Texte intégral
Date : vendredi 4 avril 1997
Source : Le Figaro Magazine
Le Figaro Magazine : Parmi les menaces qui pèsent sur la planète, quelles sont celles dont on doit se préoccuper de la manière la plus urgente ?
Corinne Lepage : D’abord, elles sont liées entre elles et leurs effets conjoints sont aggravants. La surpopulation, par exemple, accroît la consommation d’énergie et la production de déchets. Et l’effet de serre, renforcé par la surpopulation, constitue peut-être le risque le plus grave de réchauffement climatique. Mais il ne faut surtout pas négliger la gestion des déchets nucléaires, qui peut se révéler être un danger considérable.
Le Figaro Magazine : Près de cinq ans après le sommet de Rio, quel bilan faites-vous ?
Corinne Lepage : Le bilan pour les deux conventions « biodiversité » et « climat » est contrasté. Pour la première, les États ont établi des plans nationaux pour recenser et protéger les espèces et les espaces. L’avènement des biotechnologies soulève les questions de la brevetabilité du vivant, ce qui met l’humanité en face de responsabilités d’ordre éthique majeures. Pour le climat, l’Union européenne a une position de pionnier. Elle s’est engagée, le 3 mars dernier, à réduire de 10 % à 15 % la production des gaz à effet de serre pour 2010/ Malheureusement, les autres pays industrialisés demeurent réticents à faire des efforts. Et les difficultés des pays en voie de développement sont telles qu’il est malaisé de parler d’un rapprochement entre Nord et Sud sur ces questions. Souhaitons qu’un accord intervienne à Kyoto en décembre 1997 lors de l’adoption du protocole de la convention sur le climat de Rio.
Le Figaro Magazine : Et la France, comment répond-elle à ces défis ?
Corinne Lepage : Nous sommes l’un des pays industrialisés qui contribuent le moins à la production de gaz à effet de serre (1,7 tonne de CO2 par an et par habitant, contre 3,5 pour l’Allemagne, et 5 pour les États-Unis. Nous avons réduit nos émissions de plus de 33 % entre 1980 et 1995. Mais il faut maintenir nos efforts sur l’habitat et les transports. La loi sur l’air doit permettre de diminuer les émissions des usines et des chauffages. Des mesures d’urgences imposent au préfet de limiter, en cas de pollution, les activités qui en sont la cause. À Paris, le Gouvernement a décidé, avec le maire et le préfet de police, d’instaurer la circulation alternée en attendant le décret de création de la pastille verte, qui distinguera les véhicules les moins polluants (GPL, électriques…) autorisés à rouler. Par ailleurs, la France a été, avec l’Allemagne, à l’origine du fonds de l’environnement mondial (FEM) qui a pour vocation d’aider les pays en voie de développement. Mais nous devons accroître la part de l’environnement dans nos programmes de coopération bilatérale. Heureusement, les pays de l’Union européenne font souvent cause commune. Outre les gaz à effet de serre, ils ont décidé d’accélérer l’échéancier pour réduire la production des substances néfastes à la couche d’ozone et d’appliquer, par anticipation, l’interdiction d’exporter des déchets dangereux vers les pays n’appartenant pas à l’OCDE.
Source : Midi libre
Date : mardi 15 avril 1997
Midi libre : Le canal du midi est déjà au patrimoine mondial de l’UNESCO. Qu’apporte de plus le classement publié aujourd’hui ?
Corinne Lepage : Le classement de l’UNESCO n’entraîne pas de mesures de protection particulières. Par contre, le décret de classement d’aujourd’hui, au titre de la loi du 2 mai 1930 sur la protection des sites, complète cette reconnaissance internationale et consacre, au plan national, sa valeur patrimoniale. Ce qui permettra d’assurer sa conservation. Ce classement s’applique au domaine public fluvial de la ligne principale de navigation du canal du Midi, du canal de Brienne à Toulouse, de l’embranchement de La Nouvelle et de la descente dans l’Hérault maritime, soit 279 km. Nous allons classer prochainement la Rigole de la Plaine, et nous avons déjà classé la Rigole de la Montagne noire ; ce qui nous permettra d’avoir un classement global de tout le système d’alimentation en eau du canal du Midi.
