageante que cherché à stimuler les incitations à produire et à investir.
Pour sa part, Jacques Chirac, dans la campagne, avait appelé à la « relance par l'entrepreneur », « la libération de l'initiative de tous ceux qui travaillent, entreprennent et investissent », affirmant que « l'esprit d'entreprise est le principal levier de la croissance », qu'il fallait « mettre les forces vives au service de l'emploi, favoriser la création d'entreprises nouvelles, mieux récompenser le travail, le mérite et l'effort par la réforme fiscale ».
On a raison de dire que l'on n'a pas tout essayé contre le chômage. Il reste à mettre en oeuvre les propositions de Jacques Chirac.
Engager la réforme fiscale
Les vieux remèdes ne marchent plus. Pour inverser la tendance, créer une dynamique nouvelle et relancer l'activité économique, le principal instrument d'une confiance retrouvée c'est la réforme fiscale.
Une réforme fiscale que pour ma part je voulais engager dès 1996 et qui doit l'être impérativement en 1997.
Une réforme fiscale qui doit se donner pour objectif de réduire l'impôt de tous ceux qui participent à la création de l'activité et de l'emploi. Une réforme fiscale qu'il est possible de mettre en oeuvre en la gageant sur la recette exceptionnelle que le budget s'apprête à tirer du changement de statut de France Télécom.
D'autres réformes sont à mettre en oeuvre. La réforme de l'État, qui devrait être l'occasion de redéfinir le périmètre de l'intervention de l'État et d'engager une nouvelle étape de la décentralisation. La réforme de l'Éducation nationale, qi, dans la perspective tracée par le rapport Fauroux et les nombreux rapports qui l'ont précédé doit permettre autour des choix d'autonomie et de responsabilité, d'engager la profonde mutation de notre système éducatif.
Or, trop souvent, nous abordons ces réformes de fonds avec timidité quand nos partenaires font souvent preuve d'imagination et de détermination. Le message de la campagne présidentielle reste actuel : de l'audace !
Les Échos : 14 mai 1996
Les Échos : Jacques Chirac et Alain Juppé se sont donné comme cap pour 1997 la maîtrise des dépenses publiques. Approuvez-vous cette ambition ?
Alain Madelin : Ce débat budgétaire est une bonne chose et le gouvernement a pris aujourd'hui le bon cap. Une forte baisse des dépenses publiques, la baisse des impôts, la maîtrise des comptes sociaux, c'est ce que j'aurais voulu voir inscrit dès le budget de 1996. Au lendemain de l'élection présidentielle, il n'y avait pas eu la même prise de conscience de l'importance de la réduction des déficits. Cette priorité, solennellement mise en avant par Jacques Chirac dans son discours du 26 octobre, est confirmée aujourd'hui. Cela étant, il existe deux façons de faire des économies : couper dans les dépenses publiques ou engager des réformes de fond qui permettent de dépenser moins, en dépensant mieux et en dépensant autrement. On en est encore à privilégier la première alors que la seconde est préférable. Après un an de gouvernement, les économies ne devraient plus être présentées comme des exercices de hache budgétaire, mais comme les conséquences des réformes de fond du logement, des aides à l'emploi, de l'Éducation nationale, etc. J'ajoute enfin que si la politique d'assainissement financier est absolument nécessaire, il est tout aussi nécessaire d'engager cette politique de stimulation des forces vives, qui était au coeur du discours présidentiel de Jacques Chirac.
Les Échos : La stabilisation des dépenses en francs courants l'année prochaine vous paraît-elle possible ?
