Texte intégral
Messieurs les Directeurs,
Mesdames, Messieurs,
Lorsque nous m’avez invité, Monsieur Piquet, à ouvrir ce colloque, d’emblée deux éléments ont suscité mon intérêt :
Le thème du colloque, tout d’abord, qui met en avant l’accès à la citoyenneté et à la préservation de droits fondamentaux. Vous savez que c’est une approche qui m’est chère.
Le deuxième élément qui a retenu mon attention c’est la qualité et la diversité des organisateurs. Il est en effet indispensable que les services de l’Etat, la ville de Paris, les organismes de sécurité sociale, l’ANPE et l’ASSEDIC, et une grande institution de santé comme l’Assistante publique-hôpitaux de Paris s’interrogent ensemble et concrètement sur leur contribution à la lutte contre l’exclusion pour échapper au cloisonnement et au morcellement des approches que nous constatons encore trop souvent.
Je tiens donc à vous féliciter de l’organisation de cette manifestation qui pourra, j’en suis convaincu, déboucher sur des actions concrètes.
Pour apporter brièvement ma contribution à vos débats, je voudrais simplement vous faire part de trois réflexions.
La première, c’est la nécessité d’une approche globale et multiforme et donc multi-partenariale de la lutte contre l’exclusion. Aujourd’hui tout le monde s’accorde pour constater que l’exclusion procède d’une série de ruptures qui peu à peu, ou brutalement parfois, décrochent la personne qui en est victime de ce qui fait la vie sociale, c’est-à-dire de tous les réseaux d’échanges. Cela se traduit par la privation des éléments essentiels qui fondent la reconnaissance sociale :
- une activité ;
- un toit qui veut dire aussi un domicile ;
- un corps en bonne santé.
En conséquence, et vous le savez à travers votre expérience quotidienne, c’est bien sur l’ensemble de ces domaines qu’il faut instituer des mécanismes de prévention lorsqu’il en est encore temps et conduire des actions de réparation lorsque l’exclusion est survenue. Seule cette approche globale et multiforme de la prévention, du traitement de l’urgence sociale et de l’insertion est en mesure de préserver ou de restaurer la citoyenneté des plus démunis.
C’est cet esprit qui inspirera la loi contre l’exclusion pour en faire comme le souhaite le Président de la République l’engagement de la Nation tout entière pour vaincre l’exclusion et la pauvreté. Cette loi que ne conçois comme un instrument de cohésion sociale s’attachera donc tout autant à la prévention qu’au traitement curatif de l’exclusion. Son champ sera nécessairement étendu et ses approches multiples je les regrouperais en quatre domaines essentiels :
- organiser l’accès effectif aux soins des plus démunis pour une reconquête du droit à la santé par tous ;
- créer un véritable parcours du retour à l’activité et si possible à l’emploi pour tous en mettant en place des dispositifs gradués d’insertion par l’activité ;
- permettre l’accès et au logement, parce que le domicile au-delà de l’abri physique est un élément majeur d’identification de la personne ;
- renforcer l’accès au savoir et à l’éducation et lutter résolument contre l’illettrisme. Comment se mouvoir dans ce monde moderne sans une maîtrise minimale de la lecture, de l’écriture et du calcul ?
Ce n’est que si toutes ces dimensions sont prises en compte que la personne exclue recouvrera les moyens de s’inscrire dans l’échange social. Car il y a une interdépendance étroite entre ces facteurs fondamentaux d’intégration sociale que sont la santé, le logement, l’activité, l’éducation. Si, pour une personne déjà en situation de précarité, l’un d’entre eux fait défaut, tous les autres sont menacés.
La prévention et la réparation doivent couvrir l’ensemble du champ. Cela exige la mobilisation conjointe des organismes ou services représentés aujourd’hui : des acteurs sociaux, des acteurs de l’emploi de la formation, du logement et de la santé. Chacun de vos services est indispensable à la lutte contre l’exclusion. Vous devez travailler ensemble car c’est sur la même personne que vous sous penchez chacun avec votre regard et votre compétence particulière. L’exclu a souvent la malchance d’être à la fois un malade, un chômeur, un sans-abri, il pourra avoir été en contact avec l’hôpital, l’ANPE, la sécurité sociale, mais c’est une personne qu’il faut considérer dans sa plénitude. On ne pourra lui retrouver un emploi que si elle a réglé ses problèmes de santé par exemple. Si l’un des acteurs de la réparation est défaillant c’est l’action de tous les autres qui en souffrira ou deviendra vaine. C’est donc un appel très précis que je vous adresse, joindre vos réflexions et coordonner vos actions pour lutte contre l’exclusion, c’est la condition de la réussite.
