Texte intégral
France Inter : mercredi 13 décembre 1995
J.-L. Hees : Vous appelez à la poursuite de la grève, contrairement à la FEN, vous n'êtes pas convaincu par les engagements de Matignon ?
M. Deschamps : Pas convaincu du tout. On l'a un peu oublié : ce mouvement est parti de la grève des fonctionnaires le 10 octobre. On ne parlait pas encore de l'agression contre les retraites, cela est venu un mois plus tard. Avec mes camarades de la FEN, et l'ensemble des organisations de fonctionnaires, nous avions décidé de faire grève car nous nous heurtions à un blocage complet du gouvernement sur les recrutements, un blocage complet sur les salaires et sur le statut et le devenir du service public. Ces sujets-là sont toujours d'actualité et je n'entends pas de réponse sur ces questions du gouvernement. La FEN a le droit de changer d'avis, de ne plus porter ses revendications, moi, j'ai été mandaté sur ces revendications, je les maintiens. Sur les régimes de retraite, je souhaite que l'engagement du gouvernement soit sans aucune obscurité.
J.-L. Hees : Ne faites-vous pas de la surenchère ?
M. Deschamps : On n'y arrivera pas si l'on ne s'écoute pas les uns et les autres. Peut-être que je me trompe, peut-être après tout que ma lecture de ce que dit le gouvernement n'est pas juste, mais il doit l'entendre. Le gouvernement a proposé de prolonger la retraite des fonctionnaires de 37 ans à 40 ans. J'entendais M. Barrot dire, et cela avait beaucoup de force, qu'il avait rencontré quelqu'un, dire : Je suis prêt à partir tout de suite pour donner de l'emploi aux jeunes dans la fonction publique. Le gouvernement a eu cette idée complètement folle de retarder le départ en retraite de l'ensemble des fonctionnaires ; on a calculé : dans l'enseignement ; c'est au moins 60 000 possibilités d'embauche qui différait d'autant. Le gouvernement a-t-il abandonné cela, s'il l'a fait, qu'il le dise. C'est ce que dit la lecture de la FEN. Moi, je suis syndicaliste, engagé dans un mouvement, je n'arrêterai pas ce mouvement avant d'avoir la certitude que sur cette question, les garanties du gouvernement soient totales.
J.-L. Hees : Vous attendez une lettre du Premier ministre ?
M. Deschamps : Je le rencontre demain, il va pouvoir nous répondre, mais vous savez bien que l'on ne découpe pas les choses. Je suis enseignant, fonctionnaire, assuré social. Les questions de la protection sociale, cela me concerne aussi. On a le droit de débattre de tout sauf de cela. M. Barrot a un ton conciliant, mais en même temps, la déclaration de M. Lamassoure dit : c'est ma politique, mon choix et il n'y en a pas d'autre. S'il n'y en a pas d'autre choix et d'autres solutions, de quoi négocie-t-on ? En réalité, quel que soit le problème, chacun sait bien qu'il y a toujours plusieurs solutions, plusieurs choix possibles. Il y a un champ de négociation qu'il faut ouvrir. J'ajoute que l'on n'arrivera pas à négocier si l'on continue à faire, comme l'a fait M. Barrot, à parler des gars de la base ou du syndicaliste de base. Je ne sais ce que cela veut dire. Cela ne se déroule comme cela. Les gars de la base ne se laissent pas détourner par quelques bobards, ils sont informés comme l'ensemble des Français, ils savent pourquoi ils se battent, ils ne sont pas manipulés comme des marionnettes par quelques leaders syndicaux qui auraient perdus le sens de ce qu'ils font. Mais j'ajoute que lorsque tous les dirigeants syndicaux disent au gouvernement que c'est une grève syndicale, que nous voulons la résoudre par des moyens syndicaux et une négociation gouvernement-syndicats, cela devrait être entendu. C'est une parole qui engage. Il n'y a pas actuellement un dirigeant syndical, ou intermédiaire, qui réfute le gouvernement que la France s'est donné. M. Juppé est Premier ministre, nous voulons négocier avec lui, qu'attendons-nous ?
J.-L. Hees : Les grèves dans l'enseignement posent des problèmes aussi aux jeunes ?
M. Deschamps : Cela nous pose d'autant plus de problèmes que nous avons beaucoup hésité, qu'à chaque fois que nous avons pris une décision, nous avons pris contact avec les fédérations de parents d'élèves, nous avons mis suffisamment de délai entre le début de la grève et son annonce, donc, nous faisons tout ce que nous pouvons. En même temps, il n'y a pas grève sans conséquence sociale ; il faut vraiment que nous puissions arrêter le mouvement. Seule une bonne négociation peut le permettre : négocions.