Alain Madelin : Le maintien des dépenses en francs courants, c'est-à-dire l'engagement de la réduction des dépenses publiques, est absolument nécessaire. Cette diminution s'inscrit dans le calendrier de réduction de déficits publics que j'avais présenté sous la forme 5-4-3 (NDLR : ramener les déficits à 3 ù du PIB en 1997). Ne cachons pas que tenir ce rythme sera extrêmement difficile. Cela suppose l'équilibre des comptes sociaux, la stabilisation en francs courants des dépenses du budget et un certain optimisme en matière de recettes. Les marges de manoeuvre des coupes budgétaires sont elles-mêmes très restreintes. Il n'y en a pratiquement pas sur la dette publique. Pas davantage sur les dépenses militaires, que l'on entend stabiliser. Guère plus, du moins à court terme, pour ce qui concerne la masse salariale des fonctionnaires, qui représente plus du tiers du budget. Dix mille fonctionnaires en moins, c'est seulement 1 milliard d'économie en 1997. Cela étant, l'objectif reste plus que jamais à mes yeux de ne remplacer qu'un fonctionnaire sur deux lors des départs à la retraite, ce qui représente environ 30 000 fonctionnaires en moins, gage d'économies importantes dans le futur. C'est possible à condition toutefois de se donner les moyens statutaires de favoriser la mobilité à l'intérieur de la fonction publique.
Les Échos : Vous aviez pourtant augmenté de plusieurs centaines le nombre des agents de Bercy quand vous étiez ministre des Finances.
Alain Madelin : J'ai en réalité proposé de réduire fortement le nombre d'emplois précaires en échange de 250 créations de poste. Le résultat, c'est une économie nette de 35 millions de francs dans la masse salariale de Bercy en 1996.
Mais je reviens aux autres économies possibles. On peut sans doute réaliser 20 à 30 milliards d'économies sur les dépenses liées à l'emploi et à la formation professionnelle, dépenses qui sont d'ailleurs en forte augmentation. Trop souvent les subventions à l'emploi ne créent pas d'emploi, elles ne font que les déplacer. Mais même si l'on peut douter de l'efficacité, en termes d'emplois, de l'allègement des charges sociales, il est difficile maintenant de les remettre en cause. On peut néanmoins recentrer le contrat initiative-emploi en le réservant à la création d'emplois nouveaux, comme le prévoyait le projet initial de Jacques Chirac. Il existe sans doute une marge de manoeuvre sur les aides au logement. Mais elle nécessite une véritable refonte des aides au logement.
Au total donc, stabiliser les dépenses en francs courants est un exercice difficile. Il suppose de faire un peu plus de 80 milliards d'économies par rapport à la tendance naturelle des dépenses. J'ajoute qu'un autre phénomène complique l'équation budgétaire : la déflation de recettes. Il serait évidemment tentant de reprendre la formule : « trop d'impôt tue l'impôt ». En réalité, la baisse des recettes fiscales est aussi le reflet des pressions déflationnistes qui s'exercent sur l'économie. Il y a comme une course de vitesse entre la baisse des recettes et celle des dépenses. Il est donc tout aussi nécessaire de stimuler la croissance. Tel doit être l'objet de l'engagement de la réforme fiscale.
Les Échos : Justement, en dépit de l'étroitesse de la marge dont il dispose, Jacques Chirac a promis une baisse d'impôt l'an prochain. Est-ce possible ?
Alain Madelin : J'aurai souhaité engager une première étape de la réforme fiscale dès le budget 96. Avec une baisse du barème de l'impôt de l'ordre de 20 à 25 % pour tous les Français en échange d'un toilettage de divers avantages, exonérations ou abattements. L'assainissement financier en cours a déjà permis une baisse spectaculaire des taux d'intérêt, ce qui est la condition nécessaire d'un retour à une croissance saine et durable. Mais notre politique économique ne doit pas être hémiplégique. L'assainissement financier doit être accompagné de mesures destinées à libérer l'initiative des forces vives. Le levier pour cela, c'est la réforme fiscale. Pour être crédible, celle-ci doit aujourd'hui comporter des mesures fortes sur l'impôt sur le revenu. Ne nous égarons pas dans de nouveaux bricolages fiscaux. Ce qui compte aujourd'hui, c'est de relancer la croissance et l'emploi, en renforçant les incitations à innover, produire, investir, pour tous les acteurs de la croissance.
