Texte intégral
Date : mai 1996
Source : L’Esprit d’Equipe
L’Esprit d’Equipe : Pourquoi la Fondation du Patrimoine ?
Philippe Douste-Blazy : La Fondation traduit la volonté du gouvernement de moderniser et adapter les formes d'action en faveur du patrimoine national. Il s'agit de répondre à la convergence de deux évolutions de fond.
La première est l'intérêt croissant que portent les Français au patrimoine, qui procède pour l'essentiel du besoin de retrouver leur identité et leurs racines.
La seconde est l'évolution progressive du concept de patrimoine qui s'est étendu à la fois au patrimoine de proximité et au patrimoine naturel. Il manquait une institution qui prenne en compte l'ensemble de ces éléments. Avec la Fondation du Patrimoine, c'est fait.
L’Esprit d’Equipe : Quelles seront ses missions ?
Philippe Douste-Blazy : La Fondation interviendra en priorité sur la restauration et la mise en valeur du patrimoine de proximité.
Grâce à un vaste programme élaboré en partenariat avec l'État, elle va susciter l'ouverture de près de 3 000 chantiers de restauration d'ici à 1998. Ces chantiers représentent un volume d'affaire très important au bénéfice des artisans de BTP et auront de ce fait un effet déterminant sur l'emploi. Au-delà de la seule restauration, elle va soutenir des projets d'animation et d'ouverture au public des lieux en recherche d'un outil de promotion et d'investissements culturels et touristiques. Chacun pourra intervenir efficacement sur des projets locaux ou départementaux.
L’Esprit d’Equipe : Cet outil n’existait pas ?
Philippe Douste-Blazy : Non, il fallait à la Fondation un statut à la hauteur de ces enjeux. Le projet de loi présenté devant le Parlement renouvelle profondément le cadre juridique des fondations. Il fait de la Fondation une institution privée sous la surveillance de l'État. Il lui permet de proposer à l'État la mise en œuvre des procédures d'expropriation et de préemption a son bénéfice et à sa charge. Il la dote d'un capital immédiatement affectable à ces opérations. Enfin, il lui donne la capacité d'accueillir des adhérents et de recueillir ainsi une très large adhésion du grand public.
Date : 18 mai 1996
Source : Le Figaro Magazine
Le Figaro Magazine : Les Français sont-ils attachés à la notion de patrimoine ?
Philippe Douste-Blazy : À ma demande, le ministre de la culture a récemment mené et publié une étude très approfondie sur les principaux loisirs culturels des Français. Or l’on s’aperçoit que le patrimoine, ou plutôt la visite dans des lieux patrimoniaux, constitue aujourd’hui la première pratique culturelle des Français… devant le cinéma. On s’en doutait : il suffit pour cela de voir l’énorme succès remporté ces dernières années par les Journées du patrimoine. Je crois aussi que cela correspond à un moment où se fait jour un besoin d’identité forte un besoin de repères, de retour aux sources.
Les vieilles pierres correspondent à notre passé. Il faut dire également que l’on est bien là dans le domaine de la culture, puisque la culture, c’est bien sûr la création – c’est pourquoi nous aidons les créateurs –, mais aussi la transmission. Voilà pourquoi je crois que le ministère de la culture a une véritable responsabilité en matière de patrimoine.
Le Figaro Magazine : La Fondation du patrimoine se consacrera à des missions entièrement nouvelles, c’est-à-dire des actions non prises en charge aujourd’hui par les acteurs publics ou privés…
Philippe Douste-Blazy : C’est une révolution. Jusqu’à aujourd’hui, il y avait en France d’un côté 38 000 monuments inscrits ou classés, donc protégés par les Monuments historiques, qui appartiennent soit à des privés, soit à des collectivités locales ou à l’État. L’État qui, soit dit en passant, fait déjà beaucoup : vous savez qu’il y a une loi de programmation sur le patrimoine qui représente cette année 1,6 milliard de francs. Je tiens à dire tout de suite que la Fondation du patrimoine ne sera pas pour nous une cause de désengagement, bien au contraire.
Non seulement l’État continuera son action, mais il la développera.
Mais à côté de ces 38 000 monuments protégés, il y a en France 400 000 éléments du patrimoine non protégés, que l'on appelle « le patrimoine de proximité », qui se trouvent disséminés à travers tout le pays. Car il n'y a pas un seul de nos cantons qui ne possède quelque chose d'intéressant : chapelles, fermes, lavoirs, remparts, moulins, etc. Ces monuments jusqu'à aujourd'hui ne sont pas protégés, ne sont pas classés, ne sont pas inscrits. Ils se trouvent le plus souvent dans des villages, et l'on ne voit pas comment les maires de ces petites communes, aux très faibles ressources financières, pourraient les entretenir ou encore moins, les restaurer. L'État, je vous le disais, donne déjà 1,6 milliard de francs ; et compte tenu des déficits publics, je ne me vois pas en train de demander au ministère des finances plus d'argent. Nous avons donc créé, et c'est une révolution, une fondation privée qui, d'une part, a des pouvoirs très importants, mais, d'autre part, peut faire bénéficier d'avantages fiscaux non négligeables tous ceux qui voudront donner, notamment les entreprises privées.
Le Figaro Magazine : C’est un appel au mécénat ?
Philippe Douste-Blazy : Effectivement. Je crois qu'il faut relancer le mécénat d'entreprise. Il y a chez nous des gens formidables qui donnent de l'argent ; il est normal qu'ils aient en retour des avantages fiscaux. Et puis lorsqu'un chef d'entreprise décide de donner de l'argent pour la culture, il me semble qu'il doit aussi le faire dans la mesure où le projet s'adresse au plus grand nombre, à tous. Or ces monuments, ou ces lieux patrimoniaux, nous pourrons tous les voir ou les visiter.
