Texte intégral
Date : jeudi 13 juin 1996
Source : France Inter
L. Guyau : Première chose : il faut bien vérifier ces informations (celles de la revue scientifique Nature, ndlr), parce qu'aujourd'hui, avec la somme d'informations que nous recevons chaque jour, je finis par douter un peu de la justesse de ces propos. Mais si ces propos sont justes, il faut éclaircir les choses très clairement. S'il y a eu en dehors des périodes autorisées des importations éventuelles de farines de viandes contaminées, il faut chercher les responsables, il faut trouver les responsables car à ce moment-là, c'est de la fraude, et ce n'est plus du travail correct.
France Inter : Au vu de ces nouvelles révélations, est-ce que toutes les mesures sont prises pour préserver la santé publique ?
L. Guyau : Je crois que jusqu'ici toutes les mesures ont été prises en France en la matière. Même s'il y a eu pendant ces quelques jours quelque laxisme concernant la possibilité de lever l'embargo, partiellement, au niveau de l'Angleterre, j'ai cru comprendre qu'aujourd'hui cet embargo ne pourrait être levé qu'après vérification des scientifiques. Donc, je crois que les consommateurs doivent être rassurés, y compris pour la gélatine. Les importations ne sont pas encore pour demain.
Date : mardi 18 juin 1996
Source : RMC
RMC : Les agriculteurs sont-ils à bout, ce matin ?
L. Guyau : Oui. Aujourd'hui, les éleveurs sont dans une situation de crise et de catastrophe, parce que durant les premières semaines de la crise, ils ont pensé que cela allait s'arrêter. Aujourd'hui, ils font les comptes : les comptes sont vraiment à zéro, quand ils ne sont pas négatifs, puisqu'ils ne peuvent pas vendre leurs animaux. Et quand ils les vendent, ils le font à des prix dérisoires.
RMC : À combien estimez-vous les pertes ?
L. Guyau : C'est très difficile, mais uniquement pour les producteurs, on peut estimer déjà à près de 2 milliards de francs les pertes subies par les éleveurs. Pertes qui s'amplifient avec toute la filière. Mais le plus grave, aujourd'hui, c'est qu'on ne sait pas quand cette crise s'arrêtera. Les milliards s'ajoutent aux milliards. C'est quand même une situation où nous demandons que l'Europe prenne des décisions rapidement.
RMC : Jusqu'à présent, vous avez reçu des aides ?
L. Guyau : Jusqu'ici, rien du tout pour les éleveurs.
RMC : On vous a promis quelque chose ?
L. Guyau : Oui, mais l'Europe est intervenue pour retirer du marché certaines carcasses pour faire en sorte que le marché ne s'effondre pas plus. Mais pour l'instant, on n'a rien eu. Ça fait à peu près un mois et demi que l'Europe, de conseils en conseils, dit qu'elle va décider des aides qui sont déjà proposées mais déjà insuffisantes, et elles ne sont toujours pas décidées.
RMC : Pourquoi vous êtes-vous rendu chez le Président de la République ?
L. Guyau : Il me semblait important, vue ma fonction, de lui dire directement la situation de détresse des éleveurs. Je sais combien il est intéressé par tout ce qui concerne l'agriculture, l'élevage et l'aménagement du territoire. J'ai voulu lui dire que ce qui se passe aujourd'hui, que cette crise profonde est une crise de relation avec les consommateurs - il faut tout faire pour la rendre plus fluide et plus intéressante pour l'avenir, plus transparente - et qu'il faut aussi penser que derrière cette crise, il y a des hommes et des femmes qui vivent de leur métier, qui font vivre le milieu rural, qui font vivre l'aménagement du territoire et qu'il faut rapidement prendre des décisions. Deuxième chose : je voulais lui dire avant le sommet de Florence que cette crise n'était pas qu'une crise des éleveurs anglais, et que les éleveurs français, européens sont aussi en pleine détresse. Il faut donc décider très rapidement. Il me semblait important que le chef de l'État puisse taper sur la table à Florence.
RMC : Êtes-vous sorti rassuré ?
L. Guyau : Je suis sorti assez confiant, puisque le Président de la République a voulu lui-même, par l'intermédiaire de ses services, communiquer sa volonté d'arriver à aboutir rapidement à des aides pour l'agriculture et qu'il y ait dans le cadre gouvernemental un plan qui soutienne les éleveurs parce qu'on aura tout de même du mal il obtenir toutes les compensations nécessaires compte tenu de la situation de crise aussi grave que nous connaissons, au niveau de Bruxelles. Il faut donc que, dans le même temps, un plan de soutien et de sauvetage au niveau national soit mis en place : réduction de charges, amélioration...
RMC : Vous voulez deux plans, un plan européen et un plan national ?