Le président de la commission des Finances de l'Assemblée, Pierre Méhaignerie, a raison de mettre en garde contre une baisse des impôts qui ne serait que « cosmétique ». Je suis de ceux qui pensent qu'une baisse de l'impôt aujourd'hui est de nature à augmenter les recettes fiscales demain. Mais cet intervalle ne pouvant être financé par le déficit, il faut dégager une marge de manoeuvre exceptionnelle. Ma proposition est la suivante : utiliser le changement de statut de France Télécom. Cette entreprise devra verser une cinquantaine de milliards de francs à l'État pour compenser la prise en charge par le budget des retraites de ses salariés. Au lieu de dépenser cette enveloppe en dépenses courantes, mieux vaut l'affecter en gage de la réforme fiscale sur les deux prochaines années. Une baisse des impôts de l'ordre de 50 milliards sur les deux ans me paraît être un bon ordre de grandeur. Cela dit, si le gouvernement a absolument besoin de cet apport de France Télécom pour boucler son budget 97, faute d'économies suffisantes sur les dépenses, des opérations du même type peuvent être réalisées en valorisant le patrimoine d'autres entreprises publiques.
Les Échos : Faut-il revenir rapidement sur les hausses « provisoires » de la TVA et de l'impôt sur les sociétés ?
Alain Madelin : Il me paraît nécessaire de considérer que les augmentations exceptionnelles d'impôt, décidées au lendemain de l'élection présidentielle pour stopper la dérive des déficits, sont bien des augmentations provisoires, qui ont vocation à disparaître à proportion de notre assainissement financier. Mais, je le répète, aujourd'hui, la priorité, c'est la diminution de l'impôt sur le revenu, pour retrouver la confiance des « entreprenants ».
Libération : 31 mai 1997
Libération : Comment qualifierez-vous l'action réformatrice du gouvernement d'Alain Juppé depuis un an ?
Alain Madelin : Après une période d'hésitations, le gouvernement s'est engagé dans une politique forte de réduction des dépenses publiques. C'est à mes yeux une bonne chose et c'est ce que je souhaitais il y a un an. Mais j'ai, il est vrai, une différence d'approche quant à la méthode utilisée. Il manque encore à cette politique un élément essentiel, la libration, la stimulation des forces vives de notre pays comme le souhaitait Jacques Chirac. Une politique de réforme libérale, celle que j'ai souhaité, c'est une politique qui libère l'initiative, le talent et l'énergie de tous les créateurs de richesses et d'emplois. C'est une politique de réforme de structure qui fait confiance à l'homme dans sa liberté et dans sa responsabilité. Il s'agit donc moins de multiplier les initiatives d'en haut, celles de l‘État, que de libérer les initiatives d'en bas, celle de la société. De ce point de vue, la politique menée a sans doute ses vertus mais ce n'est pas une politique libérale.
Libération : En résumé, vous ne croyez guère en l'efficacité de la politique conduite par Alain Juppé ?
Alain Madelin : Je ne crois guère, et c'est ce que je dis depuis longtemps, à l'efficacité de la hache budgétaire pour réduire les dépenses publiques. On peut l'employer lorsqu'il y a une urgence ou pour contraindre les ministres à réformer. Mais après un an de gouvernement, ce que j'attendais du Premier ministre ce n'était pas qu'il invite sa majorité à l'accompagner dans un exercice de coupes budgétaires mais qu'il lui dise : « Grâce aux réformes engagées, par exemple, celle de l'État, du logement, des transports ou de l'Éducation, nous dépenserons mieux, et donc nous dépenserons moins ». Bref, je crois qu'il y a deux techniques pour réduire les dépenses publiques : couper ou réformer. Je choisis la seconde.
Libération : Faut-il réduire les aides à l'emploi, comme le préconise le gouvernement ?
