Interview de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à RTL le 14 juin et article dans "FO hebdo" du 19 juin 1996, sur l'accord attribuant la présidence de la CNAM à la CFDT et la candidature de FO à la présidence de l'UNEDIC.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Accord entre le CNPF et les syndicats CFDT, CFTC et CFE CGC sur l'accession de la CFDT à la présidence de la CNAM le 12 juin 1996

Média : Emission L'Invité de RTL - FO Hebdo - RTL

Texte intégral

Date : 14 juin 1996
Source : RTL

RTL : Vous avez dénoncé l’accord passé entre le CNPF et les syndicats CFDT, CFTC et CGC qui attribue la présidence de la CNAM à la CFDT et non plus à FO ; mais vous n’avez pas été surpris, vous vous y attendiez, non ?

M. Blondel : Écoutez, Madame, je voudrais que l’on précise bien les choses. Il y a eu une réunion provoquée par Madame Notat qui a demandé à Monsieur Gandois de réunir les organisations syndicales – pas toutes- pour essayer de dégager les responsabilités dans les organismes de Sécurité sociale. Je ne me suis pas rendu à cette réunion et j’en ai averti, bien sûr, J. Gandois. Pour une raison simple, J. Gandois peut-être le vaguemestre de N. Notat, moi je ne me rends pas aux convocations de N. Notat ! C’est aussi simple que ça. A partir de ce moment-là, à quatre – on va les appeler la bande des quatre pour se faire comprendre – comme des compères, ils se sont répartis la Sécurité sociale comme si c’était des lots. Eh bien, je considère que la Sécurité sociale mérite mieux que cela. Et puis, je pose une petite question au passage : est-ce que le CNPF, c’est bien l’ensemble du patronat ? Il me semble bien qu’à l’intérieur des organismes de Sécurité sociale, il y a aussi la CGPME et l’UPA. Alors tout ça est un artifice.

RTL : Tout de même, à l’origine, c’est FO qui a pris la décision de se retirer de cette élection parce que vous pensiez que la réforme Juppé ou plutôt la « contre-réforme Juppé » comme vous dites, était nuisible à la Sécurité sociale. Il y a quelque logique derrière cela, non ?

M. Blondel : Comme vous dites, il y a quelque logique. Je suis, moi, effectivement logique dans mon raisonnement. La contre-réforme d’A. Juppé va détruire la Sécurité sociale et je viens d’apprendre d’ailleurs avec grand intérêt qu’il savait déjà, puisqu’il avait pris la précaution de mettre 40 milliards, que les effets ne se feraient pas sentir dans l’immédiat et que ce serait une dégradation. Ce que nous savions tous, seulement il fallait faire de la communication. Nous avons été sollicités… »

RTL : La réforme Juppé n’est pas encore appliquée, elle commence juste et donc on ne peut pas la rendre responsable des 40 milliards…

M. Blondel : Alors, en contrepartie, on ne peut pas dire que si elle n’avait pas été appliquée il y aurait 80 milliards de déficit parce que c’est cela que dit le Gouvernement. Tout cela est mensonge sur mensonge. Alors, que l’on regarde bien les choses, il y avait de notre part une attaque directe et frontale sur la remise en cause de la Sécurité sociale car à terme, cela porte en soi la destruction de la Sécurité sociale et il n’y a aucune raison que nous soyons en quelque sorte la caution de ce genre d’affaire. Donc nous l’avions clairement dit. Parallèlement, je faisais l’objet de pressions à la fois du patronat, du Gouvernement, de certains ministres pour que nous prenions la présidence, que nous gardions la présidence, que nous gardions la présidence parce que, paraît-il, si nous étions présents, cette réforme aboutirait. Il se trouve que je n’ai pas fait d’excès de zèle…

RTL : Vous n’aviez pas une majorité à l’intérieur de FO pour vous porter candidat !