L. Guyau : Oui, un plan à deux étages : européen et que l'Europe permette à chacun des pays, dont la France, de pouvoir aider son élevage. Les charges sont importantes, mais aussi tout le financement des exploitations. Il faut que les auditeurs comprennent bien aujourd'hui que la perte en produit brut dans une exploitation, c'est la même chose que le revenu net. Quand les éleveurs vendent leurs animaux et qu'ils perdent 1 000 francs, 1 500 francs, 2 000 francs par animal, c'est du bénéfice net potentiel, ou alors, ils prennent sur leur capital qui est perdu. Vous comprenez très bien que quand un élevage moyen vend 30 animaux dans la période concernée, 60 à 70 000 francs, pour des gens qui ont un revenu moyen inférieur à 80 000 francs, c'est le secteur le plus difficile.
RMC : Vos mandants se satisfont-ils des promesses du Président de la République ?
L. Guyau : Hier matin, avant de voir le Président de la République, j'étais avec mon conseil d'administration en Vendée. J'ai trouvé des gens très inquiets aujourd'hui et au bord du désespoir. Ils étaient inquiets avant la semaine dernière. Mais quand ils ont vu encore la semaine dernière les attaques sur la farine, les propos scientifiques sur les macaques, ils se sont dit : « c'est notre production, c'est notre avenir qui est en cause ». Il faut leur donner confiance. Nous avons des efforts à faire en direction des consommateurs. Nous en avons déjà fait beaucoup. Nous nous engageons à en faire encore d'autres en matière de communication.
RMC : Il n’a pas de risques ?
L. Guyau : Nos bovins sont nourris en France uniquement à partir de végétaux. Il faut le savoir et le redire.
RMC : Vous aviez prévu une fin de mois de juin chaude. Maintenez-vous les manifestations prévues ?
L. Guyau : Tout à fait. Le Président de la République le sait très bien. Vendredi et samedi, nous aurons des actions syndicales sur l'ensemble du territoire en deux directions : celle des pouvoirs publics, pour qu'ils se déterminent vis-à-vis du plan européen et national, mais aussi en direction des consommateurs et des citoyens français, pour qu'ils comprennent bien que derrière celle crise, il y a des hommes, des femmes et que nous voulons pouvoir vivre de notre métier et que leur propre intérêt est aussi en jeu. Il ne faudrait quand même pas, à l'issue de cette crise, que la conclusion pour les consommateurs serait de faire plus confiance aux importations qu'aux produits de nos terroirs.
RMC : Le gouvernement a-t-il fait ce qu'il fallait dans cette affaire ?
L. Guyau : Jusqu'ici, on aurait souhaité avoir un peu plus de rapidité, certes, mais malheureusement, on est toujours dans l'administration bruxelloise qui fait que les décisions sont toujours longues à être prises. C'est pourquoi nous avons pensé qu'en cette fin de mois de juin, il était indispensable d'aller vite dans les mesures. Maintenant, on jugera plutôt le gouvernement à ces 15 jours qui viennent, à savoir s'il est capable d'obtenir de Bruxelles des décisions rapides. Si ce n'est pas le cas, il faudrait prendre des mesures nationales.
RMC : On a mis des terres en jachère récemment. On s'aperçoit qu'on donne de la viande à des ruminants. N’était-il pas plus simple de ne pas mettre de terre en jachère et de laisser des pâturages pour les ruminants ?
L. Guyau : Oh que si ! Soit des pâturages, soit avoir la possibilité de produire dans cette Europe nos besoins en protéines que nous importons plus particulièrement des États-Unis et de l'Amérique. Je dis à cette occasion que si demain les farines de viande devaient être complètement interdites de toute alimentation, que ce soit pour les porcs ou les volailles - ce qui n'est pas impossible, et si les scientifiques le demandent, il faudra le faire -, il sera indispensable que dans le même temps, au niveau européen, on revoie les règles en matière de production de protéines. Car, autrement, ce serait encore une dépendance supplémentaire vis-à-vis des Américains. On est déjà suffisamment dépendant. Avec ce coup-là, ce serait les Américains qui auraient un levier supplémentaire pour orienter l'agriculture européenne.
RMC : On ne marche pas un peu sur la tête ?
L. Guyau : On ne marche pas complètement sur la tête. On a besoin de moyens qui nous permettent de gérer les marchés de façon souple. De temps en temps, on regrette qu'au niveau européen on manque de cette souplesse. Les règles, on veut bien les accepter, mais il faut savoir en période de crise traiter les situations en crise.
RMC : Le revenu agricole moyen a augmenté en 1995 de 10,4 %, en 1994 de 11,5 %, alors que les autres faisaient ceinture. Ne peut-on pas accepter une mauvaise année dans ces conditions ?
L. Guyau : Il faut faire très attention à ces chiffres. Je rappelle que ce sont des augmentations d'une année sur l'autre.
RMC : C'est énorme !
L. Guyau : C'est assez énorme, mais je vous rappelle que lorsqu'une année, vous avez une diminution de 50 % de votre revenu - c'est arrivé dans les trois-quatre années qui ont précédé -, lorsque vous rattrapez les années d'après, vous ne faites que remettre la situation à zéro. Derrière cette situation de revenu, il y a des disparités régionales de production. Il faut y faire très attention. C'est pourquoi nous n'avons pas peur de le dire, y compris dans le cadre de ce traitement pour la viande bovine : s'il faut que la solidarité professionnelle joue, nous y mettrons aussi notre part.