Europe 1 : mercredi 13 décembre 1995
M. Grossiord : Vous serez reçu demain par A. Juppé ?
M. Deschamps : Oui et ça a été difficile d'obtenir ce rendez-vous. Ce qui montre bien que la concertation a quelques difficultés.
M. Grossiord : Puisque la FEN a eu des garanties, vous devriez vous satisfaire ?
M. Deschamps : Il ne s'agit pas du tout d'un bras de fer entre la FEN et la FSU. C'est autre chose. Ce sont les personnels dans les établissements qui se réunissent et qui décident. On a un peu oublié que ce mouvement est parti le 10 octobre avec une grève des fonctionnaires, à un moment où on ne parlait pas encore de menaces sur les régimes de retraite. Les fonctionnaires se battaient pour que l'on développe l'emploi dans la Fonction publique, ils se battaient pour leurs salaires et sur la conception du service public. Sur ces trois sujets, qui peut me dire actuellement que nous avions satisfaction ?
M. Grossiord : Le courrier de Matignon « la désinformation » ce matin à propos des retraites puisque tout a été mis noir sur blanc dans un courrier officiel, on ne va pas toucher aux retraites des fonctionnaires.
M. Deschamps : Deux choses : 1/ tout est parti d'une déclaration du Premier ministre, elle était très claire : on va aligner le régime des retraites des fonctionnaires sur les salariés du privé. Pour ça, on met en oeuvre deux dispositions : allonge les annuités pour calculer le taux de pension de 37,5 ans à 40 ans.
M. Grossiord : Vous revenez en arrière puisqu'il y a une lettre de Matignon qui dit qu'on ne touche à rien.
M. Deschamps : Non ! 2/ on crée une Caisse de retraite. J'attends de Matignon, sur ces deux points, qu'ils démentent clairement. J'ajoute que si c'est aussi clair que ça, pourquoi ne pas l'écrire à toutes les organisations syndicales. Chacun voit bien la manoeuvre.
M. Grossiord : Vous êtes blessé dans votre amour propre ?
M. Deschamps : Non, si ce n'était que ça, ce ne serait pas trop grave. Pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté, cette lettre je l'ai envoyée à tous les personnels ; ils vont comparer dans les assemblées générales les déclarations du Premier ministre le 15 novembre et ce qui est écrit aujourd'hui.
M. Grossiord : Pas de classe samedi matin ?
M. Deschamps : Nous avons pris une décision de journée nationale de manifestations samedi, avec la CGT et avec FO.
M. Grossiord : Comment allez-vous rattraper le temps perdu pour les enfants ? On en parle dans les universités pour rattraper les cours lors des vacances.
M. Deschamps : Nous l'avons toujours fait ; nous avons toujours essayé que les mouvements de grève soient décidés suffisamment tôt pour que les familles puissent prendre des dispositions et pour que les enfants ne souffrent pas. Mais en même temps, ne faisons pas croire qu'une grève ça ne fait pas de dégâts. Si une grève est une chose anormale, ça produit des gênes et des soucis pour tout le monde. Le gouvernement doit au plus vite faire ce qu'il faut.
M. Grossiord : Peut-on rattraper les dégâts dans le domaine pédagogique ?
M. Deschamps : On peut les rattraper. Si ça ne faisait pas de dégâts, à quoi servirait le mouvement ? Mais nous ferons tout pour rattraper quand nous pourrons le faire, mais déjà actuellement ça se pratique. Nous ferons ce qu'il faut pour que nos responsabilités soient assumées.
M. Grossiord : Que devrait vous dire le Premier ministre pour que le mouvement cesse ?
M. Deschamps : Sur le service public d'éducation, il faut que l'on puisse se mettre à recruter comme nous en avons besoin. Nous faisons des propositions pour ça. Sur les questions de la retraite, j'ai dit qu'il fallait que l'on sorte de l'ambiguïté et que l'on dise clairement les choses. Nous sommes des assurés sociaux et je me sens concerné et solidaire des postiers, des cheminots qui sont actuellement en grève. La direction de la FEN a pris ses responsabilités, moi je ne prendrai pas celle de dire : les enseignants ne sont pas concernés par ces problèmes d'ensemble de notre société.