M. Blondel : Mais détrompez-vous Madame ! Je ne vois pas très bien sur quoi on se base pour dire cela ! A l’intérieur de FO, j’ai ouvert la discussion parce que c’est une chose considérable. On ne se rend peut-être pas compte des conséquences que cela peut avoir ! Moi, je suis un démocrate et à l’intérieur de FO, j’ai ouvert la discussion et c’est vrai qu’il y avait des partisans du « s’y rendre » et des partisans du refus. C’est très clair, le problème est de savoir où nous pouvons être le plus efficaces, à l’intérieur ou à l’extérieur. Mais si nous rentrons pour gérer – nous sommes des gens loyaux – nous ne pourrons pas mener l’offensive contre la réforme Juppé.

RTL : Et si vous ne rentrez pas pour ne pas gérer, alors cela vous laisse la liberté de critiquer, c’est cela que vous voulez dire ?

M. Blondel : Bien sûr.

RTL : Vous allez vous en priver ?

M. Blondel : Sûrement pas ! Je peux vous dire comme je l’ai dit hier lors de la conférence de presse que, si je sens la possibilité de mobiliser une nouvelle fois sur la Sécurité sociale comme on l’a fait en novembre et en décembre, je n’hésiterai pas un seul instant.

RTL : Force ouvrière présentera un candidat contre la CFDT à l’UNEDIC, est-ce un combat que vous pouvez gagner ou est-ce un combat symbolique ?

M. Blondel : Il n’y a pas de combat symbolique et ensuite, cela ne signifie pas grand-chose. Il faut être clair. Le problème de fond est que je ne vois pas pourquoi une organisation syndicale, quelle qu’elle soit, s’octroierait le droit d’être président ou un élément déterminant des régimes paritaires dans la limite où les régimes paritaires sont financés par les salariés. Ce qui veut dire que nous sommes aussi légitimes les uns que les autres. C’est tout. Et comme N. Notat à l’air de faire une OPA sur tout, je l’ai contrée et je continuerai à la contrer. Ceci étant, ce n’est pas le problème de fond. Le problème de fond est la situation de la Sécurité sociale et les 48 milliards de déficit. Pour éviter d’en parler, on a fait cette opération. C’est cela, en fait ! Comme les chiffres ont été connus dès dimanche, à la place d’exprimer que l’on était en pleine destruction de la Sécurité sociale et de demander des comptes à ceux qui ont décidé cela, comme le ministre du Travail et des Affaires sociales, le Premier ministre etc., eh bien, on a fait une opération médiatique avec une présentation…

RTL : Vous voulez dire que N. Notat a caché autre chose ?

M. Blondel : Oui, elle a servi effectivement de voile. Elle a caché l’affaire. Je me permets simplement de faire remarquer que les conseils d’administration, c’est le 15 juillet et que pour l’instant, le décret n’est pas encore publié. Le décret de constitution n’est pas encore publié !

RTL : Le problème de fond n’est-il pas que le Yalta syndical est peut-être provisoirement mais néanmoins interrompu ?

M. Blondel : Qu’est-ce que cela veut dire « Yalta syndical » ?

RTL : Vous vous étiez partagé les postes sociaux et maintenant c’est terminé, non ?

M. Blondel : Non, non ! On est en train de parler d’un accord qui aurait été celui de 1991 et il n’y a pas qu’un survivant dans l’affaire puisque Kaspar est à Washington et il ne reste que Blondel. Moi, j’y étais et il n’y a jamais eu de partage.

Non, il y a deux choses. J’ai déclaré que nous serions candidats à la présidence de la Caisse d’assurance maladie et deuxièmement, j’ai décidé que nous ne serions pas candidat à la Caisse nationale vieillesse, ce qui a permis à la CFDT d’être candidate parce que je rappelle que l’on parte toujours du déficit de l’assurance maladie mais jamais de la Caisse vieillesse et là, elle était présidée par la CFDT. Ceci étant, cela ne veut pas dire d’ailleurs que le 15, je ne présenterai pas un candidat à la Caisse d’assurance maladie !

RTL : C’est nouveau ! Au dernier moment, vous pouvez changer de stratégie…

M. Blondel : C’est mon droit le plus absolu. Mais bien entendu, je le présenterai sur mon orientation, enfin sur l’orientation de mon organisation. Moi, je ne veux pas que la caisse de Sécurité sociale soit le sous-produit des décisions de J. Barrot.

RTL : Un monde social dans lequel FO ne serait plus partisan de la politique de concertation, ne serait plus contractuel, est-ce que c’est un mode social que vous envisagez ?