Alain Madelin : Il y a assurément un toilettage à faire le concernant. Mais cela ne sera pas facile. J'explique depuis longtemps que les subventions à l'emploi ne créent pas d'emplois. Elles ne font que les déplacer. Je reste tout aussi sceptique sur l'efficacité de la baisse des charges sociales sur les bas salaires. Quand elles ne sont pas compensées par une baisse des dépenses sociales, elles ne constituent, comme vient de le constater le président du CNPF, qu'un transfert de charges sociales. Cela étant, il est quasi impossible de revenir en arrière sur cette baisse des charges sociales qui constituent la part la plus importante des soutiens à l'emploi. On peut cependant améliorer le rapport coût-efficacité des sommes dépensées pour la formation professionnelle et recalibrer le contrat Initiative-emploi. Celui-ci avait été présenté par Jacques Chirac dans sa campagne comme une forte baisse du coût du travail destinée à favoriser la création d'activités novelles, notamment dans le secteur des services, qui ne peuvent voir le jour compte tenu du coût du travail actuel. A la différence des autres subventions à l'emploi, le CIE était à l'origine réservé à la création d'emplois nouveaux excluant par le fait même les effets de substitution et d'aubaine. On en a fait une banale subvention à l'emploi, une sorte de contrat de retour à l'emploi plus étendu et plus généreux. On parle de réaménager le CIE pour en diminuer la facture. Je préférerais pour ma part que l'on revienne à sa conception initiale, celle des emplois nouveaux.
Libération : La fonction publique fait-elle de la « mauvaise graisse », comme le dit le Premier ministre ?
Alain Madelin : L'expression, même si elle a été sortie de son contexte, était malheureuse. J'ai envie de vous dire en souriant qu'il faut faire attention à ne pas dresser une catégorie de Français contre les autres. Cela étant, je suis clairement partisan de réduire le nombre de fonctionnaires. Ce qui ne signifie pas d'ailleurs mettre les fonctionnaires à la porte, mais seulement recruter moins vite que les départs à la retraite. Mais là encore, de telles décisions doivent être accompagnées de réformes de fond, d'une part pour favoriser la mobilité interne à la fonction publique afin d'adapter les effectifs aux besoins, d'autres part en intéressant les fonctionnaires aux succès de la réforme de l'État.
Libération : Quelles réformes de fond, le gouvernement devrait-il mener, selon vous, pour favoriser davantage la confiance et la croissance ?
Alain Madelin : C'est à mes yeux une politique d'allègement de toutes les contraintes réglementaires qui pèsent sur l'initiative et bien entendu aussi la mise en oeuvre de la réforme fiscale. Encore faut-il ne pas se tromper de réforme et ne pas baptiser réforme fiscale le toilettage des cotisations sociales ou une simplification de l'impôt – mesure par d'ailleurs nécessaire.
Libération : Que souhaitez-vous voir figurer dans la réforme fiscale promise par le gouvernement ?
Alain Madelin : L'objectif de la réforme aujourd'hui, c'est la baisse de l'impôt sur le revenu. S'il est vrai qu'en France la machine à dépense publique tourne plus vite que la machine à produire des richesses, on peut certes tenter de freiner la machine à dépenser, mais encore faut-il aussi accélérer la machine à produire. Stimuler les incitations productives doit être l'objet principal de la réforme fiscale aujourd'hui. J'entends dire : « baissons les dépenses publiques, remboursons nos dettes et après on pourra baisser les impôts ». C'est là être prisonnier d'une vision comptable et statique de l'économie. C'est ignorer le rôle des hommes et de leur motivation dans une dynamique de croissance. Baisser les impôts aujourd'hui, c'est investir dans la croissance, donc augmenter demain les recettes fiscales. N'attendons pas l'assainissement de l'économie pour baisser les impôts. Mais baissons les impôts pour assainir les finances publiques.