Interviews de M. Gilles de Robien, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, dans "Les Echos" et à Europe 1 le 30 mai 1996, sur le vote de la proposition de loi liant réduction du temps de travail et allègement des charges sociales pour les entreprises.

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Média : Energies News - Les Echos - Europe 1 - Les Echos

Texte intégral

Date : 30 mai 1996
Source : Les Echos

Les Echos : la proposition de loi UDF qui devrait être adoptée définitivement aujourd'hui est le fruit d'un compromis entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Un compromis au terme duquel vous avez, semble-t-il, laissé des plumes...

Gilles de Robien : Au contraire, le texte sort renforcé de cette navette, car il ouvre une double option aux entreprises. Celles-ci pourront réduire soit de 10 % soit de 15 % la durée du travail et augmenter de 10 % ou de 15 % leurs effectifs pendant deux ans minimum, ce qui leur ouvrira respectivement une réduction des charges sociales de 40 % ou de 50 % la première année et de 30 % ou de 40 % les six années suivantes. Le texte est donc plus attractif pour les entreprises et il offre une marge de négociation supplémentaire aux partenaires sociaux.

Les Echos : Mais que leur reste-t-il à négocier, la réduction des salaires n’étant plus obligatoire, comme le voulait le Sénat ?

Gilles de Robien : Les partenaires sociaux négocieront le principe et les modalités d'application. Ils pourront, par exemple, opter pour une semaine de quatre jours, ou pour une réduction d'une demi-journée par semaine, ou tout autre système dans le cadre d'une durée du travail annualisée.

Les Echos : Qu'est-ce qui vous fait dire que cette lot sera davantage utilisée que la disposition de la loi quinquennale sur l'emploi de 1993 qui a été un échec ?

Gilles de Robien : Notre texte est le premier qui propose un « triplé gagnant » sur une durée au moins égale à sept ans. Pour les entreprises qui se réorganisent pour dégager des marges de productivité nouvelles avec des effectifs supplémentaires à masse salariale constante. Pour les salariés, qui vont apprécier un nouveau mode de vie, le temps dégagé pour leur vie familiale, culturelle, associative, etc. Pour l’État, qui dépense aujourd'hui des sommes considérables pour diminuer le chômage et qui verra une partie de celles-ci reconverties en salaires. Notre proposition conduit à un jeu à somme nulle. Je rappelle que pour la collectivité nationale le coût d'un chômeur est d'environ 120 000 à 130 000 francs.

Les Echos : Vous pensez donc que beaucoup d'entreprises vont utiliser les nouvelles possibilités qui leur sont offertes ?

Gilles de Robien : Oui, beaucoup. Dès aujourd'hui, des chefs d'entreprise témoigneront de l'intérêt qu'ils portent à cette loi. Il peut en effet encore exister des blocages culturels. Mais les entreprises ne peuvent plus invoquer un prétexte d'ordre financier ou la crainte d'une perte de compétitivité pour refuser la réduction du temps de travail.

Les Echos : Comment expliquez-vous que le gouvernement, d'abord très réticent, se soit laissé convaincre et que le Premier ministre ait même souhaité récemment que la proposition de loi soit adoptée avant l’été ?

Gilles de Robien : Ils sont de plus en plus nombreux ceux qui pensent aujourd'hui que, même avec la reprise de la croissance espérée au second semestre, la réduction du temps de travail est la plus forte piste à explorer pour diminuer le chômage.

Les Echos : Au moment où les aides à l'emploi sont remises en cause, l'État va supporter les nouvelles exonérations de charges prévues dans votre proposition. N'est-ce pas un peu contradictoire ?

Gilles de Robien : Les aides à l'emploi sont trop nombreuses et leur application est complexe. Il faut donc recentrer les aides publiques vers les solutions les plus efficaces et conformes au « donnant-donnant » souhaité par le Premier ministre. Il faut aussi élaguer celles qui ajoutent à la confusion.

Les Echos : Lesquelles ?

Gilles de Robien : Par exemple certains stages plus ou moins utiles. Il faut également recibler le CIE (contrat initiative-emploi), mais ne pas toucher aux CES sinon leurs bénéficiaires qui travaillent et souvent se forment en échange d'un salaire risqueraient de devenir des Rmistes. Il est indispensable de faire des économies pour pouvoir baisser les prélèvements obligatoires et reconvertir une partie des sommes ainsi dégagées dans la réduction du temps de travail en échange de créations d'emplois.

Les Echos : Votre proposition de loi n'est-elle pas timorée eu regard de vos conceptions propres en matière de réduction du temps de travail ?

Gilles de Robien : Au fur et à mesure que le système sera mis en place dans les entreprises et portera ses fruits, nous ferons un bilan et nous verrons s'il y a lieu d'accélérer le processus.

Les Echos : Aujourd'hui encore, une autre proposition de loi UDF qui a trait celle-là à l'épargne retraite est mise en discussion. Agissez-vous en franc-tireur ou avec l'appui du gouvernement ?

Gilles de Robien : Nous reprenons une proposition de loi qui avait été largement cosignée dans la majorité d'aujourd'hui et notamment par un député devenu ministre depuis, Jacques Barrot. Je pense qu'une démarche parlementaire sur un tel sujet apparaît comme une méthode plus douce et plus consensuelle que l'annonce d'un projet de loi gouvernemental à la sortie d'un conseil des ministres.