M. Blondel : Non. Je rappellerais ici, au risque d’apparaître vaniteux qu’en 1949, c’est nous qui avons lancé la grève pour avoir ce qui fut la loi du 11 février 1950 sur justement la négociation collective. Je suis porteur de cela. C’est porteur de cela, c’est la formation de mon organisation.

RTL : L’opposition systématique, ce n’est pas votre genre ?

M. Blondel : Je n’ai jamais été un homme d’opposition systématique, c’est une histoire, c’est une légende.


Date : 19 juin 1996
Source : Force ouvrière hebdo

Les annonces en matière de Sécurité sociale se sont précipitées à partir du moment où les comptes affichent, pour 1996, un déficit de 48 milliards de francs, au lieu des 17 milliards prévus par le Premier ministre le 15 novembre dernier.

Cela fait quelque temps (cf. en particulier le discours de Bercy le 19 janvier 1995) que nous expliquons que la Sécurité sociale est d’abord victime de ses recettes, du fait de la politique économique restrictive qui compresse les salaires et accroît le chômage et que c’est là le problème de fond.

N’est-il pas normal qu’en période de chômage et d’exclusion la protection sociale collective soit particulièrement sollicités !

A contrario, n’est-il pas dangereux d’affirmer que les dépenses sociales doivent être limitées, pour répondre à la compétitivité et au libéralisme, ce qui revient à soumettre le social à l’économique ?

Il est clair que la contre-réforme du gouvernement sur la Sécurité sociale s’inscrit prioritairement dans cette logique économique restrictive qui s’appuie notamment sur une lecture drastique qui s’appuie notamment sur une lecture drastique des critères européens de convergence économique.

Avec l’annonce des 48 milliards de francs de déficit prévisible sur 1996, le gouvernement se trouve confrontée à de sérieuses contradictions.

On a ainsi pu entendre, sur France 2, le ministre du Travail expliquer qu’il y avait un problème sérieux de recette dû à la mauvaise conjoncture économique, puis quelques instant plus tard, qu’il fallait agir prioritairement sur les dépenses.

On a entendu le ministre de l’Economie et des Finances affirmer sur RTL que, dès le mois de mars, le gouvernement savait qu’il y aurait 40 milliards de déficit… et qu’il n’y avait pas matière à s’inquiéter.

Or, début avril, le Premier ministre et le ministre de la Santé expliquaient que parler de 40 milliards de déficit relevait de la désinformation !

Mais encore, 40 milliards en 1996 ce n’est plus inquiétant !

En fait, on retrouve là l’utilisation du yoyo du déficit, tantôt dangereux, tantôt anodin et qui tend à fondre à l’approche des élections.

De fait, l’annonce du déficit prévue en 1996 joue l’effet de l’arroseur arrosé.

Le gouvernement a beau expliquer que sans le plan le déficit atteindrait 80 milliards, c’est oublier que ce sont là, pour l’essentiel, les conséquences des augmentations d’impôt et de cotisation (et de restriction sur les allocations familiales). Des augmentations dont le gouvernement dit aujourd’hui que l’on a atteint, en France, le plafond pour les prélèvements obligatoires.

Mais alors comment gouvernement et Parlement s’y prendront-il pour régler le déficit 1996 ? En diminuant les dépenses, en jouant à nouveau sur la tuyauterie comptable ?

En tout cas, ils sont en première ligne, en première ligne qu’ils partagent avec les laudateurs et promoteurs du plan Juppé regroupés dans vigiSécu*.

Dès lors, pour amoindrir l’effet du déficit sur l’opinion et sur les marchés financiers, il fut décidé d’annoncer la candidature de la CFDT à la présidence de la Caisse nationale d’assurance maladie.

Nicole Notat devient la garante du plan Juppé devant les marchés financiers.

On mesure ainsi encore mieux aujourd’hui la justesse du slogan de fin 1995 : « Non au plan Juppé-Notat ».

Concrètement, la CFDT demande au patronat, par voie de presse, de réunir les organisations ayant actuellement une présidence de caisse. Le président du CNPF s’exécute. Force Ouvrière a décidé de ne pas s’y rendre parce que Force Ouvrière est indépendante et ne répond pas à de telles convocations.

