Déclaration de M. Dominique Perben, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, sur le rôle de l'administration dans le développement durable, New York le 15 avril 1996.

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Intervenant(s) : 
  • Dominique Perben - ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation

Circonstance : Reprise de la 50ème session de l'Assemblée générale de l'ONU, sur le thème "Administration publique et développement", New York le 15 avril 1996

Texte intégral

Monsieur le Président, 
Mesdames et Messieurs les Ministres,

Je souhaite tout d'abord dire combien la France se réjouit de cette reprise de la 50ème session de l'Assemblée générale des Nations unies sur le thème « Administration publique et développement ».

Il s'agit, en effet, d'un thème auquel la France attache une importance particulière, en raison du caractère indissociable de la bonne administration et du développement dans tous les domaines. Je voudrais souligner l'ampleur des moyens que la France met en oeuvre dans le cadre de sa politique de coopération et des liens particuliers qu'elle entretient avec de nombreux pays ici représentés. Je voudrais à cette occasion rendre hommage au Maroc à qui revient l'initiative de cette réunion à travers la déclaration de Tanger du 21 juin 1994.

Notre conviction, fondée sur une longue tradition et l'observation des réalités nationales, est qu'il n'existe pas de développement durable sans une administration qui le stimule, qui le soutienne, et qui s'assure que le bénéfice en est équitablement réparti sur l'ensemble de la communauté nationale.

Le thème auquel est consacré cette reprise de session fait l'objet de nombreux débats dans les cercles professionnels, universitaires aussi bien qu'économiques, au sein des gouvernements et dans les organisations régionales ou internationales. Il nous rappelle que l'administration joue un rôle essentiel car elle contribue au dynamisme et à l'efficacité économique d'un pays. L'intérêt du thème « Administration publique et développement » dans le cadre de cette Assemblée générale, est de permettre de dépasser les clivages traditionnels sur les avantages de tel ou tel modèle, et de réfléchir à l'existence des valeurs universelles qui fondent et légitiment l'action publique.

Ces valeurs sont principalement l'efficacité et la transparence de l'action publique, la compétence et l'honnêteté des fonctionnaires, la qualité et l'accessibilité à tous des services collectifs, la participation et l'association des citoyens.

Les États doivent faire face à de nouveaux défis nés de l'internationalisation croissante des économies et de la nécessité d'accroître l'efficacité tout en maîtrisant les dépenses publiques. Ils doivent en même temps assurer la croissance économique et la satisfaction des besoins sociaux essentiels que constituent la santé, la réduction de la pauvreté et de l'analphabétisme, la protection de l'environnement, le développement des infrastructures. Toutes ces activités contribuent à la réalisation du développement durable.

La difficile conciliation entre les exigences sociales et financières doit être recherchée à travers le principe de bonne gestion des affaires publiques dont la quête est partagée par l'ensemble des États membres de l'Organisation des Nations unies. Les exigences sont universelles mais leur application diffère d'un pays à l'autre. La consolidation de l'État est un enjeu pour tous ; les difficultés spécifiques des pays les moins avancés doivent cependant faire l'objet d'une attention prioritaire.

Les pays en développement, touchés par le problème de la dette et de la pauvreté, sont à la recherche d'un développement cohérent et stable. Ils sont confrontés, en Afrique en particulier, à l'urgente nécessité de construire un État moderne, seul garant de la cohésion nationale et de la suprématie de l'intérêt général. L'État est appelé à se substituer à la société civile lorsque celle-ci est défaillante, tout en favorisant son émergence. On connaît les risques que comporte la situation inverse quand la société civile prend la place d'un État faible ou insuffisant.

Les pays en transition doivent adapter leurs institutions politiques et administratives aux réformes démocratiques et au passage à l'économie de marché. Les réformes économiques ont souvent pris le pas sur celles de l'administration. Cependant, la conscience est vive que l'économie de marché ne peut fonctionner sans qu'existe une administration efficace et un système juridique respecté qui garantissent l'État de droit.

Les pays industrialisés, enfin, doivent faire face à la crise des finances publiques et adapter, le cas échéant, leurs régimes de protection sociale. Dans le même temps, il leur faut répondre à des besoins accrus de sécurité, de solidarité, et d'équilibre dans l'aménagement du territoire ; ils doivent également restaurer la légitimité de leur administration et moderniser leurs modes de gestion.

La bonne gestion des affaires publiques signifie que l'État doit être efficace, impartial, transparent et honnête. Elle passe par l'amélioration du processus d'élaboration des politiques, l'adoption et le respect de normes éthiques rigoureuses, la valorisation des ressources humaines, en particulier du dispositif de formation des agents à tous les niveaux. Il faut également développer l'évaluation des politiques publiques et renforcer la responsabilité et la motivation de ceux qui sont chargés de les mettre en oeuvre. La lutte contre le gaspillage et la corruption est un élément essentiel de cette stratégie. Elle concerne l'ensemble des pays. Elle doit permettre la meilleure utilisation des ressources publiques pour assurer les services collectifs essentiels en l'absence desquels les droits fondamentaux de l'individu sont bafoués.

En effet, la nécessaire prise en compte de considérations financières, justifiée par l'impératif de réduction des déficits publics, et la nécessité de ne pas étouffer l'initiative individuelle, ne doivent pas faire oublier que dans de nombreux pays, seul l'État peut être le promoteur du développement social. Les services publics ont un rôle essentiel à jouer pour empêcher l'abandon des zones rurales et assurer les services de proximité aux populations, accompagner le développement accéléré des grandes agglomérations, assurer le fonctionnement des infrastructures (routes, hôpitaux) mises en place à grands frais mais qui risquent de tomber en ruine faute de volonté et de personnel compétent pour les entretenir et les gérer.