La deuxième réflexion que je voudrais partager avec vous c’est la nécessité d’adapter vos modes d’intervention aux personnes les plus en difficultés, aux particularités des personnes en situation de détresse sociale. Cela nécessite parfois des remises en cause de certaines habitudes de travail ou de certaines formes d’organisation. C’est ce qu’a contribué à faire, avec la collaboration de beaucoup d’entre vous, le SAMU social de Paris. Il ne suffit pas de proclamer des droits au profit des plus démunis et d’indiquer que tel ou tel service se tiendra à leur disposition. Quand le poids de l’exclusion s’est fait trop lourd et qu’il a réduit l’univers de la personne et diminué fortement ses capacités, il faut engager une démarche beaucoup plus volontaire pour renouer le contact avec ces personnes très désinsérées. Il faut savoir aller là où leur situation de grande détresse les a conduits. Notre organisation sociale, administrative ne devrait-elle pas aussi tenir compte de ce que j’appellerais la géographie de l’exclusion ? C’est dans les accueils de jour, les centres d’hébergement qu’il faudrait aller débrouiller les fils emmêlés des droits sociaux des personnes sans abri, qu’il faudrait leur proposer d’évaluer leur capacité à exercer une activité et c’est aussi là qu’il faut leur offrir des soins de base. C’est dans les lieux d’urgence qu’on peut tenter d’amorcer un parcours d’insertion. Les organismes sociaux, les services administratifs, les acteurs de la santé ont la responsabilité de prendre en compte cette dimension dans leur propre organisation. Face au défi, de la grande exclusion, il faudra s’aventurer sur les chemins de l’audace et de l’innovation. Il serait inefficace de demander aux personnes les plus blessées par la vie de s’adapter à l’organisation des services, elles n’en ont souvent plus la force. C’est aux institutions de s’adapter aux difficultés de ces personnes, dans l’esprit d’un service public pour tous et donc aussi pour les plus démunis.
La troisième réflexion dont je souhaite vous faire part découle directement des précédentes et on peut la résumer en un mot : décloisonner.
Nous sommes tous d’accord pour dire que la lutte contre l’exclusion doit prendre en compte la personne dans sa globalité et qu’à ce titre elle recouvre des champs multiples et fait donc appel à des acteurs ou à des services également multiples. Cela exige à l’évidence que leurs interventions soient cohérentes, complémentaires, parfois simultanées et en tout cas concertées. Mais en plus chacun doit s’engager à assurer la jonction entre son domaine d’intervention et celui de ses partenaires et ne pas se retrancher derrière des frontières de compétences infranchissables au-delà desquelles on refuse systématiquement d’accompagner la personne en difficulté. Les institutions ne doivent pas se renvoyer les personnes en difficultés mais au contraire quand cela s’avère nécessaire, préparer et organiser le contact avec l’autre service dont l’intervention est également indispensable.
L’idée du décloisonnement des institutions m’est très chère, elle vaut dans de nombreux domaines mais par expérience personnelle c’est notamment sur la jonction des prises en charge sanitaires et des prises en charge sociales que j’appellerai à nouveau votre attention. Les institutions de santé doivent s’inscrire aussi dans une dimension sociale de la même façon que les structures d’urgence sociale doivent s’ouvrir aux professionnels de santé. La frontière qui s’est instaurée de manière parfois trop étanche entre le dispositif sanitaire et le dispositif social, doit être atténuée par la création de véritables interfaces. C’est particulièrement crucial pour la collaboration indispensable du monde de la psychiatrie et du monde de l’urgence sociale. Cela vaut aussi, j’en suis sûr, pour bien d’autres domaines.
C’est au prix de ces efforts d’organisation, exigeants et difficiles, j’en suis convaincu, mais déjà entrepris ici ou là, que le chemin de l’insertion sera un peu moins parsemé d’obstacles qui n’apparaissent pas comme tels aux personnes bien insérées mais qui sont parfois insurmontables pour des personnes dont les forces sont largement entamées par l’exclusion.
Bien évidemment, ces trois réflexions, approche globale et multiforme de l’exclusion, rénovation des modes d’intervention et décloisonnement des institutions, mériteraient d’être davantage développées. Mais j’ai simplement voulu vous les livrer très directement pour que vous puissiez si vous le souhaitez, les intégrer à vos propres réflexions pendant ces deux journées.
Vous êtes pour la plupart d’entre vous des acteurs quotidiens de la lutte contre l’exclusion, votre expérience confèrera beaucoup de force et de pertinence à vos réflexions te à vos suggestions. Aussi croyez que j’y porterai une très grande attention.
Mesdames, Messieurs, permettez-moi de vous souhaiter un fructueux colloque.