Ceux que les journaux ont appelés « la bande des quatre » se sont donc réunis pour répartir entre eux les présidences et déclarer qu’ils se mettraient d’accord sur un contrat de gestion pour appliquer le plan Juppé.

C’est pour le moins une conception plus que particulière des relations sociales et de la démocratie. Cela rappelle plus une réunion d’actionnaires qui annoncent le lancement d’une OPA, qu’un fonctionnement normal du paritarisme. Cela montre également la nature des liens de la CFDT, comme du CNPF, vis-à-vis du gouvernement dont le moins qu’on puisse dire. C’est qu’ils ne semblent pas marqués du sceau de l’indépendance.

Mais ce doit être là le « deuxième effet Kiss cool » du plan Juppé : la confirmation de l’étatisation de la Sécurité sociale, les « partenaires sociaux » du contrat de gestion apparaissent officiellement comme les sous-traitants des décisions gouvernementales.

Au passage, mais c’est significatif, le CNPF peut-il engager l’ensemble des employeurs ?

Ces effets d’annonces sonnent un peu comme précipités et vraisemblablement pas toujours très réfléchis pour tout le monde.

Rappelons notamment que le renouvellement ne doit avoir lieu que vers le 15 juillet et que le décret n’est toujours pas prêt.

Tout cela doit en tout cas faire réfléchir y compris – et c’est l’essentiel – sur la dérive actuelle du paritarisme qui s’étiole au profit d’un tripartisme dans lequel l’Etat vient donner les ordres, ce qui en dit long sur l’avenir des relations et responsabilités sociales.

Le CNPF aurait d’ailleurs pu prétendre à la présidence de la CNAMTS, ce qui était son droit le plus absolu.

Les mauvaises langues expliquent qu’au gouvernement certains considèrent que cela pourrait être interprété comme une privatisation. En quelque sorte cela donnerait le sentiment qu’on brûlerait les étapes.

Dans tout ce concert, Force Ouvrière entend non seulement rester fidèle à ses positions et analyses mais confirmer son indépendance.

Contre le plan Juppé en novembre-décembre, nous le sommes encore aujourd’hui, c’est aussi une question d’honnêteté vis-à-vis de celles et ceux qui nous font confiance.

Nous avons toujours expliqué que nous ne présenterons pas de candidat à la présidence de la CNAMTS pour appliquer le plan Juppé, qui est un plan de destruction de la Sécurité sociale solidaire et égalitaire. Pour autant, nous n’excluons pas, parce que nous sommes libres de notre comportement et que nous ne reconnaissons pas l’accord précité, de présenter, sur nos positions et analyses, des candidats à la présidence dans les caisses nationales de Sécurité sociale.

De même, nous présenterons, au plan local et régional, où nous le souhaitons, des candidats.

Et, dès septembre, nous relançons une campagne d’information et de sensibilisation sur la Sécurité sociale.

A l’origine de la pratique contractuelle et, avec les employeurs, du paritarisme Force Ouvrière ne laissera pas détruire ce qui est une conception ou une culture de la solidarité, de la responsabilité et aussi de l’indépendance.

La pratique contractuelle n’a pas vocation à gérer le pays, le paritarisme n’est pas de la sous-traitance.

C’est du moins ce qui a permis dans ce pays de construire du solide.

Et c’est aussi pour toutes ces raisons que FO présentera un candidat à la présidence de l’UNEDIC.

* Dans une circulaire relative à la nomination des représentants de la Mutualité dans les caisses d’assurance maladie, le Président de la FNMF Jean-Pierre Davant, explique :
    « …
    – Concrètement, il est impératif d’entreprendre, dans les départements, des contrats avec les élus locaux et les partenaires sociaux, en vue de constitution de majorités de gestion dans les instances de Sécurité sociale, y compris pour les postes de présidents de Caisses.
    …
    – Quant aux partenaires sociaux, il importe de prendre contact localement avec les organisations qui ont participé au comité de vigilance sur la réforme de l’assurance-maladie et de leur rappeler les engagements pris dans ce cadre (réunion des 11 et 12 mars 1996).
    … »