Midi libre : Le conflit entre agriculture et tourisme pour l’utilisation de l’eau du canal va-t-il être tranché ?
Corinne Lepage : Ici comme ailleurs, il faudra trouver des compromis. Mais ce classement apporte incontestablement un « plus touristique » au canal. Car toute une série de mesures de protection est engagée sur les principaux ouvrages, ponts, écluses, bâtiments d’exploitation ; les paysages accompagnant le canal et ses annexes feront l’objet de mesures complémentaires… des façons à ce que la région puisse faire de ce canal un outil de valorisation touristique exceptionnel. Cet effort sera partagé avec le ministère de la culture pour les monuments historiques.
Midi libre : La carrière de Vingrau suscite toujours une polémique…
Corinne Lepage : C’est un dossier difficile compte tenu de son ancienneté, puisque les premières autorisations ont été délivrées à l’époque par Brice Lalonde. Il est toujours difficile de revenir en arrière et ce d’autant plus que les décisions de justice ont, pour l’essentiel, confirmé les arrêtés. J’ai cherché à encourager le dialogue entre les parties. J’ai reçu les élus et la direction d’Omnia. Dans cette affaire, la question de l’environnement se double d’un problème de comportement des uns et des autres. Au départ, j’ai le sentiment que les choses ne se sont peut-être pas faites avec toute la considération nécessaire vis-à-vis de la population. Le paysage est magnifique, mais le filon est aussi riche : c’est un classique conflit d’usage entre protection d’un site et exploitation d’une richesse minière. Le minimum que l’on puisse exiger d’une entreprise, c’est que l’exploitation se fasse dans le plus strict respect des paysages. Même si c’est plus coûteux.
Midi libre : Autre sujet de conflit, le laboratoire souterrain pour le stockage des déchets nucléaires du Gard.
Corinne Lepage : Nous sommes en face de déchets radioactifs et nous devons gérer ce problème avec responsabilité vis-à-vis des générations futures. Il faut explorer en même temps les trois voies – brûlage des actinides, entreposage, stockage souterrain. Avec ce laboratoire souterrain, nous n’en sommes qu’à l’étude de la faisabilité ultérieure du stockage, qui ne peut se faire que si les conditions sont optimales et que si les populations l’acceptent. Mais la solution « stockage » ne doit pas être irréversible : je suis très réservée sur toute solution qui impliquerait que nos descendants ne puissent pas revenir en arrière. La responsabilité de notre génération me paraît essentielle.
Midi libre : Que pensez-vous du projet de doublement de la production de Mox à Marcoule ?
Corinne Lepage : J’aurais à me pencher sur ce dossier s’il venait à la surface. J’ai noté avec intérêt les souhaits de Monsieur Syrota, mais pour l’instant aucune décision n’a été prise.
Midi libre : Autre point noir pour l’environnement : Salsigne…
Corinne Lepage : Le ministère de l’industrie essaye de monter une opération de reprise du site. J’ai à veiller à ce que l’environnement soit pris en compte d’une façon satisfaisante. Il faut régler la question de la dépollution des sols, traiter les déchets. Car on ne peut plus avoir ces eaux de ruissellement polluées qui s’accumulent et que le préfet a été dû laisser se déverser vers l’aval.
Midi libre : Superphénix est un autre sujet de désaccord.
Corinne Lepage : J’apprécie que le Premier ministre ait saisi le Conseil d’État, car ce n’était pas une obligation. Je considère que seule la recherche peut justifier le maintien de Superphénix. Le sujet est d’actualité et le dossier est au Conseil d’État pour avis.