On a beaucoup vanté les méthodes du secteur privé et les mécanismes de type « marché » comme nouveaux modes de régulation de l'action publique. Ceux-dont le mérite d'introduire une prise de conscience des coûts et une plus grande sensibilité aux besoins des usagers.

Mais, d'une part, ces méthodes ne peuvent être transposées purement et simplement ; elles doivent être adaptées à la spécificité des missions publiques et cette adaptation sera d'autant plus importante que les missions exercées appartiennent à celles que l'État est seul à pouvoir assurer, telles la sécurité et la justice.

D'autre part, l'usager des services publics ne peut être seulement considéré comme un client ou un consommateur, mais doit être reconnu comme un citoyen à part entière. Il faut prendre ici le citoyen au sens originel, c'est-à-dire comme membre de la collectivité ; ce concept de citoyenneté est essentiel car lui seul permet d'assurer l'égalité d'accès aux services de base et la satisfaction des besoins essentiels non solvables.

A cet égard, les principes d'égalité, de continuité, d'impartialité et d'adaptation aux changements des services publics, qui caractérisent la tradition française et que l'on retrouve, sous des formulations différentes, au sein de la plupart des États dans le monde et en particulier de l'Union européenne, me paraissent toujours de grande portée. Aménagés selon les particularités nationales, ils peuvent et doivent, à notre sens, constituer les bases d'une réflexion sur le rôle de l'administration dans le développement.

Il revient également à l'État de mettre en place un cadre juridique qui détermine les fondements et les limites des interventions publiques, qui favorise l'initiative individuelle, la sécurité des investisseurs, et surtout qui garantisse aux citoyens l'exercice de ses droits fondamentaux. Il faut rappeler les qualités premières de la règle de droit : celle-ci doit être simple, connue de tous et respectée.

La question de la place et de l'importance de l'État et du secteur public, celle du rôle des autres intervenants, notamment les collectivités territoriales, ne peuvent être résolues qu'au cas par cas, en fonction de la diversité des traditions politiques, juridiques, culturelles, sociales et de l'évolution des besoins de la société. Les frontières entre les activités publiques et privées ne sont pas intangibles et tous les pays connaissent la notion d'administration mixte. Mais, d'une part l'existence d'un minimum de fonctions collectives et de régulation ne peut être contestée, d'autre part l'État ne peut agir seul. Il doit s'appuyer sur l'ensemble des acteurs publics et privés, collectivités locales, entrepreneurs, associations et groupements de citoyens, organisations non gouvernementales.

La France conduit depuis peu une ambitieuse réforme de l'État voulue par le Président de la République, Jacques Chirac, afin que les services publics s'adaptent aux aspirations des citoyens et aux besoins d'une économie ouverte sur le monde ; notre effort essentiel a pour objectif central de placer le service au public au coeur de l'action de l'État, tout en recherchant à rendre l'État plus efficace dans ses missions.

La politique française de coopération s'inscrit dans le cadre des objectifs de l'agenda pour le développement qui est en cours d'élaboration. Elle vise le renforcement des institutions démocratiques et de la bonne gestion des affaires publiques, dans le respect de la diversité culturelle.

Elle tend, avant tout, à promouvoir une approche intégrée prenant en compte non seulement les contraintes macro-économiques, mais également les objectifs de redéfinition du rôle et des missions de l'État, l'amélioration de l'efficacité des services collectifs et de la prise en compte des besoins des populations. Il faut souligner en particulier l'appui à la démocratie avec l'aide à la préparation des scrutins, les programmes portant sur l'organisation du travail législatif et gouvernemental, la restructuration de l'appareil judiciaire. Ces actions fondées sur le partenariat sont menées dans un cadre bilatéral et multilatérale.

L'aide de la France au développement, qui s'élève à 8,47 milliards de dollars en 1994, fait de notre pays le seul membre du G7 dont le montant de l'aide publique au développement dépasse 0,5 % du PNB et a augmenté, passant de 0,63 à 0,64 % du PIB. Elle est ainsi passée de 44,8 à 47 milliards de francs entre 1993 et 1994.

Au-delà de cet effort financier, la France est décidée, et elle le fait déjà, à mettre la riche tradition de ses instituts de formation, de ses administrations publiques et de ses associations spécialisées, encore plus au service de la coopération et du développement. La France est favorable à ce que l'Institut international des sciences administratives soit associé à un certain nombre d'actions dans ce domaine. Les organismes régionaux pourraient jouer un rôle de relais précieux dans leur mise en oeuvre.

La France exprime l'espoir qu'au terme de cette reprise de session, l'Assemblée générale énonce des recommandations claires tendant :

– au renforcement des capacités des Systèmes d'administration publique, en se fondant sur les principes de bonne gestion des affaires publiques, et la reconnaissance du rôle essentiel de l'administration et des services publics dans le développement ;

– à l'amélioration de l'efficacité de la coopération dans le domaine de l'administration publique. La France soutiendra tout effort destiné à renforcer la coordination des actions de coopération et un meilleur emploi des ressources humaines et financières, notamment par la mise en place de procédures d'évaluation des programmes, comme elle le fait aussi bien à titre national que dans les enceintes qui traitent des différents aspects de la réforme des Nations unies ;

– au renforcement des capacités d'appui et de conseil des Nations unies dans le domaine de l'administration publique. A cet égard, comme dans d'autres domaines, l'action de l'Organisation des Nations unies doit être pragmatique et opérationnelle : elle doit trouver des formules simples et efficaces.

Monsieur le Président,

La France continuera de soutenir les efforts des Nations unies et des États membres et forme le voeu que les travaux de cette reprise de session soient couronnés de succès.