Par ailleurs, la Fondation du patrimoine traitera département par département avec des entreprises de travaux publics spécialisées dans la rénovation. Avec l'augmentation du volume de ces travaux, nous allons demander aux entrepreneurs d'embaucher des chômeurs qui se trouvent déjà dans le milieu du bâtiment. Un chef d'entreprise, lorsqu'il choisit le mécénat, a donc intérêt à le faire pour tous, mais aussi à choisir une action à caractère social, notamment en matière, d'emploi. Cela me paraît très important tant en termes de communication interne qu'externe. Enfin, les travaux de rénovation réalisés sur ce patrimoine de proximité devraient permettre à des métiers artisanaux, des savoir-faire traditionnels actuellement en voie de disparition, de se transmettre. Je pense aux tailleurs de pierres, à ceux qui travaillent le bois, les vernis, les crépis, etc.
Le Figaro Magazine : La Fondation entend donc être un outil puissant, autonome... et privé ?
Philippe Douste-Blazy : Les fonds de la Fondation seront majoritairement privés, mais les entreprises publiques pourront également participer à son financement, comme par exemple EDF-GDF, avec laquelle nous sommes actuellement en pourparlers. De nombreuses entreprises se sont montrées intéressées (une quarantaine à ce jour) et l'accueil a été excellent : certaines d'entre celles qui n'avaient pas été contactées nous ont même appelés spontanément. Des groupes comme Havas, le Printemps-la Redoute, ou la Générale des Eaux, sont d'ores et déjà partants, parce que je le répète, ils savent que le mécénat aujourd'hui doit servir à tous et doit servir l'emploi.
Le Figaro Magazine : L'axe patrimoine et emploi peut donc favoriser l'embauche ?
Philippe Douste-Blazy : Oui. Deux types d’emplois peuvent être créés, tout d’abord dans le bâtiment. Il faut savoir que lorsque l’État donne 1 million de francs pour de l'ancien rénové, il crée 2,5 emplois parce qu'il y a beaucoup moins de machines, beaucoup moins d'automatisation. Et puis, il peut y avoir ensuite des emplois induits, car si l'on rénove le patrimoine, si on l'entretient bien, il peut y avoir, comme dans mon département, qui possède de magnifiques chapelles sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, des groupements de maires qui se réunissent afin de valoriser touristiquement ces bâtiments. Cela peut alors créer des emplois de guides, de gardiennage ou d'entretien, des contrats à durée indéterminée ou des contrats emploi-solidarité.
Le Figaro Magazine : Concrètement, comment allez-vous agir sur le terrain ?
Philippe Douste-Blazy : Actuellement, une dizaine de milliers de bâtiments sont menacés de disparition. Or, c'est ce patrimoine, équitablement réparti sur notre territoire, qui fait la richesse du pays. L'avantage de la Fondation du patrimoine, c'est que les gens des Hautes-Pyrénées pourront donner pour le patrimoine des Hautes-Pyrénées : tant qu'à jouer la proximité, jouons-la jusqu'au bout, y compris dans les dons.
La répartition des fonds se fera donc au patrimoine niveau de proximité départemental, le patrimoine de proximité se répartissant en propriété communale (60 %) et en propriété privée (40 %). Une action que nous allons mener avec les maires, les conseils généraux et régionaux, les architectes des Monuments de France, les conservateurs régionaux des Monuments historiques, et les associations qui luttent depuis longtemps bénévolement pour la sauvegarde du patrimoine. Ce sera l'occasion de les remercier : il y a en effet des dizaines de milliers de bénévoles qui œuvrent pour le patrimoine et que nous souhaitons intégrer dans ce projet. Je considère avoir beaucoup à apprendre de ceux qui travaillent depuis des années sur le sujet, qu'il s'agisse de propriétaires privés ou de collectivités locales.
Dans un premier temps, afin de donner plus de force à nos actions et pour ne pas nous disperser, nous allons trouver des « thèmes » conducteurs pour chaque région : il pourra s'agir des cabanes de pêcheurs en Gironde, des églises fortifiées de Picardie, ou des fermes de montagne dans les Vosges. Si nous réussissons le plan Patrimoine et Emploi, alors nous pourrons obtenir de l'argent pour des collectivités qui en ont besoin. Jean-Louis Borloo (député-maire de Valenciennes) est ainsi passionné par ce projet, parce qu'il sait très bien qu'il peut avoir de l'impact sur la réinsertion des jeunes. Quand l'on veut réinsérer des jeunes, on peut effectivement leur faire faire des travaux, des petits boulots. Mais on peut aussi les intégrer dans un projet national très valorisant, parce qu'il touche aux vieilles pierres. Nous parlons alors de réinsertion par ce que nous avons de plus profond, la civilisation.
Le Figaro Magazine : La création de la Fondation - opérationnelle dès cet été - sera aussi l'occasion d'une grande campagne de promotion sur le thème du patrimoine...
Philippe Douste-Blazy : Le thème de cette campagne sera : « Sauvons ensemble notre patrimoine », le patrimoine de proximité, celui du village où l'on est né, celui où l'on a passé ses vacances, celui où vivaient nos grands-parents. Ayons un projet ensemble, fortement identitaire par rapport à notre culture. Nous vivons à l'époque du numérique, nous allons avoir des satellites américains, australiens ou japonais au-dessus de nos têtes, qui vont nous déverser des programmes de télévision étrangers. Nous devons bien sûr prendre place dans cette bataille, et nous y serons. Mais nous devons aussi valoriser ce que nous avons de plus beau.