Date : jeudi 30 mai 1996
Source : Europe 1

Europe 1 : L'Assemblée nationale adopte définitivement la proposition de loi UDF sur la durée du temps de travail. Les entreprises qui réduiront le temps de travail de 10 % à 15 % et qui augmenteront leurs effectifs de 10 à 15 % seront exonérés d'une partie des charges sociales, parfois jusqu'à 50 %. C'est une loi à laquelle vous teniez beaucoup, G. de Robien ?

G. de Robien : C'est une loi sur laquelle on travaille depuis de nombreux mois et qui correspond à toute une campagne, si on peut dire, sur le fond qui dure depuis deux à trois ans.

Europe 1 : Mais le gouvernement s'était fait un peu tirer l'oreille au début, non ?

G. de Robien : Le gouvernement estimait à juste titre que les partenaires sociaux, qui étaient invités à négocier entre patronat et syndicats de salariés sur le thème de la réduction du temps de travail, devaient aboutir pour le 30 juin. En réalité, le gouvernement a tenu ses engagements puisqu'il n'a pas déposé de projet de loi. Néanmoins...

Europe 1 : Parce qu'il n'a pas envie de faire une loi et il aimerait bien que ce soit les partenaires sociaux qui s'en occupent, non ?

G. de Robien : La loi a été votée avec le soutien du Premier ministre, avec même le qualificatif de « bon texte » par le Président de la République, il y a un mois. Et le ministre J. Barrot, tout à l'heure, a apporté son soutien à ce texte de loi qui est maintenant une loi définitive. Par conséquent, c'est un dispositif, un outil décisif contre le chômage qui est maintenant mis à la disposition des partenaires sociaux pour aboutir à des négociations ou même qui est prêt à être appliqué dans les entreprises, dès que le décret d'application sera pris c'est-à-dire au plus tard, le 31 juillet.

Europe 1 : Donc dès l'été, on pourra négocier dans les entreprises ?

G. de Robien : Dans l'été, les entreprises, les salariés pourraient négocier une réduction du temps de travail et l'on sait d'avance que les entreprises pourront le faire à masse salariale inchangée et que les salariés pourront avoir une baisse de temps de travail soit hebdomadaire, soit quotidienne, soit annuelle. À eux de négocier avec les employeurs, c'est dans l'intérêt de tous.

Europe 1 : En évoquant le texte adopté par les députés, aujourd'hui, vous parlez souvent de tiercé gagnant pour les entreprises, les salariés et pour l'État. Alors l'avantage pour les entreprises, quel était-il ?

G. de Robien : Pour les entreprises : les entreprises cherchent à avoir un compte d'exploitation équilibré et si elle met en place un nouveau système de temps de travail d'entreprise, en aucun cas cela ne doit alourdir son compte d'exploitation, alourdir la masse salariale...

Europe 1 : Pour les salariés.

G. de Robien : Grâce à ce texte, qui permet une exonération de charges sociales allant de 50 à 50 % des charges salariales patronales, on peut réduire le temps de travail de façon importante de 10 à 15 % sans toucher à la masse salariale. En contrepartie, on augmente les effectifs dans l'entreprise. Eh bien, pour pouvoir augmenter les effectifs de 10 à 15 % dans une entreprise sans avoir une masse salariale augmentée, il était nécessaire qu'il y ait une proposition de loi, qui est maintenant une loi définitive, contenant une exonération de charges sociales. C'est fait Les entreprises, maintenant., à masse salariale inchangée peuvent augmenter les effectifs et réduire le temps de travail.

Europe 1 : Donc avantage pour les entreprises, avantage pour les salariés et pour l'État ?

G. de Robien : Pour les salariés, c'est évident puisqu'ils vont pouvoir choisir éventuellement soit la semaine de quatre jours, soit voir le temps de travail réduit de trois, quatre ou cinq heures par semaine.

Europe 1 : Pour le même salaire ?

G. de Robien : À salaire inchangé, cela sera le résultat de négociations mais les entreprises ont les moyens de négocier à salaires inchangés et les salariés ont les moyens de négocier aussi. Mais cela, laissons les partenaires sociaux retrouver peut-être le sens du dialogue pour certains ou continuer le dialogue pour d'autres. Et puis pour l'État, car on sait que le chômage coûte très cher à la collectivité nationale, que le coût du chômage est en gros de 400 milliards par an pour la collectivité nationale et c'est de 100 à 120 000 francs par chômeurs. Eh bien, ce système permet de créer des emplois dans les entreprises pour un coût moindre que Je coût d'un chômeur.

Europe 1 : Avez-vous un chiffre ? Combien cela coûte ?

G. de Robien : Le ministre, lui-même, s'est exprimé tout à l'heure à l'Assemblée nationale et il estime qu'un emploi créé grâce à celle loi, c'est environ 52 000 francs de coût pour la nation, un chômeur de moins c'est 120 000 francs d'économiser ! On voit que moins il y aura de chômeurs et plus les comptes de la nation seront équilibrés.