Date : 17 avril 1997
Source : Le Parisien
Le Parisien : Cette fois, l’article 12 de votre loi sur l’air, qui prévoit des restrictions de la circulation les jours de pics de pollution, va vraiment devenir opérationnel…
Corinne Lepage : Oui, les choses sont allées vite. Je me réjouis de voir que la région Île-de-France est la première à appliquer cette disposition. J’ai rencontré les préfets concernés il y a trois semaines. Pour la région parisienne, un arrêté interpréfectoral doit être signé sous peu (NDLR : le plan antipollution sera rendu public lundi 21 avril). J’espère que les autres métropoles françaises vont suivre rapidement cet exemple.
Le Parisien : Le texte de loi laisse une large autonomie aux préfets pour prendre les mesures qu’ils jugent utiles…
Corinne Lepage : Parfaitement. Ils ont seulement une obligation de résultat : faire baisser le niveau de pollution en restreignant la circulation automobile.
Le Parisien : Ils pourront appliquer par exemple le système de la circulation alternée. Les voitures au numéro pair circuleront les jours paris, les voitures au numéro impair les jours impairs…
Corinne Lepage : Le système de la circulation alternée est l’une des solutions préconisées, mais ce n’est pas la seule. Les préfets pourront par exemple, s’ils le souhaitent, opter pour le système de la pastille verte qui devrait être opérationnel au début de l’année 1998. (NDLR : seuls les véhicules les moins polluants, étiquetés d’un autocollant vert, seront autorisés à circuler).
Le Parisien : Imaginez par exemple que, avant l’été, un pic de pollution se produise à Paris. Pensez-vous que les automobilistes vont jouer le jeu facilement et prendre les transports en commun ?
Corinne Lepage : Il n’est certes pas facile de changer nos habitudes, mais je suis sûre que les Français, conscients du risque que représente la pollution urbaine – en particulier pour les personnes âgées et les enfants –, feront preuve de sens civique. Je compte sur eux.
Le Parisien : 0 ce propos, une étude britannique récente révèle que la pollution urbaine augmente les risques de cancer chez les enfants…
Corinne Lepage : Je connais les résultats de cette étude mais, n’étant pas moi-même médecin, je ne peux pas les commenter. Mais je puis vous affirmer, en revanche, que j’ai demandé à ce que soient réalisées des enquêtes épidémiologiques.
Date : 17 mai 1997
Source : Libération
Libération : Depuis quand avez-vous des doutes sur la liaison Rhin-Rhône à grand gabarit ?
Corinne Lepage : J’ai dit dès octobre 1995 qu’il s’agissait d’un projet pharaonique. L’expression a eu le succès que l’on sait. Elle s’appuie sur de vrais arguments. D’abord le coût financier : 32 à 35 milliards de francs, et même 49 milliards en incluant les intérêts intercalaires. Et puis le coût environnemental, énorme, même s’il est difficile de l’évaluer sur le plan comptable. Comment chiffrer le fait que le canal diminuera les champs d’expansion des crues, ou qu’il portera atteinte à l’activité touristique dans la vallée du Doubs ? Enfin la rentabilité, loin d’être assurée. Je suis d’accord pour que l’on diminue la quantité de marchandises transportées par camions. Mais les études montrent que le canal ne contribuera qu’à la baisser de 5 %.
Libération : On ne peut se réjouir d’une non-décision…
Corinne Lepage : Le plus important, c’est de changer le processus de décision publique. Et de ce point de vue, ce que je voulais, je l’ai obtenu. Je voulais que l’on puisse remettre en cause un projet si l’on estime qu’il n’a pas de rentabilité globale, en prenant en compte son impact économique et sociétal en non le seul coût des terrains et des travaux. C’est ce que l’on fait ici. Et si, en deux ans, la position des élus concernés a beaucoup changé, je m’en réjouis. Le débat autour du canal Rhin-Rhône a au moins montré que l’on était entré dans une société où l’on ne peut plus décider de lancer un tel équipement sans y associer le public.